Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 17 juin 2014 à 21h30
Exposition aux ondes électromagnétiques — Suite de la discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Deux hypothèses sont envisageables : soit ils le considèrent comme un horizon indépassable parmi tous les textes que nous avons pu examiner au cours de cette session, soit, au contraire, ils jugent que ce texte doit être dépassé…

De ce point de vue – Joël Labbé en a fait la remarque il y a quelques instants –, la proposition de loi a effectivement considérablement évolué, mais, à moins que nombre de nos amendements ne soient repris, il sera difficile pour notre groupe de le voter, tout simplement parce qu'il comporte encore des contradictions importantes et qu’il pourrait susciter des risques juridiques, eux, bien avérés.

Pour ce qui est des contradictions, le point de départ du texte est le soulagement des personnes hypersensibles aux ondes électromagnétiques. C'est une juste cause, qui doit effectivement mériter toute notre attention. Le problème, c'est que le point d’arrivée du texte risque paradoxalement de se trouver à l’opposé de l’objectif visé.

En effet, si l’on ne veut pas transiger pas sur la couverture du territoire – qui, parmi nous, mes chers collègues, souhaiterait amoindrir la couverture de son territoire et augmenter la fracture numérique ? – tout en rendant aux Français une qualité de service équivalente, il faudra ou bien multiplier les antennes, ou bien augmenter la puissance de réception des portables, autrement dit des terminaux. Or, vous le savez très bien, c'est ce qu’il y a de plus dangereux ! En effet, les antennes relais émettent des radiofréquences qui sont 10 000 à 100 000 fois moins élevées que celles qui sont suscitées par un terminal de portable lors d’une conversation.

Un point d’attention concerne clairement les terminaux. Ce n’est pas pour rien – Daniel Raoul l’a dit il y a quelques instants – que, très tôt, le législateur a voulu qu’un « kit mains libres » soit mis à la disposition de chaque acheteur : c'est précisément pour pallier ce risque.

Ainsi, mes chers collègues, on ne peut prétendre soulager des souffrances qui, selon moi, sont réelles sans base scientifique solide : cela reviendrait à leurrer ceux qui souffrent. M. Le Déaut, qui est vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, disait justement : « L’ensemble des rapports d’expertise internationaux, fondés sur des milliers d’études, conclue qu’il n’y a pas de risque avéré des radiofréquences en dessous des limites réglementaires ».

Voilà la première contradiction. La seconde concerne la Gouvernement. Madame la secrétaire d'État, en l’absence de base scientifique avérée, le Gouvernement doit clairement se positionner pour lever la contradiction qui consiste à entretenir le flou tout en recommandant une feuille de route assez ambitieuse sur le numérique.

Mes chers collègues, nous savons tous que l’avenir de la France dépend très largement de la troisième révolution industrielle. Le numérique représente 25 % de la croissance, 25 % de la productivité, et l’attractivité de nos territoires dépend également de la couverture numérique.

Les deux grandes infrastructures du XXIe siècle, ce sont les réseaux à très haut débit, fixes, mais aussi mobiles. Il doit en effet y avoir une complémentarité entre la fibre et le mobile ; vous en êtes d'ailleurs, monsieur le président de la commission des affaires économiques, l’un des promoteurs. Comme il ne sera pas possible d’installer la fibre dans chaque habitation, il faudra prévoir la complémentarité entre les ondes, c'est-à-dire la mobilité, et la fibre pour couvrir la totalité de notre territoire.

Il faut ajouter une autre frontière, celle du « Web 3.0 », qui utilisera des services et permettra des usages de mobilité, de nomadisme. Le Web 3.0, c’est à la fois le Cloud, le Big data, mais également les objets connectés, une connexion permanente, partout, sans fil à la patte. On voit donc bien que la mobilité et, par conséquent, les ondes et les radiofréquences seront essentielles pour la couverture du territoire et pour relever le défi de la France numérique que nous voulons bâtir. Or ce n’est pas en agitant des peurs que l’on y parviendra !

Si le risque scientifique n’est pas avéré, les risques juridiques, eux, le sont, et ce pour trois raisons.

Le premier risque vient, à mon sens, de ce qu’il n’y a de fondement constitutionnel ni au principe de modération ni au principe de sobriété. La première mouture de la proposition de loi déposée par Mme Abeille et les débats à l’Assemblée nationale témoignent de la volonté de l’auteur de relier son texte au principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement. Or je ne pense pas que l’on puisse le faire d’un point de vue juridique.

L’exposé des motifs d’un amendement de Mireille Schurch que nous examinerons ultérieurement évoque concrètement le principe ALARA, c'est-à-dire, en anglais, « aussi bas que raisonnablement possible ». Juridiquement, je pense que ce qu’il convient d’invoquer sur ce texte n’est pas le principe de précaution, mais bien plutôt le principe ALARA.

Cependant, ce principe, qui concernait le risque, avéré sur le plan scientifique, que faisaient courir les rayonnements ionisants, ne cadre pas avec l’article 5 de la Charte de l’environnement. En effet, il va bien au-delà du principe de précaution, qui doit rester connecté à l’analyse scientifique et à un danger potentiel. Ainsi, à mon sens, on ne peut pas donner une base juridique à ce texte sur le fondement constitutionnel de l’article 5 de la Charte.

Le deuxième risque juridique concerne le principe de proportionnalité. Je pense en outre que le principe anglo-saxon ALARA s’accommode mal avec le principe de proportionnalité. Pourquoi ? Le principe de proportionnalité, consacré à la fois par le droit européen, le droit constitutionnel et le droit administratif, implique que les mesures de précaution soient proportionnées, c'est-à-dire réalisables, avec un coût acceptable. Le principe ALARA dépasse de très loin cette problématique. Comme vous le savez, une expérimentation menée dans seize quartiers avait montré que, pour réduire l’exposition à 0, 6 volt par mètre, il faudrait multiplier par trois le nombre des antennes. Si la faisabilité technique est présente, il en va donc différemment de l’acceptabilité et de la portée économique.

Le troisième risque juridique, qui est important, vient de ce que ce texte crée une discrimination et une atteinte au principe d’égalité devant la loi. En effet, pourquoi prévoir un régime juridique spécifique pour les seules antennes relais, alors que le rapport Girard-Tourtelier, dont la grande qualité a été soulignée à plusieurs reprises à cette tribune, reconnaît que « l’exposition des personnes aux champs électromagnétiques est composite et ne fait pas une place prépondérante aux antennes relais » ?

Mes chers collègues, pourquoi, de façon rationnelle, avoir laissé de côté les fours à micro-ondes, les radars, les lignes à haute tension, les nombreux appareils qui émettent des ondes ? Il y a bien une discrimination et, par conséquent, une atteinte au principe juridique d’égalité.

En conclusion, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions, …

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