Intervention de André Reichardt

Réunion du 17 juin 2014 à 14h30
Législation applicable dans les départements de la moselle du bas-rhin et du haut-rhin — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission, amendement 4

Photo de André ReichardtAndré Reichardt :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter aujourd'hui une proposition de loi tendant à moderniser différentes dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Ces départements attendent ce texte avec impatience. Comme vous le savez, ils ont une législation qui leur est propre dans différents domaines du droit. Le terme exact employé après la fin de la Première Guerre mondiale est celui de « droit local alsacien-mosellan ». Ce droit a bien entendu une histoire, liée à l’histoire même des trois départements de l’Est. Au lendemain de leur annexion en 1870, le droit français y fut, dans beaucoup de domaines, progressivement remplacé par les lois d’Empire allemandes, ainsi que par des dispositions locales émanant d’instances législatives propres au land d’Alsace-Lorraine. En fait, sous l’expression « Alsace-Lorraine », il faut entendre « Alsace-Moselle ». J’apporte cette précision en raison d’une actualité particulièrement brûlante…

Lors du retour de l’Alsace-Lorraine à la France en 1918, le législateur préféra, à une introduction brutale et massive de l’ensemble de la législation française, une introduction par matières, ainsi que le maintien de dispositions de droit local inconnues du droit français ou reconnues techniquement supérieures à la législation française équivalente. L’introduction de la législation française a notamment été réalisée par deux grandes lois du 1er juin 1924, l’une pour la législation civile et l’autre pour la législation commerciale. Toutefois, ces deux textes ont également maintenu diverses dispositions de droit local, dont le caractère temporaire d’origine s’est en réalité perpétué.

À partir des années soixante-dix, des pans entiers ont disparu du fait de l’évolution considérable du droit français, qui s’inspirait d’ailleurs parfois du droit local. Cependant, il reste encore certains domaines où la législation spécifique paraît toujours préférable. L’idée d’un droit local est largement acceptée – c'est un euphémisme ! – dans nos trois départements de l’Est et ne fait aucunement, quoi qu’en pensent certains, l’objet d’une remise en cause globale. Reste qu’il s’agit à présent de veiller à faire évoluer les règles locales, qui, n’ayant pas ou pas assez été modifiées depuis plusieurs décennies, nécessitent une mise à jour. Tel est l’objet de la proposition de loi que je vous présente aujourd'hui.

Avant tout, permettez-moi de vous dire que le contenu de ce texte a recueilli, sur le fondement des travaux de l’Institut du droit local alsacien-mosellan, l’avis favorable de la Commission d’harmonisation du droit privé. Les modifications que je vais vous détailler ont été longuement étudiées et constituent des avancées à mon sens nécessaires à la modernisation de ce droit local.

La proposition de loi porte sur six sujets distincts ; cinq d’entre eux figuraient dans la proposition de loi initiale, et j’ai fait adopter le sixième par voie d’amendement lors de la discussion du texte en commission des lois. Ces six sujets sont le financement des corporations de droit local, le cadastre, la taxe des riverains, les associations coopératives, le repos dominical et pendant les jours fériés et la procédure de partage judiciaire de droit local.

Commençons par le financement des corporations.

Dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, le régime de l’artisanat est régi par le code local des professions. Les artisans sont regroupés en corporations, dont la mission première est d’assurer la défense des intérêts professionnels de leurs membres qui dépendent de chambres de métiers – ces dernières étant chargées de représenter les intérêts généraux de l’artisanat et non les métiers. À la différence des syndicats, les corporations représentent à la fois – on l’oublie souvent ! – les employeurs et les salariés, appelés les compagnons, sur une circonscription déterminée.

Jusqu’au 30 novembre 2012, ces corporations pouvaient être libres ou obligatoires. La très grande majorité d’entre elles, plus d’une centaine, étaient obligatoires ; une petite minorité, libre. À cette date, le Conseil constitutionnel, par une décision issue d’une question prioritaire de constitutionnalité, déclarait contraires à la Constitution deux importants articles du code local des professions. Il en est résulté que les corporations obligatoires chargées de l’administration et de la représentation de certains métiers dans l’artisanat ont perdu le droit d’affilier d’office les artisans de leur ressort, ainsi que le droit d’utiliser une procédure de recouvrement forcée des cotisations, qui existait auparavant. Cependant, cette décision du Conseil constitutionnel ne concerne pas la mission des corporations et a maintenu l’existence de ces dernières, en ne les libérant pas de l’obligation d’accomplir leurs missions.

Il s’agit, par conséquent, de trouver un mode alternatif de financement pour ces institutions auxquelles les artisans et la population des trois départements concernés sont très attachés. C’est pour cette raison que les articles 1er à 3 de la proposition de loi visent à permettre aux chambres de métiers d’Alsace et de Moselle, si elles le souhaitent, et seulement dans ce cas, de financer les corporations et à autoriser ces dernières à percevoir des redevances pour service rendu. S’agissant tout particulièrement de l’article 1er, il s’agit simplement d’ouvrir à l’Alsace-Moselle une possibilité d’ores et déjà offerte aux chambres de métiers des autres départements par l’article 23 du code de l’artisanat. Quant aux redevances pour service rendu, elles doivent bien sûr trouver leur contrepartie directe dans la prestation fournie par le service ; elles ne devraient donc pas poser problème. De telles redevances existent dans le droit général ; pourquoi n’existeraient-elles pas en droit local ?

La deuxième partie de la proposition de loi concerne la modernisation du droit local applicable en matière de cadastre.

Dans les trois départements de l’Est, la publicité foncière n’est pas organisée comme dans le reste de la France, où elle est régie par la conservation des hypothèques, dépendant du ministère des finances. En Alsace-Moselle, elle est assurée par le livre foncier, tenu par un magistrat spécialisé, et relève du ministère de la justice. L’inscription au livre foncier emporte présomption simple d’existence d’un droit de propriété en raison du contrôle exercé par le juge du livre foncier.

Une loi du 29 avril 1994 avait déjà autorisé la création du GILFAM, le groupement d’intérêt public pour l’informatisation du livre foncier d’Alsace-Moselle, basé à Colmar, qui devait informatiser le livre foncier. Cette informatisation est achevée depuis 2008, date à laquelle le GILFAM a été remplacé par l’EPELFI, l’établissement public d’exploitation du livre foncier informatisé.

Dans la proposition de loi que je vous soumets, il est proposé d’étendre les compétences de l’EPELFI à l’informatisation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Cette nouvelle compétence se situera tout naturellement dans le prolongement de la mission actuelle de l’EPELFI, car cadastre et livre foncier sont indissociables et complémentaires. La publicité foncière fonctionne chez nous sur le principe de la concordance parfaite, absolue entre le cadastre et le livre foncier. Un échange systématique d’informations existe entre les bureaux du cadastre et les greffes du livre foncier.

Mes chers collègues, pour bien comprendre de quoi il s’agit, je voudrais préciser que, dans nos départements, la loi concernant le renouvellement du cadastre du 31 mars 1884 associe, au plan cadastral à l’échelle, des croquis de levé cotés résultant de mesurages terrestres. C'est une spécificité remarquable de l’Alsace-Moselle. Ces croquis sont réalisés par les services du cadastre pour la conservation du plan et par les géomètres-experts au moment de l’établissement des documents d’arpentage chaque fois qu’une limite parcellaire est modifiée. Ils sont conservés dans les annexes du livre foncier.

Le problème est que le nombre de croquis augmente en permanence et que l’état de ces documents, régulièrement utilisés par les experts ou encore par les notaires, se dégrade fortement. Il faut donc passer à la dématérialisation de ces croquis pour permettre leur conservation. J’ai pris contact avec la direction générale des finances publiques, la DGFIP, qui ne s’est pas montrée hostile à cette proposition, mais a suggéré une autre rédaction pour le second alinéa de l’article 4 du texte. Tel est l’objet de l’amendement n° 4, que j’ai déposé en ce sens.

Enfin, sur ce même sujet de la modernisation du cadastre, il est également proposé de toiletter la loi du 31 mars 1884 afin d’en harmoniser les dispositions avec les règles du droit civil régissant la prescription acquisitive trentenaire et d’abroger une disposition de droit transitoire surannée. Tel est l’objet de l’article 5 de la proposition de loi.

Le troisième sujet phare concerne la taxe des riverains.

C’est la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 – je le précise pour sortir de toute considération politicienne – qui a abrogé, à partir du 1er janvier 2015, la législation locale relative à la taxe des riverains, applicable dans les seuls départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. À l’époque, cette suppression est intervenue sans aucune concertation avec les associations des maires des trois départements de l’Est, et sans étude d’impact sur les incidences financières pour les communes. Par ailleurs, la Commission d’harmonisation du droit privé n’avait même pas été consultée.

Dans ces conditions, la proposition de loi prévoit de supprimer l’abrogation des dispositions de droit local régissant la taxe de riverains et, ainsi, de pérenniser l’existence de cette dernière.

Le maintien de la taxe des riverains se justifie pour au moins trois raisons.

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