Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me dispenserai d’utiliser les quinze minutes de temps de parole qui m’ont été attribuées, dans la mesure où l’excellent rapport de M. Barbier fait le tour de la question dont nous sommes saisis. J’irai donc à l’essentiel, d’autant plus que les interrogations de certains de nos collègues ont déjà été soulevées devant la commission des affaires sociales.
Chacun a compris que la prise d’acte de rupture du contrat de travail se définit par rapport à une situation de fait : le salarié, considérant que le comportement de son employeur rend impossible la poursuite de la relation de travail, prend acte de la rupture du contrat et quitte l’entreprise en imputant la responsabilité de la rupture à l’employeur. La prise d’acte est d’effet immédiat : elle entraîne la cessation immédiate du contrat de travail, de sorte qu’aucun salaire n’est plus dû par l’employeur ; le salarié voit donc sa situation se détériorer.
Concrètement, le salarié annonce à l’employeur qu’il quitte l’entreprise, sans être tenu de justifier son départ. Il appartient ensuite aux prud’hommes de qualifier la prise d’acte, en recherchant la réalité des motifs exposés par le salarié ; la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est constante à cet égard. Si les griefs invoqués contre l’employeur sont considérés comme fondés, la prise d’acte équivaudra à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; dans le cas contraire, elle équivaudra à une démission, avec toutes les conséquences que prévoit le code du travail.
Comme les précédents orateurs l’ont rappelé, la Cour de cassation insiste sur la nécessité pour le salarié d’invoquer des faits qui présentent une gravité suffisante. De plus, ces faits réels et suffisamment graves qu’il reproche à son employeur, c’est au salarié qu’il appartient d’en apporter la preuve. En effet, la prise d’acte étant une décision importante, il faut que le salarié puisse établir, selon les termes employés par la Cour de cassation, « un manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail ».
Parmi les motifs que la Cour de cassation a estimés de nature à justifier une prise d’acte figurent notamment les faits de harcèlement. Cette jurisprudence me semble propre à rassurer Mme Bouchoux, qui a exprimé ses inquiétudes au sujet des harcèlements « genrés ». Je pense qu’en analysant plus avant la jurisprudence de la Cour, on trouverait une réponse à la question de notre collègue.
D’autres motifs ont été reconnus par la Cour de cassation, comme les mesures discriminatoires, l’atteinte à la dignité du salarié – même si tous les faits de cette nature, malheureusement, n’arrivent pas jusqu’au juge –, la non-fourniture de travail – c’est important - et des agissements de l’employeur commis en dehors du temps et du lieu de travail - des cas avérés font l’objet d’une jurisprudence.
Quels sont les effets juridiques respectifs d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’une démission ?
En cas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur est condamné à verser au salarié des indemnités, notamment une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité compensatrice de congés payés, une indemnité pour perte des droits au compte personnel de formation et, le cas échéant, une indemnité pour préjudice distinct et une indemnité spécifique pour inaptitude professionnelle. En outre, le salarié bénéficie des intérêts légaux sur les sommes qui lui sont dues.
En cas de démission, le salarié doit régler l’indemnité correspondant au préavis qu’il n’a pas exécuté ; il peut aussi être condamné à verser à l’employeur des dommages et intérêts.
S’agissant des conséquences de la prise d’acte pour le salarié et pour l’employeur, il faut signaler que l’employeur doit remettre au salarié, lors du départ de celui-ci, un certificat de travail, le reçu pour solde de tout compte et une attestation de Pôle emploi.
Seulement, tant que le conseil de prud’hommes n’a pas rendu son jugement, Pôle emploi ignore si la prise d’acte va être considérée comme une démission, qui n’entraîne pas le versement d’allocations, ou comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvrant, lui, droit aux allocations. Le salarié ne perçoit donc aucune allocation avant que le conseil de prud’hommes ne se soit prononcé. C’est pour lui une conséquence très grave de la prise d’acte, d’autant que la situation de demandeur d’emploi non indemnisé est susceptible durer : en cas d’appel, la décision peut prendre jusqu’à 121 jours !
Aujourd’hui, mes chers collègues, l’intervention du législateur s’impose, comme M. le rapporteur l’a expliqué.
En effet, comme la situation résultant d’une prise d’acte est dommageable au salarié comme à l’employeur, qui doit provisionner dans son bilan le montant d’éventuelles indemnités, ce qui n’est pas rien, il est nécessaire pour les deux parties qu’une décision soit prise dans les meilleurs délais. Or la procédure devant les prud’hommes ne permet pas une décision prompte, et ce pour deux raisons.
En premier lieu, le juge des référés n’a pas le pouvoir de se prononcer sur l’imputabilité de la rupture du contrat de travail, cette compétence relevant uniquement du pouvoir des juges du fond ; la Cour de cassation a rappelé ce principe dans un arrêt du 11 mai 2005.
En second lieu, la procédure prud’homale se déroule en deux phases : la phase de conciliation et la phase de jugement devant le bureau de jugement. À cet égard, certains déplorent que l’on gagne du temps sur la phase de conciliation ; j’y vois, moi, la possibilité d’accélérer le cours de la justice prud’homale en cette matière.
Bien sûr, cette proposition de loi n’a pas pour ambition de résoudre toutes les questions liées aux conseils de prud’hommes. Nous aurons l’occasion de les examiner si nous sommes saisis d’un projet de loi portant, notamment, sur la désignation des conseillers prud’homaux.
Il ne s’agit pas de diaboliser quiconque dans les rapports, ici conflictuels, entre employeurs et salariés, mais tout simplement de fluidifier et d’accélérer la procédure. Comme je l’ai dit à notre collègue Jean Desessard en commission des affaires sociales, il faut parfois procéder par petites touches pragmatiques, sans chercher à tout réformer, pour réaliser des avancées.
En l’occurrence, la proposition de loi ouvre la voie à des avancées intéressantes à la fois pour les salariés et pour les employeurs. Du reste, elle est somme toute très modeste, puisqu’elle ne concerne qu’un nombre réduit de salariés : environ 4 000 par an, alors qu’il y a près de 250 000 affaires chaque année.
En définitive, la prise d’acte, fondée sur l’article 1184 du code civil, va permettre, comme notre collègue Gilbert Barbier le souligne dans son rapport, d’apporter un aménagement procédural spécifique qui semble bienvenu. C’est pourquoi le groupe socialiste votera cette proposition de loi sans proposer de modification !