Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui n’est pas la première qui vise à encadrer le nuançage politique mis en œuvre par les services de l’État.
Certains de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, ont également été saisis de cette question depuis la création d’un répertoire national des élus. En effet, les services de l’État doivent, lors de chacune des élections cantonales ou municipales, mettre à jour le fichier des élus, dans un cadre juridique strict, en indiquant la nuance politique de ces derniers.
La nuance, contrairement à l’étiquette politique, librement choisie par les candidats et figurant sur les documents de campagne et le matériel de vote, est attribuée par l’administration en fonction d’une grille préétablie.
C’est ainsi que figurent, à ce jour, seize courants politiques sur la liste des nuances, alors qu’une rubrique « divers » regroupe des partis marginaux. Cependant, il n’existe pas de catégorie « sans étiquette ». Cela signifie que les candidats s’étant déclarés « sans étiquette » se verront attribuer d’office une nuance correspondant à l’un des courants répertoriés dans la grille. Toutefois, chaque candidat est informé de la grille des nuances au moment du dépôt de candidature et dispose d’un droit d’accès et de rectification.
Il apparaît aujourd’hui nécessaire de renforcer encore l’information des candidats lors du dépôt des déclarations de candidature, en insistant sur l’existence d’une liste des nuances politiques.
Par ailleurs, le répertoire des nuances politiques des élus n’a pas vocation à être rendu public avant la clôture du dépôt des candidatures. Aussi, pour éviter toute polémique pendant la campagne électorale, la nuance choisie par un candidat pourrait-elle être rendue publique après la publication des résultats définitifs pour la commune concernée.
Les nuances permettent la centralisation des résultats et font apparaître les tendances politiques nationales ou locales. Outre qu’il contribue à l’indispensable information des citoyens, du Parlement et du Gouvernement, ce fichier concourt à la mise en œuvre des dispositions législatives sur le cumul des mandats, l’interdiction des candidatures multiples, la parité ou le financement de la vie politique. En particulier, il facilite la lecture des résultats par les médias – et donc par le grand public –, en leur apportant une information lisible.
Cependant, dans certains cas, beaucoup l’ont rappelé, les élus semblent véritablement découvrir, souvent par voie de presse, la nuance qui leur est attribuée.
Après les dernières élections municipales, cette même presse a particulièrement relayé le mécontentement exprimé par un certain nombre de candidats et d’élus, à l’origine sans étiquette ou apolitiques, qui ne comprenaient pas pourquoi telle ou telle nuance leur avait été ainsi attribuée. Elle a aussi entretenu, il faut le souligner, une polémique sur le thème du fichage politique des maires ou du « bidouillage organisé », nourrissant des soupçons infondés de manipulation du fichier.
Il est vrai que certains candidats se sont retrouvés classés dans des catégories diamétralement opposées à leur véritable couleur politique. Mais, après tout, s’ils déclaraient leur étiquette, ce problème ne se poserait pas !
Il est vrai aussi que les préfectures attribuent les nuances en fonction d’un faisceau d’indices très aléatoires et que les services de l’État préfèrent ne pas gonfler les effectifs de la nuance « divers », afin de ne pas entraver la lisibilité politique des résultats des différents scrutins.
Il faut également reconnaître que la présentation d’une liste sans étiquette peut parfois tenir à des motivations qui ne sont pas clairement exprimées.
Dans certains cas, des candidats qui se prétendent apolitiques camouflent à l’évidence un engagement à droite ou à gauche en s’abritant derrière des listes aux slogans très locaux. Ainsi, depuis quelques années, on évoque un regain des candidatures sans étiquette de personnalités plutôt à droite.
D’autres, s’agissant notamment des candidatures allant à l’encontre des valeurs de la République, cherchent à brouiller les frontières entre formations politiques. Cela leur permet de ne pas afficher leur orientation et d’avancer masqués pendant les campagnes électorales, sans même se dévoiler, dans la plupart des cas, après leur élection.
D’autres candidats encore, bien que prenant une position politique lors des élections nationales, font le choix de se présenter sans étiquette aux élections municipales et ne se reconnaissent pas dans la catégorie « divers ». C’est ainsi que fleurissent les listes intitulées « pour la défense des intérêts communaux ».
La création d’une nuance « sans étiquette » ne faciliterait donc pas la détermination de l’appartenance politique d’un candidat pour les citoyens souhaitant la connaître et ne contribuerait pas à mieux identifier l’engagement politique ni à mieux encadrer le risque de comportements antirépublicains.
Pour les services de l’État, la nuance « divers » a vocation à rassembler toutes les listes et tous les candidats ne manifestant pas d’engagement politique. C’est la raison pour laquelle la CNIL avait validé ce dispositif, au motif de l’intérêt public. Quant au Conseil d’État, il avait considéré que cette grille de nuances ne servait qu’à établir les tendances des résultats.
Toutefois, cette question du nuançage a pris une ampleur toute particulière cette année, car l’abaissement de 3 500 à 1 000 habitants du seuil d’application de la représentation à la proportionnelle introduit par la loi en 2013 concernait de nombreux candidats, et donc de nombreuses listes.
Or c’est à l’échelon des petites communes, très souvent rurales, que l’on rencontre le plus grand nombre de listes non partisanes ou multipartisanes. Néanmoins, c’est souvent dans de très petites communes, de moins de 1 000 habitants, qu’il y a des difficultés pour bâtir une liste, liées parfois à des considérations tenant à la responsabilité des élus, notamment celle du premier magistrat, devant la loi, ou tout simplement à l’absence d’engagement citoyen au service de l’intérêt général.
Il convient donc de prendre en compte la réalité de ces territoires ruraux où il est de plus en plus difficile de motiver les citoyens à s’engager dans un mandat communal. Notre groupe partage l’objectif de cette proposition de loi, qui tend à laisser aux candidats la possibilité de refuser de se voir attribuer une nuance politique dans les communes de moins de 3 500 habitants.
Cela étant, je veux souligner qu’il n’y a pas d’urgence à la mise en place d’une telle règle, qui ne devrait en effet s’appliquer qu’aux prochaines élections municipales. Ce texte a en tout cas le mérite d’interpeller le Gouvernement sur cette question et contribuera, à n’en pas douter, à faciliter l’engagement citoyen au service de la République. §