Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 17 juin 2014 à 14h30
Candidats aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Bernard Cazeneuve, ministre :

Cela étant, je n’entends pas faire diversion, car je souhaite que la discussion sur ce sujet important soit la plus riche et la plus approfondie possible. Je suis très heureux d’être présent parmi vous cet après-midi pour l’examen de la proposition de loi de M. Jean-Claude Carle, dont je sais qu’elle a fait l’objet de l’approbation unanime des membres de la commission des lois la semaine passée.

Ce texte, déposé le 14 mars 2014, relaie de nombreuses plaintes de candidats et des critiques parfois assez vives de la part d’associations d’élus, dont j’ai été très largement saisi à l’occasion des élections municipales.

En ma qualité de ministre de l’intérieur, responsable de l’organisation des élections, je suis, comme vous, très attaché à la démocratie locale, et plus particulièrement au pouvoir des maires. J’ai été très sensible aux diverses oppositions qu’a pu susciter le système de nuançage introduit à l’occasion du renouvellement municipal de 2014 et je cherche, moi aussi, à arrêter un dispositif qui permette de répondre aux préoccupations qui se sont exprimées.

Je souhaiterais néanmoins porter à votre connaissance plusieurs éléments de réflexion, afin de bien préciser la signification des concepts, par souci de clarté.

Je voudrais tout d’abord rappeler la distinction entre « étiquette politique » et « nuançage ».

L’étiquette politique relève d’un choix libre des candidats, signifié sur leur déclaration de candidature. Ils peuvent d’ailleurs préférer ne pas en choisir et se déclarer « sans étiquette ».

Le nuançage, en revanche, relève du seul ministère de l’intérieur qui, en fonction des sensibilités des candidats et de leurs déclarations, leur attribue une nuance, ne correspondant pas nécessairement à l’étiquette déclarée. Assurée par les préfectures, l’attribution d’une nuance politique a pour objet exclusif de permettre d’analyser finement les résultats des élections.

Ensuite, je voudrais revenir sur la genèse de l’extension de ce nuançage aux communes de plus de 1 000 habitants, sujet qui nous occupe plus particulièrement aujourd’hui.

Avant les élections municipales et communautaires de mars 2014, le décret du 30 août 2001 permettait au ministère de l’intérieur de procéder au nuançage politique des candidats aux élections municipales exclusivement – j’insiste sur ce point – dans les communes de 3 500 habitants et plus. Le seuil pour la mise en œuvre du nuançage correspond donc à celui à partir duquel s’applique le scrutin proportionnel : ce n’est pas un seuil discrétionnaire.

La loi du 17 mai 2013 ayant abaissé à 1 000 habitants le seuil d’application du scrutin de liste aux élections municipales, le ministère de l’intérieur, assez logiquement, a demandé à la CNIL l’autorisation d’étendre le nuançage aux candidats dans les communes de 1 000 à 3 499 habitants.

Tel est le sens de la délibération du 19 décembre 2013 de la CNIL, qui complète le décret de 2001, et tel est, si je vous ai bien compris, l’objet de votre mécontentement.

Je dois à la vérité de dire que plusieurs préfectures m’ont alerté sur les objections de certains candidats estimant que l’électeur pourrait être trompé par une nuance qu’ils jugeaient en contradiction avec la réalité et le sens de leur candidature, ainsi que sur les nombreuses demandes de rectification de nuance déposées par de tels candidats.

Je comprends les critiques dont ce dispositif fait l’objet, cependant je ne crois pas que la remise en cause pure et simple du nuançage pour les communes de 1 000 à 3 499 habitants soit la bonne réponse à apporter.

En l’état, la proposition de loi pose d’abord un problème de droit : en aménageant le nuançage dans les communes de moins de 3 500 habitants par voie législative, elle vise à modifier des règles qui relèvent d’une délibération de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et se trouve ainsi en contradiction avec la hiérarchie des normes.

En outre, la distinction entre communes de 3 500 habitants et plus et communes de moins de 3 500 habitants avait un sens avant la loi du 17 mai 2013, puisqu’elle se fondait, comme je l’ai rappelé, sur le seuil d’application du scrutin de liste.

Le scrutin de liste existant désormais pour toutes les communes de plus de 1 000 habitants, la proposition de loi, qui vise à permettre aux candidats, dans les seules communes de 1 000 à 3 499 habitants, de refuser tout nuançage me semble donc de nature à remettre en cause le principe d’égalité.

Enfin, il me semble justifié et légitime de conserver la pratique du nuançage.

L’argument selon lequel il n’y aurait pas de débat politique dans les petites communes est très largement contredit par la réalité : la vie démocratique y est extrêmement riche, comme en témoigne le fait que 60 % des 6 784 communes de 1 000 à 3 499 habitants ont été le théâtre d’un affrontement démocratique entre au moins deux listes. Nous pouvons d’ailleurs nous en réjouir, car cela est bon pour la démocratie.

Cependant, pour éviter que le nuançage ne donne lieu à de nouvelles polémiques, il me semble qu’il faut le cantonner à son objet d’analyse politique, en faisant en sorte qu’il n’interfère pas avec le débat public. Autrement dit, je pense que la bonne solution pour répondre à votre préoccupation, monsieur Carle, est de faire en sorte que cet élément d’analyse du scrutin, dont nous avons besoin, ne vienne pas contrarier le déroulement de la campagne en créant des ambiguïtés entre le candidat et les électeurs.

C’est bien, en effet, du débat public, ouvert, démocratique, que relève la discussion autour de l’appartenance politique, réelle ou proclamée, des candidats. Il ne revient pas à l’État – et a fortiori au ministre de l’intérieur – d’arbitrer ce débat. Aussi, je propose que ce soient les étiquettes déclarées par les candidats – et seulement celles-ci – qui soient désormais publiées pendant la campagne électorale, les nuances ne l’étant elles qu’après la promulgation du résultat des élections, à des fins d’analyse du scrutin.

Ce que je vous propose donc, c’est un esprit, des institutions et une pratique.

L’esprit, c’est celui de votre proposition de loi, monsieur Carle. Je souhaite le conserver, parce qu’il me semble de nature à répondre à des critiques légitimes.

Les institutions, ce sont les pratiques de nuançage utiles que le ministère de l’intérieur souhaite maintenir pour toutes les communes où s’applique le scrutin de liste.

La pratique, c’est celle que je vous propose de mettre en œuvre dès après l’adoption du présent texte, consistant à rendre le nuançage public uniquement après la fin des opérations de vote, de manière que celles-ci ne soient pas troublées. Tel est le sens de l’amendement que j’ai déposé dans un esprit constructif au nom du Gouvernement et qui vise à atteindre plusieurs objectifs : d’abord, supprimer toute référence au seuil de 3 500 habitants, pour éviter toute différence de traitement entre les communes élisant leur conseil municipal au scrutin de liste, une telle différence de traitement ne se justifiant pas et posant un problème de principe ; ensuite, prévoir que les candidats mentionnent dans leur déclaration de candidature leur étiquette politique dans des termes qu’ils définissent librement, en pouvant, bien entendu, au moment du scrutin, se déclarer librement sans étiquette sans que cette déclaration se trouve contrariée à aucun moment du scrutin. Le dispositif du nuançage politique des candidats demeurerait inchangé, mais la publicité de ce dernier serait rendue interdite avant la fin des opérations de vote.

Mesdames, messieurs les sénateurs, Mona Ozouf montre, dans un essai sur Jules Ferry, que la grande œuvre de celui-ci a été, bien plus encore que les lois scolaires, l’avènement de la démocratie à l’échelon local, notamment avec la loi du 28 mars 1882 instaurant l’élection des maires pour toutes les communes et la loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation des pouvoirs municipaux : la mairie fut constituée comme un modèle réduit de la République parlementaire. Je sais que vous souhaitez inscrire votre démarche dans le respect de cet équilibre, cher à Jules Ferry, entre un État fort, garant de l’unité, et une riche vie communale, garante de la complexité.

Vous avez, pour atteindre cet objectif, mon plein et entier soutien. Je tiens à remercier le sénateur Jean-Claude Carle du dépôt de cette proposition de loi, le rapporteur de sa contribution très utile et le président de la commission des lois, qui a su orchestrer ce débat.

Les propositions faites par le Gouvernement prennent intégralement en compte la préoccupation formulée par M. Carle ; notre discussion d’aujourd'hui doit permettre d’aboutir à un bon compromis. En tout cas, le Gouvernement aborde ce débat dans un état d’esprit ouvert. §

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