Si nous ne procédions pas au nuançage, pratique mise en œuvre depuis très longtemps par tous les gouvernements successifs, nous serions dans l’impossibilité de procéder à des études et à des analyses politiques qui apparaissent utiles à maints égards.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur l’idée selon laquelle le nuançage, tel qu’il existe, ne permettrait pas de recouvrir la totalité des sensibilités politiques ou de prendre en compte la situation de ceux qui, sans étiquette et n’appartenant à aucun groupe ni à aucune sensibilité, se présentent aux élections en ne représentant qu’eux-mêmes – et encore pas tous les jours, ajouterai-je pour paraphraser Edgar Faure ! §
Le nuancier compte suffisamment de catégories pour classer la totalité des candidats à une élection, y compris ceux qui déclarent ne pas avoir de sensibilité politique et affirment avec force n’appartenir ni à la gauche ni à la droite.
Le fait que la rubrique « divers » comporte des intitulés correspondant à des organisations ou partis existants – et parfois fantaisistes – ne signifie pas qu’elle se limite à ceux-ci. Les candidats qui ne se reconnaissent dans aucune sensibilité politique peuvent très bien s’y rattacher. Tel qu’il existe aujourd’hui, le nuancier permet donc d’assurer le classement pertinent de tous ceux qui n’ont pas d’appartenance.
Enfin, certains arguments, notamment ceux de mon ami Philippe Bas, me laissent perplexe.
Par exemple, ce qui compterait, c’est la réalité, et non pas le seuil. Or, en matière électorale, dès lors qu’il s’agit de questions qui se traitent en droit – et en matière électorale, mieux vaut traiter les questions en droit que de toute autre manière –, le seuil démographique, cela compte : si l’on ne s’y réfère pas, on s’écarte du respect du principe cardinal d’égalité ! Si nous entrions dans la logique qui est la vôtre, monsieur Bas, en considérant que seule la réalité compte, et non les seuils, nous nous placerions dans une situation juridique extraordinairement délicate.
En outre, la proposition du Gouvernement de rendre la nuance publique après le scrutin ne serait pas recevable, au motif que si l’information est exacte il n’y a pas de raison de la cacher, et que si elle est erronée elle ne mérite d’être communiquée à aucun moment.
Je répondrai à cet argument de deux manières.
En premier lieu, si nous proposons de rendre la nuance publique après le scrutin, c’est tout simplement parce que – il s’agit d’ailleurs de la motivation de la proposition de loi – la rendre publique avant ou pendant le scrutin serait susceptible de fausser ce dernier, de créer le trouble et la confusion. Il n’y a de notre part aucune volonté de dissimulation ; nous entendons, je le répète, répondre à la préoccupation des auteurs de la proposition de loi.
En second lieu, comme l’ont souligné à très juste titre Mmes Assassi et Bataille, de nombreux candidats veulent dissimuler leur étiquette politique parce qu’ils sont très conscients de l’incidence que sa révélation pourrait emporter sur le vote d’un certain nombre d’électeurs. Il apparaît clairement, à l’examen des résultats des scrutins les plus récents, qu’il est recouru à ce procédé de façon plus massive que jamais auparavant. Permettre à de tels candidats d’échapper à la clarté et à la transparence dues aux électeurs ne me paraît pas très sain démocratiquement.
Dans mon département, énormément d’élus ruraux ne souhaitent pas nécessairement afficher leur étiquette politique. Certains d’entre eux, je le sais, entendent très sincèrement s’attacher exclusivement à défendre les intérêts de leur commune, en faisant fi de leur appartenance. Mais je sais aussi que le philosophe Alain observait avec raison que lorsque quelqu’un dit n’être ni de droite ni de gauche, il y a tout de même de fortes chances pour qu’il soit de droite… §Dans le même esprit, selon François Mitterrand, quand on est sans étiquette, on est souvent « ni de gauche, ni de gauche » !