La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Charles Guené.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi tendant à permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de moins de 3 500 habitants, présentée par M. Jean-Claude Carle et plusieurs de ses collègues (proposition n° 418, texte de la commission n° 611, rapport n° 610).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà un peu plus d’un an, le Parlement adoptait la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.
À l’occasion de l’examen de ce texte, le Gouvernement a affirmé que l’objectif de l’abaissement à 1 000 habitants du seuil pour l’application de la proportionnelle était de favoriser une meilleure représentation de la diversité des opinions politiques et de mettre fin au système bipartite.
Pourtant, l’application de cette loi a entraîné un certain nombre de conséquences qui conduisent à une politisation accrue du scrutin municipal ; je vais m’en expliquer.
Le décret du 30 août 2001 prévoit la création d’un « fichier des élus », qui impose notamment aux candidats aux élections municipales de se rattacher à un parti politique, c’est-à-dire que ce décret impose à tous les candidats d’avoir une « étiquette politique ». S’ils n’en revendiquent pas une eux-mêmes, le préfet leur affectera alors une « nuance politique », appréciée au regard de la sensibilité qui les caractérise.
Théoriquement, ce décret ne concerne que les candidats aux élections municipales dans les villes de plus de 3 500 habitants, mais l’application combinée de deux articles de la loi du 17 mai 2013 rend de fait obligatoire ce rattachement politique pour tous les candidats, quelle que soit la commune où ils se présentent.
Les deux articles en question sont l’article 24, qui a abaissé le seuil d’application de la proportionnelle pour les élections municipales de 3 500 à 1 000 habitants, et l’article 25, qui oblige au dépôt de toutes les candidatures en préfecture, quelle que soit la population de la commune.
Voici donc comment le rattachement politique s’organise pour tous les candidats aux élections municipales : le candidat indique son étiquette politique, s’il en a reçu une ; il choisit une nuance politique parmi celles proposées dans une grille listant les nuances et les partis politiques se rattachant à chacune d’entre elles ; la préfecture valide ou corrige purement et simplement cette nuance en fonction de sa propre appréciation, le candidat pouvant néanmoins porter une réclamation pour faire modifier la nuance qui lui a été attribuée, sans qu’il y ait obligation pour la préfecture d’en tenir compte.
Il va de soi que les préfets exercent cette responsabilité avec intégrité et objectivité. Pour autant, quelle que soit leur diligence pour classer avec le plus de précision possible des élus et des listes dans des cases prédéfinies, ils se heurtent à l’impossibilité de rendre compte de ces étiquettes et nuances, parce qu’elles ne recoupent aucune réalité locale.
Au Sénat, dont la première des missions est d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, nous nous devons donc d’agir pour mettre fin à ce qui constitue une contrainte, pour ne pas dire une entrave à l’expression des sensibilités politiques, qui se manifeste bien souvent dans les petites communes par une non-politisation des candidats.
Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui vise à relayer l’inquiétude exprimée fortement en mars dernier par les élus municipaux et des candidats aux élections municipales dans les 6 765 communes de 1 000 à 3 500 habitants.
En effet, dans un courrier adressé à M. Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, les élus représentés au sein de l’Association des maires de France, l’AMF, avaient exprimé leur souhait de voir mettre fin à cette obligation masquée de rattachement à un courant politique pour les communes de moins de 3 500 habitants, obligation qu’ils estimaient contraire à la réalité de la vie locale, marquée par l’existence de listes d’union « fondées sur la mise en commun d’énergies au service de la collectivité ».
Comme eux, nous connaissons bien les réalités de la vie locale, et nous savons tous que, dans beaucoup de petites communes, l’engagement politique de nos concitoyens correspond avant tout à la volonté de défendre les intérêts locaux propres à chaque territoire, sans que cet engagement impose un rattachement à un parti politique.
Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF, précisait d’ailleurs que, « en partant du principe que toute la liste doit être de la même étiquette – en général, celle de la tête de liste –, des gens se retrouvent classés à droite alors qu’ils sont de gauche et inversement. C’est une source de confusion et de désinformation des citoyens et, parallèlement, cela produit des statistiques qui n’ont aucun sens. »
Malheureusement, dans sa réponse aux élus locaux, le ministre de l’intérieur a estimé que la neutralité des candidats « sans étiquette » est prise en compte, dans la grille de nuances, au travers du groupe « divers », lequel « a vocation à rassembler toutes les listes et tous les candidats qui ne manifestent pas d’engagement politique ».
Au-delà du fait qu’elle révèle un manque cruel de connaissance de la réalité territoriale, la réponse du ministre est insatisfaisante en ce qu’elle valide un statu quo où se trouvent englobés sous une même dénomination des partis aussi divers que le parti blanc, le parti pirate, le parti d’en rire ou encore le parti homme-nature-animaux, dont on peut dire qu’ils n’ont rien à voir avec la démarche des « sans étiquette ».
S’il est vrai que le dispositif du « rattachement » ou de la « nuance politique » préexistait à la loi du 17 mai 2013, s’il est vrai aussi que sa pertinence est reconnue pour les grandes villes ou les centres urbains afin de « permettre aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps », de toute évidence, l’ajustement et la précision que nous proposons ici permettront, en excluant du champ de ce dispositif les communes de moins de 3 500 habitants, de faire vivre les sensibilités locales et de donner un véritable reflet des forces politiques en présence, qui ne peuvent pas forcément être rattachées à la droite ou à la gauche.
Afin de rétablir cette réalité, je propose d’introduire deux assouplissements pour les communes de moins de 3 500 habitants : il s’agit, d’une part, de permettre aux candidats de présenter des listes dénommées « sans étiquette », distinctes des listes relevant du groupe « divers », et, d’autre part, de supprimer l’obligation faite aux préfets d’attribuer des nuances politiques, dès lors que les candidats n’en revendiquent pas une eux-mêmes.
Concernant l’instauration d’une mention « sans étiquette », il aurait suffi d’une modification du décret du 30 août 2001 pour que la raison l’emporte. Mais tel n’a pas été l’état d’esprit du ministre de l’intérieur d’alors, pourtant alerté par les élus municipaux. Mes chers collègues, c’est donc par la loi que nous pourrons surmonter ce mur réglementaire.
Les articles de cette proposition de loi visent les déclarations de candidature et tendent à permettre que les candidats puissent se présenter « sans étiquette » dans le cas où ils ne souhaiteraient se rattacher ni à un parti ni à une nuance politique.
L’article 1er a donc pour objet de modifier l’article L. 255-4 du code électoral, qui concerne les communes de moins de 1 000 habitants, relevant du scrutin majoritaire, tandis que l’article 2 tend à modifier l’article L. 265 du code électoral, qui concerne les communes de 1 000 à 3 499 habitants, pour lesquelles s’applique dorénavant le scrutin proportionnel.
En ce qui concerne l’obligation faite aux préfets d’attribuer des nuances politiques aux candidats dans les communes de moins de 3 500 habitants dès lors que ceux-ci n’en revendiquent pas une eux-mêmes, je soulignerai que le rattachement forcé à une nuance politique est incompatible non seulement avec la libre expression des sensibilités locales, mais également avec la démarche même des candidats « sans étiquette ».
En effet, la plupart des listes de ce type réunissent un certain nombre de candidats animés par la volonté de mettre leurs compétences au service de la municipalité ; beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs issus de la société civile ou ont exercé des fonctions locales sans vouloir appartenir à un courant politique.
De plus, l’union locale permet, dans certaines circonstances, de réunir des sensibilités différentes jusque-là dispersées, de sorte qu’il est impossible que cette liste puisse être rattachée à un courant particulier sans que cela ne se fasse au détriment d’autres composantes de la liste.
Nous reconnaissons de manière unanime que les élus souffrent d’un déficit de confiance généralisé, qui se traduit par une abstention massive, un vote blanc ou un vote extrême relativement important. L’actualité nous en a encore fourni une preuve navrante, lors des récentes élections européennes.
Aussi, dans de telles circonstances, est-ce une force pour la République et pour la démocratie que de voir des femmes et des hommes s’unir dans un engagement commun au service de la chose publique. Les idées qu’ils défendent et les propositions qu’ils avancent sont une richesse inestimable, permettant de dépasser les a priori, les dogmatismes et les idéologies.
Voilà pourquoi il m’a semblé important de préciser que « le ministre de l’intérieur et le représentant de l’État dans le département ne peuvent attribuer une nuance ou la rectifier sans l’accord du candidat dans les communes de moins de 3 500 habitants ».
Mes chers collègues, tel est l’objet de la proposition de loi que je vous présente. Sa discussion nous permettra, je l’espère, de trouver un accord, au-delà de tout rattachement à une étiquette politique !
Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, les dernières élections municipales se sont déroulées, les 23 et 30 mars 2014, selon un mode de scrutin ayant connu de profondes modifications à la suite de l’adoption de la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.
Déjouant de nombreuses craintes, ces élections ont eu lieu sans connaître de dysfonctionnement majeur. À titre personnel, je n’hésiterai pas à dire que, pour sa partie concernant les élections municipales, la loi du 17 mai 2013 a même introduit plusieurs innovations bienvenues.
Le scrutin municipal a connu deux profondes modifications, qu’il faut rappeler pour que l’on comprenne bien dans quel contexte s’inscrit la discussion de cette proposition de loi.
D’une part, le seuil démographique à partir duquel l’élection a lieu au scrutin de liste à la représentation proportionnelle – et non au scrutin majoritaire plurinominal – a été abaissé de 3 500 à 1 000 habitants.
D’autre part, pour l’ensemble des candidats, dans toutes les communes, il est désormais obligatoire de déposer préalablement à l’élection une déclaration de candidature.
Cette dernière modification a eu des répercussions sur la collecte des données personnelles révélant l’appartenance politique des candidats et des élus. Cette question a suscité une vive émotion, dont les associations d’élus, au premier chef l’Association des maires ruraux de France et l’Association des maires de France, se sont fait l’écho. M. Jacques Pélissard, président de l’AMF, vous a d’ailleurs adressé un courrier sur ce sujet en mars dernier, monsieur le ministre.
La proposition de loi dont le Sénat est aujourd’hui saisi, déposée sur l’initiative de notre collègue Jean-Claude Carle, fait suite aux réactions qui se sont exprimées dans les communes comptant de 1 000 à 3 500 habitants lors du dépôt des candidatures, voici trois mois.
Jean-Claude Carle a parfaitement rappelé, dans son intervention, l’émoi, pour ne pas dire l’incompréhension, suscité par le fait que les services préfectoraux demandent aux candidats d’indiquer une nuance politique.
J’ai reçu une contribution écrite de l’Association des maires ruraux de France qui reproduit plusieurs témoignages spontanés ayant été adressés à cette association nationale. Certains élus y font état de leur « stupéfaction » devant les demandes de l’administration préfectorale, d’autres n’hésitent pas à considérer le comportement de l’administration comme « scandaleux, inadmissible, méprisable, révoltant ». Même si ces propos sont excessifs, ils révèlent un certain malaise, voire l’état d’esprit actuel des élus locaux.
Je vous livrerai maintenant le témoignage d’un candidat tête de liste qui considère tout simplement que, lorsqu’il a dû choisir, sur demande pressante de l’administration, une nuance politique pour sa liste, il a eu le sentiment de « trahir » ses colistiers, au regard des conditions dans lesquelles ils s’étaient tous engagés. Je n’ai nul besoin d’insister sur cet état des choses : nous avons tous été interpellés dans nos circonscriptions et vos services déconcentrés vous ont certainement fait remonter, monsieur le ministre, des appréciations du même ordre.
Pour éclairer le texte qui nous est soumis aujourd’hui, je rappellerai, comme je l’ai fait devant la commission, le droit actuel.
Les informations collectées à l’occasion des élections alimentent deux traitements de données gérés par le ministère de l’intérieur : l’un sur les candidats, l’autre sur les élus. Dans ce cadre, il convient de distinguer l’étiquette politique de la nuance politique.
En effet, le candidat choisit librement d’adopter ou non une étiquette politique ; son choix s’impose alors naturellement à l’administration. Un élu a d’ailleurs la faculté de modifier son étiquette politique au cours de son mandat, par exemple si son parti de rattachement disparaît ou s’il choisit d’adhérer à un autre parti.
Parallèlement à l’étiquette politique, l’administration attribue une nuance politique aux candidats puis aux élus, en fonction d’une nomenclature fixée par le ministère de l’intérieur et présentée au candidat lors du dépôt de candidature. Pour cela, elle se fonde sur plusieurs éléments que M. le ministre ne manquera pas de préciser. En tout état de cause, il n’existe pas de nuance « sans étiquette », mais seulement une rubrique « autres ». Cette rubrique forme une mosaïque impressionnante, qui regroupe, par exemple, les partis anti-fiscalistes – sympathiques au demeurant –, les partis religieux, les partis socioprofessionnels, les partis régionalistes, le parti pirate, et même le parti d’en rire !
L’exposé des motifs de la proposition de loi l’explique particulièrement bien : « il y a une différence fondamentale entre la plupart des listes des petites communes qui se définissent “sans étiquette” […] et des listes “divers” », car « les premières n’ont pas de sensibilité politique revendiquée », tandis que « les secondes en ont une, même si elle est marginale, voire originale pour certaines d’entre elles ». La commission des lois a totalement souscrit à ce constat.
Quelles sont les différentes situations possibles ?
Tout d’abord, dans les communes de moins de 1 000 habitants, les candidats ne font pas l’objet d’un « nuançage » et, parmi les élus, seul le maire se voit attribuer une nuance politique.
Pour les autres communes, un mandataire dépose la déclaration de candidature, assortie éventuellement d’une étiquette politique. L’administration opère ensuite son « nuançage politique » à partir des déclarations et des indices qu’elle peut recueillir. Les candidats découvrent alors, parfois dans la presse, la nuance politique qui leur a été attribuée. Cette nuance politique reste conservée au sein du fichier géré par le ministère de l’intérieur.
Cette situation crée des incompréhensions, voire des divisions internes à une même liste, quand des candidats découvrent qu’ils ont été affublés d’une nuance politique dans laquelle ils ne se retrouvent absolument pas. Tel est le cas, évidemment, des listes d’union communale que nous avons tous rencontrées dans nos départements, rassemblant des candidats de toutes tendances politiques, qui parfois ne connaissent même pas les préférences politiques de leurs colistiers. Dans les communes comptant entre 1 000 et 3 500 habitants, de tels cas sont légion.
Je me fonde, pour dire cela, sur les statistiques que le ministère de l’intérieur a bien voulu me transmettre : lors des dernières élections municipales, dans 41 % des communes de 1 000 à 3 500 habitants et dans 46 % des communes de 1 000 à 2 000 habitants, une seule liste se présentait, ce qui indique très souvent qu’il s’agit d’une liste transpartisane.
La commission des lois a donc estimé que cette proposition de loi était fondée pour deux raisons.
La première raison tient au respect du choix politique des candidats et des élus : je le dis, une nuance politique ne doit pas être imposée à des candidats dans les communes de moins de 3 500 habitants, car la constitution de listes à l’échelon local n’obéit pas forcément aux règles du jeu politique national. Si le candidat ne choisit pas d’étiquette politique, il doit rester « sans étiquette », y compris lors de l’attribution par l’administration d’une nuance politique.
La seconde raison est qu’il existe une marge d’erreur trop importante lorsque les services préfectoraux attribuent des nuances politiques aux listes et aux candidats dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants. Je ne m’appesantirai pas sur des exemples concrets, mais les informations qui permettront, notamment au ministre de l’intérieur, d’indiquer des tendances nationales le soir du scrutin doivent reposer sur des bases solides. Or des nuances politiques attribuées parfois « au jugé » risquent de fausser l’exercice, car, je le répète, certaines listes peuvent abusivement être considérées comme « divers gauche » ou « divers droite ». Je me permets de souligner que le travail de « nuançage », avant 2013, ne portait pas sur les communes de moins de 3 500 habitants, ce qui ne créait aucun problème au ministère de l’intérieur pour dégager des tendances nationales.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois a approuvé cette proposition de loi, sous réserve de l’adoption de deux amendements de forme que je lui ai proposés.
Ce texte, qui a vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire national, introduit en fait deux règles claires.
Tout d’abord, pour toute élection, un candidat ou un élu pourra choisir son étiquette politique, ce qui correspond au droit actuel.
Ensuite, s’agissant de la nuance politique, deux situations sont distinguées : pour l’élection municipale dans les communes de moins de 3 500 habitants, aucune nuance politique ne sera attribuée si le candidat ou l’élu n’a pas lui-même fait connaître son étiquette politique ; pour les autres communes et les autres élections, le droit actuel demeurera en vigueur.
Sur l’initiative de notre collègue Isabelle Lajoux, qui a participé aux auditions que j’ai conduites, la commission des lois a précisé la teneur des informations qui devraient être délivrées par l’administration lors des dépôts de candidature : premièrement, la liste des nuances politiques utilisée par le ministère de l’intérieur pour l’élection concernée, ce qui consacre une pratique actuelle, imposée par la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés ; deuxièmement, le rappel du droit d’accès et de rectification dont les candidats disposent pour ce traitement de données dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Ces précisions sont bienvenues et rappellent utilement que la loi du 6 janvier 1978 offre un réel droit de rectification dans les conditions de droit commun.
En conclusion, je ne vous cacherai pas que la commission s’est interrogée sur le caractère réglementaire de ce texte ; l’auteur de la proposition de loi lui-même s’est posé cette question et, dans l’exposé des motifs, il admet le caractère réglementaire des dispositions qu’il nous présente. Je crois cependant que ce texte a le mérite de poser un cadre clair pour l’attribution des étiquettes et des nuances politiques. Il est de nature à lever nombre d’inquiétudes et à provoquer le débat. Sa discussion nous fournit l’occasion d’interpeller le Gouvernement pour qu’il réponde aux questions que nous soulevons au nom des élus locaux.
Monsieur le ministre, pour ma part, je ne vous poserai en définitive qu’une seule question : le Gouvernement envisage-t-il a minima de « toiletter » le décret du 5 juillet 2001 ayant créé le « fichier des élus et des candidats aux élections au suffrage universel », afin que les règles soient plus accessibles et mieux connues par nos concitoyens ? Cela permettrait, je pense, de lever plusieurs ambiguïtés et donc, de fait, plusieurs inquiétudes.
Sous le bénéfice de ces observations, mes chers collègues, la commission des lois vous invite à approuver en l’état la proposition de loi qu’elle a elle-même adoptée.
Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UDI-UC, du groupe écologiste et du groupe socialiste.
Je pense que Philippe Bas, René Garrec et Jean-Claude Lenoir ne me contrediraient pas.
Cela étant, je n’entends pas faire diversion, car je souhaite que la discussion sur ce sujet important soit la plus riche et la plus approfondie possible. Je suis très heureux d’être présent parmi vous cet après-midi pour l’examen de la proposition de loi de M. Jean-Claude Carle, dont je sais qu’elle a fait l’objet de l’approbation unanime des membres de la commission des lois la semaine passée.
Ce texte, déposé le 14 mars 2014, relaie de nombreuses plaintes de candidats et des critiques parfois assez vives de la part d’associations d’élus, dont j’ai été très largement saisi à l’occasion des élections municipales.
En ma qualité de ministre de l’intérieur, responsable de l’organisation des élections, je suis, comme vous, très attaché à la démocratie locale, et plus particulièrement au pouvoir des maires. J’ai été très sensible aux diverses oppositions qu’a pu susciter le système de nuançage introduit à l’occasion du renouvellement municipal de 2014 et je cherche, moi aussi, à arrêter un dispositif qui permette de répondre aux préoccupations qui se sont exprimées.
Je souhaiterais néanmoins porter à votre connaissance plusieurs éléments de réflexion, afin de bien préciser la signification des concepts, par souci de clarté.
Je voudrais tout d’abord rappeler la distinction entre « étiquette politique » et « nuançage ».
L’étiquette politique relève d’un choix libre des candidats, signifié sur leur déclaration de candidature. Ils peuvent d’ailleurs préférer ne pas en choisir et se déclarer « sans étiquette ».
Le nuançage, en revanche, relève du seul ministère de l’intérieur qui, en fonction des sensibilités des candidats et de leurs déclarations, leur attribue une nuance, ne correspondant pas nécessairement à l’étiquette déclarée. Assurée par les préfectures, l’attribution d’une nuance politique a pour objet exclusif de permettre d’analyser finement les résultats des élections.
Ensuite, je voudrais revenir sur la genèse de l’extension de ce nuançage aux communes de plus de 1 000 habitants, sujet qui nous occupe plus particulièrement aujourd’hui.
Avant les élections municipales et communautaires de mars 2014, le décret du 30 août 2001 permettait au ministère de l’intérieur de procéder au nuançage politique des candidats aux élections municipales exclusivement – j’insiste sur ce point – dans les communes de 3 500 habitants et plus. Le seuil pour la mise en œuvre du nuançage correspond donc à celui à partir duquel s’applique le scrutin proportionnel : ce n’est pas un seuil discrétionnaire.
La loi du 17 mai 2013 ayant abaissé à 1 000 habitants le seuil d’application du scrutin de liste aux élections municipales, le ministère de l’intérieur, assez logiquement, a demandé à la CNIL l’autorisation d’étendre le nuançage aux candidats dans les communes de 1 000 à 3 499 habitants.
Tel est le sens de la délibération du 19 décembre 2013 de la CNIL, qui complète le décret de 2001, et tel est, si je vous ai bien compris, l’objet de votre mécontentement.
Je dois à la vérité de dire que plusieurs préfectures m’ont alerté sur les objections de certains candidats estimant que l’électeur pourrait être trompé par une nuance qu’ils jugeaient en contradiction avec la réalité et le sens de leur candidature, ainsi que sur les nombreuses demandes de rectification de nuance déposées par de tels candidats.
Je comprends les critiques dont ce dispositif fait l’objet, cependant je ne crois pas que la remise en cause pure et simple du nuançage pour les communes de 1 000 à 3 499 habitants soit la bonne réponse à apporter.
En l’état, la proposition de loi pose d’abord un problème de droit : en aménageant le nuançage dans les communes de moins de 3 500 habitants par voie législative, elle vise à modifier des règles qui relèvent d’une délibération de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et se trouve ainsi en contradiction avec la hiérarchie des normes.
En outre, la distinction entre communes de 3 500 habitants et plus et communes de moins de 3 500 habitants avait un sens avant la loi du 17 mai 2013, puisqu’elle se fondait, comme je l’ai rappelé, sur le seuil d’application du scrutin de liste.
Le scrutin de liste existant désormais pour toutes les communes de plus de 1 000 habitants, la proposition de loi, qui vise à permettre aux candidats, dans les seules communes de 1 000 à 3 499 habitants, de refuser tout nuançage me semble donc de nature à remettre en cause le principe d’égalité.
Enfin, il me semble justifié et légitime de conserver la pratique du nuançage.
L’argument selon lequel il n’y aurait pas de débat politique dans les petites communes est très largement contredit par la réalité : la vie démocratique y est extrêmement riche, comme en témoigne le fait que 60 % des 6 784 communes de 1 000 à 3 499 habitants ont été le théâtre d’un affrontement démocratique entre au moins deux listes. Nous pouvons d’ailleurs nous en réjouir, car cela est bon pour la démocratie.
Cependant, pour éviter que le nuançage ne donne lieu à de nouvelles polémiques, il me semble qu’il faut le cantonner à son objet d’analyse politique, en faisant en sorte qu’il n’interfère pas avec le débat public. Autrement dit, je pense que la bonne solution pour répondre à votre préoccupation, monsieur Carle, est de faire en sorte que cet élément d’analyse du scrutin, dont nous avons besoin, ne vienne pas contrarier le déroulement de la campagne en créant des ambiguïtés entre le candidat et les électeurs.
C’est bien, en effet, du débat public, ouvert, démocratique, que relève la discussion autour de l’appartenance politique, réelle ou proclamée, des candidats. Il ne revient pas à l’État – et a fortiori au ministre de l’intérieur – d’arbitrer ce débat. Aussi, je propose que ce soient les étiquettes déclarées par les candidats – et seulement celles-ci – qui soient désormais publiées pendant la campagne électorale, les nuances ne l’étant elles qu’après la promulgation du résultat des élections, à des fins d’analyse du scrutin.
Ce que je vous propose donc, c’est un esprit, des institutions et une pratique.
L’esprit, c’est celui de votre proposition de loi, monsieur Carle. Je souhaite le conserver, parce qu’il me semble de nature à répondre à des critiques légitimes.
Les institutions, ce sont les pratiques de nuançage utiles que le ministère de l’intérieur souhaite maintenir pour toutes les communes où s’applique le scrutin de liste.
La pratique, c’est celle que je vous propose de mettre en œuvre dès après l’adoption du présent texte, consistant à rendre le nuançage public uniquement après la fin des opérations de vote, de manière que celles-ci ne soient pas troublées. Tel est le sens de l’amendement que j’ai déposé dans un esprit constructif au nom du Gouvernement et qui vise à atteindre plusieurs objectifs : d’abord, supprimer toute référence au seuil de 3 500 habitants, pour éviter toute différence de traitement entre les communes élisant leur conseil municipal au scrutin de liste, une telle différence de traitement ne se justifiant pas et posant un problème de principe ; ensuite, prévoir que les candidats mentionnent dans leur déclaration de candidature leur étiquette politique dans des termes qu’ils définissent librement, en pouvant, bien entendu, au moment du scrutin, se déclarer librement sans étiquette sans que cette déclaration se trouve contrariée à aucun moment du scrutin. Le dispositif du nuançage politique des candidats demeurerait inchangé, mais la publicité de ce dernier serait rendue interdite avant la fin des opérations de vote.
Mesdames, messieurs les sénateurs, Mona Ozouf montre, dans un essai sur Jules Ferry, que la grande œuvre de celui-ci a été, bien plus encore que les lois scolaires, l’avènement de la démocratie à l’échelon local, notamment avec la loi du 28 mars 1882 instaurant l’élection des maires pour toutes les communes et la loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation des pouvoirs municipaux : la mairie fut constituée comme un modèle réduit de la République parlementaire. Je sais que vous souhaitez inscrire votre démarche dans le respect de cet équilibre, cher à Jules Ferry, entre un État fort, garant de l’unité, et une riche vie communale, garante de la complexité.
Vous avez, pour atteindre cet objectif, mon plein et entier soutien. Je tiens à remercier le sénateur Jean-Claude Carle du dépôt de cette proposition de loi, le rapporteur de sa contribution très utile et le président de la commission des lois, qui a su orchestrer ce débat.
Les propositions faites par le Gouvernement prennent intégralement en compte la préoccupation formulée par M. Carle ; notre discussion d’aujourd'hui doit permettre d’aboutir à un bon compromis. En tout cas, le Gouvernement aborde ce débat dans un état d’esprit ouvert. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est la bienvenue aux yeux des sénateurs de l’UDI-UC, car, dans un contexte de crise de confiance entre la population et nos institutions, l’élu local reste le garant du bon fonctionnement de notre démocratie de proximité. Il doit donc pouvoir s’engager librement et sans « étiquetage » particulier, s’il le souhaite, ce qui n’est plus vraiment le cas depuis l’entrée en vigueur des lois organique et ordinaire du 17 mai 2013.
En mars dernier, les électeurs de toutes les communes de plus de 1 000 habitants ont élu leurs conseillers municipaux selon le mode de scrutin proportionnel. Dans de nombreuses communes, ces évolutions répondaient à une attente forte des élus, qui souhaitaient la mise en place d’une majorité claire à l’issue d’une campagne dans laquelle le projet électoral primerait sur les considérations personnelles.
Mais un autre changement induit, à caractère réglementaire, auquel nous ne nous attendions pas, a suscité un réel malaise : les candidats dans les communes de 1 000 à 3 499 habitants ont dû, pour la première fois et à leur plus grand étonnement, remplir une liste d’informations partisanes destinées à constituer un « fichier des élus ».
Concrètement, les candidats peuvent attribuer à leur liste une « étiquette », c’est-à-dire désigner leur formation politique. Cette étiquette, si elle est librement indiquée, doit cependant être choisie au sein d’une nomenclature fixée par le ministère de l’intérieur.
Dans le même temps, la préfecture a, elle, l’impératif d’affecter une « nuance » aux candidats, soit, pour être plus clair, de les rattacher à un courant de pensée politique.
Cette nuance est attribuée de manière discrétionnaire par les services de la préfecture, sur la base d’un faisceau d’indices, ce qui est profondément choquant et entraîne des erreurs manifestes pouvant susciter l’incompréhension, pour ne pas dire plus, comme l’a indiqué tout à l’heure le rapporteur.
La nomenclature de l’administration est exhaustive. Parmi les choix possibles figure, outre les partis traditionnels, la mention « divers », regroupant par défaut les autres sensibilités politiques : partis anti-fiscalistes, religieux, socioprofessionnels, régionalistes, pour ne citer que ces exemples. En revanche, la nuance « sans étiquette », pourtant tout à fait légitime, ne figure nulle part, alors même que de nombreux candidats ne se reconnaissent dans aucune des sensibilités que j’évoquais, car ils sont avant tout animés par une volonté d’agir au service de leur territoire. Cette position se conçoit d’autant mieux, il faut bien le reconnaître, que les partis politiques ne bénéficient pas à l’heure actuelle d’une très bonne image dans l’opinion, c’est le moins que l’on puisse dire ! Tous les sondages d’opinion le démontrent : une cote de confiance inférieure à 10 %, c’est tout de même faible…
Ce fichier des élus n’est pas une nouveauté. Il existait déjà pour les communes de 3 500 habitants et plus et suscite, depuis l’origine, des incompréhensions.
Les élections de mars 2014, avec l’élargissement du champ du mode de scrutin proportionnel aux communes de 1 000 habitants et plus, ont permis de souligner nettement les dysfonctionnements liés à la constitution de ce fichier.
De nombreuses voix se sont élevées, notamment dans les communes rurales, pour dénoncer une situation qui, d’une certaine façon, nuit à la libre expression de l’action publique, et les associations nationales d’élus se sont largement mobilisées.
Deux problèmes se posent clairement : celui des « étiquettes » et « nuances » répertoriées ; celui du caractère arbitraire des « nuances » attribuées par l’administration aux candidats.
S’agissant des notions d’étiquette et de nuance, elles ont peu de sens pour les 6 659 communes désormais elles aussi concernées par le fichier des élus. En effet, beaucoup de candidats de petites communes forment des listes fédérant des sensibilités politiques extrêmement diverses. Ces personnes s’engagent et se rassemblent dans l’optique d’œuvrer pour le bien commun de leur village ou de leur ville et de ses habitants. Les listes sont constituées majoritairement sans considérations politiques et, le plus souvent, une liste d’entente se forme au-delà des clivages partisans pour présenter une candidature unique. Jean-Patrick Courtois l’a très bien rappelé : lors du scrutin de mars 2014, cela a été le cas dans 41 % des communes de 1 000 à 3 499 habitants et dans près de 50 % des communes de 1 000 à 2 000 habitants. La proportion est sans doute beaucoup plus importante encore dans les communes de moins de 1 000 habitants.
Ces listes ne peuvent donc être classées sous la rubrique « divers », un tel classement supposant en effet une revendication politique, celle-ci étant difficile à répertorier au regard de l’échiquier politique traditionnel.
En revanche, la mention « sans étiquette » traduit le caractère apolitique et non partisan de la liste conduite. Autrement dit, et pour reprendre les propos de notre rapporteur, les listes « sans étiquette » « n’ont pas de sensibilité politique revendiquée ».
Bien souvent – de plus en plus souvent, dirais-je –, ce n’est pas l’appartenance à un parti qui suscite la confiance des électeurs lors des scrutins locaux. Bien au contraire, c’est la qualité de l’engagement, la présence sur le terrain et la volonté d’agir pour le mieux-vivre ensemble, pour le territoire, au-delà de toute considération partisane, qui sont récompensées par les citoyens.
La reconnaissance de cette capacité de rassemblement des forces vives par la création d’une catégorie « sans étiquette » participerait donc, à sa mesure, à la rénovation de notre démocratie locale. Elle répondrait en effet à une réelle attente des électeurs et à un mouvement croissant, éloigné des clivages partisans. Tel est le sens de la notion du « sans étiquette » qu’introduit cette proposition de loi.
Le second problème soulevé lors des élections de mars dernier a trait à l’obligation faite aux préfets d’attribuer des nuances aux candidats dans les communes de moins de 3 500 habitants dès lors que ces derniers n’en revendiquent pas une eux-mêmes.
De fait, les listes dites « d’intérêt général » sont très difficiles à classer. Cette attribution autoritaire d’une nuance politique, fondée sur un faisceau d’indices – la déclaration du candidat et son éventuelle « renommée » sur le terrain–, est assortie d’une importante marge d’erreur. J’en veux pour preuve les réclamations formulées par de nombreux maires qui se sont vu attribuer des « nuances » sans aucun lien avec la réalité de leur engagement, citoyen et politique.
À cet égard, cette proposition de loi, qui vise aussi à supprimer l’obligation faite à l’administration d’attribuer une « nuance » pour les candidats dans les communes de moins de 3 500 habitants, va dans le bon sens.
Comme pour les étiquettes, chaque candidat doit pouvoir décider librement quelle « nuance » lui correspond : qu’elle puisse lui être attribuée arbitrairement par l’administration est, pour le moins, mal vécu par les intéressés. Mais attention : a contrario, cette nuance, lorsqu’elle est revendiquée par le candidat, doit aussi être cohérente avec la réalité ; le préfet doit y être attentif, pour éviter toute manipulation de l’opinion. Ce sujet est donc plus complexe qu’il y paraît.
Malheureusement, en février dernier, le ministère de l’intérieur a décidé de ne pas prendre en compte les remarques de l’Association des maires de France et de l’Association des maires ruraux de France sur la création de la catégorie « sans étiquette », qui relevait pourtant du bon sens.
Ce refus de reconnaître la distinction évidente entre une liste classée « divers » et une liste « sans étiquette » pour les communes de 1 000 à 3 499 habitants nous oblige aujourd’hui, ici au Sénat, malgré le caractère réglementaire d’un tel sujet, à nous saisir de cette question sensible qui ne saurait rester sans réponse.
La réalité, sur le terrain, ce n’est pas l’étiquette politique ; la réalité, sur le terrain, c’est l’engagement pour la République d’hommes et de femmes qui, bien souvent, ne se préoccupent pas de savoir si leur vision et l’ambition qu’ils ont pour leur territoire sont de droite, de gauche ou de toute autre tendance. C’est bien dans ces conditions que se constituent des équipes unies, dont la seule préoccupation est d’agir efficacement pour la commune. J’ajoute que c’est ce qu’attendent nos concitoyens.
Nous voterons donc, telle qu’elle nous a été présentée par le rapporteur, cette proposition de loi qui s’inscrit dans la lignée du combat que nous menons depuis des années en faveur de l’avènement d’une démocratie rénovée, loin de tout clivage dogmatique. Mes chers collègues, le parti de la très grande majorité des élus, c’est d’abord leur territoire ! §
M. Jean-Claude Carle remplace M. Charles Guené au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le juriste et homme politique britannique James Bryce affirmait que si les institutions sont au corps politique ce que le squelette est à l’organisme humain, les partis politiques en constituent les muscles et les nerfs.
Ce sont bien les partis politiques, dans leur diversité, qui contribuent au bon fonctionnement de la démocratie et qui la font vivre, conformément d’ailleurs aux termes de l’article 4 de notre Constitution.
Il me paraît donc primordial de réaffirmer ici, en préambule, toute l’importance qu’ont ces partis politiques au regard de la reconnaissance de candidats « sans étiquette ». J’y tiens, car la tendance à la méfiance et au dénigrement des partis politiques, accompagnée d’une revendication de prétendue « dépolitisation » et de neutralité recèle, en réalité, un danger important pour la démocratie. Pour reprendre l’image utilisée par James Bryce, la disparition des partis reviendrait à « décharner » notre squelette institutionnel.
En outre, cette prétendue « dépolitisation », traduite par l’absence d’étiquette, relève souvent davantage d’une posture et d’une volonté de récupération politicienne que d’une véritable neutralité politique, dont on ne sait d’ailleurs trop ce qu’elle signifie.
Faire de la politique signifie faire des choix et prendre position ; il n’existe pas de décisions et de choix « neutres ».
Par ailleurs, force est de constater que la plupart de ceux qui affirment n’être affiliés à aucun parti sont tout de même bel et bien rattachés à la droite…
Mme Esther Sittler le conteste.
Pour en venir au cœur du débat, cette proposition de loi vise à permettre aux candidats de se présenter aux électionsmunicipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communesde moins de 3 500 habitants. Son dépôt fait suite aux dernières élections municipales, à l’occasion desquelles des listes se revendiquant « sans étiquette » se sont vu attribuer des « nuances politiques », qu’elles ont découvertes lors de la parution du fichier officiel des candidatures diffusé par le ministère de l’intérieur et qui ne les satisfaisaient pas toujours.
Depuis cette année, le mode de scrutin applicable aux communes de 1 000 à 3 499 habitants est aligné sur celui déjà en vigueur pour les plus grandes communes.
Outre l’obligation de déposer des listes complètes et paritaires, les candidats ont dû déclarer une « nuance politique » figurant dans la nomenclature officielle établie par le ministère de l’intérieur pour « permettre une meilleure connaissance et compréhension des équilibres politiques nationaux » et « apporter un éclairage aux citoyens sur l’offre politique qui a lieu à un moment donné de notre histoire ».
La « nuance », attribuée par l’administration, se veut distincte de l’« étiquette », choisie par le candidat, et du parti politique. La nuance, notion plus large que celle d’étiquette, correspond à un parti, à un mouvement ou à une tendance politique.
À gauche, la nomenclature distingue, par exemple, les listes « socialistes » des listes d’« union de la gauche », investies par le parti socialiste et un autre parti de gauche, et des listes « divers gauche », où sont représentées le parti radical de gauche ou le Mouvement républicain et citoyen.
Les candidats s’étant déclarés « sans étiquette » se sont donc vu attribuer par les préfectures une nuance qui n’est pas toujours en cohérence avec les sensibilités représentées dans les listes concernées.
Rappelons qu’il existe une catégorie « divers », qui devrait permettre d’éviter toute référence partisane et semble suffisante pour classer les listes d’union, « neutres » ou transpartisanes. C’est d’ailleurs dans cette catégorie que de nombreuses préfectures ont classé les listes refusant les nuances « gauche » ou « droite ».
Rappelons également que, le cas échéant, les candidats ont pu déposer un recours pour contester la nuance leur ayant été attribuée. L’ajustement doit se faire non pas par la loi, mais plutôt à l’échelon des préfectures, qui certes pourraient affiner leur travail sur les nuances politiques.
Dès lors, faut-il légiférer pour corriger les erreurs ? Nous ne le pensons pas.
Il nous appartient, me semble-t-il, de redonner tout son sens à l’engagement politique, parfois masqué à des fins politiciennes. À quelques jours de l’ouverture de la campagne des élections sénatoriales, nous nous interrogeons sur la pertinence de cette proposition de loi, qui amplifie l’inflation législative plus qu’elle ne clarifie la situation pour les communes de moins de 3 500 habitants.
J’indique dès à présent que notre groupe s’abstiendra, pour les raisons que je viens d’évoquer. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du scrutin municipal des 23 et 30 mars dernier, la procédure électorale visant à attribuer des nuances politiques aux listes souhaitant se présenter « sans étiquette » a provoqué un vif émoi dans les petites communes.
Le phénomène a pris une ampleur inédite, tant la loi du 17 mai 2013 a considérablement modifié la donne pour les communes rurales. En effet, outre l’obligation de déposer des listes complètes et paritaires, les candidats ont dû déclarer une étiquette politique et se sont vu attribuer une nuance politique conforme à la nomenclature officielle établie par le ministère de l’intérieur.
Dès lors, l’abaissement de 3 500 à 1 000 habitants du seuil pour l’application du scrutin de liste a eu pour conséquence, dans plus de 6 600 communes supplémentaires, de soumettre les candidats à un classement politique effectué de manière discrétionnaire par le préfet.
Aussi les candidats se déclarant sans étiquette n’ont-ils pas apprécié de se voir attribuer une nuance politique en fonction d’une grille préétablie, celle-ci ne comportant pas de catégorie « sans étiquette » ou « non inscrit ».
Cette classification obligatoire instaurée par le ministère de l’intérieur doit « permettre une meilleure connaissance et compréhension des équilibres politiques nationaux et apporter un éclairage aux citoyens sur l’offre politique qui a lieu à un moment de notre histoire ».
Il reste que ce système pose particulièrement problème dans des communes où il est fréquent de présenter une liste « sans étiquette ». Les candidats encartés y sont peu nombreux, et la rareté des volontaires pour participer à la vie municipale conduit souvent à la construction de listes d’intérêt communal, rassemblant des habitants hors toute appartenance partisane.
En effet, mes chers collègues, « dans bon nombre de communes rurales, les candidats s’engagent en faveur de listes d’intérêt local, sans considérations politiques ou partisanes avec pour seule ambition d’œuvrer pour le bien commun de leurs territoires et de leurs concitoyens », insistait l’AMF dans un communiqué peu avant les élections municipales.
Dans sa réponse à l’AMF, Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, estimait que la neutralité des candidats sans étiquette était prise en compte, puisque la grille intègre la nuance « divers », qui a vocation à rassembler toutes les listes et tous les candidats qui ne manifestent pas d’engagement politique. Mais cette réponse ne convainc pas. Nombre d’élus sans étiquette et non inscrits ne se reconnaissent pas dans les mouvements disparates, voire fantasques, que regroupe cette catégorie.
L’Association des maires ruraux de France évoque « une classification inadaptée aux édiles des villages tant le nuancier utilisé ne reflète pas la réalité du terrain » et demande la création de la catégorie « sans étiquette » dans la grille des « nuances politiques » attribuées par les services préfectoraux aux listes candidates. C’est précisément l’objet de la présente proposition de loi.
Mes chers collègues, d’aucuns pensent, avec raison, que le sujet est d’ordre réglementaire, qu’il ne relève pas de la loi et que, dès lors, cette question aurait pu faire l’objet d’une proposition de résolution du Sénat tendant à réclamer au Gouvernement de modifier le décret de 2001.
Toutefois, saisissons l’occasion qui nous est donnée d’appeler avec force l’attention du Gouvernement sur la violente protestation des élus locaux qui s’est exprimée en mars dernier.
Reprenant les principes avancés par l’auteur de la proposition de loi, Jean-Claude Carle, le texte adopté en commission prévoit « d’une part que l’étiquette politique resterait libre et d’autre part que, pour les communes de moins de 3 500 habitants, aucune nuance politique ne pourrait être attribuée, si une étiquette politique n’a pas été choisie ».
Je me félicite, par ailleurs, qu’ait été adopté un amendement visant à améliorer l’information des candidats sur la liste des nuances politiques utilisée, ainsi que sur les droits d’accès et de rectification dont ils disposent.
Enfin, mes chers collègues, faut-il voir dans cette revendication des « sans étiquette » la traduction de la défiance que semblent susciter aujourd’hui les partis politiques ? Le phénomène n’est pas nouveau : en 2008, le ministère de l’intérieur recensait 24 000 maires sans étiquette. Voyons-y plutôt l’envie de s’adresser à toute une population « sans barrière politique » ; tous ces candidats défendent la nécessité de fédérer des sensibilités différentes autour d’un projet qui rassemble.
Nous connaissons tous, dans nos circonscriptions, des villages ou des petites villes dans lesquelles les dernières échéances municipales ont été l’occasion d’un « réveil citoyen », d’un formidable élan de démocratie participative, dépassant le clivage gauche-droite. Au-delà des étiquettes, il s’agit d’abord d’un engagement, d’un investissement, d’un dévouement sans faille au service de ses concitoyens. C’est là, à mon avis, rendre à la politique son sens étymologique : la science des affaires de la cité.
François Hollande rappelait à Dijon, en mars 2012, qu’avec les lettres du mot « maire », on peut écrire le mot « aimer ».
Oui, mes chers collègues, c’est cela d’abord, s’engager dans la vie municipale d’une petite commune : aimer son village, aimer sa ville, aimer les gens.
Dans un village ou une petite ville, la politique c’est d’abord des gens, des jeunes, des moins jeunes, des familles, des personnes isolées, avec chacun son histoire, ses besoins pour se construire ou améliorer son quotidien.
Dans un village ou une petite ville, la politique, c’est surtout l’énergie et la persévérance que les membres de l’équipe municipale mettent au service de leurs concitoyens. C’est une mission difficile, exigeante, parfois ingrate, mais ô combien exaltante.
Alors, au moment où notre société s’enfonce malheureusement dans l’individualisme et le « chacun pour soi », je crois en cet engagement citoyen… au-delà des étiquettes ! Mes chers collègues, encourageons cette vitalité démocratique qui s’exerce dans nos villages et incitons chacun à la prise de responsabilités.
Pour ces raisons, et eu égard à la pertinence évidente de la question soulevée, le groupe socialiste votera ce texte. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion des dernières élections municipales, nombre d’entre nous ont été saisis par des candidats ayant découvert, souvent par voie de presse, que leur liste s’était vu attribuer une appartenance par la préfecture, alors même qu’ils n’avaient pas déclaré d’étiquette. Plus grave : dans certains cas, la nuance attribuée arbitrairement ne correspondait ni à l’orientation de la tête de liste ni à celle de la majorité des colistiers.
Or, dans la plupart des petites communes, nous le savons, la composition des listes dépasse les clivages, les sensibilités, et transcende souvent les appartenances politiques. Celles-ci sont reléguées après l’intérêt de la commune, et c’est tant mieux !
Dans ces cas, les colistiers, d’horizons divers, ont peu apprécié d’être associés à une orientation dans laquelle ils ne se reconnaissaient pas et qu’ils n’avaient pas revendiquée.
Cette question se pose avec davantage d’acuité depuis le vote de la loi du 17 mai 2013, qui a abaissé de 3 500 à 1 000 habitants le seuil à partir duquel les conseils municipaux sont élus au scrutin de liste.
Nous comprenons la volonté du ministère de l’intérieur – on pourrait presque parler de penchant ! – de classer les listes en présence, notamment à des fins statistiques.
Ce nuancier est bien sûr présenté comme étant seulement un outil nécessaire, quoiqu’imparfait, pour la lecture et l’analyse des résultats. Cependant, dans la mesure où les données du ministère de l’intérieur sont reprises et diffusées, notamment, par de nombreux sites d’information, cet outil est de nature à nuire à la sincérité du scrutin.
C’est en se fondant sur les difficultés rencontrées lors des dernières élections municipales que nos collègues du groupe UMP ont déposé la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.
La commission des lois a abouti à un compromis, en prévoyant qu’une liste, dans une commune de moins de 3 500 habitants, ne pourra se voir attribuer de nuance si elle n’a pas déclaré d’étiquette. C'est bien la moindre des choses, serais-je tenté de dire…
Pour sa part, le Gouvernement a déposé sur ce texte un amendement qui tend à modifier la rédaction des alinéas 2 à 4 de l’article 1er. En substance, monsieur le ministre, vous proposez de maintenir le système de nuances, mais prévoyez que ces dernières ne seront pas rendues publiques avant la fin des opérations de vote.
L’amendement gouvernemental ne nous paraît pas constituer une bonne réponse. En effet, à la lecture des résultats, les électeurs pourront découvrir que la liste à laquelle ils ont accordé leur suffrage – souvent sur la foi d’une étiquette politique revendiquée – s’est vu attribuer par la préfecture une nuance qui n’était pas connue au moment du vote. Loin d’apporter de la clarté, cette modification fera au contraire peser un soupçon de dissimulation.
De surcroît, mes chers collègues, de nombreuses questions demeurent. La première concerne l’exactitude du classement : des listes se réclamant d’une même formation ont pu se voir attribuer, selon les départements, des nuances différentes.
En outre, je m’interroge sur la précision des résultats ventilés par nuance, au regard des données transmises par le ministère de l’intérieur et téléchargeables sur son site internet : on constate que 34 703 élus ont été classés comme relevant de la nuance « divers ». C'est tout de même considérable !
En consultant le nuancier fourni par le ministère aux préfectures, nous constatons de plus que ces presque 35 000 élus appartiendraient aux formations suivantes : parti pirate, parti d’en rire, Chasse, pêche, nature et traditions, partis religieux, régionalistes, mouvements écologistes autres que Europe Écologie Les Verts.
Monsieur le ministre, sans faire insulte à ces formations, je ne crois pas que, même en additionnant leurs résultats, elles puissent compter autant d’élus dans les conseils municipaux. Il apparaît plutôt que, en l’absence de l’indispensable nuance « sans étiquette », les services préfectoraux, dans certains cas, ont classé dans la rubrique « divers » les listes ne correspondant à aucune autre.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je vous le dis droit dans les yeux : je m’étonne de l’absence de certaines formations dans la nomenclature établie par le ministère de l’intérieur. Je pense notamment à un parti que vous connaissez bien et dont vous avez même été membre : le parti radical de gauche !
Eh bien ce parti, pour lequel j’ai moi aussi un certain attachement, ne figure pas dans votre nomenclature…
M. Jean-Michel Baylet. Je ne l’ai trouvé que dans la rubrique « divers gauche », regroupé avec d’autres formations qui, pourtant, ne me semblent pas avoir la même représentativité que la nôtre. Et que dire du fait que l’extrême gauche figure, elle, dans votre nomenclature, bien qu’elle ne compte que soixante-quatre élus municipaux !
Mme Éliane Assassi s'exclame.
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, et connaissant votre souci de l’équité, je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous allez donner des instructions pour que cet état de choses soit rectifié immédiatement ! §Cependant, je ne m'attendais tout de même pas à cela de la part du ministre de l'intérieur…
Cette nomenclature, ce n’est pas moi qui l’ai faite !
Quoi qu’il en soit, mes chers collègues, en matière électorale, la recherche de la simplification suit un parcours parfois complexe. Gageons que le processus législatif engagé au travers du présent texte nous permettra d’instaurer davantage de clarté, pour nos élus – qui en manquent quelque peu en ce moment –, pour les citoyens qui font le choix de l’engagement et pour l’ensemble des électeurs.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte nous convient, mais, compte tenu des réserves dont nous avons fait part, nous déterminerons notre vote en fonction du sort qui sera réservé aux amendements. En tout état de cause, les radicaux sont favorables à cette proposition de loi. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, cette proposition de loi a le mérite de soulever un vrai problème, qui ne date pas des dernières élections municipales et qu’il ne faut pas, selon moi, circonscrire au seul cas des communes de moins de 3 500 habitants.
Ce système du nuancier, qui a été conservé par les différents gouvernements successifs, me semble complètement contraire au principe républicain de représentativité et de liberté d’expression des partis politiques.
De quel droit inscrit-on certains partis politiques dans le nuancier et en exclut-on d’autres ? Alors que, aux termes de la Constitution, les partis se créent, se gèrent et se développent librement, de quel droit peut-on évincer tel parti et favoriser tel autre ? De quel droit, dans une démocratie, peut-on obliger les citoyens que sont les élus et les candidats à choisir une nuance politique au sein d’une liste limitativement constituée ? On n’a donc pas le droit de revendiquer une nuance politique qui ne se trouve pas dans cette liste !
Cela constitue à mes yeux une atteinte aux principes constitutionnels et aux droits des citoyens qu’ils garantissent. Je pense que ce système est extrêmement pernicieux. À plusieurs reprises, j’ai déposé des propositions de loi pour m'élever contre ce nuancier, qui donne en quelque sorte la préséance aux élus des partis qui y sont répertoriés, les autres devant se rabattre sur telle ou telle nuance susceptible de correspondre vaguement à leur orientation, sachant que, en toute hypothèse, on leur en attribuera une de toute façon !
Il est tout de même incroyable que, si aucune des nuances prévues ne correspond aux idées d’un candidat ou d’un élu, on lui en impute tout de même une, qu’il n’a pas le droit de refuser ! C'est digne d’un régime soviétique ! J’estime que le régime actuel mériterait de faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, car il bafoue un certain nombre de principes constitutionnels.
Le seul reproche que je ferai à cette proposition de loi, c'est que son champ est limité aux communes de moins de 3 500 habitants. Mes chers collègues, pourquoi serait-il plus acceptable de se voir imposer une nuance dans une commune de 3 600 habitants que dans une commune de 3 400 habitants ? Ce qui est contestable, c'est le principe même du nuancier. Si l’on veut conserver un nuancier, il faut permettre à tous les partis qui le veulent d’y figurer, sans faire de sélection. Observant l’évolution du nuancier depuis un certain nombre d’années, j’ai pu constater que des partis y apparaissent ou en disparaissent soudainement sans motif plausible : on se demande vraiment sur quelles bases ce nuancier est établi !
Mme Marie-Thérèse Bruguière acquiesce.
Cette proposition de loi a l’immense mérite de nous permettre d’ouvrir ce débat, mais, j’y insiste, il serait tout de même cohérent que sa portée ne soit pas restreinte aux seules communes de moins de 3 500 habitants : pourquoi imposer une nuance aux élus municipaux au-delà de ce seuil ?
Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte, déposé le 14 mars dernier, a pris tout son sens à l’issue des dernières élections municipales.
Pour bien comprendre les enjeux de cette proposition de loi, il convient, d’une part, de rappeler l’état actuel du droit, et, d’autre part, d’en évaluer les conséquences pour les candidats, notamment dans les plus petites communes.
Concernant le droit en vigueur, la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires a modifié en profondeur le mode d’élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires.
D’une part, le seuil démographique à partir duquel le scrutin à la représentation proportionnelle s’applique pour l’élection du conseil municipal a été abaissé à 1 000 habitants.
D’autre part, l’obligation de dépôt préalable d’une déclaration de candidature a été généralisée à l’ensemble des communes.
À ces dispositions s’ajoutent celles du décret du 30 août 2001 prévoyant que les candidats aux élections municipales dans les villes de plus de 3 500 habitants attribuent une « étiquette » à leur liste, c’est-à-dire indiquent à quelle formation politique ils se rattachent. Parallèlement, s’ils ne le font pas eux-mêmes, la préfecture a le devoir de leur affecter une nuance, c’est-à-dire un courant de pensée politique de rattachement.
La combinaison de ces différents textes a eu des répercussions particulièrement importantes sur la collecte des données personnelles relatives à l’appartenance politique des candidats et des élus. Ces derniers, soutenus dans leurs revendications par l’Association des maires de France et l’Association des maires ruraux de France, ont, dans les communes de 1 000 à 3 499 habitants, particulièrement mal vécu d’être obligés d’indiquer une nuance politique lors du dépôt des candidatures en préfecture.
À ce stade, et pour mieux appréhender le malaise, il convient de distinguer l’étiquette politique de la nuance politique.
Si le candidat choisit librement d’adopter, ou non, une étiquette politique et peut même en changer en cours de mandat, l’administration, quant à elle, attribue une nuance politique aux candidats puis aux élus en fonction d’une nomenclature fixée par le ministère de l’intérieur et présentée au candidat lors du dépôt de candidature.
Il n’existe pas de nuance « sans étiquette », mais seulement une rubrique « autres », dans laquelle figurent, par exemple, les partis anti-fiscalistes, les partis religieux, les partis socioprofessionnels, les partis régionalistes, le parti pirate et même le parti d’en rire !
C’est cette lacune que la présente proposition de loi vise à pallier.
On le sait bien, dans les plus petites communes, les listes se forment le plus souvent au-delà de tout clivage partisan. Se voir attribuer une nuance politique par l’administration peut alors être relativement lourd de conséquences pour le scrutin, mais également tout au long du mandat.
Avec le texte tel qu’issu des travaux de la commission des lois, dans les communes de moins de 3 500 habitants, les candidats sans étiquette ne pourront plus se voir attribuer arbitrairement par l’administration une nuance politique.
Considérant que ce texte, qui ne doit pas être envisagé de manière partisane, atteint un équilibre ne pouvant qu’être bénéfique à la démocratie locale, le groupe écologiste le soutiendra.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat intervient quelques semaines après des élections municipales s’étant déroulées dans un contexte juridique assez nouveau, qui a provoqué un certain nombre de récriminations et un réel mécontentement, principalement dans nos communes rurales.
Heureusement, à quelques jours du scrutin, la partie réglementaire du code électoral a été modifiée pour ne pas imposer la présentation de la carte d’identité au moment du vote dans les petites communes rurales. C’était déjà un élément précieux pour éviter que l’accès au vote ne soit inutilement restreint, mais un certain nombre de dispositions nouvelles se sont appliquées, qui soulèvent de réelles questions. L’objet du texte dont nous discutons aujourd'hui n’est pas de les traiter toutes, mais je les mentionnerai tout de même.
L’obligation de déclaration de candidature dans les toutes petites communes nous prive de l’apport de conseillers municipaux qui n’osaient pas présenter spontanément leur candidature ; c’est une réduction de la liberté de choix de l’électeur.
L’interdiction du panachage dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants n’est pas non plus une bonne mesure. Le vote bloqué crée de l’abstention et nuit à l’instauration d’un vrai dialogue démocratique. Si, comme vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre, plusieurs listes ont été présentées dans 59 % des communes de 1 000 à 3 500 habitants, cela signifie que, dans plus de 40 % d’entre elles, une seule liste bloquée a été déposée, et qu’il s’est donc alors agi d’un scrutin de pure et simple ratification. Peut-on s’étonner, dès lors, que les électeurs, dans ces communes, ne se précipitent pas aux urnes ? La démocratie locale a pourtant toujours été l’école du civisme dans notre pays.
Dans mon département, la Manche, par rapport au précédent scrutin municipal, moins de listes étaient présentées cette année dans 25 % des communes de 1 000 à 3 500 habitants et l’abstention a été supérieure ou égale dans les trois quarts des communes de cette strate. Par conséquent, si l’on regarde à la loupe les conditions de fonctionnement de la démocratie dans ces petites communes, on constate à la fois une diminution de la liberté de choix des électeurs et une augmentation de l’abstention.
Le sujet qui nous occupe aujourd'hui est celui des nuances politiques attribuées aux candidats par vos services, monsieur le ministre.
Comme l’a dit tout à l’heure M. Masson, il est vrai qu’une question de principe se pose pour toutes les communes, mais elle se pose plus fortement encore pour nos petites communes rurales. En effet, dans ces communes, même si le débat démocratique y est vivant, ainsi que vous l’avez souligné à juste titre, monsieur le ministre, c’est l’absence d’engagement partisan des candidats qui est la règle. Ce n’est nullement un aspect secondaire ou anecdotique, c’est le mode de fonctionnement même de la démocratie locale. Jusqu’où celle-ci doit-elle être irriguée par la vie partisane ? Vous nous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, qu’il n’y a plus aucune raison de distinguer le cas des communes de 1 000 à 3 500 habitants de celui des communes dont la population excède ce seuil, puisque le même mode de scrutin s’applique désormais. Je vous réponds qu’il y en a une, qui relève non pas de la conviction ou de l’idéologie, mais de la réalité : le débat démocratique, dans les petites communes, ne repose pas principalement sur l’appartenance partisane. J’ajouterai qu’il n’est pas souhaitable qu’il en aille autrement, compte tenu de la nature des questions traitées à l’échelon de ces petites communes.
Je relève en outre que si la collecte et le traitement de ces données ont effectivement été autorisés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, le point de départ est tout de même le principe d’interdiction. En effet, l’interdiction de collecter et de traiter les données à caractère personnel faisant apparaître les opinions politiques est posée à l’article 8 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et si le paragraphe IV de cet article ne soumet pas à l’interdiction les traitements justifiés par l’intérêt public et autorisés par la CNIL, encore faut-il que la justification soit réelle et que l’autorisation soit donnée. C’est le cas en l’occurrence, mais je rappellerai que la CNIL n’est pas une instance constitutionnelle dont l’autorité serait supérieure à celle du Parlement : elle agit dans le cadre fixé par le législateur, si bien qu’il nous est tout à fait loisible de déterminer des conditions nouvelles d’exercice de son pouvoir d’autorisation par la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Dès lors, tous les arguments opposés à la proposition de loi qui a été déposée par notre excellent collègue Jean-Claude Carle et que j’ai eu l’honneur de cosigner se trouvent récusés, qu’ils soient relatifs à l’absence de justification d’un traitement différencié selon la taille des communes ou à la nécessité d’un nuançage dont on peut postuler qu’il donne des résultats erronés, puisque la plupart des candidats n’ont précisément pas d’engagement partisan. Vouloir à toute force rattacher ceux-ci à un courant politique, à une famille politique, à un parti politique, c’est se donner une mission impossible.
Je rends hommage à la volonté de M. le ministre de nous tendre la main pour rechercher une solution de compromis, mais je trouve assez choquant de proposer que ces informations ne soient publiées qu’après les élections, pour qu’elles n’interfèrent pas avec le scrutin !
D’une part, si ces informations sont exactes, pourquoi les cacherait-on aux électeurs ? D’autre part, puisque ces informations sont probablement inexactes, elles ne valent pas davantage après le vote qu’avant.
C’est tout simplement le fait même de vouloir recueillir des informations qui n’existent pas et de les inventer en fonction de l’idée qu’un membre du corps préfectoral plus ou moins récent dans un département se fait des opinions politiques d’un candidat qui doit être récusé, et avec force !
Dès lors, le dispositif de cette proposition de loi relève pleinement du domaine de la loi – je m’étais moi-même d’abord interrogé sur ce point –, parce qu’il touche à une liberté fondamentale. Le candidat à une élection est un citoyen français comme les autres, et il doit être libre de ne pas afficher une appartenance politique si tel est son souhait. Si, à la suite de son élection comme maire de sa commune, on rend publique une information sur son appartenance politique alors qu’il est candidat à la vice-présidence ou à la présidence d’une petite intercommunalité rurale, cela interférera avec cette candidature, c’est-à-dire que se produira ce que l’on aura précisément voulu éviter pour l’élection municipale en interdisant de communiquer de tels éléments avant celle-ci ! Si l’on ne donne pas l’information avant l’élection municipale, ne la donnons pas non plus avant l’élection intercommunale : cela relève de la liberté privée du candidat.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je serais vraiment très heureux que le Gouvernement, après avoir entendu tous nos collègues, dont les propos sont convergents, aille au-devant du vote du Sénat et révise sa position en approuvant cette proposition de loi, qui me paraît être de bon sens.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI–UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors des élections municipales de mars dernier, les candidats, dans les communes de moins de 3 500 habitants, ont été soumis, pour la première fois, aux nouvelles dispositions introduites par la loi du 17 mai 2013, qui instaure le scrutin proportionnel pour les 6 784 communes dont la population est comprise entre 1 000 et 3 500 habitants.
Les candidats avaient aussi l’obligation de déclarer leur candidature à la préfecture, quelle que soit la taille de la commune. Lors du dépôt des candidatures, ils ont découvert qu’ils devaient indiquer une étiquette politique. À ce moment, les candidats étaient tout à fait libres de déclarer ou non une appartenance à un parti politique, et donc de se dire, éventuellement, « sans étiquette ».
Cependant – et c’est ce cas précis qui pose problème –, s’ils ne déclaraient aucune appartenance à une nuance politique, les préfets leur en attribuaient une, sur la base d’une grille préétablie. C’est ensuite cette nuance qui a été retenue pour l’enregistrement des résultats des élections municipales.
Nous avons tous eu vent de contestations de ce classement préfectoral, mes chers collègues, dans nos départements, en particulier dans les petites communes rurales. L’attribution par le préfet d’une nuance politique a été faite, dans certains cas, selon des critères discutables, voire subjectifs. La grille de nuances politiques de la préfecture compte dix-sept appellations. Elle dresse la liste des partis politiques qui définissent chaque nuance, mais ne comporte pas de catégorie « sans étiquette » ou « non inscrit ».
Nous savons que, dans les petites communes rurales, les candidats ont parfois de grosses difficultés à constituer une liste ; c’est une réalité. Afficher une couleur politique peut, au bout du compte, les empêcher de mener à bien leur projet. Beaucoup mettent en avant des candidatures fondées sur une ambition locale, loin, il est vrai, des clivages traditionnels, et refusent de se voir classés à gauche, à droite ou au centre. Certains candidats ou élus souhaitent rester « sans étiquette », en raison du caractère transpartisan ou neutre de leur liste ; c’est aussi parfois la condition posée pour s’engager, comme Jean-Claude Carle le rappelait dans son intervention.
Il ne faut pas, pour autant, « mettre à l’index » les partis politiques, car ceux-ci sont essentiels à l’exercice de la vie démocratique.
J’attire également votre attention, mes chers collègues, sur le fait qu’il peut exister des abus. Ainsi, dans le département de Loire-Atlantique, un candidat, par ailleurs tête de liste UMP pour les élections sénatoriales, a fortement contesté qu’on l’empêche de présenter une liste « sans étiquette » aux élections municipales. Il ne faut pas non plus se moquer du monde ! Dans un tel cas, on atteint aux limites de l’honnêteté politique…
De nombreux candidats ont affirmé à juste titre qu’il est, pour certaines listes, impossible d’opérer un classement seulement en termes de nuance politique. C’est pourquoi, du reste, il y a eu tant de contestations lors des dernières élections municipales.
Le texte que nous examinons aujourd’hui est donc très important pour favoriser l’engagement dans nos petites communes. Je l’ai dit, nous connaissons parfaitement les difficultés que l’on y rencontre pour trouver des candidats aux élections, et la règle actuelle peut décourager certaines bonnes volontés.
Je suis donc tout à fait d’accord avec la proposition de permettre aux candidats de présenter des listes « sans étiquette », distinctes des listes regroupées dans la catégorie « divers », et de supprimer l’attribution de manière discrétionnaire par le préfet des nuances politiques pour les petites communes dès lors que les candidats ne revendiquent pas eux-mêmes une telle nuance.
Je me félicite que la commission des lois ait adopté un amendement tendant à permettre que, à chaque élection, au moment du dépôt de candidature, les candidats soient informés de la grille de nuances politiques utilisée, ainsi que du droit d’accès et de rectification dont ils disposent. Certes, ce droit de rectification existe, mais nombreux sont les candidats qui l’ignorent et qui, par conséquent, ne l’utilisent pas.
Mes chers collègues, nous savons que les Français sont particulièrement attachés à leur commune. C’est pourquoi, afin que le conseil municipal soit toujours représentatif de ses habitants, nous devons faciliter le plus possible l’accès aux mandats électifs locaux.
Le rôle du maire, quelle que soit la taille de la ville, est de plus en plus complexe et lourd de responsabilités. Il ne faut pas freiner les envies et les bonnes volontés locales. Nous devons laisser à tous la possibilité de s’engager au service de leurs concitoyens, et ce en toute indépendance politique s’ils le souhaitent. La petite commune, elle aussi cellule de base de notre démocratie – cela doit perdurer –, mérite cette précision de bon sens, cette nécessaire amélioration.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui n’est pas la première qui vise à encadrer le nuançage politique mis en œuvre par les services de l’État.
Certains de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, ont également été saisis de cette question depuis la création d’un répertoire national des élus. En effet, les services de l’État doivent, lors de chacune des élections cantonales ou municipales, mettre à jour le fichier des élus, dans un cadre juridique strict, en indiquant la nuance politique de ces derniers.
La nuance, contrairement à l’étiquette politique, librement choisie par les candidats et figurant sur les documents de campagne et le matériel de vote, est attribuée par l’administration en fonction d’une grille préétablie.
C’est ainsi que figurent, à ce jour, seize courants politiques sur la liste des nuances, alors qu’une rubrique « divers » regroupe des partis marginaux. Cependant, il n’existe pas de catégorie « sans étiquette ». Cela signifie que les candidats s’étant déclarés « sans étiquette » se verront attribuer d’office une nuance correspondant à l’un des courants répertoriés dans la grille. Toutefois, chaque candidat est informé de la grille des nuances au moment du dépôt de candidature et dispose d’un droit d’accès et de rectification.
Il apparaît aujourd’hui nécessaire de renforcer encore l’information des candidats lors du dépôt des déclarations de candidature, en insistant sur l’existence d’une liste des nuances politiques.
Par ailleurs, le répertoire des nuances politiques des élus n’a pas vocation à être rendu public avant la clôture du dépôt des candidatures. Aussi, pour éviter toute polémique pendant la campagne électorale, la nuance choisie par un candidat pourrait-elle être rendue publique après la publication des résultats définitifs pour la commune concernée.
Les nuances permettent la centralisation des résultats et font apparaître les tendances politiques nationales ou locales. Outre qu’il contribue à l’indispensable information des citoyens, du Parlement et du Gouvernement, ce fichier concourt à la mise en œuvre des dispositions législatives sur le cumul des mandats, l’interdiction des candidatures multiples, la parité ou le financement de la vie politique. En particulier, il facilite la lecture des résultats par les médias – et donc par le grand public –, en leur apportant une information lisible.
Cependant, dans certains cas, beaucoup l’ont rappelé, les élus semblent véritablement découvrir, souvent par voie de presse, la nuance qui leur est attribuée.
Après les dernières élections municipales, cette même presse a particulièrement relayé le mécontentement exprimé par un certain nombre de candidats et d’élus, à l’origine sans étiquette ou apolitiques, qui ne comprenaient pas pourquoi telle ou telle nuance leur avait été ainsi attribuée. Elle a aussi entretenu, il faut le souligner, une polémique sur le thème du fichage politique des maires ou du « bidouillage organisé », nourrissant des soupçons infondés de manipulation du fichier.
Il est vrai que certains candidats se sont retrouvés classés dans des catégories diamétralement opposées à leur véritable couleur politique. Mais, après tout, s’ils déclaraient leur étiquette, ce problème ne se poserait pas !
Il est vrai aussi que les préfectures attribuent les nuances en fonction d’un faisceau d’indices très aléatoires et que les services de l’État préfèrent ne pas gonfler les effectifs de la nuance « divers », afin de ne pas entraver la lisibilité politique des résultats des différents scrutins.
Il faut également reconnaître que la présentation d’une liste sans étiquette peut parfois tenir à des motivations qui ne sont pas clairement exprimées.
Dans certains cas, des candidats qui se prétendent apolitiques camouflent à l’évidence un engagement à droite ou à gauche en s’abritant derrière des listes aux slogans très locaux. Ainsi, depuis quelques années, on évoque un regain des candidatures sans étiquette de personnalités plutôt à droite.
D’autres, s’agissant notamment des candidatures allant à l’encontre des valeurs de la République, cherchent à brouiller les frontières entre formations politiques. Cela leur permet de ne pas afficher leur orientation et d’avancer masqués pendant les campagnes électorales, sans même se dévoiler, dans la plupart des cas, après leur élection.
D’autres candidats encore, bien que prenant une position politique lors des élections nationales, font le choix de se présenter sans étiquette aux élections municipales et ne se reconnaissent pas dans la catégorie « divers ». C’est ainsi que fleurissent les listes intitulées « pour la défense des intérêts communaux ».
La création d’une nuance « sans étiquette » ne faciliterait donc pas la détermination de l’appartenance politique d’un candidat pour les citoyens souhaitant la connaître et ne contribuerait pas à mieux identifier l’engagement politique ni à mieux encadrer le risque de comportements antirépublicains.
Pour les services de l’État, la nuance « divers » a vocation à rassembler toutes les listes et tous les candidats ne manifestant pas d’engagement politique. C’est la raison pour laquelle la CNIL avait validé ce dispositif, au motif de l’intérêt public. Quant au Conseil d’État, il avait considéré que cette grille de nuances ne servait qu’à établir les tendances des résultats.
Toutefois, cette question du nuançage a pris une ampleur toute particulière cette année, car l’abaissement de 3 500 à 1 000 habitants du seuil d’application de la représentation à la proportionnelle introduit par la loi en 2013 concernait de nombreux candidats, et donc de nombreuses listes.
Or c’est à l’échelon des petites communes, très souvent rurales, que l’on rencontre le plus grand nombre de listes non partisanes ou multipartisanes. Néanmoins, c’est souvent dans de très petites communes, de moins de 1 000 habitants, qu’il y a des difficultés pour bâtir une liste, liées parfois à des considérations tenant à la responsabilité des élus, notamment celle du premier magistrat, devant la loi, ou tout simplement à l’absence d’engagement citoyen au service de l’intérêt général.
Il convient donc de prendre en compte la réalité de ces territoires ruraux où il est de plus en plus difficile de motiver les citoyens à s’engager dans un mandat communal. Notre groupe partage l’objectif de cette proposition de loi, qui tend à laisser aux candidats la possibilité de refuser de se voir attribuer une nuance politique dans les communes de moins de 3 500 habitants.
Cela étant, je veux souligner qu’il n’y a pas d’urgence à la mise en place d’une telle règle, qui ne devrait en effet s’appliquer qu’aux prochaines élections municipales. Ce texte a en tout cas le mérite d’interpeller le Gouvernement sur cette question et contribuera, à n’en pas douter, à faciliter l’engagement citoyen au service de la République. §
Après avoir remercié l’ensemble des sénatrices et sénateurs qui sont intervenus dans la discussion générale, je voudrais revenir sur quelques-uns des sujets évoqués afin que nous puissions aborder l’examen des articles en étant au moins d’accord sur la définition des notions.
Tout d’abord, je voudrais encore une fois insister sur le fait que le nuançage n’est pas une manière d’attribuer a posteriori une étiquette à des candidats qui en auraient une différente ou qui ne souhaiteraient pas en avoir. Le nuançage est un instrument d’analyse politique pour le ministère de l’intérieur.
Si nous ne procédions pas au nuançage, pratique mise en œuvre depuis très longtemps par tous les gouvernements successifs, nous serions dans l’impossibilité de procéder à des études et à des analyses politiques qui apparaissent utiles à maints égards.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur l’idée selon laquelle le nuançage, tel qu’il existe, ne permettrait pas de recouvrir la totalité des sensibilités politiques ou de prendre en compte la situation de ceux qui, sans étiquette et n’appartenant à aucun groupe ni à aucune sensibilité, se présentent aux élections en ne représentant qu’eux-mêmes – et encore pas tous les jours, ajouterai-je pour paraphraser Edgar Faure ! §
Le nuancier compte suffisamment de catégories pour classer la totalité des candidats à une élection, y compris ceux qui déclarent ne pas avoir de sensibilité politique et affirment avec force n’appartenir ni à la gauche ni à la droite.
Le fait que la rubrique « divers » comporte des intitulés correspondant à des organisations ou partis existants – et parfois fantaisistes – ne signifie pas qu’elle se limite à ceux-ci. Les candidats qui ne se reconnaissent dans aucune sensibilité politique peuvent très bien s’y rattacher. Tel qu’il existe aujourd’hui, le nuancier permet donc d’assurer le classement pertinent de tous ceux qui n’ont pas d’appartenance.
Enfin, certains arguments, notamment ceux de mon ami Philippe Bas, me laissent perplexe.
Par exemple, ce qui compterait, c’est la réalité, et non pas le seuil. Or, en matière électorale, dès lors qu’il s’agit de questions qui se traitent en droit – et en matière électorale, mieux vaut traiter les questions en droit que de toute autre manière –, le seuil démographique, cela compte : si l’on ne s’y réfère pas, on s’écarte du respect du principe cardinal d’égalité ! Si nous entrions dans la logique qui est la vôtre, monsieur Bas, en considérant que seule la réalité compte, et non les seuils, nous nous placerions dans une situation juridique extraordinairement délicate.
En outre, la proposition du Gouvernement de rendre la nuance publique après le scrutin ne serait pas recevable, au motif que si l’information est exacte il n’y a pas de raison de la cacher, et que si elle est erronée elle ne mérite d’être communiquée à aucun moment.
Je répondrai à cet argument de deux manières.
En premier lieu, si nous proposons de rendre la nuance publique après le scrutin, c’est tout simplement parce que – il s’agit d’ailleurs de la motivation de la proposition de loi – la rendre publique avant ou pendant le scrutin serait susceptible de fausser ce dernier, de créer le trouble et la confusion. Il n’y a de notre part aucune volonté de dissimulation ; nous entendons, je le répète, répondre à la préoccupation des auteurs de la proposition de loi.
En second lieu, comme l’ont souligné à très juste titre Mmes Assassi et Bataille, de nombreux candidats veulent dissimuler leur étiquette politique parce qu’ils sont très conscients de l’incidence que sa révélation pourrait emporter sur le vote d’un certain nombre d’électeurs. Il apparaît clairement, à l’examen des résultats des scrutins les plus récents, qu’il est recouru à ce procédé de façon plus massive que jamais auparavant. Permettre à de tels candidats d’échapper à la clarté et à la transparence dues aux électeurs ne me paraît pas très sain démocratiquement.
Dans mon département, énormément d’élus ruraux ne souhaitent pas nécessairement afficher leur étiquette politique. Certains d’entre eux, je le sais, entendent très sincèrement s’attacher exclusivement à défendre les intérêts de leur commune, en faisant fi de leur appartenance. Mais je sais aussi que le philosophe Alain observait avec raison que lorsque quelqu’un dit n’être ni de droite ni de gauche, il y a tout de même de fortes chances pour qu’il soit de droite… §Dans le même esprit, selon François Mitterrand, quand on est sans étiquette, on est souvent « ni de gauche, ni de gauche » !
Non, ce n’est pas du tout spécieux ! Cet argument correspond à une réalité, que j’ai moi-même constatée.
Au cours de ma vie politique, j’ai connu, notamment dans mon département, beaucoup d’élus absolument remarquables, accomplissant pour leur commune un travail exemplaire, plutôt conservateurs, mais qui ne souhaitaient pas, au moment des élections, afficher leur étiquette politique.
Ce n’est pas nier l’intérêt de la présente proposition de loi que de le dire. C’est l’une des réalités du paysage politique local dans nos différents départements.
Compte tenu de la complexité des situations, compte tenu des multiples nuances existant en matière de comportements politiques parmi ceux qui s’engagent, il faut faire montre, à l’égard de ce texte, d’esprit de nuance, précisément, afin d’adopter la solution qui soit la plus juste et la plus équilibrée possible. Telle est, à mes yeux, celle que propose le Gouvernement au travers de son amendement : elle ne remettra pas en cause le principe d’égalité, non plus que d’autres principes généraux du droit, elle n’obérera pas la sérénité du scrutin en permettant l’attribution de nuances qui ne correspondraient pas à la réalité de l’engagement des candidats ou seraient de nature à troubler la relation entre ces derniers et les électeurs, elle n’offrira pas la possibilité à certains candidats de se dissimuler et elle n’empêchera pas le ministère de l’intérieur d’établir des statistiques, à l’issue du scrutin, afin de permettre à la science politique, qui a produit quelques-uns des meilleurs esprits de la République, de continuer à prospérer.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
L’amendement n° 1, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Tout élu ou candidat peut refuser d’être répertorié dans le fichier des nuances politiques.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
On veut forcer la main aux gens, en leur imposant des étiquettes qui ne leur correspondent pas. Je trouve cela profondément regrettable.
L’amendement n° 1 vise précisément à permettre à tout candidat de refuser d’être répertorié selon le fichier des nuances politiques. Il me semble que l’on a tout de même le droit, dans la République, dans une démocratie, de refuser de figurer dans un fichier quand on n’a rien à y faire, d’autant que ce fichier ne reflète pas de façon exhaustive l’ensemble des opinions politiques existant dans notre pays.
La réforme du scrutin municipal, notamment l’obligation de déclarer sa candidature dans toutes les communes, a relancé le débat sur le fichage politique des élus et des candidats. Depuis 2001, les préfectures doivent pratiquer ce fichage sans utiliser la catégorie « non inscrit ou sans étiquette ». Pour remédier à une telle carence, j’ai déposé la proposition de loi n° 287, en 2011, et la proposition de loi n° 421, en mars 2014.
Le présent amendement vise l’ensemble des élus et des candidats, car, à l’évidence, le fichage politique systématique opéré contre la volonté des personnes constitue une atteinte aux libertés fondamentales. On doit avoir le droit de se présenter à une élection ou d’être élu sans se voir attribuer pour autant de façon arbitraire par un tiers, en l’espèce le préfet, une étiquette partisane ou une nuance politique.
Cet amendement tend à donner à tout élu ou candidat le droit de refuser que certaines données personnelles le concernant soient enregistrées dans le fichier des candidats et des élus aux élections au suffrage universel.
Or ce fichier, en définitive, répond à un motif d’intérêt public. C’est d’ailleurs sous cette réserve que la CNIL a autorisé sa création. En effet, ce fichier sert notamment à éviter les doubles candidatures, à dégager des tendances de vote pour l’information du public, ou encore, s’agissant des élus, à veiller au respect des incompatibilités électives. Permettre à une personne de se soustraire à l’enregistrement des données nuirait à l’efficacité du contrôle exercé par le ministère de l’intérieur.
Par conséquent, la commission des lois a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Le Gouvernement émet le même avis que la commission, pour des raisons qui tiennent au motif d’intérêt général évoqué. Il ne s’agit pas d’un fichage de nature à porter atteinte à quelque liberté que ce soit. Je veux d’ailleurs vous rassurer, monsieur le sénateur, sur les intentions du Gouvernement en la matière : nous ne souhaitons absolument pas réinventer l’Union soviétique, pour la simple et bonne raison que c’est un système qui ne marche pas !
Par ailleurs, je le redis sans acrimonie ni suspicion, j’ai vu dans ma vie publique, au cours des vingt dernières années, énormément de candidats à une élection décider de se débarrasser d’une étiquette parce qu’elle était devenue infiniment moins porteuse qu’elle avait pu l’être en d’autres temps… Les préfets ont suffisamment de discernement pour replacer ceux dont les opinions sont bien connues dans la catégorie dont ils relèvent.
Monsieur le rapporteur, votre argument selon lequel le fichier des nuances politiques permet d’éviter les doubles candidatures me paraît quelque peu surprenant. Je ne vois pas en quoi le fait d’attribuer une nuance politique à un candidat l’empêcherait de se présenter simultanément ailleurs, le cas échéant en se réclamant d’une autre nuance ! La détection d’une éventuelle double candidature n’est pas liée à l’attribution d’une étiquette.
Par ailleurs, monsieur le ministre, que faites-vous de la liberté de pensée et d’opinion politique ? Si par exemple un candidat a changé d’opinion entre deux élections, le préfet ne va tout de même pas décider à sa place de maintenir son classement dans le fichier, sans tenir compte de son évolution ! De telles méthodes relèvent vraiment de l’Inquisition
Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Le fichier du ministère de l’intérieur comporte un certain nombre de renseignements, relatifs notamment à la candidature et à l’étiquette politique. Que l’on me permette de donner simplement lecture du texte de l’amendement dont M. Masson est l’auteur : « Tout élu ou candidat peut refuser d’être répertorié dans le fichier des nuances politiques. » Cela signifie que, si cet amendement était adopté, le fichier ne comporterait plus aucune information sur certains candidats, y compris sur le simple fait qu’ils ont présenté leur candidature. Si l’amendement n’est pas bien rédigé, son auteur ne peut s’en prendre qu’à lui-même !
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n° 2, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le fichier des nuances politiques doit comporter la rubrique « non inscrit ou sans étiquette ».
La parole est à M. Jean Louis Masson.
Il existe des sénateurs non inscrits, rassemblés au sein de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. Pourquoi devraient-ils être étiquetés dès qu’ils franchissent les portes du Sénat ? J’ai été élu sénateur sans l’aide de personne, voire contre tout le monde. Dès lors, je ne vois pas pourquoi on m’imputerait une nuance politique a posteriori.
Le fichier des nuances politiques comporte un nombre limité d’options possibles. Une personne estimant qu’aucune des nuances politiques figurant dans ce fichier ne lui correspond doit pouvoir conserver sa liberté. Tel est l’objet du présent amendement.
Ce fichier avantage en fait certains partis politiques, ce qui est extrêmement grave. Certains sont pris en compte, d’autres ne le sont pas, à l’instar du parti radical de gauche, dont le cas a été évoqué par M. Baylet.
Je soutiens M. Masson sur ce point. Tous les partis politiques institués doivent être traités de la même manière. Pour ce qui concerne le parti radical de gauche, je vais veiller à ce que la situation soit corrigée sur-le-champ.
Cet amendement tend à obliger le ministère de l’intérieur à créer une rubrique « non inscrit ou sans étiquette » pour toutes les élections au suffrage universel.
La commission des lois a retenu cette règle dans son texte, mais uniquement – la précision est d’importance – pour les élections municipales et pour les communes de moins de 3 500 habitants. L’étendre à l’ensemble des élections n’aurait pas de sens, car l’exception que la commission a créée pour ces communes se justifie par la faible politisation des élections. Cet argument ne peut pas être avancé pour d’autres élections, comme celles des députés ou des conseillers régionaux, par exemple.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Il est très bien, monsieur le ministre, de régler le cas des radicaux de gauche, mais le fichier comporte d’autres lacunes !
Un ministre de la République doit régler les problèmes dans leur ensemble, et non pas chercher à faire plaisir à telle ou telle personnalité, aussi éminente soit-elle. Tous les partis politiques ayant été évincés du fichier doivent y être intégrés, et non pas seulement le parti radical de gauche.
Quant à l’argument de M. le rapporteur selon lequel il convient de ne viser que les communes de moins de 3 500 habitants, au motif que les élections y sont peu politisées, il n’est pas du tout convaincant. En effet, il peut aussi arriver que des parlementaires ne relèvent d’aucun des partis politiques répertoriés dans le nuancier.
Il n’y a pas de raison de les ficher arbitrairement, en leur attribuant une nuance qui ne leur convient pas !
J’accède à une demande que vous avez formulée, et voilà que vous m’en faites le reproche !
L’engagement que j’ai pris pour le parti radical de gauche vaut également pour toutes les autres organisations politiques qui estiment devoir figurer dans le nuancier. Peut-être ma réponse, ainsi complétée, vous agréera-t-elle ; si tel n’est pas le cas, j’y renonce !
L’amendement n’est pas adopté.
I. – Dans le cadre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel justifié par l’intérêt public et autorisé dans les conditions prévues au I de l’article 25 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, l’enregistrement de données personnelles relatives à l’opinion politique des candidats à une élection au suffrage universel et des personnes ainsi élues est soumis aux règles fixées au présent article.
II. – Le candidat ou la personne élue peut choisir une étiquette politique.
Une nuance politique ne peut être attribuée aux candidats à l’élection des conseils municipaux et aux membres du conseil municipal, dans les communes de moins de 3 500 habitants, que sous réserve qu’ils aient choisi une étiquette politique.
III
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 4
Rédiger ainsi ces alinéas :
II. – Après le quatrième alinéa de l’article L. 265 du code électoral, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« 3° L’étiquette politique, le cas échéant, de chacun des candidats s’ils souhaitent la préciser.
« Lors du dépôt de la déclaration de candidature, la liste des nuances politiques est portée à la connaissance de la personne qui procède à ce dépôt. Cette personne est également informée du droit d’accès et de rectification dont disposent les candidats. La nuance politique attribuée aux candidats et aux listes de candidats par l’administration ne peut être publiée ou communiquée à des tiers par le ministère de l’intérieur et les représentants de l’État avant la fermeture du dernier bureau de vote de la commune, lors du tour décisif. »
La parole est à M. le ministre.
Nous sommes pour la plupart membres d’un groupe, monsieur le ministre !
Le Gouvernement est favorable sur le principe à l’article 1er, visant à favoriser la bonne information des candidats sur les nuances politiques. Tel est le cas notamment de l’alinéa 4, aux termes duquel la liste des nuances politiques est portée à la connaissance de la personne procédant au dépôt de la déclaration de candidature, cette personne étant également informée du droit d’accès et de rectification dont disposent les candidats.
La mention de la déclaration d’une étiquette politique s’inscrit également dans la continuité des principes soutenus par le Gouvernement. Le ministère de l’intérieur demande déjà aux candidats aux élections municipales dans les communes de 1 000 habitants et plus de préciser, s’ils le souhaitent, leur étiquette politique. En revanche, il n’apparaît pas nécessaire de demander de déclarer une étiquette politique aux candidats dans les communes de moins de 1 000 habitants, où le scrutin majoritaire conduit à une plus forte personnalisation des débats.
Le Gouvernement ne souhaite pas en revanche remettre en question l’attribution d’une nuance politique aux candidats des communes de 1 000 à 3 500 habitants. Dans 59 % de ces communes, au moins deux listes de candidats se sont présentées lors des dernières élections municipales, attestant d’un véritable débat politique qui justifie une analyse de l’évolution des tendances. En prévoyant l’attribution d’une nuance politique aux seuls candidats ayant déclaré une étiquette politique dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants, le dispositif initialement prévu dans la proposition de loi ne permettrait plus de présenter aux citoyens une analyse des rapports de force nationaux par nuances fondée sur l’ensemble des résultats.
En lieu et place de telles dispositions, le présent amendement tend à répondre aux préoccupations formulées durant ces derniers mois, en mettant fin à la publication des nuances des listes de candidats durant la campagne électorale. Plusieurs candidats ont en effet estimé que la nuance politique, attribuée par les services du représentant de l’État, pouvait avoir une influence sur le choix des électeurs. Tel n’est pas l’objet des nuances politiques, qui doivent permettre la bonne information des électeurs sur l’évolution – j’insiste sur ce point – des tendances politiques au niveau national et local, sans les influencer au moment du vote.
Le présent amendement prévoit ainsi la publication par le ministère de l’intérieur des nuances attribuées aux candidats et listes de candidats uniquement après le résultat décisif de la commune concernée.
L'amendement n° 3, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
, dans les communes de moins de 3 500 habitants,
La parole est à M. Jean Louis Masson.
Comme je l’ai déjà rappelé au cours du débat, je ne vois aucune raison de limiter à 3 500 habitants le seuil en deçà duquel un candidat a la liberté de ne pas être fiché politiquement. Des élus municipaux de communes de 4 000 habitants peuvent également souhaiter ne pas être l’objet d’un fichage ! Cela vaut aussi pour des conseillers généraux, voire, même si cela ne fait pas plaisir à un certain nombre de personnes ici, pour des sénateurs !
Vous allez donc voter notre proposition de loi contre le fichage génétique, je suppose…
L’amendement n° 5 tend à revenir sur la position adoptée par la commission. Certes, il reprend certains éléments adoptés par la commission des lois – je pense aux informations qui doivent être communiquées lors du dépôt de candidature ; sur ce point, nous sommes d'accord, monsieur le ministre –, mais il diffère de nos positions sur deux points majeurs : d’une part, il vise à interdire aux candidats et aux élus de ne pas choisir de nuance politique et, par conséquent, de demeurer « sans étiquette » ; d’autre part, il tend à retenir le seuil de 1 000 habitants et non plus celui de 3 500 habitants.
Les arguments qui ont conduit la commission à permettre aux candidats et aux élus des plus petites communes de rester « sans étiquette » ayant été rappelés lors de la discussion générale, je n’y reviens pas. Cependant, j’insisterai sur le choix du seuil.
En commission, le seuil de 3 500 habitants a paru mieux correspondre à la réalité locale. Notre collègue Alain Richard a d’ailleurs justement rappelé que ce seuil, qui avait été initialement choisi « au jugé » en 1982, s’était révélé conforme à une réalité sociologique en matière électorale. En effet, dans les communes de moins de 3 500 habitants, les listes d’union sont très fréquentes.
Au demeurant, le législateur peut parfaitement choisir un seuil différent de 1 000 habitants sans susciter de difficultés constitutionnelles. En effet, le juge constitutionnel exige que la loi fixe le même seuil démographique uniquement entre le mode de scrutin et les incompatibilités électives. Hormis cette hypothèse, la loi peut fixer des seuils différents. D’ailleurs, le code électoral en compte plusieurs : 2 500 habitants, 20 000 habitants, etc.
J’avancerai un autre argument : jusqu’en 2014, vos prédécesseurs monsieur le ministre, disposaient de nuances politiques pour les candidats aux élections municipales jusqu’aux communes de 3 500 habitants. Or cela n’a jamais posé le moindre problème pour l’analyse politique. La proposition de loi ne vise qu’à revenir à cette situation. Ce qui était possible auparavant doit le demeurer sans que l’analyse des rapports de force politiques par le ministère de l’intérieur perde en qualité et, permettez-moi de le dire de façon un peu humoristique, en véracité.
J’ajouterai un dernier argument : le problème de la nuance politique ne s’arrête pas avec l’élection municipale. Elle reste conservée dans le fichier pour les candidats qui ont été élus. Or la nuance, surtout si elle est inexacte, peut avoir une influence lorsque des élus qui se considèrent sans étiquette se présentent pour siéger au sein de syndicats mixtes, d’établissements publics de coopération intercommunale, comme les communautés de communes ou d’agglomération, ou d’associations d’élus locaux, comme l’Association des maires de France, l’Association des petites villes de France, l’Association nationale des élus de montagne ou l’Association des maires ruraux de France… Si une nuance politique leur a été attribuée arbitrairement, ils sont alors vus à tort comme représentant une famille politique.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez cité François Mitterrand, pour qui être « sans étiquette », c’est n’être « ni de gauche ni de gauche ». Pour nous, Bourguignons, l’exemple n’est pas forcément le plus pertinent. Lorsque François Mitterrand s’est présenté pour la première fois aux élections cantonales dans la Nièvre, il était « sans étiquette » !
Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Je ne reviendrai pas sur ce dernier propos de M. le rapporteur, …
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il était non seulement aimable, mais également plein d’humour et d’ailleurs parfaitement en adéquation avec l’histoire. Il est vrai que le parcours politique du président François Mitterrand l’a conduit, comme il l’a d’ailleurs parfaitement assumé lui-même, à passer du camp des sans étiquette « ni de gauche ni de gauche » à celui de la gauche.
Sourires.
Cela étant, pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur la position du Gouvernement, je précise que nous n’avons nulle intention d’obliger un candidat à choisir une étiquette s’il ne le souhaite pas. Il s’agit simplement d’indiquer que ce candidat sera classé dans l’une des catégories du nuancier une fois l’élection acquise ; de toute manière, ce sera le cas, que l’amendement soit adopté ou non.
Par ailleurs, si la fixation d’un seuil est bien de nature législative, l’établissement d’un nuancier dépend du pouvoir réglementaire. Nous aurions pu arguer que, le dispositif ayant un caractère réglementaire et ne relevant pas de l’article 34 de la Constitution, une telle discussion n’avait pas lieu d’être. Nous n’avons pas fait ce choix. Nous avons voulu que le débat ait lieu, considérant qu’il était sain. De notre point de vue, les problèmes qui sont soulevés méritent que l’on y réfléchisse et que l’on y apporte des réponses.
Si la fixation d’un seuil de 1 000 habitants relève bien du domaine législatif, comme je viens de le dire, le fait que le scrutin de liste s’applique désormais à partir du seuil de 1 000 habitants doit nous conduire, au regard du principe d’égalité, à appliquer les mêmes règles aux communes de 1 000 à 3 500 habitants, qui sont soumises au même régime électoral. Voilà pourquoi je souhaite que le Sénat adopte l’amendement du Gouvernement.
Enfin, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 3.
Je souhaite décrypter l’amendement que M. le ministre vient de présenter.
Le dispositif proposé par le Gouvernement signifie en clair que le candidat avance masqué jusqu’à l’élection et qu’il enlève son masque une fois l’élection acquise.
Monsieur le ministre, vos origines normandes, du moins provinciales, devraient tout de même vous inciter à la prudence. Songez à quoi de telles pratiques a posteriori risquent de conduire ! Prenons le cas, déjà évoqué, d’une petite commune où un consensus municipal est apparu autour d’un projet sans que chacun veuille déclarer une étiquette politique. Si le maire ou certains adjoints dévoilent la leur une fois l’élection acquise – le cas s’est produit dans mon canton –, vous aurez en réaction des contestations, voire des démissions d’élus qui considéreront ne pas s’être engagés pour siéger dans un conseil municipal avec une étiquette politique.
Vous risquez de laisser des bombes à retardement aux quatre coins du pays, notamment en milieu rural. Il vous appartiendra ensuite de gérer la situation, entre les démissions en cascade qu’il faudra assumer et certains conseils municipaux qu’il vous faudra dissoudre lorsque le nombre de conseillers municipaux ne sera plus conforme au minimum légal.
À mon sens, il faut faire preuve d’une grande prudence. Votre idée de dévoiler après coup les étiquettes politiques risque, me semble-t-il, de déclencher des séismes en milieu rural et, surtout, de décontenancer des personnes qui s’étaient rassemblées pour porter un projet municipal, ce qui est bien l’essentiel pour une telle élection.
Monsieur le sénateur, je comprends votre préoccupation, mais, si je puis me permettre, elle relève d’un faux débat. En effet, il faut distinguer ce qui relève de la nuance apportée par le ministère de l’intérieur de ce qui relève de l’étiquette ou de l’absence d’étiquette, qui résulte du choix libre du candidat.
Le candidat peut avoir ou pas une étiquette au moment du scrutin. D’ailleurs, c’est cela qui vaut engagement devant les électeurs. S’il en a une, il sera élu ou non en raison de l’étiquette qu’il porte, en fonction de la volonté des citoyens. Et même si le nuançage est révélé après que l’élection a eu lieu, l’effet est neutre dès lors qu’il est établi que l’on n’échappe pas au nuançage ! On ne va pas remettre en cause le nuançage, qui, encore une fois, permet de procéder à des études politiques et d’analyser l’évolution de la vie politique française, ainsi que ses tendances.
Je récuse donc idée selon laquelle il y aurait un masque qui tomberait une fois le nuançage rendu public. Nous proposons de le rendre public après l’élection précisément parce que vous nous avez indiqué que le fait de le rendre public avant pouvait perturber le scrutin. Votre propos aurait un sens si nous décidions d’abandonner totalement le nuançage, mais personne ne le propose : tout le monde a conscience que nous avons besoin de cet instrument pour procéder à des études politiques.
Je le répète, c’est un faux débat. Aucun masque ne tombe après le scrutin parce que le ministère de l’intérieur rend publique l’appartenance de tel ou tel candidat à une sensibilité politique donnée. Ce qui fait le scrutin, c’est la déclaration du candidat lui-même. Et cette déclaration n’est pas remise en cause ! Elle appartient au candidat. Elle est même consubstantielle à sa relation avec l’électeur.
Ne confondons donc pas le nuançage et la déclaration par le candidat lui-même de l’étiquette. Si nous proposons que le nuançage soit rendu public après l’élection, c’est parce que vous nous avez expliqué que la situation actuelle était problématique et pouvait obérer la sincérité du scrutin. Et comme personne au sein de la Haute Assemblée ne propose de renoncer au nuançage, je ne vois pas de solution au problème que vous posez ! Il faut simplement que nous distinguions les deux notions et que nous abordions le débat avec honnêteté.
Il est impossible de voter l’amendement du Gouvernement, et ce pour trois raisons.
D’abord, l’amendement détricote complètement le contenu du texte. Il est donc en contradiction totale avec l’objectif de la proposition de loi. Il faut que cela soit bien clair pour nos collègues qui pourraient avoir une hésitation.
Ensuite, et je reviens sur ce que Jean-Noël Cardoux soulignait à l’instant, M. le ministre a fait tout à l’heure un long développement pour dénoncer ces élus qui n’auraient pas le courage d’assumer leur étiquette politique, en pointant particulièrement du doigt des élus du centre ou de la droite qui avanceraient « masqués ». Or il nous propose à présent un dispositif en incohérence totale avec sa propre démonstration. Certes, le masque tombera une fois que le préfet dévoilera le nuançage. Mais comment le fera-t-il ? Selon quels critères ? Effectivement, nous ne voulons pas supprimer le nuançage. Nous voulons simplement nuancer le nuançage !
Les listes d’intérêt local existent, notamment dans les communes rurales. Il faut les reconnaître. Les candidats doivent avoir la liberté de s’accorder sur un programme concernant la gestion des routes, des chemins vicinaux ou des équipements sportifs, autant de sujets qui ne justifient pas nécessairement le rattachement à une étiquette politique.
Encore une fois, le préfet n’a pas à affubler a posteriori d’une étiquette politique un élu municipal sous prétexte que c’est celle de la tête de liste, à plus forte raison quand l’élu concerné n’a jamais revendiqué l’étiquette en question, voire se déclare « sans étiquette » !
Enfin, je rappelle que l’analyse du scrutin aux dernières élections municipales a porté sur les grandes communes, notamment celles de plus de 9 000 habitants, qui ont l’obligation de déposer un compte de campagne. Vous ne perdrez rien en termes d’analyse politique, monsieur le ministre, si certains élus se déclarent sans étiquette dans des communes de moins de 3 500 habitants.
Vous ne remettrez absolument pas en cause la finesse d’une sociologie, d’une analyse politique. Ce n’est jamais le débat pour aucun scrutin municipal ! On l’a bien vu lors du dernier scrutin municipal, les grandes analyses n’ont pas porté sur la question de savoir si, dans les communes de moins de 3 500 habitants, on avait plus ou moins de nuances de gauche ou de droite.
Monsieur le ministre, la proposition de loi se tient, et votre amendement la dénature complètement. La question qui se pose à nous est celle-ci : acceptons-nous ou non que des élus fassent, en toute connaissance de cause, le choix du « sans étiquette » ? C’est une question de bon sens ! C’est pourquoi j’espère que cet amendement ne sera pas adopté.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Les arguments apportés par le Gouvernement sur la question qui a suscité cet amendement me posent deux problèmes.
Premièrement, le Gouvernement met en avant le fait que, dans 59 % des communes de 1 000 à 3 500 habitants, il y a bien eu débat politique parce qu’il y avait deux listes concurrentes. Cela signifie quand même que 41 % des communes étaient, elles, dans la pluralité. Par définition, elles avaient su trouver une démarche commune pour œuvrer véritablement dans l’intérêt local. Comment ces 41 % de communes peuvent-elles, de fait, être traitées ? Comment peut-on les mettre dans un nuancier alors que, par définition, elles se sont créées dans la pluralité ?
Deuxièmement, je m’interroge sur les 59 % de communes qui ne sont pas dans ce cas. Pour le Gouvernement, parce qu’il y a eu affrontement politique d’au moins deux listes, il y a forcément une liste d’un côté et une liste de l’autre. En réalité, on a pu le constater dans nos départements, le maire sortant se retrouve très souvent face à l’un de ses colistiers qui n’est plus en phase avec lui. De fait, on lui assigne un autre bord politique en essayant de constituer artificiellement une sorte de scission – l’idée étant qu’on est soit de droite, soit de gauche –, position que je conteste complètement, car elle est particulièrement trompeuse dans de telles situations.
Un autre aspect de la proposition du Gouvernement me paraît en revanche intéressant : c’est le principe d’égalité, c’est-à-dire l’idée qu’il ne peut pas y avoir de différence de traitement. C’est une notion que nous souhaitons voir appliquée et, en la matière, je considère que l’amendement de M. Masson apporte une réponse, puisqu’il reconstitue l’égalité parfaite en supprimant la barrière des 3 500 habitants.
M. le ministre nous explique que nous avons besoin de ce nuancier pour réaliser des études politiques et autres, mais que vaudront des études réalisées à partir d’étiquettes attribuées de façon complètement arbitraire et folklorique par des préfets ? Pas un clou ! Pour faire des statistiques ou d’autres analyses, il faut que les données de base soient crédibles.
Ce que nous contestons, c’est le fait d’obliger des gens à endosser une étiquette et que, à défaut, leur soit attribuée n’importe quelle étiquette au bon gré du préfet ou du microcosme politique local. L’argument des études politiques et autres ne tient absolument pas, car, si l’on veut faire de bonnes études politiques, encore faut-il se servir de données de base qui soient fiables. Et pour qu’elles le soient, il faut bien évidemment qu’elles découlent d’un accord des premiers intéressés et non d’une décision arbitraire !
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n'est pas adopté.
L'article 1 er est adopté.
L'amendement n° 4, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Tous les partis politiques enregistrés de manière continue depuis au moins cinq ans par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques sont traités sur un pied d'égalité et sont notamment répertoriés dans la grille des nuances politiques du fichier.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
Monsieur le ministre, cet amendement est tout à fait justifié compte tenu des échanges que nous venons d’avoir.
Lorsque j’ai soulevé le problème selon lequel certains partis politiques étaient retenus alors que d’autres ne l’étaient pas – j’ai cité l’exemple du parti radical de gauche, tout simplement parce que l’un de nos collègues s’était plaint de ce que ce parti n’était pas pris en compte –, vous avez répondu que vous alliez intégrer tous les partis politiques. Je vous ai donc remercié en vous disant que c’était très bien, mais vous avez ensuite repris la parole pour dire que, non, vous n’alliez pas inclure tous les partis politiques.
Le problème que j’ai posé reste donc entier : on ne peut pas, au bon vouloir du ministre de l’intérieur, du Premier ministre ou de Tartempion, décider de répertorier tel parti politique dans la grille des nuances et d’évincer tel autre arbitrairement. Voilà pourquoi il faut définir des critères objectifs. C’est la finalité de mon amendement, qui prévoit que seront répertoriés dans le nuancier tous les partis politiques enregistrés depuis au moins cinq ans par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Ce critère permettra d’évacuer un arbitraire auquel vous vous accrochez, après avoir donné l’impression que vous étiez prêt à y mettre un terme.
Votre réponse a bien montré que, pour faire plaisir à vos petits amis, vous inscrirez le parti radical de gauche mais que les autres partis n’y figureront pas. Voilà une curieuse conception de la démocratie !
Selon cet amendement, tous les partis politiques enregistrés depuis cinq ans auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pourront être proposés aux candidats comme choix de nuance politique.
Si, effectivement, au moins un parti politique a été oublié – le ministre l’a reconnu, et je crois que nous sommes tous d’accord pour remédier à cette situation –, avec l’adoption de cet amendement, on passerait d’un excès à un autre.
Une multitude de micro-partis ont été créés, ne serait-ce que pour trouver des sources de financement ; on en a même créés dans nos conseils municipaux pour financer des sondages ou autres, les micro-partis permettant de bénéficier de certaines dispositions du droit fiscal. Mais si le ministère de l’intérieur doit répertorier dans une liste tous ces micro-partis, un livre aussi épais que la Bible, ou tout au moins que le code général des collectivités territoriales, n’y suffira pas !
C’est pourquoi, compte tenu de l’impossibilité matérielle de s’assurer de la présence dans la grille de tous les micro-partis, je demande le retrait de cet amendement auquel, sinon, je donnerai un avis défavorable.
Je partage l’avis du rapporteur, qui vient d’exprimer avec beaucoup de pertinence et de sérieux ce qui est l’exacte position du Gouvernement.
L'amendement n'est pas adopté.
La présente loi est applicable aux îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. –
Adopté.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.
Je veux avant toute chose remercier M. Carle d’avoir déposé cette proposition de loi et M. Courtois d’avoir rapporté fidèlement la position de la commission. Ce texte nous a donné l’occasion d’un débat riche, auquel, monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir participé avec le calme et le flegme dont vous êtes coutumier.
Concernant l’acte politique lui-même, ce qu’a dit Mme Assassi est intéressant.
Oui, il y a une dignité à faire de la politique ! Les partis politiques, comme vous l’avez souligné, ma chère collègue, sont d’ailleurs reconnus dans la Constitution puisqu’il y est précisé que « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ». C’est pourquoi on peut s’étonner de la multiplication de déclarations telles que « Moi, madame, moi, monsieur, je ne fais pas de politique ». On entend cette phrase presque tous les jours, comme si faire de la politique était une sorte de mal dont il faudrait se prémunir. Je trouve donc que c’est faire preuve de dignité et de clarté que d’annoncer la couleur. Reste que les situations ne sont pas les mêmes dans les grandes villes, les villes moyennes ou les petites communes.
On a beaucoup parlé de « nuances » dans ce débat. C’est un terme que je n’avais pas beaucoup entendu depuis que je suis au Sénat ni même lorsque je siégeais à l’Assemblée nationale.
Non, à l’Art poétique de Paul Verlaine :
« Car nous voulons la Nuance encor,
« Pas la Couleur, rien que la Nuance !
« Oh ! la Nuance seule fiance
« Le rêve au rêve et la flûte au cor ! »
Cela m’a fait aussi penser aux tableaux de Quentin de La Tour, de Chardin, de Perronneau, ….
Que c’est beau, la nuance !
Jadis, j’appartenais à un petit parti politique, le PSU, qui comportait beaucoup de nuances. On ne parlait pas alors de « nuance n° 1 », de « nuance n° 2 » ou de « troisième nuance »… J’ai ensuite été dans un plus grand parti où l’on parlait de « tendances ». Après, je ne sais pas pourquoi, on a employé le terme « courants », et j’ai constaté que cette habitude avait gagné tous les partis. Aujourd'hui, l’UMP se distingue par ses nombreux courants ou tendances. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse toujours de courants de pensée, pas plus là qu’ailleurs, mais enfin, si on est dans la nuance, on est dans l’infini…
… de la labellisation.
Monsieur le ministre, il faut tenir compte des réalités locales. La politique n’est pas un mal honteux, dont on devrait perpétuellement s’excuser, ...
… mais de nombreuses communes comptent des listes qui sont très diverses dans leur composition. Après tout, si les candidats veulent se déclarer sans étiquette, je vois mal comment on leur ôterait cette liberté.
Il est sage que le ministère de l’intérieur fasse son office, mais notez bien que, comme l’a dit M. le rapporteur, jusqu’à une période très récente, l’office de la labellisation n’était fait par le ministère de l’intérieur qu’à partir de 3 500 habitants. En dessous de ce seuil, il n’existait pas, ce qui n’a pas empêché que d’excellentes études soient réalisées par des politologues.
Je pense que le Sénat a pris une position de sagesse : au-dessus de 3 500 habitants, le ministère de l’intérieur s’attachera à faire son office, dans le respect, naturellement, des réalités, car, même dans ces villes de plus de 3 500 habitants, il existe encore bien des candidats à l’intérieur d’une même liste qui appartiennent à des formations politiques différentes, voire qui n’appartiennent à aucune formation politique, et qui votent de manière très diverse aux autres élections. Tout le monde le sait ici !
Je crois que ce texte a permis un bon débat et une réflexion intéressante. J’espère, une fois de plus, qu’une fois voté par le Sénat, ce dont je ne doute pas, il ne manquera pas d’être examiné par nos collègues de l’Assemblée nationale. À cet égard, je vais sans doute écrire une lettre au Premier ministre et peut-être même au président de l’Assemblée nationale ainsi qu’au président du Sénat dans laquelle je dresserai la liste des nombreuses propositions de loi utiles qui ont été adoptées par le Sénat et qui n’ont jamais été examinées par l’Assemblée nationale, ce qui pose un vrai problème.
Comme cela a été dit, l’organisation des dernières élections municipales a suscité un très vif émoi parmi les élus des communes rurales. J’en ai moi-même été témoin quand j’ai déposé ma liste à la sous-préfecture. Ces élus étant pour la plupart à mille lieues de toute considération partisane, ils ont été extrêmement choqués que la préfecture leur demande ou leur affecte une étiquette politique.
Je suis moi-même maire d’un petit village. Quand j’ai été élue, je n’étais pas membre de l’UMP. Ce n’est que vingt ans plus tard que j’ai adhéré à ce parti. J’ai donc fait le chemin inverse : ce sont les difficultés administratives qui se sont accumulées au fil de mon mandat qui m’ont poussée à adhérer à l’UMP.
Le fichier des élus est donc totalement inadapté aux communes de moins de 3 500 habitants.
À une époque où il est souvent bien difficile de trouver des candidats – là aussi, j’en ai été témoin – pour boucler les listes aux municipales et où le sens de l’engagement décline, il était urgent de réagir.
Je remercie vivement notre collègue Jean-Claude Carle de son excellente initiative.
Nos débats ont prouvé, une fois encore, que le Sénat demeure le grand conseil des communes de France et que, quand l’intérêt de nos élus locaux est en jeu, il sait taire ses clivages politiques pour voter des lois consensuelles. C’est pourquoi je voterai bien naturellement cette proposition de loi.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
M. Jean-Patrick Courtois remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.
La proposition de loi que nous défendons aujourd’hui est pleine de sens. Il suffit de constater les complications engendrées par la législation actuelle lors des dernières élections municipales pour les communes de moins de 3 500 habitants pour s’en convaincre.
En effet, dans la plupart de nos départements, de nombreux élus se sont fait l’écho auprès de leur association de maires de leur étonnement, voire de leur mécontentement, de « se faire étiqueter ». Ils ont été contraints de modifier leur statut électoral en devenant l’égal des communes ayant passé la barre des 3 500 habitants ! Outre les changements de modes de scrutin, qui ont souvent rendu difficile la composition des équipes, il a aussi fallu que les têtes de listes se déclarent, à la préfecture, d’une couleur ou nuance politique, alors que tout leur engagement électoral reposait sur une pluralité de convictions formée par la richesse et la diversité des candidats figurant sur leur liste. Ainsi, en Loire-Atlantique, selon les services de la préfecture, 85 % des listes qui se sont présentées souhaitaient, dans un premier temps, se déclarer sans étiquette. Contraintes à un affichage, elles n’ont pas pu aller au bout de cette démarche, qui voulait afficher une véritable représentation plurielle.
Si un décret de 2001 a créé un fichier d’élus et l’a accompagné de renseignements destinés à intégrer leur couleur politique, il n’est certainement pas le reflet des équipes en place puisqu’il est fondé sur les déclarations de la tête de liste. Or comment savoir si la tête de liste a indiqué sa propre identité politique ou l’identité générale de sa liste ? Par défaut, la nuance a-t-elle été apportée par le préfet ? On voit bien que l’on ne peut porter crédit à un tel fichier.
J’ajouterai même que le seuil de 3 500 habitants, puis de 1 000 habitants, pour fabriquer des fichiers colorés est également un leurre, puisque des villes bien plus importantes ont, elles aussi, porté aux suffrages des listes obligatoirement estampillées, à cause de la préférence politique de leur tête de liste, alors que la majorité des colistiers se revendiquaient d’autres étiquettes, voire sans étiquette.
Afin de revenir à une solution de sagesse, manifestement souhaitée tant par les électeurs que par les candidats des communes de moins de 3 500 habitants, nous voterons cette proposition de loi qui non seulement remettra un peu d’ordre dans la vie politique, mais également permettra de réellement simplifier le dépôt des listes dans les services préfectoraux.
Je voterai cette proposition de loi, parce qu’elle a le mérite de poser le problème. En revanche, je tiens à dire qu’elle ne me satisfait pas pleinement puisqu’elle circonscrit la question aux cas des communes de moins de 3 500 habitants. Pour celles-ci, le problème est bien réel, mais ce qui est en cause, c'est le principe même d’un nuancier imposé avec des choix limitativement énumérés et des partis politiques choisis de manière tout à fait arbitraire. Il s’agit d’une atteinte profonde aux droits des élus et à la démocratie !
Si cette proposition de loi constitue une petite avancée, elle ne répond toutefois pas pleinement aux problèmes qui se posent.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.
La proposition de loi est adoptée.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, présentée par M. André Reichardt et plusieurs de ses collègues (proposition n° 826, texte de la commission n° 613, rapport n° 612).
Dans la discussion générale, la parole est à M. André Reichardt, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter aujourd'hui une proposition de loi tendant à moderniser différentes dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
Ces départements attendent ce texte avec impatience. Comme vous le savez, ils ont une législation qui leur est propre dans différents domaines du droit. Le terme exact employé après la fin de la Première Guerre mondiale est celui de « droit local alsacien-mosellan ». Ce droit a bien entendu une histoire, liée à l’histoire même des trois départements de l’Est. Au lendemain de leur annexion en 1870, le droit français y fut, dans beaucoup de domaines, progressivement remplacé par les lois d’Empire allemandes, ainsi que par des dispositions locales émanant d’instances législatives propres au land d’Alsace-Lorraine. En fait, sous l’expression « Alsace-Lorraine », il faut entendre « Alsace-Moselle ». J’apporte cette précision en raison d’une actualité particulièrement brûlante…
Lors du retour de l’Alsace-Lorraine à la France en 1918, le législateur préféra, à une introduction brutale et massive de l’ensemble de la législation française, une introduction par matières, ainsi que le maintien de dispositions de droit local inconnues du droit français ou reconnues techniquement supérieures à la législation française équivalente. L’introduction de la législation française a notamment été réalisée par deux grandes lois du 1er juin 1924, l’une pour la législation civile et l’autre pour la législation commerciale. Toutefois, ces deux textes ont également maintenu diverses dispositions de droit local, dont le caractère temporaire d’origine s’est en réalité perpétué.
À partir des années soixante-dix, des pans entiers ont disparu du fait de l’évolution considérable du droit français, qui s’inspirait d’ailleurs parfois du droit local. Cependant, il reste encore certains domaines où la législation spécifique paraît toujours préférable. L’idée d’un droit local est largement acceptée – c'est un euphémisme ! – dans nos trois départements de l’Est et ne fait aucunement, quoi qu’en pensent certains, l’objet d’une remise en cause globale. Reste qu’il s’agit à présent de veiller à faire évoluer les règles locales, qui, n’ayant pas ou pas assez été modifiées depuis plusieurs décennies, nécessitent une mise à jour. Tel est l’objet de la proposition de loi que je vous présente aujourd'hui.
Avant tout, permettez-moi de vous dire que le contenu de ce texte a recueilli, sur le fondement des travaux de l’Institut du droit local alsacien-mosellan, l’avis favorable de la Commission d’harmonisation du droit privé. Les modifications que je vais vous détailler ont été longuement étudiées et constituent des avancées à mon sens nécessaires à la modernisation de ce droit local.
La proposition de loi porte sur six sujets distincts ; cinq d’entre eux figuraient dans la proposition de loi initiale, et j’ai fait adopter le sixième par voie d’amendement lors de la discussion du texte en commission des lois. Ces six sujets sont le financement des corporations de droit local, le cadastre, la taxe des riverains, les associations coopératives, le repos dominical et pendant les jours fériés et la procédure de partage judiciaire de droit local.
Commençons par le financement des corporations.
Dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le régime de l’artisanat est régi par le code local des professions. Les artisans sont regroupés en corporations, dont la mission première est d’assurer la défense des intérêts professionnels de leurs membres qui dépendent de chambres de métiers – ces dernières étant chargées de représenter les intérêts généraux de l’artisanat et non les métiers. À la différence des syndicats, les corporations représentent à la fois – on l’oublie souvent ! – les employeurs et les salariés, appelés les compagnons, sur une circonscription déterminée.
Jusqu’au 30 novembre 2012, ces corporations pouvaient être libres ou obligatoires. La très grande majorité d’entre elles, plus d’une centaine, étaient obligatoires ; une petite minorité, libre. À cette date, le Conseil constitutionnel, par une décision issue d’une question prioritaire de constitutionnalité, déclarait contraires à la Constitution deux importants articles du code local des professions. Il en est résulté que les corporations obligatoires chargées de l’administration et de la représentation de certains métiers dans l’artisanat ont perdu le droit d’affilier d’office les artisans de leur ressort, ainsi que le droit d’utiliser une procédure de recouvrement forcée des cotisations, qui existait auparavant. Cependant, cette décision du Conseil constitutionnel ne concerne pas la mission des corporations et a maintenu l’existence de ces dernières, en ne les libérant pas de l’obligation d’accomplir leurs missions.
Il s’agit, par conséquent, de trouver un mode alternatif de financement pour ces institutions auxquelles les artisans et la population des trois départements concernés sont très attachés. C’est pour cette raison que les articles 1er à 3 de la proposition de loi visent à permettre aux chambres de métiers d’Alsace et de Moselle, si elles le souhaitent, et seulement dans ce cas, de financer les corporations et à autoriser ces dernières à percevoir des redevances pour service rendu. S’agissant tout particulièrement de l’article 1er, il s’agit simplement d’ouvrir à l’Alsace-Moselle une possibilité d’ores et déjà offerte aux chambres de métiers des autres départements par l’article 23 du code de l’artisanat. Quant aux redevances pour service rendu, elles doivent bien sûr trouver leur contrepartie directe dans la prestation fournie par le service ; elles ne devraient donc pas poser problème. De telles redevances existent dans le droit général ; pourquoi n’existeraient-elles pas en droit local ?
La deuxième partie de la proposition de loi concerne la modernisation du droit local applicable en matière de cadastre.
Dans les trois départements de l’Est, la publicité foncière n’est pas organisée comme dans le reste de la France, où elle est régie par la conservation des hypothèques, dépendant du ministère des finances. En Alsace-Moselle, elle est assurée par le livre foncier, tenu par un magistrat spécialisé, et relève du ministère de la justice. L’inscription au livre foncier emporte présomption simple d’existence d’un droit de propriété en raison du contrôle exercé par le juge du livre foncier.
Une loi du 29 avril 1994 avait déjà autorisé la création du GILFAM, le groupement d’intérêt public pour l’informatisation du livre foncier d’Alsace-Moselle, basé à Colmar, qui devait informatiser le livre foncier. Cette informatisation est achevée depuis 2008, date à laquelle le GILFAM a été remplacé par l’EPELFI, l’établissement public d’exploitation du livre foncier informatisé.
Dans la proposition de loi que je vous soumets, il est proposé d’étendre les compétences de l’EPELFI à l’informatisation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Cette nouvelle compétence se situera tout naturellement dans le prolongement de la mission actuelle de l’EPELFI, car cadastre et livre foncier sont indissociables et complémentaires. La publicité foncière fonctionne chez nous sur le principe de la concordance parfaite, absolue entre le cadastre et le livre foncier. Un échange systématique d’informations existe entre les bureaux du cadastre et les greffes du livre foncier.
Mes chers collègues, pour bien comprendre de quoi il s’agit, je voudrais préciser que, dans nos départements, la loi concernant le renouvellement du cadastre du 31 mars 1884 associe, au plan cadastral à l’échelle, des croquis de levé cotés résultant de mesurages terrestres. C'est une spécificité remarquable de l’Alsace-Moselle. Ces croquis sont réalisés par les services du cadastre pour la conservation du plan et par les géomètres-experts au moment de l’établissement des documents d’arpentage chaque fois qu’une limite parcellaire est modifiée. Ils sont conservés dans les annexes du livre foncier.
Le problème est que le nombre de croquis augmente en permanence et que l’état de ces documents, régulièrement utilisés par les experts ou encore par les notaires, se dégrade fortement. Il faut donc passer à la dématérialisation de ces croquis pour permettre leur conservation. J’ai pris contact avec la direction générale des finances publiques, la DGFIP, qui ne s’est pas montrée hostile à cette proposition, mais a suggéré une autre rédaction pour le second alinéa de l’article 4 du texte. Tel est l’objet de l’amendement n° 4, que j’ai déposé en ce sens.
Enfin, sur ce même sujet de la modernisation du cadastre, il est également proposé de toiletter la loi du 31 mars 1884 afin d’en harmoniser les dispositions avec les règles du droit civil régissant la prescription acquisitive trentenaire et d’abroger une disposition de droit transitoire surannée. Tel est l’objet de l’article 5 de la proposition de loi.
Le troisième sujet phare concerne la taxe des riverains.
C’est la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 – je le précise pour sortir de toute considération politicienne – qui a abrogé, à partir du 1er janvier 2015, la législation locale relative à la taxe des riverains, applicable dans les seuls départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. À l’époque, cette suppression est intervenue sans aucune concertation avec les associations des maires des trois départements de l’Est, et sans étude d’impact sur les incidences financières pour les communes. Par ailleurs, la Commission d’harmonisation du droit privé n’avait même pas été consultée.
Dans ces conditions, la proposition de loi prévoit de supprimer l’abrogation des dispositions de droit local régissant la taxe de riverains et, ainsi, de pérenniser l’existence de cette dernière.
Le maintien de la taxe des riverains se justifie pour au moins trois raisons.
En premier lieu, cette taxe se caractérise par son efficacité et par sa simplicité en termes de mise en place et de gestion : les différents riverains contribuent à hauteur du nombre de mètres linéaires de leur parcelle donnant sur la voie en cours de viabilisation. Ces qualités sont reconnues par un grand nombre de maires, lesquels m’ont régulièrement sollicité sur l’évolution législative en la matière.
En deuxième lieu, le maintien de la taxe serait en symbiose avec le principe constitutionnel d’autonomie financière posé par l’article 72-2 de la Constitution du 4 octobre 1958. Dans ce cadre juridique, les communes d’Alsace et de la Moselle doivent pouvoir disposer de la liberté d’instituer ou non la taxe des riverains, parallèlement aux deux nouvelles taxes instaurées par la loi de finances rectificative pour 2010, dont la taxe d’aménagement.
Quant au cumul éventuel de la taxe d’aménagement et de la taxe des riverains, il peut être envisagé pour autant que les deux taxes ne financent pas les mêmes travaux. À titre d’illustration, la jurisprudence antérieure à la réforme de la fiscalité de l’urbanisme de 2010, qui demeurera pertinente avec la disposition proposée, a considéré que la taxe des riverains était une contribution additionnelle qui peut se cumuler avec la taxe locale d’équipement prévue à l’article 1585 A du code général des impôts.
Enfin, la conservation de la taxe des riverains repose également sur la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 2011, dite « société Somodia », dont nous reparlerons tout à l'heure et qui érige l’existence du droit local en un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
La quatrième partie de la proposition de loi a trait à la modernisation du droit local des associations coopératives.
Dans les trois départements de l’Est, le droit des associations coopératives de production et de consommation est régi par la loi du 1er mai 1889, modifiée par la loi du 20 mai 1898. On le sait, les associations coopératives contribuent fortement à l’économie sociale dans différents secteurs, qu’il s’agisse d’achats en commun de produits, de logement, de bâtiment ou encore d’alimentation en gros. Elles participent à la mobilisation pour l’emploi et, plus généralement, à la cohésion sociale. Afin de rendre le droit des associations coopératives plus attractif, il est proposé de simplifier la création et le développement de ces organismes en assouplissant les règles d’acquisition et de perte de la qualité de sociétaire ainsi qu’en abrogeant une série de dispositions devenues obsolètes. Cette abrogation participe d’une meilleure lisibilité de la loi et apporte une sécurité juridique.
La cinquième partie est relative à la modernisation du droit local du repos dominical et pendant les jours fériés.
Mes chers collègues, la question du travail le dimanche est en débat non seulement en France, mais aussi dans toute l’Europe, sinon dans l’ensemble des sociétés occidentales.
Dans les trois départements de l’Est, la réglementation est schématiquement la suivante. Dans l’industrie, il est interdit d’employer des salariés le dimanche, sauf dérogation. Dans le commerce, en revanche, la loi autorise, en principe, une ouverture dominicale pour une durée maximale de cinq heures, mais l’existence de statuts locaux aboutit à une interdiction quasi générale d’ouverture ; des dérogations sont néanmoins possibles. Enfin, il existe deux jours fériés légaux supplémentaires dans nos trois départements. Essayez donc de téléphoner en Alsace ou en Moselle le Vendredi saint ou à la saint Étienne : il n’y aura pas grand monde pour vous répondre !
Des enquêtes et des consultations organisées par l’Institut du droit local alsacien-mosellan, il ressort qu’il existe en Alsace et en Moselle un très large consensus pour conserver la réglementation locale régissant les activités du dimanche et des jours fériés, laquelle prévoit une forte protection du repos dominical et pendant les jours fériés tout en permettant certaines dérogations pour tenir compte des besoins du public. Ce consensus pour le maintien du droit local va des organisations représentatives de salariés aux représentants de la grande distribution et aux associations de consommateurs, en passant par les responsables politiques, les chambres consulaires et, même, les médias.
Ce consensus est aussi réfléchi que responsable : il est le résultat d’une réflexion approfondie et d’une perception claire des enjeux et de la complexité du sujet, mais il tient aussi à la fragilité du droit local et aux menaces qui pèsent sur lui, dont tous les acteurs sont également conscients. De ce consensus, il serait erroné de déduire que le système applicable en Alsace-Moselle est stable et parfait, de sorte qu’il n’y a pas lieu de s’en occuper. Bien au contraire, il est grand temps de le renforcer et, pour ce faire, d’en corriger certaines faiblesses. Un travail de modernisation et de clarification a d’ores et déjà commencé. L’insertion des dispositions locales dans le code du travail les a rendues plus accessibles et a notamment permis d’établir de manière formelle l’applicabilité dans les trois départements de l’Est de la règle du repos hebdomadaire, règle non prévue par le droit local. Toutefois, d’autres aménagements sont aussi nécessaires.
La présente proposition de loi vise à clarifier, simplifier et adapter les dispositions locales au contexte contemporain et, dans le même temps, à renforcer leur effectivité et à préciser les sanctions applicables. Ces adaptations relèvent tant du domaine de la loi que du règlement – bien entendu, je me contenterai d’évoquer le seul domaine législatif.
À cet égard, il nous semble, à l’Institut du droit local alsacien-mosellan, à la commission du droit local d’Alsace-Moselle et à moi-même, qu’il faut apporter à la législation locale du repos dominical les retouches techniques souhaitables. Il faut ainsi prévoir l’obligation éventuelle de fermeture un jour de semaine si l’ouverture est autorisée le dimanche, clarifier le statut du Vendredi saint, simplifier le régime des dimanches avant Noël, préciser les modalités de consultation des employeurs et des salariés en cas de modification des statuts locaux, abroger les dispositions devenues inutiles et corriger les erreurs de rédaction résultant de codifications précédentes.
Bien entendu, parallèlement au travail engagé dans le cadre de cette proposition de loi, des négociations entre partenaires sociaux devaient également être menées sur les contreparties accordées aux salariés travaillant le dimanche. C’est ainsi qu’un accord collectif territorial a été conclu le 6 janvier dernier dans le secteur du commerce. Cet accord est en cours d’extension, ce dont on ne peut que se féliciter.
Pour finir, le dernier article de la proposition de loi, article que j’ai souhaité introduire en commission des lois, vise à clarifier l’un des outils emblématiques de la procédure de partage judiciaire de droit local, afin d’atteindre pleinement les objectifs ayant conduit au vote de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, tout en conservant les mécanismes fondamentaux de cette procédure. Cet article résulte d’un vœu adopté par le XIème congrès interrégional des notaires des cours d’appel de Colmar et de Metz en octobre 2012 et a fait l’objet d’une approbation unanime de la Commission d’harmonisation du droit privé, lors de sa séance du 21 décembre 2012.
Mes chers collègues, je vous prie de m’excuser si mon exposé a été trop long ou trop technique.
Comme je l’ai indiqué au début de mon propos, les modifications figurant dans la proposition de loi ont été scrupuleusement et longuement étudiées par l’Institut du droit local alsacien-mosellan et par la Commission d’harmonisation du droit privé. Elles traduisent les besoins et les demandes de ces deux institutions, ainsi que des partenaires sociaux, pour ce qui concerne le régime du dimanche. Elles font consensus chez les usagers et les utilisateurs du droit local des trois départements de l’Est, et elles constituent des avancées nécessaires pour moderniser le droit local alsacien-mosellan. À titre personnel, je me suis contenté d’en être le véhicule législatif. Dans ces conditions, je souhaite que ce texte soit voté le plus largement possible, voire par tous les groupes de la Haute Assemblée !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme vient de vous le dire André Reichardt, le droit local alsacien-mosellan, que notre collègue se propose de moderniser au travers de la présente proposition de loi, est issu des trois conflits qui ont opposé la France et l’Allemagne, en 1870, en 1914 et en 1940.
À la fin de la Première guerre mondiale, il fut décidé, par la loi du 17 octobre 1919, que certaines dispositions issues du droit de l’empire allemand, notamment l’existence des corporations, continueraient à s’appliquer. Deux lois de 1924 l’ont confirmé, puis l’ordonnance du 15 septembre 1944 a intégré ce droit local dans la légalité républicaine. De ces textes, il résulte que le droit général est la règle et le droit local l’exception. Aucune disposition, aucune loi nouvelle ne peut étendre le champ du droit local, au contraire. D'ailleurs, le droit local a progressivement tendu à rejoindre le droit de « la France de l’intérieur ».
Il est vrai que nos concitoyens des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle sont très attachés à ces dispositions, soit parce qu’elles sont plus favorables que le droit général, notamment s’agissant des retraites, soit parce qu’elles consacrent une tradition, comme le Concordat, soit parce qu’elles tirent les conséquences de la structure des métiers spécifique à ces départements – c’est le cas des corporations, dont nous parlerons tout à l'heure.
Les différentes lois qui ont été votées, notamment l’ordonnance de 1945, ont permis d’exclure toute possibilité de conflit de constitutionnalité a priori. Pourtant, les risques étaient nombreux : le régime plus favorable des retraites aurait pu s’opposer à l’égalité des citoyens devant la loi, le Concordat à la laïcité et le régime des corporations aux chambres de métiers. C’est sous cette perspective qu’il convient d’examiner la présente proposition de loi.
Ce texte comporte cinq titres, d’inégale importance. Je dois avouer que je n’avais pas spécialement demandé à en être le rapporteur, n’ayant pas d’intérêt particulier à la modification de ce droit local. Dès lors, j’étais totalement neutre. Cependant, tandis que je préparais le rapport, beaucoup de doutes m’ont assailli et beaucoup d’interrogations ont surgi. J’ai mené de nombreuses auditions, entendant notamment les représentants des différents ministères intéressés, les chambres de métiers de Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, les corporations du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, l’Institut du droit local alsacien-mosellan, l’EPELFI, etc. De ces auditions, j’ai tiré la conclusion que personne n’est d’accord avec personne.
Vous prétendez le contraire, mais telle est la réalité, cher collègue ! Je vous le démontrerai à propos de chacun des articles du texte. D’ailleurs, nous y reviendrons, le régime applicable en ville diffère parfois de celui applicable à la campagne, ne serait-ce que pour l’ouverture des commerces le dimanche.
Par conséquent, j’ai eu beaucoup de mal à élaborer un rapport sur ce texte.
Examinons les sujets les uns après les autres.
Le premier point concerne les corporations. Dans les trois départements, l’organisation des métiers repose sur les chambres de métiers et de l’artisanat, comme dans la France de l’intérieur, des syndicats patronaux – les fédérations du bâtiment, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, ou CAPEB, les fédérations de l’artisanat, etc. –, mais aussi sur des corporations, qui, à l’échelon du département ou d’un arrondissement, regroupent et défendent ceux qui exercent exactement le même métier. L’adhésion comporte soit un financement obligatoire soit un financement libre.
Ces corporations jouent un rôle important, notamment en matière d’emploi, parce qu’elles œuvrent beaucoup pour l’apprentissage. On le sait, dans les deux départements d’Alsace, un peu moins en Moselle, l’apprentissage est très répandu. Pourtant, un artisan qui refusait de participer au financement obligatoire de deux corporations différentes a saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 30 novembre 2012, celui-ci conclut « que la nature des activités relevant de l’artisanat ne justifie pas le maintien d’une réglementation professionnelle s’ajoutant à celle relative aux chambres de métiers et imposant à tous les chefs d’exploitations ou d’entreprises artisanales d’être regroupés par corporation en fonction de leur activité et soumis ainsi aux sujétions précitées ; que, par suite, les dispositions contestées relatives à l’obligation d’affiliation aux corporations portent atteinte à la liberté d’entreprendre ».
Le Conseil constitutionnel affirme donc que l’on ne peut pas imposer d’adhésion forcée. Par ailleurs, il se montre très dubitatif sur la nécessité de maintenir les corporations, puisqu’il souligne que les activités liées à l’artisanat ne méritent pas une organisation exceptionnelle, comme c’est le cas en Alsace et en Moselle.
À la suite de cette décision, certaines corporations ont eu du mal à fonctionner, faute d’adhérents. Le conseil régional d’Alsace a alors apporté un financement, les chambres de métiers aussi. Aujourd’hui, on nous propose pratiquement de revenir à l’ancienne disposition en trouvant de nouveaux financements. Bien entendu, cela n’est pas possible !
Le Gouvernement l’a d’ailleurs affirmé explicitement dans une lettre que mon collègue Roland Ries a reçue de la ministre du commerce et l’artisanat dans laquelle il est dit que la décision du Conseil constitutionnel permet de laisser subsister d’autres corporations libres, mais qu’elle ne permet pas de proposer d’autres financements pour les corporations. Cette réponse me semble assez claire : si les artisans veulent adhérer librement, ils le font !
Si la chambre de métiers et de l’artisanat et les corporations du Bas-Rhin sont totalement favorables aux propositions de M. Reichardt, dans le Haut-Rhin, c’est un tout petit peu différent… Le président de la fédération du bâtiment du Haut-Rhin a demandé à être auditionné par la commission des lois pour nous enjoindre de ne surtout pas voter le « retour à l’ancien régime », selon ses propres termes !
M. André Reichardt s’exclame.
Si les acteurs locaux ne sont pas tous d’accord, si, qui plus est, le Conseil constitutionnel et le Gouvernement ne sont pas non plus d’accord, que puis-je faire d’autre sinon demander la suppression de cet article ?
Le deuxième point porte sur l’extension des compétences de l’établissement public d’exploitation du livre foncier informatisé.
La publicité foncière relève en Alsace-Moselle du juge du livre foncier, qui est un juge d’instance, dépendant du ministère de la justice. Les relevés cadastraux, faits à la main, sont en très mauvais état, car ils ont été beaucoup manipulés et très souvent compulsés, notamment par les notaires. Ils doivent être numérisés, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Je remarque à cet égard que certains ont pris de l’avance et n’ont pas attendu un texte. Ainsi, la communauté urbaine de Strasbourg a numérisé son cadastre et a financé cette opération.
M. Roland Ries opine.
M. Reichardt présentera lors de la discussion des articles un amendement tendant à prévoir cette numérisation. Cependant, le Gouvernement n’est pas d’accord sur son financement. Le directeur général de l’EPELFI, que j’ai auditionné, a déclaré qu’étant fonctionnaire il ferait ce que lui demanderait le Gouvernement. Le ministère de l’économie et des finances constate que le livre foncier relève de la compétence du ministère de la justice et refuse d’en financer la numérisation. Or le ministère de la justice ne veut pas se voir remettre le cadastre, seul lui importe le livre foncier. Par conséquent, il n’y a pas d’accord sur ce point.
Aujourd'hui, on apprend que les présidents des trois conseils généraux seraient d’accord pour financer cette numérisation. Pourtant, ils ne me l’ont pas dit explicitement ; ils auraient pu m’envoyer un mail, m’adresser copie de la délibération qu’ils n’ont pas manqué de prendre. En l’état, je ne dispose d’aucun document en ma possession et suis donc bien forcé de m’opposer à cette mesure.
Le troisième point a trait au rapprochement du droit local et du droit de la France de l’intérieur. Il s’agit d’appliquer la prescription acquisitive en Alsace-Moselle Je suis d’accord avec cette mesure, et je propose de la conserver.
C’est facile ! Dans ce cas, on prend le droit général, et il n’y a pas à discuter !
Le quatrième point a trait à la taxe des riverains, créée par l’empereur Guillaume Ier pour financer l’extension de Strasbourg. Les communes d’Alsace et de Moselle peuvent voter une telle taxe lorsqu’elles ouvrent ou viabilisent une nouvelle voie. Or la loi de finances rectificative pour 2010 a abrogé cette taxe.
C’est par une grande mansuétude pour les communes qui l’avaient déjà votée qu’il a été prévu que son abrogation entrerait en vigueur au 1er janvier 2015. D’ailleurs, le rapporteur général de la commission des finances de l’époque, Philippe Marini, était d’accord avec cette abrogation et avait estimé qu’il convenait de dépoussiérer tout cela et que la taxe locale d’équipement devait s’imposer pour toutes les communes.
M. Jean-Marie Bockel et Mme Nathalie Goulet. Si Philippe Marini l’a dit...
Sourires.
Revenir aujourd’hui sur cette décision d’abrogation signifierait étendre le champ d’application du droit local, ce qui est contraire à la Constitution.
Mais si, madame Keller ! Par conséquent, là encore, je suis obligé de dire que je ne suis pas d’accord avec la proposition de loi.
Le cinquième point vise la modernisation et la simplification du droit des associations coopératives et ne pose pas de problème.
Nous en venons, sixième point, au repos dominical, vaste sujet là aussi. Il s’agit d’anticiper sur des accords qui ont été pris, même s’ils ne l’ont pas été partout.
Le président de la chambre régionale de métiers et de l’artisanat de Lorraine est contre l’inscription de cette disposition dans la loi aujourd’hui : il est totalement attaché au respect de la fermeture de tous les commerces le dimanche et le Vendredi saint.
Les villes ne sont pas soumises au même régime que les campagnes. Je suppose que les maires ou les anciens maires des deux grandes métropoles alsaciennes qui sont dans cet hémicycle ont prévu un certain nombre d’arrêtés pour desserrer cette contrainte. On voit d’ailleurs très bien que, dans des villes touristiques comme Strasbourg ou très passantes et touristiques comme Mulhouse, il n’est pas possible que tout soit fermé le dimanche.
C’est le cas à Strasbourg où le maire a pris un arrêté…
… pour que les commerces puissent ouvrir trois heures le dimanche.
Pour l’heure, rien n’est fait. Les compensations salariales ne sont pas fixées. Les acteurs locaux que j’ai auditionnés ont prôné l’attentisme : il ne faut rien anticiper tant que les accords ne sont pas totalement conclus entre les employeurs, les salariés et le préfet et le conseil général, puisque ceux-ci sont compétents.
Voilà où nous en sommes. Pour ma part, je ne suis pas contre le fait que l’on prévoie un régime d’ouverture des commerces en Alsace les dimanches, les jours fériés, le Vendredi saint, à la saint Étienne et les dimanches avant Noël, période des fameux marchés. Pour autant, en l’état, je ne peux pas être favorable à cet article de la proposition de loi.
Quel bilan tirer de ce constat ?
La conclusion à laquelle j’étais parvenu s’est heurtée à des vociférations du groupe UMP. J’avais dans l’idée de proposer une motion tendant au renvoi à la commission de ce texte. On m’a opposé un refus : il y aurait, paraît-il, un gentleman agreement... Je ne sais pas ce que cela veut dire…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.C’est de l’anglais !
Sourires.
Nouveaux sourires.
Pourtant, pour certaines propositions de loi, le renvoi en commission s’est révélé extrêmement positif. Je pense à la proposition de loi relative à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales de notre collègue Éric Doligé, pour laquelle un renvoi en commission a été voté ici même. Mme la rapporteur, Jacqueline Gourault, a travaillé et présenté une nouvelle version qui a été, je crois, adoptée à l’unanimité.
Si j’ai proposé cette solution, à laquelle je renonce puisque personne n’en veut, c’était pour qu’un groupe de travail soit créé, qui dépasse la seule commission des lois, qui organise d’autres auditions, notamment celles des présidents de conseil général et de conseil régional, dans le cadre de la future grande région Alsace-Lorraine. Je rappelle en effet que trois départements de Lorraine ne sont pas soumis au droit local. Ainsi, dès la rentrée prochaine, au mois d’octobre ou au mois de novembre, il aurait pu proposer une nouvelle version de ce texte, par exemple sur le repos dominical.
Cela n’a pas été possible. Par conséquent, la commission a examiné le texte qui a été déposé par ses auteurs.
Ce matin, lors de la réunion de la commission des lois, j’ai déposé plusieurs amendements de suppression des articles, sauf ceux qui concernent la prescription acquisitive et le droit des associations. Ces amendements ont été adoptés. Mes chers collègues, je vous demande de confirmer ce vote en séance publique. Si tel n’était pas le cas, je serais contraint de vous demander de vous prononcer contre la proposition de loi, ce qui, à mon sens, est la plus mauvaise des solutions. Ce serait alors ses auteurs qui en porteraient la responsabilité, puisqu’ils n’ont pas voulu d’une motion tendant au renvoi à la commission.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi de M. Reichardt, dont vous êtes saisis aujourd’hui, vise à modifier un certain nombre de règles propres aux trois départements d’Alsace et de Moselle.
Les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle disposent d’un droit local spécifique en raison de leur histoire commune pendant les conflits qui ont opposé la France et l’Allemagne, celui de 1870 d’abord, puis la Première Guerre mondiale, dont nous commémorons cette année le souvenir douloureux.
Un droit local s’est donc mis en place, auquel les habitants de ces trois départements sont légitimement attachés. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs reconnu dans une décision du 5 août 2011 que l’existence d’un droit local dans ces départements constituait un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
À partir des années soixante-dix, des pans entiers de ce droit local ont disparu du fait de l’évolution considérable du droit français, ce dernier s’inspirant d’ailleurs parfois de ce droit local. Toutefois, il reste encore des domaines où la législation spécifique demeure ; tel est notamment le cas pour le régime des cultes, l’artisanat, le droit des associations, la publicité foncière, la justice, le droit du travail et le droit communal.
Le droit local n’est en effet pas immuable. Le pouvoir législatif ou réglementaire peut modifier ou abroger toute disposition de droit local afin de la remplacer par une disposition de droit commun. Il s’agit, dans l’intérêt de nos concitoyens de ces départements, de veiller à faire évoluer les règles locales, qui nécessitent parfois une mise à jour.
Enfin, comme le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans la décision du 5 août 2011, le droit local peut être conservé, mais il ne peut pas être étendu. En d’autres termes, le législateur ne peut pas aggraver les différences entre le droit local et le droit commun. Ce rappel est important, car plusieurs des dispositions contenues dans la proposition de loi de M. Reichardt viennent accentuer des particularités locales et seraient donc, de notre point de vue, contraires à la Constitution.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est convaincu que les règles applicables en Alsace-Moselle ne doivent être modifiées qu’à l’issue d’un dialogue approfondi avec l’ensemble des acteurs locaux. D’abord, parce qu’il serait délicat de modifier des dispositions locales sans s’inscrire dans une démarche d’harmonisation avec le droit applicable sur le reste du territoire français. Ensuite, parce que ces modifications doivent répondre aux objectifs généraux fixés par les pouvoirs publics.
Or, malgré l’intérêt que peuvent avoir les sujets évoqués dans la proposition de loi de M. Reichardt, ce texte me paraît prématuré, et ce pour plusieurs raisons.
En premier lieu, la concertation sur les modifications qui sont préconisées ne me semble pas avoir été suffisante. Comme le rapporteur, Jean-Pierre Michel, je pense que nous avons besoin d’un travail plus abouti et de davantage de dialogue avant d’engager une réforme.
En deuxième lieu, la proposition de loi contient des mesures très disparates, souvent techniques, qui méritent un examen poussé.
En troisième lieu, les mesures proposées apparaissent, pour certaines d’entre elles, aller au-delà de ce que la jurisprudence constitutionnelle permet.
À mon avis, l’expertise, notamment technique, des mesures proposées doit être approfondie. Dès lors, le Gouvernement soutiendra les amendements de suppression adoptés ce matin par la commission des lois sur l’initiative du rapporteur, M. Jean-Pierre Michel.
Sans vouloir passer en revue l’ensemble des mesures contenues dans le texte, je voudrais dire quelques mots sur certaines d’entre elles.
L’objet du titre Ier est de trouver un mode alternatif de financement des corporations, du fait de la décision du Conseil constitutionnel du 30 novembre 2012. Cependant, la solution proposée par M. Reichardt ne me paraît ni juridiquement solide ni opportune. En effet, ce dispositif vise en réalité à revenir de manière détournée sur une censure du Conseil constitutionnel et à étendre les différences entre le droit local et le droit commun. Il n’est donc pas juridiquement viable. De plus, il aboutirait à un renforcement des charges des entreprises, ce qui est contraire à l’objectif du Gouvernement. En conséquence, le Gouvernement soutiendra les amendements visant à supprimer les trois premiers articles de la proposition de loi.
J’en arrive au titre II, qui vise notamment à étendre la mission actuelle de l’établissement public d’exploitation du livre foncier informatisé à la modernisation du cadastre dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
La question posée par cette disposition mérite d’être examinée. Néanmoins, il convient au préalable de mener une expertise sur les conséquences de cette extension des missions de l’établissement public, notamment en termes de financement. Cette mesure impliquerait en effet d’alourdir les charges pesant sur l’EPELFI, ce qui n’est pas souhaitable. C’est pourquoi le Gouvernement sera favorable aux amendements de suppression de l’article 4.
Enfin, j’appelle votre attention sur le titre V, qui vise à déroger au repos dominical et pendant les jours fériés.
Le droit pour le repos dominical et pendant les jours fériés des trois départements d’Alsace et de Moselle est essentiellement déterminé par les statuts locaux. La présente proposition de loi vise à faire évoluer ces règles.
Chacun d’entre vous connaît les débats passionnés qui ont eu lieu sur cette question complexe et sensible. De ce fait, il ne me semblerait pas opportun de traiter d’un tel sujet au détour d’une proposition de loi. Encore une fois, il nous faut du temps et de la concertation. Ainsi, je serai favorable à la suppression de l’article 8.
Mesdames et messieurs les sénateurs, le texte sur lequel vous êtes appelés à vous prononcer touche des sujets nombreux et disparates.
Certaines de ses dispositions sont en contradiction avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Vous comprendrez que le Gouvernement ne souhaite pas leur adoption, tant pour des raisons d’opportunité que pour des raisons juridiques.
D’autres dispositions méritent de faire l’objet d’une réflexion approfondie. Toutefois, sur ces sujets, nous ne devons pas faire preuve de précipitation. Le Gouvernement souhaite prendre le temps non seulement de la réflexion, de l’écoute et de la concertation, mais aussi de l’expertise technique. C’est pourquoi je vous propose, pour l’instant, de rejeter ces dispositions. Elles pourront naturellement être remises en débat, par voie d’amendement, dès lors que nous disposerons d’un véhicule législatif adapté.
Pour finir, je voudrais remercier M. Reichardt de l’important travail qu’il a fourni pour l’élaboration de cette proposition de loi. Je tiens à l’assurer que le Gouvernement partage ses préoccupations et qu’il est déterminé à répondre aux attentes des citoyens d’Alsace et de Moselle.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ne nous y trompons pas, le droit local est le fruit d’une histoire commune, qui a été rappelée par André Reichardt, entre les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et leurs habitants, qui sont évidemment très attachés à cette spécificité, comme je peux le constater moi-même dans mon département du Haut-Rhin. Au-delà de ce large attachement de la population, la pérennité du droit local a été identifiée par le Conseil constitutionnel en août 2011 comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Malgré cela, le droit local fait régulièrement l’objet d’attaques, tantôt idéologiques, tantôt pratiques, y compris de la part des différents gouvernements qui se sont succédé. Ces attaques portent essentiellement sur les corporations, le régime local d’assurance maladie ou encore le droit des cultes. Les dispositions du droit local doivent donc plus que jamais être modernisées pour s’adapter aux réalités d’aujourd’hui, d’autant que la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité a ouvert de nouveaux contentieux.
Le débat autour du droit local est une vieille histoire. Doit-on le faire évoluer, au risque d’entraîner de vives polémiques, ou au contraire le laisser vieillir ? Autrement dit : stop ou encore ? À ce sujet, je voudrais évoquer très rapidement un souvenir personnel.
En 1982, j’étais alors jeune député – Jean-Pierre Michel et d’autres aussi –, Jean Auroux et sa conseillère technique de l’époque, Martine Aubry, ont décidé de moderniser les juridictions prud’homales. C’était une bonne idée, mais elle a eu comme effet mécanique de supprimer l’échevinage dans les juridictions d’Alsace-Moselle, qui est pourtant une très bonne formule. J’avais essayé de convaincre Martine Aubry – je me suis d’ailleurs fait engueuler pour la première fois ;…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais pas la dernière !
Sourires.
–, mais je me suis heurté à un mur.
Dans le contexte tout de même très clivé de 1982, je voyais poindre le souvenir du cartel des gauches de 1924, qui avait voulu supprimer le Concordat, dont je rappelle qu’il s’agit d’un texte napoléonien, et non pas allemand. Le tocsin avait alors sonné du nord au sud de l’Alsace, et le Gouvernement avait reculé. De peur que la même chose ne se reproduise, je suis allé voir le président Mitterrand. Il est trop tard pour les échevins, m’a-t-il dit, mais je vais demander à Pierre Mauroy de vous confier une mission auprès de Gaston Defferre, afin de tenter de calmer le jeu. J’ai accompli ce travail et je l’ai présenté à Colmar quelques mois plus tard, en présence de Gaston Defferre, qui avait adoubé ma proposition aboutissant à un statu quo qui nous semblait de bon aloi et à quelques autres pistes comme la création, reconnue aujourd’hui par tous comme très utile, de l’Institut du droit local alsacien-mosellan.
Si je vous raconte cette anecdote, mes chers collègues, ce n’est pas simplement pour le plaisir de jouer à l’ancien combattant du droit local, c’est aussi pour mettre le doigt sur la difficulté de l’exercice. Si des évolutions ont pu intervenir sur toute une série de sujets – je pense à l’exemple des voies d’exécution, bien connues de certaines professions du droit, ou à des questions relevant du notariat –, c’est parce qu’elles ont été réalisées dans la discrétion et la technicité. En effet, dès que le sujet était versé au débat public, les choses devenaient très compliquées. Pendant un certain temps, nous avons donc fonctionné de cette manière. Aujourd’hui, nous arrivons un peu aux limites de l’exercice. C’est dans ce contexte qu’André Reichardt a déposé cette proposition de loi, que j’ai cosignée avec plusieurs collègues.
Alors que le droit local est complexe et disparate, ce texte s’appuie en grande partie sur les travaux de qualité de l’Institut du droit local alsacien-mosellan, que je tiens ici à saluer. Cette proposition de loi répond à plusieurs grands objectifs qui ont déjà été rappelés.
Premièrement, elle vise à maintenir la spécificité du droit local en garantissant ses capacités de financement. Je pense notamment à son titre Ier, qui apporte des réponses à la nécessité de financer les corporations d’artisans, dont l’obligation d’adhésion avait été supprimée par le Conseil constitutionnel.
Ces corporations peuvent certes faire débat, notamment dans le secteur du bâtiment, mais, globalement, et pas seulement dans le Bas-Rhin, elles jouent un rôle extrêmement utile. Elles occupent d’ailleurs une place centrale dans le paysage artisanal de nos départements : elles constituent une plate-forme de discussions entre professionnels et elles sont le support de nombreuses actions de formation et de promotion. Dès lors, pourquoi remettre en cause un système, porteur d’emplois et de croissance, que beaucoup nous envient ? Ces corporations représentent le premier employeur de la région Alsace, avec 140 000 actifs. Il faut donc agir pour préserver le dispositif.
Cela vaut aussi pour le maintien de la taxe des riverains en Alsace-Moselle, qui est essentielle dans une optique d’autonomie financière des collectivités.
Le texte permet également de moderniser les dispositions du droit local, dans un souci de simplification et de clarification. C’est le cas notamment du titre V, qui a trait au repos dominical et pendant les jours fériés. N’opposons pas les grandes villes – vous auriez pu citer Colmar, monsieur le rapporteur – aux villages ! Des adaptations sont nécessaires, et la rédaction de la proposition de loi se veut consensuelle et à même de recueillir l’assentiment de l’ensemble des acteurs concernés.
En outre, ce texte contient des évolutions juridiques concernant les associations coopératives, qui participent aussi à la création d’emplois et à la cohésion sociale.
Nous soutenons également le nouvel article 9, adopté en commission des lois sur l’initiative d’André Reichardt, visant à clarifier la procédure de partage judiciaire en droit local.
Enfin, il y a la volonté d’avoir une meilleure efficacité de l’action publique. Voilà pourquoi le texte prévoit l’extension des compétences de l’établissement public d’exploitation du livre foncier informatisé à l’informatisation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. À l’heure du numérique, il est nécessaire de démarrer la dématérialisation des croquis de levé, qui s’altèrent avec le temps sur support papier.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi consolide le droit local en y apportant des adaptations indispensables. Elle respecte la cohérence entre le droit local et le droit général. C’est la raison pour laquelle le groupe UDI-UC la votera, et j’appelle la Haute Assemblée à adopter ces dispositions pour qu’elles puissent entrer en vigueur rapidement.
À quelques semaines de l’examen du projet de réforme territoriale, d’aucuns expriment par ailleurs des inquiétudes quant à l’avenir du droit local alsacien-mosellan. En effet, même si les collectivités ne sont pas titulaires de compétences en matière de droit local, comment garantir le respect de ce particularisme commun à ces départements au sein d’une région élargie ? Cette question mérite d’être posée, afin que droit local et droit général puissent cohabiter harmonieusement le moment venu...
Quoi qu’il arrive, soyez assuré, monsieur le secrétaire d’État, que nous continuerons de défendre avec force et détermination le droit local alsacien-mosellan, spécificité structurante de l’histoire de nos territoires auquel nos concitoyens sont très attachés.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.
– et du Haut-Rhin. Ses dispositions concernent une énième adaptation du droit applicable dans les trois départements dits d’Alsace-Lorraine, que les troupes impériales de Guillaume II ont occupé pendant près de cinquante ans, après le désastre de Sedan et la déroute de Napoléon III.
Survivance de ce temps assez lointain, comme cela a été rappelé, le droit local d’Alsace-Moselle reprend certaines des dispositions en vigueur dans l’Allemagne impériale de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, dispositions qui s’appliquent tantôt aux relations professionnelles, lorsqu’elles concernent le droit des corporations, tantôt aux relations sociales, lorsqu’elles touchent au droit du travail, parfois au droit fiscal et financier – c’est le cas du livre foncier – et, au-dessus de tout cela, à la relation que les individus entretiennent avec la religion, puisque l’Alsace-Moselle, en raison du Concordat, n’a pas connu la pleine application de la loi de séparation de l’Église et de l’État.
Les auteurs de la proposition de loi entendent donc « dépoussiérer » une partie de ce droit local.
Je rejoins le rapporteur pour souligner que ce texte pose un certain nombre de problèmes. Le premier est selon nous de nature politique. En effet, nous nous interrogeons à propos de ce texte qui nous est présenté comme étant issu d’une large concertation. Or aucun des sénateurs alsaciens signataires n’est issu de la majorité sénatoriale ; on peut également noter l’absence des sénateurs de la Moselle, ceux de la majorité comme ceux de l’opposition. Le consensus est donc un peu moins général que ce qui nous a été annoncé.
Ce texte a, je le pense, un objectif politique immédiat : il s’agit d’un viatique électoral pour les signataires candidats au renouvellement de leur mandat, …
… étant donné que le calendrier électoral n’est pas le même en Moselle que dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin. N’en restons pas cependant à l’arrière-fond de ce texte, qui ne peut cependant pas échapper à un observateur quelque peu attentif de la vie politique et parlementaire, et considérons le fond des choses.
Le texte propose, entre autres dispositions, de confier l’informatisation du cadastre, dont une bonne partie des éléments sont en péril, à l’établissement public pour l’exploitation du livre foncier informatisé, structure parapublique, comme on l’a dit, associant le ministère de la justice, les conseils généraux, le conseil régional d’Alsace, l’Institut du droit local alsacien-mosellan et les représentants de la profession notariale.
Pour nous, l’informatisation du cadastre d’Alsace-Moselle doit rester l’affaire du ministère des finances, ne serait-ce que parce que la confection du cadastre est une mission de service public qui ne peut, en la matière, être assurée par personne d’autre qu’une administration publique, par nature neutre et désintéressée. Sachez que vous pourrez compter sur nous dans cette bataille pour donner des moyens aux agents et services du cadastre en Alsace-Moselle afin que cette informatisation nécessaire puisse être menée à bien dans le cadre du service public.
Un autre des champs couverts par la proposition de loi – je ne les énumérerai par tous – porte sur la question du travail dominical et la situation des jours fériés en Alsace-Moselle.
Le travail dominical, qui constitue une exception à la règle et une faculté ouverte, devient, dans la proposition de loi, un passage obligé pour tous les salariés du commerce pendant la période de l’Avent.
Cette proposition de loi, de par sa date de dépôt, alors même que l’on peut penser que ces questions auraient pu être traitées par anticipation, ne reprend aucunement les trois points essentiels de l’accord des professions du commerce en cours de finalisation.
Premièrement, elle ne reprend pas le principe du volontariat, d’après lequel les magasins n’ouvrent le dimanche qu’à condition que les salariés soient volontaires pour travailler ce jour-là.
Deuxièmement, elle n’évoque pas la majoration de la rémunération fixée par l’article 1er de l’accord interprofessionnel à hauteur de 150 % de la rémunération de base et à 200 % pour les dimanches de l’Avent.
Troisièmement, la proposition de loi ne retient pas une disposition également essentielle à nos yeux : l’accord prévoit que la rémunération majorée s’accompagne d’un repos compensateur de durée équivalente à la durée travaillée, pris en dehors des jours de fermeture de l’établissement.
En conclusion, il convient de signaler que les auteurs de la proposition de loi n’ont pas répondu favorablement à la sollicitation des organisations syndicales signataires de l’accord qui leur demandaient de modifier par voie d’amendement leur texte initial. Vous auriez en effet pu anticiper quelque peu l’application de cet accord en instance d’extension en amendant votre texte.
Je ne développerai pas les autres points, sur lesquels j’approuve les arguments qu’a présentés le rapporteur.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, si nous parvenons jeudi prochain au terme de la discussion de ce texte, le groupe CRC ne le votera pas dans sa rédaction initiale. Nous nous rallierions aux propositions faites par le rapporteur.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais saluer une fois encore la qualité des travaux conduits au sein de la commission des lois, s’agissant d’un texte très particulier puisqu’il est relatif à la législation spécifique applicable dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
La qualité du rapport très fouillé de notre collègue Jean-Pierre Michel, les éclaircissements très concrets apportés par André Reichardt, auteur de la proposition de loi et président localement de la Commission d’harmonisation du droit privé, sont les garants d’un débat constructif sur une matière complexe.
Cette proposition de loi est le fruit d’une concertation large et fructueuse, semble-t-il, sous l’égide de l’Institut du droit local alsacien-mosellan, portant sur des problématiques du quotidien. Le Conseil constitutionnel a rappelé, dans une décision du 5 août 2011, que, si les dispositions que nous examinons aujourd'hui participent d’un droit local reconnu par les lois de la République, elles ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d’application n’est pas élargi.
L’enjeu de notre débat est donc bien de nous assurer que, sur les cinq mesures envisagées, l’esprit même des dispositions dérogatoires au droit commun ne se trouve pas modifié. Je m’exprimerai assez brièvement à propos des cinq dispositions, qui ont été largement expliquées par les uns et les autres.
Premièrement, les corporations d’artisans, dont le Conseil constitutionnel a jugé que le caractère obligatoire constituait une atteinte injustifiée à la liberté d’entreprendre, doivent, pour continuer d’exister dans une forme non contrainte, trouver un nouveau mode de financement. Il est proposé d’instituer une redevance pour service rendu qui viendrait s’ajouter à la cotisation des adhérents ainsi qu’à la participation facultative des chambres de métiers.
La réserve que je pourrais émettre à propos de cette participation, certes facultative, qui accroît la dérogation au droit commun, me paraît très sensiblement contrebalancée par l’intérêt du maintien de ces corporations, qui relèvent de l’article 100 du code des professions applicable dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, notamment parce que ces corporations soutiennent l’apprentissage à une époque où celui-ci est indispensable à la vitalité de notre artisanat et de notre économie.
Deuxièmement, concernant l’élargissement de la mission de l’établissement public d’exploitation du livre foncier informatisé, j’exprimerai les mêmes inquiétudes que les orateurs précédents. Comment l’extension de la mission sera-t-elle financée ? Elle est imputable au ministère de la justice, dont on ne sait pas s’il peut l’assumer. Comment la coordination avec la direction générale des finances publiques, laquelle est compétente en matière de cadastre et dit donner son accord, se réalisera-t-elle ? Sur ces deux questions, il me semble que ces institutions doivent, avec le financement des conseils généraux, concrétiser leur engagement dans le cadre d’une convention clairement et nettement établie.
Troisièmement, la pérennisation de la taxe des riverains pose le problème de son cumul avec la taxe locale d’aménagement dans la forme arrêtée par l’article 28 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010. Aux termes de cette disposition, la taxe des riverains doit en effet être abrogée au 1er janvier 2015. Pour ma part, je crois que le délai qui avait été accordé en 2010 laissait le temps de trouver les aménagements susceptibles de répondre aux réductions des ressources que nous connaissons tous et donnait donc aux communes la possibilité de revoir leur dispositif de taxation.
Le quatrième point concerne la modification du droit des associations. Je n’y reviens pas, car nous sommes tous d’accord sur cette question.
Cinquièmement, la modernisation du repos dominical et pendant les jours fériés est selon moi un sujet trop complexe, trop difficile, pour que, sans attendre que soient mises en œuvre les dispositions et les conclusions de l’accord signé le 6 janvier 2014, on puisse aller beaucoup plus loin. Cette question mérite un véritable débat, d’autant que ces dispositions entrent dans le cadre de la législation nationale, laquelle est fort complexe.
Aux cinq points que j’ai évoqués est venu s’ajouter tout dernièrement l’amendement de l’auteur de la proposition de loi concernant la clarification de la procédure du partage judiciaire du droit local. La lecture du rapport me conduit à penser que nous avons besoin de temps pour examiner une matière bien difficile.
Si l’on ne doit pas méconnaître ces mesures spécifiques, plusieurs problèmes demeurent cependant, tels que l’hétérogénéité du texte ou l’imprécision des analyses conduites avec un consensus plus ou loin large des parties concernées. Plus globalement, comment mettre un terme, progressivement, à ces régimes dérogatoires ? Tel est bien le sens des décisions rendues par le Conseil constitutionnel, lequel ne manquerait pas d’exercer une vigilance particulière sur ces mesures, si elles étaient adoptées par le Sénat.
Dans ce contexte, les membres de mon groupe, auxquels je m’associe pleinement, auraient souhaité, avant de se prononcer sur cette proposition de loi, pour transformer leur intention d’abstention en un éventuel vote positif, entendre les analyses des services juridiques de l’État dans chacun des domaines concernés afin de s’assurer que le maintien d’un système dérogatoire reste de bonne mesure. Toutefois, monsieur le secrétaire d’État, votre analyse n’incite pas à l’optimisme, du moins dans un premier temps. Pour le moment, mon groupe s’en tiendra donc à une position d’abstention.
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, comme la plupart des parlementaires d’Alsace-Moselle, je suis partisan du maintien du droit local, mais il faut reconnaître que celui-ci doit, dans un certain nombre de domaines, être ajusté. Un droit qui était pertinent il y a plus d’un siècle, ou même deux siècles pour les dispositions héritées du droit français d’avant 1870, doit être modernisé sur certains points.
La proposition de loi me paraît tout à fait satisfaisante dans son principe. Certaines dispositions sont même très pertinentes ; je pense notamment à l’évolution du droit des associations, au régime du cadastre et du livre foncier, au problème du travail du dimanche, qui se pose de manière particulièrement aiguë en Moselle, parce que ce département est enclavé, entouré d’un côté par deux pays étrangers qui n’ont pas du tout le même régime, et de l’autre par des départements lorrains qui relèvent du régime général. Cela pose des problèmes d’équilibre de la concurrence en Moselle. Aussi il est très pertinent de légiférer sur ce point.
Je souhaite d’abord faire une remarque : la taxe des riverains était remarquable et tout à fait efficace. C’est pourquoi j’en étais un grand défenseur, et j’avais incité les communes à l’utiliser. Cela étant, le droit général a évolué, rejoignant approximativement la situation mosellane, de sorte que l’opportunité de maintenir la taxe des riverains traditionnelle peut être discutée.
Ensuite, je dois émettre de franches réserves sur la question des corporations. La décision du Conseil constitutionnel est selon moi très pertinente : les corporations dites « obligatoires » étaient un non-sens, un anachronisme ! Permettre aux chambres de métiers de financer les corporations, c’est un moyen un peu détourné de revenir à un système de financement contraint pour les artisans de base. Je ne suis pas persuadé que ce soit extrêmement opportun. Je crois que le droit local des métiers mériterait au contraire un bon coup de modernisation, de rénovation, car c’est peut-être l’un des volets les plus figés du droit local.
Je veux enfin formuler un regret. On aurait peut-être pu intégrer dans cette réforme globale du droit local un certain nombre de modernisations de dispositions applicables aux communes qui figurent dans le code général des collectivités territoriales. Il est par exemple complètement ridicule d’obliger des communes de dix ou vingt habitants à avoir un règlement intérieur ; c’est pourtant le cas en Alsace-Moselle. Il n’y a quasiment aucune commune qui respecte cette obligation.
J’aurais bien aimé que la proposition de loi comporte un volet consacré à ces dispositions complètement anachroniques. J’ai déposé trois amendements, qui ne sont évidemment pas exhaustifs, pour marquer le coup, en quelque sorte, mais je suis assez peu optimiste quant à leur sort, compte tenu de ce que j’ai entendu. En effet, je ne suis pas sûr que le débat aille à son terme. Pour ma part, j’aimerais qu’il aille jusqu’au bout. Cela nous permettrait peut-être de faire évoluer les choses et de poser les problèmes.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vous étonnerai pas en disant que je suis complètement en phase avec l’auteur de la proposition de loi. Le droit local alsacien-mosellan a traversé toutes les épreuves de 1870 à 1945. Seule l’Allemagne nazie l’a supprimé entre 1940 et 1945. Le général de Gaulle, à la Libération, puis les constituants de 1946 et 1958 ont réaffirmé leur attachement à l’existence du droit local, en le confortant. Ce droit réglemente de nombreux aspects de la vie économique et sociale ; je n’y reviens pas, puisque ces aspects ont été largement évoqués.
Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, le Conseil constitutionnel a érigé, par une décision du 5 août 2011, l’existence du droit local alsacien-mosellan en principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il en résulte que le principe constitutionnel d’égalité devant la loi ne peut plus être invoqué pour contester l’existence d’une règle de droit local différente de celle qui est en vigueur dans le reste de la France.
Le Conseil constitutionnel a également précisé, dans sa décision du 5 août 2011, « qu’à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d’application n’est pas élargi ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois départements dont il s’agit ».
À mon sens, la portée de ce motif mérite d’être clairement précisée. En effet, en jugeant que l’aménagement, c’est-à-dire la modification, du droit local, n’est possible que s’il n’y a pas d’accroissement des différences avec le droit général, le Conseil constitutionnel ne vise que le droit local historique, celui qui existait en 1918. Rien n’empêche le législateur de créer de nouvelles règles d’application territoriale limitée à l’Alsace-Moselle. À titre d’illustration, on peut citer la loi du 14 mars 2012 relative à la gouvernance de la sécurité sociale et à la mutualité, qui a modifié l’article L. 325-1 du code de la sécurité sociale, relatif aux salariés relevant du régime local d’assurance maladie.
Quoi qu’il en soit, l’existence du droit local est désormais confortée sur le plan constitutionnel, et il est nécessaire de le moderniser sur le fondement de cet acquis. C’est l’objet de la présente proposition de loi, qui est issue des travaux de la Commission d’harmonisation du droit privé d’Alsace-Moselle, présidée par André Reichardt, et de l’Institut du droit local alsacien-mosellan.
Je souhaite mettre l’accent sur quatre aspects de la proposition de loi. L’article 1er vise à consolider le régime de l’artisanat, qui est organisé par le code local des professions de 1900. Ce régime se caractérise par l’existence de corporations. Il n’existe plus de corporations obligatoires depuis la décision du Conseil constitutionnel du 30 novembre 2012. Les corporations exercent pourtant d’importantes missions : formation, diffusion d’informations techniques, conseils juridiques et fiscaux, interlocuteurs des pouvoirs publics, etc. Leur financement provient des cotisations volontaires des membres et des revenus des biens dont elles sont propriétaires.
L’article 1er vise à permettre aux chambres de métiers de subventionner les corporations afin que celles-ci puissent continuer d’exercer leurs missions. Ce type de financement existe dans le reste de la France en vertu de l’article 23 du code de l’artisanat. Le fait de l’introduire en Alsace-Moselle aboutit ainsi à rapprocher le droit local du droit général et non à accroître les différences entre les deux législations.
L’article 2 de la proposition de loi est également fondamental. En effet, depuis 2008, le livre foncier est totalement informatisé. Il s’agit d’un outil très utile à l’économie immobilière des trois départements d’Alsace-Moselle. Les conseils généraux de ces départements et le conseil régional d’Alsace ont financé cette opération.
Si le livre foncier contient les informations juridiques portant sur les immeubles, le cadastre renferme quant à lui les informations relatives à leurs situations physiques. Au sein de la documentation cadastrale, il existe des croquis sur support papier. À notre époque, il est évident qu’il faut informatiser le système. Je ne comprends pas que l’on puisse s’opposer à cette modernisation, d’autant que les conseils généraux ont déclaré qu’ils étaient tout à fait prêts à assurer le financement. Ils ne peuvent cependant pas en délibérer tant que le Parlement ne les a pas autorisés à le faire.
Permettez-moi maintenant d’aborder l’article 6 de la proposition de loi, qui vise à pérenniser la taxe des riverains. En effet, à côté de la taxe locale d’aménagement prévue par le code de l’urbanisme, les communes d’Alsace-Moselle ont la possibilité d’instituer une taxe des riverains, à condition qu’elle ne serve pas à financer les mêmes travaux que la taxe locale d’aménagement ; c’est très important, surtout à un moment où les communes ont besoin de subsides. Je ne pense pas que les temps actuels nous permettront d’augmenter très largement ces subsides ; il faut donc trouver des moyens de se servir au moins de ceux qui existent.
Je ne pense pas que le maintien de la taxe des riverains soit contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, ce maintien n’entraîne pas la création d’une nouvelle différence entre l’Alsace-Moselle et le reste du territoire ; il s’agit seulement de pérenniser les dispositions actuelles du droit, puisque l’abrogation de la taxe des riverains n’est prévue que pour le 1er janvier 2015.
Enfin, l’article 8 de la proposition de loi procède à un toilettage des dispositions du droit local du travail relatives au repos dominical. Je sais qu’une large concertation a été organisée avec les intéressés. Le texte prévoit même une majoration du salaire minimum – 150 % du taux horaire de base – et un repos compensateur lorsqu’il y a dérogation.
En conclusion, je pense que l’adoption de cette proposition de loi tendant à moderniser le droit local constituerait incontestablement une avancée majeure aussi bien dans le domaine économique que dans le domaine social. C'est pourquoi je la voterai sans réserve. Je remercie encore notre collègue André Reichardt de s’être tant investi pour préparer ce texte et le mener à bon port.
Mes chers collègues, nous sommes parvenus au terme du temps alloué à l’ordre du jour réservé au groupe UMP.
Je constate que nous n’avons pas achevé l’examen de la proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
Je vous rappelle que la conférence des présidents a inscrit la suite de la discussion de ce texte à l’ordre du jour du jeudi 19 juin, à seize heures quinze.
Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.
J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques (proposition n° 310, texte de la commission n° 595, rapport n° 594, avis n° 592).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la transformation de notre économie et de notre société est accélérée par le numérique. Il s’agit non plus d’une ambition, mais, dorénavant, d’un constat.
Au départ, le sujet intéressait quelques techniciens dans un cercle confiné, habitué à suivre les évolutions rapides de la sphère informatique. Aujourd’hui, le numérique est partout, et il est devenu un grand dessein industriel pour notre pays.
Le développement des usages de cette technologie peut et doit servir au développement d’une société plus inclusive, plus solidaire et plus respectueuse des attentes de nos concitoyens.
Agir pour faire du numérique un outil pour tous, qui soit disponible partout : telle est la mission que je me suis assignée, en tant que secrétaire d’État en charge de ce sujet. Toutefois, la condition pour avancer de cette façon est d’instaurer un climat de confiance, laquelle doit être ressentie par l’ensemble de nos concitoyens. Or la confiance ne se décrète pas ; elle suppose d’accompagner chaque saut technologique en créant les conditions de la transparence et de la bonne information du public, qui doit être la plus large et la plus fiable possible.
Le texte qui sera débattu dans quelques instants peut s’inscrire parfaitement dans cette ambition de créer un environnement adapté, permettant au numérique appuyé sur les technologies sans fil et utilisant des radiofréquences de se déployer, mais d’une manière apaisée, avec le soutien de tous.
Cette proposition de loi est donc utile eu égard aux objectifs qu’elle se fixe. Je tenais à le souligner d’emblée : agir pour une plus grande sobriété des émissions d’ondes électromagnétiques, organiser les conditions de la concertation avec les citoyens à l’échelon local, créer les critères de transparence vis-à-vis du public, c’est une manière de faire progresser la confiance des citoyens, sans que l’on nous reproche de nous ériger contre le progrès technologique et l’investissement. Au contraire, grâce à cette confiance et à notre capacité d’élever le niveau d’acceptabilité sociale de cette technique, c’est aux usages numériques que nous donnons toutes les chances de se diffuser dans l’ensemble de la société.
Avant d’entrer plus précisément dans l’examen du corps du texte, je voudrais revenir sur sa genèse. Il faut tout d’abord rappeler l’important travail engagé, voilà plusieurs années déjà, par M. François Brottes à l’Assemblée nationale dans le cadre du « Grenelle des ondes », ainsi que par Mme la députée Laurence Abeille. Cette implication est venue se concrétiser il y a presque deux ans, à l’Assemblée nationale, par le dépôt d’une proposition de loi de Mme Abeille.
C’est aussi grâce à cet engagement, dans le cadre de comités d’expérimentation, d’abord le COMOP, ou comité opérationnel, puis le COPIC, le comité de pilotage issu du comité opérationnel, présidé dès 2009 par M. Brottes, qu’ont pu être rassemblés l’ensemble des acteurs intéressés par le sujet des ondes électromagnétiques.
Les positions des différentes parties prenantes pendant ces travaux ayant pu, sur certains points, être totalement opposées, je tiens donc à saluer la capacité du président Brottes à faire converger ces acteurs autour de propositions finalement consensuelles que nous retrouvons aujourd’hui largement dans le texte examiné. L’objet de ces discussions était bien défini : décider de l’opportunité et de la manière de légiférer sur les ondes en fonction de la présence, ou non, d’un risque avéré pour les populations exposées.
En parallèle, et témoignant de la volonté politique du Gouvernement d’avancer sur le sujet, une mission d’étude a été confiée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault à M. Jean-François Girard, conseiller d’État, et à M. Philippe Tourtelier, ancien député.
Leur travail, qui fut unanimement salué comme étant de qualité, a permis, je crois, d’éclairer le législateur, notamment sur la manière d’inscrire dans la loi l’objectif, porté par Mme la députée Abeille, d’une plus grande sobriété en matière d’ondes électromagnétiques.
Enfin, il est important de rappeler que des travaux indépendants sont venus compléter le volet sanitaire conduit par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, l’ANSES. J’insiste tout particulièrement sur ce dernier rapport, car il faut savoir que la recherche publique sur le sujet des ondes a cessé dans les autres pays européens, alors que l’ANSES a décidé d’actualiser sa première étude, menée en 2009, pour tenir compte des évolutions liées, en particulier, à l’essor des nouvelles technologies connectées.
Les conclusions contenues dans un avis publié le 1er octobre 2013 par seize experts indépendants issus de domaines professionnels divers, tels que la métrologie, la dosimétrie des champs électromagnétiques, l’épidémiologie, la médecine, la biologie ou les sciences humaines et sociales, sont claires : l’exposition aux ondes électromagnétiques n’a aucun effet sanitaire avéré.
Plus précisément, l’agence conclut que l’actualisation de la première étude de 2009 « ne met pas en évidence d’effet sanitaire avéré et ne conduit pas à proposer de nouvelles valeurs limites d’exposition de la population ». Néanmoins, elle appelle à une certaine vigilance s’agissant, en particulier, de l’utilisation des téléphones portables. Elle pointe notamment la catégorie spécifique des utilisateurs intensifs, lesquels dépassent les quinze heures d’utilisation par mois, ainsi que les enfants, ce qui fait naturellement consensus.
Nous voilà donc arrivés au bout d’un long chemin, avec ce texte qui permet d’atteindre, me semble-t-il, un équilibre satisfaisant.
La commission des affaires économiques du Sénat a effectué un travail important, et je dois dire que la juriste assez perfectionniste que je suis trouve dans cette version amendée une satisfaction, dans la mesure où il apparaît que les objectifs initialement visés par le législateur dans la première version restent d’actualité et sont toujours bien respectés, tout comme l’est l’esprit de la proposition de loi déposée par Mme Abeille, qui s’appuyait sur les rapports des comités et des missions que j’ai déjà cités.
Certaines mesures de ce texte sont très fortes. Ainsi, le titre Ier a pour objet de permettre une plus grande transparence dans l’installation des antennes, une meilleure concertation avec les riverains et la modification de certaines installations, à savoir les points atypiques, qui pourraient être améliorés pour que soit abaissé leur niveau d’émission.
Le cœur du titre Ier, et c’est ce qui guidera aujourd’hui la position du Gouvernement, se trouve l’inscription dans la loi et dans le règlement des conclusions des comités d’expérimentation que j’ai cités – le COMOP et le COPIC –, reprises dans les préconisations du rapport rendu par MM. Girard et Tourtelier. À cet égard, il est intéressant de noter que ces rapports et ces missions sont basés sur des expérimentations locales très concrètes et que les modifications apportées par la commission des affaires économiques tiennent compte des meilleures pratiques observées dans les territoires loués pour leur efficacité, avec l’élaboration de chartes, comme à Nantes, Paris ou Strasbourg.
Le titre II, qui vise, lui, à mettre en place une meilleure information quant aux conditions d’utilisation des terminaux mobiles et au niveau de champs associés, est également essentiel. Le cœur de cette partie est constitué par la reprise des préconisations du rapport de l’ANSES à l’article 4.
La commission des affaires économiques a aussi fait évoluer ce texte sous l’impulsion de son président, M. Raoul, qui est également rapporteur du texte et dont je tiens à saluer le travail. Il n’était pas aisé de trouver une rédaction concise et sécurisée juridiquement qui réponde aux canons légistiques.
Il me semble que le travail accompli par votre rapporteur est de grande qualité. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de l’examen des textes par le Sénat, une assemblée ancrée dans les territoires, au plus proche de la réalité locale et des besoins de nos concitoyens.
L’intérêt de ce travail est qu’il témoigne des expérimentations menées localement. J’ai compris que le président Raoul s’était fortement inspiré de son expérience locale et de la charte qu’il avait négociée à Angers avec les opérateurs de télécommunications. Il sait donc combien il est difficile de donner satisfaction à tout le monde et, par conséquent, combien il est nécessaire de disposer de procédures de concertation suffisamment souples pour ouvrir un espace authentique de dialogue et de débat quand le contexte social l’exige, sans pour autant créer de risques de blocage systématiques.
Le texte issu de l’examen de la commission des affaires économiques est donc, aux yeux du Gouvernement, un texte équilibré, dans la lignée de celui qui a été adopté en janvier dernier par l’Assemblée nationale. Il nourrit la même ambition : définir pour la première fois, dans la loi, un cadre complet pour le déploiement des antennes de téléphonie mobile qui s’appuie sur le principe de sobriété, mais aussi favoriser une meilleure information du public sur l’utilisation des téléphones portables.
Tous les acteurs impliqués dans cette nécessaire pédagogie doivent être sollicités : les opérateurs, naturellement, mais aussi les collectivités locales et l’État, qui doivent faire valoir l’intérêt d’utiliser des « kits mains libres ». En l’occurrence, il fallait un cadre législatif précis, et cette proposition de loi nous en fournit un.
Ce texte répond aussi à un enjeu politique, rappelé dans l’avis de l’ANSES. Les antennes relais posent un problème d’acceptabilité sociale. Il conviendrait donc de mieux accompagner l’éducation à l’usage des téléphones portables. On entend parler en ce moment des comportements de dépendance des adolescents, en particulier. Il paraît essentiel d’apprivoiser ces technologies, qui sont arrivées rapidement dans nos vies, et d’apprendre à maîtriser ces nouvelles formes de consommation.
Je retiens aussi qu’il faut, pour mieux entendre les préoccupations de nos concitoyens, créer les outils qui permettront d’ouvrir des espaces de dialogue et de concertation. Notre devoir est de faire en sorte que les nouveaux usages du numérique soient compris par nos concitoyens, et non subis au point de devenir une source d’inquiétude, d’angoisse, voire de souffrance, comme dans le cas des personnes qui souffrent d’électro-hypersensibilité.
Au-delà de ces cas spécifiques, le numérique ne doit pas être anxiogène. C’est la raison pour laquelle il faut pouvoir en parler dans un cadre juridique réglé.
L’innovation est l’une des clefs du rebond français. Elle est au cœur des trente-quatre plans pour la nouvelle France industrielle voulus par Arnaud Montebourg, qui donnent un sens et un pilotage à la création de la valeur par le travail et par l’investissement productif.
Ces plans doivent nous permettre de relever nos deux plus grands défis : l’urgence écologique et la transition numérique. Les réponses à ces défis ne peuvent se construire l’une contre l’autre, mais bien ensemble ; elles ne permettront le progrès humain que dans la mesure où elles reposeront sur la confiance des citoyens.
Tel est bien l’objectif de cette proposition de loi, que le Gouvernement soutient.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a adopté le 10 juin dernier la proposition de loi relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques, après l’avoir sensiblement réécrite et avoir adopté une soixante d’amendements sans en changer l’objectif.
Cette proposition de loi, déposée par notre collègue députée Laurence Abeille, a été adoptée par l’Assemblée nationale le 23 janvier dernier. Elle fait suite, je vous le rappelle, à une première proposition de loi relative aux risques résultant des ondes électromagnétiques, du même auteur, qui avait été discutée un an plus tôt par l’Assemblée nationale et avait fait l’objet d’une motion de renvoi en commission le 31 janvier 2013.
À la suite de ce vote, le Premier ministre avait confié au professeur Jean-François Girard et à l’ancien député Philippe Tourtelier, secondés par Stéphane Le Bouler, un rapport consacré au développement des usages mobiles et au principe de sobriété, qui a été remis en novembre 2013. C’est en s’appuyant en partie sur les conclusions de ce document que Mme Abeille a déposé une nouvelle proposition de loi en décembre 2013.
La commission des affaires économiques s’est intéressée à ce texte en le replaçant au carrefour de trois enjeux essentiels : un enjeu social et, pour certains, sanitaire ; un enjeu d’aménagement numérique du territoire ; enfin, un enjeu en matière d’innovation et de compétitivité.
Pour ce qui concerne l’enjeu sanitaire et social, il faut rappeler ici avec force qu’aucune étude n’a apporté la preuve de l’existence d’un risque sanitaire lié à l’exposition aux ondes électromagnétiques. Les conclusions de l’ANSES, qui a publié une première étude sur le sujet en 2009, puis qui l’a actualisée en 2013 – vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d'État –, sont limpides : l’exposition aux ondes électromagnétiques n’a aucun effet sanitaire avéré.
L’agence indique ainsi que l’actualisation de l’étude de 2009 « ne met pas en évidence d’effets sanitaires avérés » et ne conduit pas à proposer de « nouvelles valeurs limites d’exposition pour la population générale ». L’ANSES appelle à une certaine vigilance uniquement pour l’utilisation des téléphones portables, en conseillant en particulier aux utilisateurs intensifs, ainsi qu’aux enfants de recourir à des « kits mains libres » – autrement dit de se servir d’oreillettes ou d’un récepteur Bluetooth.
Les connaissances scientifiques n’arrivent cependant pas à dissiper les inquiétudes qui existent au sein de la population. En tant qu’élus locaux, vous avez sûrement été confrontés comme moi, mes chers collègues, aux difficultés d’acceptation de l’implantation d’antennes relais, acceptation rendue d’autant plus difficile que les opérateurs se sont, pendant de longues années, comportés comme des hussards sur les toits...
J’avais d’ailleurs demandé à l’époque, dans un rapport établi au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, que l’on accorde aux maires la possibilité d’établir un « plan d’occupation des toits », ou POT. En effet, ceux-ci découvrent souvent que des antennes ont été implantées sans qu’ils en aient été informés.
L’expérience est d’autant plus douloureuse pour les élus locaux que le maire ne dispose que de sa compétence en matière d’urbanisme : l’implantation des antennes relais relève en effet de la compétence de l’État, par le biais de l’Agence nationale des fréquences, l’ANFR.
Pour autant, le maire reste l’interlocuteur privilégié de nos concitoyens. Notre collègue Edmond Hervé aimait rappeler que le maire était le seul élu « à portée de baffe ». Autrement dit, la notion de proximité est toute relative : elle peut se résumer à la longueur d’un bras ! §
La loi Grenelle I a donc, à juste titre, consacré la nécessité d’associer les élus locaux à l’implantation des antennes relais. L’Association des maires de France, l’AMF, et l’Association française des opérateurs mobiles, l’AFOM, ont publié en décembre 2007 un Guide des relations entre opérateurs et communes, le GROC, qui organise le dialogue entre opérateurs et élus locaux, ainsi que l’information de la population. Enfin, une centaine de chartes a été conclue entre les opérateurs et des municipalités : d’expérience, je sais que ces documents ont permis d’apaiser bon nombre d’inquiétudes sur le terrain.
Je relève par ailleurs une certaine contradiction entre la sensibilité de nos concitoyens vis-à-vis de l’implantation des antennes relais, attitude assez unique en Europe, et la moindre sensibilité de l’opinion publique vis-à-vis des ondes électromagnétiques des téléphones mobiles.
Depuis plus de dix ans, notamment depuis un rapport que j’avais eu l’honneur de rédiger avec notre regretté collègue Jean-Louis Lorrain au nom de l’OPECST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, …
M. Daniel Raoul, rapporteur. … les pouvoirs publics recommandent l’utilisation du « kit mains libres » pour les communications vocales par téléphone mobile. Or combien parmi nos concitoyens et combien parmi nous, qui sommes, pour certains – j’ai des noms en tête !
Sourires.
Le deuxième enjeu lié à cette proposition de loi est relatif à l’aménagement numérique du territoire. En tant qu’élus locaux, nous connaissons tous la problématique des « zones blanches » ou des « zones grises », un sujet qui a donné lieu à de nombreux rapports de notre Haute Assemblée. Nous nous battons au quotidien pour la bonne couverture de nos territoires. L’accès à internet et la bonne qualité de service sont une exigence forte de nos concitoyens, un élément d’attractivité de nos territoires et, sans doute, un élément indispensable à l’activité de nos TPE et de nos PME.
Les opérateurs ont pris des engagements concernant la couverture du territoire. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, a ouvert, le 27 mai dernier, cinq enquêtes administratives relatives au déploiement des réseaux mobiles et à la qualité des services fixes des opérateurs, dont trois portent spécifiquement sur le respect des engagements de ces derniers quant au déploiement des réseaux mobiles.
La commission des affaires économiques a donc gardé à l’esprit, au moment d’examiner cette proposition de loi, cet enjeu d’aménagement numérique du territoire, sachant que les opérateurs s’inquiètent des délais importants pour le déploiement des antennes relais, qui s’élèvent à près de deux ans, soit un des niveaux les plus élevés d’Europe.
Le troisième enjeu que j’ai identifié est celui de l’innovation et de la compétitivité. Le numérique est un secteur clef pour l’innovation et la compétitivité de notre pays.
Je veux rappeler à ce titre la politique mise en œuvre par le ministère de l’éducation nationale pour promouvoir l’école numérique. Je tiens notamment à souligner l’intérêt de développer l’enseignement du numérique dans toutes nos écoles. J’ai même cru entendre que le ministre de l’éducation nationale s’était engagé à demander une rallonge budgétaire pour améliorer l’équipement de nos écoles dans le domaine du numérique.
Le Gouvernement a par ailleurs mis en place trente-quatre plans de reconquête industrielle destinés à structurer une stratégie de croissance économique pour la France dans les années qui viennent : près du tiers de ces trente-quatre plans sont liés au secteur du numérique ou aux objets connectés.
Le lien entre numérique et compétitivité se fait également par l’école, je viens de le rappeler. Les Gouvernements successifs, mais aussi les élus locaux, ont ainsi pris des initiatives pour favoriser le numérique à l’école ou au collège, et le Gouvernement s’apprête à présenter de nouvelles propositions en la matière. Ce texte, notamment les dispositions de son titre II, ne peut être examiné sans porter attention à cet enjeu essentiel.
J’en viens au contenu de la proposition de loi, telle qu’elle a été adoptée par l’Assemblée nationale.
Le titre Ier porte sur le principe de modération et sur la concertation et l’information en ce qui concerne l’implantation des antennes relais.
L’article 1er est une des dispositions phares du texte. Il assigne aux pouvoirs publics un objectif de modération de l’exposition du public aux champs électromagnétiques ; il instaure une procédure d’information du maire sur les nouvelles implantations d’antennes relais, autrement dit sur le flux ; il prévoit une procédure de concertation et d’information du public placée sous l’autorité du maire ; il prévoit un suivi des points atypiques, c’est-à-dire des points du territoire marqués par un niveau d’exposition aux champs électromagnétiques particulièrement élevé à l’échelle nationale, avec une nécessaire résorption de ces points.
La définition de ces points atypiques nous a occupés un certain temps, et la dernière version que nous avons adoptée, madame la secrétaire d'État, est la vôtre. Autrement dit, elle est plus précise que celle que l’ANFR nous avait proposée.
Le titre II comprend, quant à lui, des dispositions relatives à l’information et à la sensibilisation des utilisateurs des équipements radioélectriques.
L’article 3 consacre – j’y reviendrai –, parmi les missions de l’ANSES, une mission de veille et de vigilance en matière de radiofréquences.
L’article 4 comprend plusieurs dispositions. Il étend tout d’abord l’obligation d’affichage du débit d’absorption spécifique, le DAS, qui existe pour les téléphones mobiles, aux équipements terminaux radioélectriques pour lesquels le fabricant a déjà l’obligation de le mesurer. Il impose ensuite de faire figurer le DAS directement sur l’appareil. Enfin, il prévoit que tout équipement radioélectrique dispose d’un mécanisme simple permettant à chaque utilisateur de désactiver l’accès à internet.
L’article 5 porte quant à lui sur la publicité. Il étend l’interdiction de cette dernière à destination des enfants de moins de quatorze ans, qui existe, depuis le « Grenelle II », pour les téléphones mobiles, à d’autres équipements terminaux radioélectriques. Il impose, à la manière des publicités pour les produits gras ou sucrés, que toute publicité pour les téléphones mobiles indique la recommandation d’usage du « kit mains libres ». Ce n’est pas une nouveauté pour moi, qui avais inscrit cette préconisation dans mon rapport de 2002 !
Mme Anne-Marie Escoffier approuve.
L’article 7 porte sur l’école et les crèches. Il prévoit notamment que, dans les crèches, l’installation d’une « box » est interdite dans les espaces dédiés à l’accueil, au repos et aux activités des enfants de moins de trois ans.
L’article 8 prévoit, enfin, la remise au Parlement d’un rapport – mes chers collègues, vous connaissez mon tropisme à cet égard !
Sourires.
La commission des affaires économiques a estimé que ce texte comprend certaines dispositions bienvenues auxquelles elle ne peut qu’adhérer. Je pense, tout d’abord, au rôle donné au maire dans une procédure de concertation et d’information préalable à l’implantation des antennes relais : les dispositions de l’article 1er relatives à l’information du maire sur les nouvelles antennes relais permettent de consacrer en droit certaines recommandations du Guide des relations entre opérateurs et communes, le GROC. De même, pour avoir été confronté à cette question en tant qu’élu local, il me semble évident que le maire ne peut rester à l’écart de la concertation.
Il convient cependant qu’il reste libre de mettre en place ou non une telle procédure.
Autre disposition bienvenue, l’obligation de mention du DAS pour d’autres équipements terminaux radioélectriques que les téléphones mobiles, par exemple les tablettes. Cette disposition de l’article 4 concrétise une recommandation formulée par l’ANSES dans son rapport de 2013. Il est indispensable, dans un souci de transparence, que le consommateur connaisse la puissance des produits qu’il achète.
Troisième exemple de disposition utile, la mention de la recommandation d’usage d’un « kit mains libres » dans les publicités pour les téléphones mobiles. Cette disposition est pleinement cohérente avec la préoccupation qui est la mienne depuis mon rapport de 2002.
Enfin, la commission se félicite que la proposition de loi permette d’évoquer la question de l’électro-hypersensibilité. Nous avons tous été confrontés aux témoignages de certains de nos concitoyens en souffrance. Je veux vous assurer, pour avoir auditionné certaines personnes, que la souffrance est évidente ; j’y suis très sensible. Ensuite, se pose le problème de la causalité de cette souffrance, ce qui est une autre question.
L’électro-hypersensibilité demeure aujourd’hui un sujet de controverse au sein du monde médical. Il me paraît cependant indispensable de soulever cette question, sachant que l’ANSES devrait remettre une étude sur le sujet au printemps de 2015, si mes informations sont exactes.
Pour autant, comme je l’indiquais tout à l’heure, la commission a adopté une soixante d’amendements, dont une douzaine signée par notre collègue, M. Raymond Vall, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, dont je salue la qualité des propositions, même si nous ne les avons pas toutes retenues.
Je tiens d’ailleurs à dire solennellement que je n’accepte pas la tonalité et les allusions de certaines critiques émises après la réunion de la commission de la semaine dernière. Non, la commission n’a pas cédé au lobbying des opérateurs ! Non, elle n’a pas fait passer les intérêts privés et le chantage des opérateurs avant l’intérêt général et la protection sanitaire de la population !
J’ai été profondément choqué par ces critiques infondées, à titre personnel, en tant que rapporteur, mais aussi en tant que président de la commission des affaires économiques. J’estime que l’ensemble des commissaires ont eu à cœur de défendre l’intérêt général et d’aboutir à un texte équilibré, prenant en compte les trois enjeux sanitaire, d’aménagement numérique du territoire et de compétitivité. Et je dois dire que j’ai été encore plus choqué que ce communiqué ait été signé par un membre de la commission !
Les amendements adoptés par la commission des affaires économiques ont permis d’améliorer sensiblement la proposition de loi adoptée par les députés. Ils ont visé plusieurs objectifs.
Le premier objectif est simple : il a fallu faire, pour parler clairement, un peu de « ménage » dans le texte adopté par les députés. Un peu de ménage sémantique, tout d’abord. Je ne citerai qu’un seul exemple : l’article 4 mentionnait tour à tour les « équipements radioélectriques », puis, les « appareils émettant un champ électromagnétique de radiofréquence », enfin, les « équipements émetteurs de champs électromagnétiques », sans que la portée de chacun de ces termes ne soit définie et sans que personne, au cours des auditions que nous avons effectuées, mon collègue Joël Labbé et moi-même, soit en mesure d’appréhender la nuance entre chacun d’entre eux.
Le ménage s’est poursuivi avec la suppression de redondances, car certaines dispositions de la proposition de loi étaient redondantes entre elles ou avec le droit en vigueur, et la suppression de dispositions qui ne relèvent clairement pas de la loi : au-delà de la demande de rapport, qui figurait à l’article 8, je pense surtout à l’article 6.
Notre deuxième objectif a été de clarifier certaines dispositions et procédures prévues par le texte.
Pour ce qui concerne l’objectif de « modération » mentionné par la proposition de loi, la commission lui a préféré un objectif de « sobriété », car le terme de modération renvoie, selon moi et dans le langage courant, à une diminution de l’exposition aux ondes électromagnétiques, alors même qu’aucun risque sanitaire n’est avéré et que la couverture numérique du territoire est souhaitée par tous.
La commission a également clarifié la procédure de concertation et d’information, en précisant qu’il reviendra bien au maire de choisir s’il souhaite une telle phase, qu’il en sera l’arbitre, sans pour autant émettre d’avis sur les projets d’implantation, et que cette phase sera préalable à l’autorisation donnée par l’Agence nationale des fréquences, l’ANFR.
Notre troisième objectif a été d’ajuster ou de supprimer des dispositions inapplicables techniquement ou non conformes au droit européen.
Ainsi, pour ce qui concerne les points atypiques, la commission a supprimé la référence, dans la définition de ces points, à la moyenne nationale, puisqu’il est ressorti de nos auditions des représentants de l’ANFR que cette dernière n’est pas en mesure de calculer une telle moyenne. De la même manière, la commission a précisé que la résorption de ces points doit se faire sous réserve de faisabilité technique : il n’est pas toujours possible de résorber un point atypique, pour des raisons urbanistiques, par exemple, mais nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
Pour ce qui concerne le DAS, la commission a été contrainte de supprimer l’obligation de le faire figurer sur l’appareil. Cette disposition est contraire au droit européen, notamment à la liberté de circulation des marchandises. Je l’avais appris lors de mon combat pour le chargeur universel : je ne pouvais pas imposer une prise spécifique pour la France, universellement compatible avec tous les téléphones.
Par ailleurs, les modalités d’affichage du DAS relèvent d’un simple arrêté.
Je pense cependant, madame la secrétaire d'État, qu’une réflexion s’impose sur cette question : il pourrait être utile d’étudier l’idée, développée par l’auteur de la proposition de loi, de faire figurer un autocollant ou un sticker sur l’appareil. J’ignore l’impact économique de cette proposition ; en tout cas, elle mérite d’être examinée.
Notre dernier objectif a été d’ajuster, voire de supprimer certaines dispositions dont l’impact économique n’avait pas été évalué et pourrait être potentiellement désastreux pour certains secteurs, sans s’appuyer sur des risques sanitaires avérés.
Je pense notamment à la disposition visant à interdire la publicité pour les équipements terminaux radioélectriques autres que les téléphones mobiles pour les enfants de moins de quatorze ans. Cette disposition était très floue, puisqu’elle visait potentiellement un grand nombre d’appareils. Outre qu’elle ne paraît pas justifiée d’un point de vue sanitaire, puisqu’il ne s’agit pas d’appareils portés à la tête, elle pourrait avoir un impact désastreux pour certains secteurs économiques, tels que la filière du jouet ou le secteur des jeux vidéos. La commission a donc adopté l’amendement de suppression du président Raymond Vall.
Nous examinerons tout à l’heure plus d’une cinquantaine d’amendements sur cette proposition de loi, dont une dizaine du Gouvernement. Rassurez-vous, madame la secrétaire d’État, la commission invitera le Sénat à adopter plusieurs d’entre eux !
Sourires.
Au terme de notre discussion, j’espère que la Haute Assemblée adoptera cette proposition de loi, largement améliorée par rapport à la version adoptée par les députés, faisant ainsi une nouvelle fois la preuve de la qualité de ses travaux et de la sagesse de ses réflexions.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du RDSE.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, les principales dispositions de la proposition de loi ayant été rappelées à l’instant, j’évoquerai simplement quatre points sur lesquels je veux attirer votre attention et qui, à mon sens, sont déterminants : la réalité de l’exposition du public aux ondes, le risque sanitaire, la responsabilité de l’État dans la procédure d’implantation des antennes relais et l’aménagement numérique du territoire, qui constitue un enjeu fondamental. Ainsi, la Haute Assemblée pourra se prononcer sur ce texte en connaissance de cause.
Premièrement, j’évoquerai l’exposition du public aux ondes. Nous vivons dans un environnement baigné par les ondes, lesquelles proviennent, entre autres et, dans le désordre, de la radio, de la télévision, des radars, des réseaux professionnels – gendarmerie, pompiers, taxis, etc. –, des balises Argos, de la téléphonie mobile, du Wi-Fi, des plaques à induction, des fours micro-ondes, ou encore des compteurs intelligents. Je souligne, au passage, que les émetteurs de radio et de télévision fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis plus de cinquante ans sans qu’aucun danger pour la santé des riverains n’ait été constaté.
À la suite du Grenelle des ondes, diverses expérimentations ont été menées en France dans le cadre du comité opérationnel, puis du comité de pilotage. Ces travaux ont permis de mieux caractériser l’exposition environnementale de la population aux ondes provenant des antennes de téléphonie mobile.
L’état des lieux a montré que, sur seize lieux d’expérimentation situés en zones urbaines, rurales, périurbaines et montagneuses, environ 90 % des niveaux d’exposition sont inférieurs à 0, 7 volt par mètre, et 99 % inférieurs à 2, 7 volts par mètre.
Pour mémoire, les valeurs limites réglementaires sont comprises entre 40 et 61 volts par mètre. Ces valeurs ont été définies par un décret de 2002, pris en application d’une recommandation du Conseil de l’Union européenne de 1999, sur la base de seuils définis par l’Organisation mondiale de la santé.
Le constat est donc sans appel : l’exposition environnementale aux ondes de la téléphonie mobile est particulièrement faible, où que l’on se situe sur le territoire national. Elle est, dans la plupart des cas vérifiés, en deçà des normes en vigueur.
Il faut, en outre, rappeler, même si ce n’est pas nécessairement intuitif, que la multiplication des antennes relais a pour effet une diminution de l’exposition environnementale. Plus le réseau d’antennes est dense, plus leurs émissions sont faibles pour la même couverture et la même qualité de service.
Deuxièmement, j’évoquerai l’absence de risque sanitaire avéré. Même si on fait dire bien des choses au rapport de 2013 de l’ANSES, qui est l’étude de référence en matière de connaissance des risques liés aux radiofréquences, j’aimerais rappeler ce qui est effectivement dit dans cette expertise collective.
L’ANSES constate que des effets biologiques peuvent être observés en deçà des valeurs limites d’exposition aux radiofréquences, définies au niveau international. Pour autant, les experts de l’agence n’ont pu établir de lien de causalité entre ces effets et d’éventuels effets sanitaires qui en résulteraient. Les conclusions de l’évaluation des risques ne mettent donc pas en évidence d’effets sanitaires avérés, comme Mme la secrétaire d’État et M. le rapporteur de la commission des affaires économiques l’ont rappelé voilà quelques instants. L’ANSES n’estime donc pas utile de redéfinir les valeurs limites d’exposition aux ondes.
Certaines publications évoquent toutefois une possible augmentation du risque de tumeur cérébrale sur le long terme pour les utilisateurs intensifs de téléphones portables. C’est pourquoi l’Agence a émis trois recommandations : tout d’abord, réduire l’exposition des enfants en incitant à un usage modéré du téléphone portable et en privilégiant le recours au « kit mains libres » ; ensuite, pour les adultes utilisateurs intensifs de téléphonie mobile en mode conversation, recourir au « kit mains libres » et aux terminaux mobiles avec les débits d’absorption spécifiques, ou DAS, les plus faibles ; enfin, étudier de manière approfondie l’éventuelle multiplication du nombre d’antennes relais, afin de réduire les niveaux d’exposition environnementaux du public.
Le rapport ne dit rien d’autre : il n'y a pas de risque avéré sur l’exposition environnementale, mais la vigilance est nécessaire sur l’usage du terminal mobile.
Troisièmement, j’en viens au rôle de l’État. Il faut le redire ici clairement : ce dernier, à travers l’Agence nationale des fréquences, est seul compétent pour coordonner l’implantation sur le territoire national des stations radioélectriques de toute nature et pour veiller au respect des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques. Le pilotage par l’État est la garantie d’un niveau élevé et uniforme de protection de la santé, ainsi que d’un fonctionnement optimal des réseaux, notamment par une couverture complète du territoire.
La seule compétence du maire, qui d’ailleurs lui permet d’être informé, tient à ses pouvoirs en matière d’urbanisme : aucune antenne ne peut être implantée sans déclaration de travaux.
Dès lors, ce texte, qui place le maire au cœur d’une procédure de concertation et de médiation, alors même qu’il n’a aucun pouvoir de décision en matière d’autorisation ou de refus d’installation des antennes, n’est pas un bon signal. Il risque de placer les élus dans une situation encore plus délicate que celle qu’ils connaissent actuellement et de ralentir le déploiement des réseaux de téléphonie.
Cela me conduit à aborder mon dernier point : l’enjeu de l’aménagement numérique du territoire.
Je crois qu’il nous faut prendre garde, avec les dispositions de ce texte, à ne pas complexifier la procédure d’installation des antennes relais à un point tel que nous mettrions en péril l’aménagement numérique du territoire.
Il y a maintenant quinze jours, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, a ouvert trois enquêtes administratives à l’égard des opérateurs, en vue de s’assurer du respect de leurs obligations : l’une sur Free Mobile, qui est tenu de couvrir en 3G, hors itinérance sur le réseau d’Orange, 75 % de la population d’ici au 12 janvier 2015 ; une autre à l’égard de Bouygues, Free, Orange et SFR, portant sur le déploiement d’un réseau 3G commun dans 3 500 communes rurales d’ici à la fin de l’année 2013 ; enfin, une enquête à l’égard de SFR, pour s’assurer que la dernière échéance de déploiement de son réseau mobile 3G a bien permis de couvrir la cible de 99, 3 % de la population.
En l’absence d’éléments sanitaires probants, il convient de ne pas mettre en péril le désenclavement numérique de notre territoire, et en particulier des zones rurales. Il y va de l’intérêt général.
C’est à partir de ce constat que la commission du développement durable a adopté une trentaine d’amendements, largement repris ou satisfaits par la commission des affaires économiques. Je salue, d’ailleurs, l’état d’esprit constructif qui a présidé à ces travaux.
Ces amendements avaient trois objets principaux : tout d'abord, renforcer l’information du maire sur les installations situées sur le territoire de sa commune, sans pour autant placer ce dernier au cœur d’une procédure d’implantation qui n’est pas de sa compétence ; ensuite, améliorer la cohérence et la qualité rédactionnelle du texte ; enfin, supprimer un certain nombre de contraintes inutiles à nos yeux. Je pense, en particulier, à l’interdiction du Wi-Fi dans les écoles primaires lorsque celui-ci n’est pas utilisé pour les activités numériques pédagogiques, alors même que le Gouvernement a fait de l’école numérique une de ses priorités. Une telle mesure, en outre, aurait eu pour conséquence de mettre en cause la responsabilité des maîtres d’ouvrage, les maires, ainsi que des enseignants.
Je crois que l’on touche ici à l’un des écueils de cette proposition de loi, qui, sous d’apparentes bonnes intentions, crée de l’insécurité juridique et complexifie les situations concrètes.
Je terminerai sur ce point : il est important de ne pas placer le débat sur le plan d’une inquiétude irrationnelle, mais bien, comme l’a souligné Mme la secrétaire d'État, de créer un climat de confiance, lequel ne peut reposer que sur les éléments objectifs de connaissance scientifique et sanitaire dont nous disposons.
C’est au vu de ces éléments que nous avons examiné ce texte et proposé des amendements à la commission des affaires économiques, dont je salue, encore une fois, le travail.
Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et de l'UMP.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au travers de cette proposition de loi, le groupe écologiste de l’Assemblée nationale a souhaité répondre à une attente légitime, et désormais ancienne, de la population : appliquer le principe de précaution en matière d’ondes électromagnétiques.
Le principe de précaution, tel qu’il est défini dans la Charte de l’environnement, indique en effet que « lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Ce principe vaut également dans le domaine sanitaire.
En matière d’exposition aux ondes électromagnétiques, la réalisation du dommage n’est pas certaine et les risques sont encore non avérés au regard des connaissances scientifiques actuelles. Néanmoins, il existe, au vu du nombre de rapports publiés sur le sujet, une présomption de risque qu’il convient de prendre en compte. En d’autres termes, la preuve n’a pas été apportée de la non-existence de ce risque.
Il s’agit donc, au travers de cette proposition de loi, de créer les conditions d’une prise en compte de ce risque possible, afin de le limiter de manière proportionnée et provisoire.
Nous regrettons que la commission des affaires économiques ait fait le choix d’écarter l’ensemble des dispositions de ce texte qui mentionnaient ce risque possible, supprimant l’idée même d’une protection des personnes au sein du titre II. Nous n’approuvons pas cette démarche, qui conduit à contourner le principe de précaution.
En même temps, nous ne sommes pas surpris : voilà seulement quelques semaines, lors de l’examen d’une proposition de loi de M. Bizet, une majorité s’était constituée au Sénat pour remettre en cause ce principe de précaution et ce qui fait sa spécificité en France et en Europe.
Que reste-t-il aujourd’hui, en termes de contenu, dans cette proposition de loi ?
Dans son titre Ier, le texte crée une procédure de consultation et d’information de la population lors de l’implantation d’antennes relais. Il s’agit ici de mesures de bonne gouvernance tendant à prévoir une consultation de la population, mesures préconisées dans le rapport Girard-Tourtelier que vous avez évoqué précédemment, madame la secrétaire d’État.
Nous sommes, bien évidemment, favorables à la concertation et à l’information en la matière. D'ailleurs, de nombreux maires effectuent, d’ores et déjà, ce travail auprès de la population, mais c’est une bonne chose que de l’inscrire dans la loi. Pour autant, la procédure législativement consacrée n’est pas très claire.
On ne sait toujours pas quel est l’objet de cette procédure d’information et de consultation. Portera-t-elle sur le lieu d’implantation ou sur l’autorisation elle-même ? Le débat permettra sans doute d’éclairer ce point. Il est indiqué que le maire ou le président de l’intercommunalité est à son initiative et qu’elle se déroule sous son autorité, à charge d'ailleurs pour le maire de solliciter l’opérateur afin de recueillir des informations nécessaires à la consultation. Nous estimons, au fond, qu’une telle mesure fait peser une forte responsabilité et un risque contentieux réel sur les élus locaux, dont les pouvoirs en matière d’autorisation restent, parallèlement, quasiment inexistants.
On ne sait pas, non plus, qui financera cette consultation. Dans le contexte d’asphyxie des collectivités, comment croire que celles-ci en auront les moyens, surtout si la consultation restait facultative – je crois que tel ne devrait pas être le cas – et si aucune obligation de contenu n’était définie dans la loi ? Il y a fort à craindre que cette consultation ne soit, le plus souvent, minimale.
Enfin, rien ne vient préciser de quelle manière les conclusions de cette concertation auront un impact sur la décision prise par l’Agence nationale des fréquences, l’ANFR. Or il est évident qu’une consultation n’a de sens que si sa portée est réelle.
Nous proposerons, pour notre part, une évolution du processus de décision par l’inscription dans la loi d’une disposition prévoyant que toute implantation doit faire l’objet d’un accord express de l’ANFR. Aujourd’hui, en effet, en cas de silence de l’administration durant deux mois, l’accord est réputé acquis.
Nous regrettons également que ne soit pas abordée dans cette proposition de loi la question qui nous semble primordiale en matière d’antennes relais : celle du seuil d’exposition maximale.
Nous proposerons donc, par voie d’amendement, d’adosser au principe de sobriété le principe ALARA – c'est-à-dire, en anglais, as low as reasonably achievable – afin de définir clairement que le niveau des émissions doit être aussi bas que c’est raisonnablement possible. Nous portons, avec de nombreuses associations, et dans la suite du Grenelle des ondes, l’idée qu’il faut réduire le seuil d’acceptabilité à 0, 6 volt par mètre. Il est donc nécessaire de revenir sur le décret de 2002. Nous attendons vos réponses sur ce sujet, madame la secrétaire d'État.
S’agissant du titre II de cette proposition de loi, qui est plus spécifiquement relatif aux usages en matière de téléphonie mobile comme de Wi-Fi, force est de constater qu’il a été vidé de sa substance. Les mesures restantes nous semblent certes positives, mais à portée limitée.
Sur le fond, je voudrais faire part d’un regret. Depuis les années quatre-vingt-dix, le secteur des télécommunications a été ouvert à la concurrence. C’est notamment le cas en France depuis 1996.
Cette libéralisation a conduit à la multiplication des infrastructures concurrentes, donc à celle des émissions, en particulier dans les zones tendues, alors que des pans entiers du territoire n’étaient couverts ni pour la téléphonie mobile ni pour le numérique. Il y avait alors trois sortes de zones : denses, grises et blanches.
J’en profite d’ailleurs pour souligner que les opérateurs sont particulièrement mal fondés à combattre cette proposition de loi en tant qu’elle représenterait une atteinte à l’aménagement du territoire et à la couverture par le très haut débit. C’est bien la concurrence libre et non faussée qui empêche cette couverture intégrale, faute d’une rentabilité suffisante dans les zones blanches pour les actionnaires de ces sociétés.
S’il est nécessaire de restaurer la confiance – et tel est le cas – par une meilleure information, ce qui est l’objet principal de cette proposition de loi, il est également urgent, au regard des impacts sanitaires probables, d’identifier un modèle de développement des infrastructures compatible avec l’objectif de sobriété. Pour nous, il s’agit d’une maîtrise publique renforcée.
Dans ce cadre, nous restons convaincus que la question du fibrage reste un objectif politique majeur, tant l’enjeu du développement numérique est important pour l’économie de nos territoires.
L’aménagement numérique et technologique sur le territoire national devrait relever du seul service public. En effet, le déploiement et l’exploitation d’un seul réseau par la puissance publique auraient permis d’éviter, à la fois, les déserts numériques et la surabondance des sources d’ondes électromagnétiques dans les zones denses.
Voilà, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les quelques éléments que je souhaitais soumettre à votre attention. Pour notre part, nous abordons l’examen de cette proposition de loi dans un esprit de bienveillance.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.