Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi de M. Reichardt, dont vous êtes saisis aujourd’hui, vise à modifier un certain nombre de règles propres aux trois départements d’Alsace et de Moselle.
Les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle disposent d’un droit local spécifique en raison de leur histoire commune pendant les conflits qui ont opposé la France et l’Allemagne, celui de 1870 d’abord, puis la Première Guerre mondiale, dont nous commémorons cette année le souvenir douloureux.
Un droit local s’est donc mis en place, auquel les habitants de ces trois départements sont légitimement attachés. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs reconnu dans une décision du 5 août 2011 que l’existence d’un droit local dans ces départements constituait un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
À partir des années soixante-dix, des pans entiers de ce droit local ont disparu du fait de l’évolution considérable du droit français, ce dernier s’inspirant d’ailleurs parfois de ce droit local. Toutefois, il reste encore des domaines où la législation spécifique demeure ; tel est notamment le cas pour le régime des cultes, l’artisanat, le droit des associations, la publicité foncière, la justice, le droit du travail et le droit communal.
Le droit local n’est en effet pas immuable. Le pouvoir législatif ou réglementaire peut modifier ou abroger toute disposition de droit local afin de la remplacer par une disposition de droit commun. Il s’agit, dans l’intérêt de nos concitoyens de ces départements, de veiller à faire évoluer les règles locales, qui nécessitent parfois une mise à jour.
Enfin, comme le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans la décision du 5 août 2011, le droit local peut être conservé, mais il ne peut pas être étendu. En d’autres termes, le législateur ne peut pas aggraver les différences entre le droit local et le droit commun. Ce rappel est important, car plusieurs des dispositions contenues dans la proposition de loi de M. Reichardt viennent accentuer des particularités locales et seraient donc, de notre point de vue, contraires à la Constitution.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est convaincu que les règles applicables en Alsace-Moselle ne doivent être modifiées qu’à l’issue d’un dialogue approfondi avec l’ensemble des acteurs locaux. D’abord, parce qu’il serait délicat de modifier des dispositions locales sans s’inscrire dans une démarche d’harmonisation avec le droit applicable sur le reste du territoire français. Ensuite, parce que ces modifications doivent répondre aux objectifs généraux fixés par les pouvoirs publics.
Or, malgré l’intérêt que peuvent avoir les sujets évoqués dans la proposition de loi de M. Reichardt, ce texte me paraît prématuré, et ce pour plusieurs raisons.
En premier lieu, la concertation sur les modifications qui sont préconisées ne me semble pas avoir été suffisante. Comme le rapporteur, Jean-Pierre Michel, je pense que nous avons besoin d’un travail plus abouti et de davantage de dialogue avant d’engager une réforme.
En deuxième lieu, la proposition de loi contient des mesures très disparates, souvent techniques, qui méritent un examen poussé.
En troisième lieu, les mesures proposées apparaissent, pour certaines d’entre elles, aller au-delà de ce que la jurisprudence constitutionnelle permet.
À mon avis, l’expertise, notamment technique, des mesures proposées doit être approfondie. Dès lors, le Gouvernement soutiendra les amendements de suppression adoptés ce matin par la commission des lois sur l’initiative du rapporteur, M. Jean-Pierre Michel.
Sans vouloir passer en revue l’ensemble des mesures contenues dans le texte, je voudrais dire quelques mots sur certaines d’entre elles.
L’objet du titre Ier est de trouver un mode alternatif de financement des corporations, du fait de la décision du Conseil constitutionnel du 30 novembre 2012. Cependant, la solution proposée par M. Reichardt ne me paraît ni juridiquement solide ni opportune. En effet, ce dispositif vise en réalité à revenir de manière détournée sur une censure du Conseil constitutionnel et à étendre les différences entre le droit local et le droit commun. Il n’est donc pas juridiquement viable. De plus, il aboutirait à un renforcement des charges des entreprises, ce qui est contraire à l’objectif du Gouvernement. En conséquence, le Gouvernement soutiendra les amendements visant à supprimer les trois premiers articles de la proposition de loi.
J’en arrive au titre II, qui vise notamment à étendre la mission actuelle de l’établissement public d’exploitation du livre foncier informatisé à la modernisation du cadastre dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
La question posée par cette disposition mérite d’être examinée. Néanmoins, il convient au préalable de mener une expertise sur les conséquences de cette extension des missions de l’établissement public, notamment en termes de financement. Cette mesure impliquerait en effet d’alourdir les charges pesant sur l’EPELFI, ce qui n’est pas souhaitable. C’est pourquoi le Gouvernement sera favorable aux amendements de suppression de l’article 4.
Enfin, j’appelle votre attention sur le titre V, qui vise à déroger au repos dominical et pendant les jours fériés.
Le droit pour le repos dominical et pendant les jours fériés des trois départements d’Alsace et de Moselle est essentiellement déterminé par les statuts locaux. La présente proposition de loi vise à faire évoluer ces règles.
Chacun d’entre vous connaît les débats passionnés qui ont eu lieu sur cette question complexe et sensible. De ce fait, il ne me semblerait pas opportun de traiter d’un tel sujet au détour d’une proposition de loi. Encore une fois, il nous faut du temps et de la concertation. Ainsi, je serai favorable à la suppression de l’article 8.
Mesdames et messieurs les sénateurs, le texte sur lequel vous êtes appelés à vous prononcer touche des sujets nombreux et disparates.
Certaines de ses dispositions sont en contradiction avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Vous comprendrez que le Gouvernement ne souhaite pas leur adoption, tant pour des raisons d’opportunité que pour des raisons juridiques.
D’autres dispositions méritent de faire l’objet d’une réflexion approfondie. Toutefois, sur ces sujets, nous ne devons pas faire preuve de précipitation. Le Gouvernement souhaite prendre le temps non seulement de la réflexion, de l’écoute et de la concertation, mais aussi de l’expertise technique. C’est pourquoi je vous propose, pour l’instant, de rejeter ces dispositions. Elles pourront naturellement être remises en débat, par voie d’amendement, dès lors que nous disposerons d’un véhicule législatif adapté.
Pour finir, je voudrais remercier M. Reichardt de l’important travail qu’il a fourni pour l’élaboration de cette proposition de loi. Je tiens à l’assurer que le Gouvernement partage ses préoccupations et qu’il est déterminé à répondre aux attentes des citoyens d’Alsace et de Moselle.