Intervention de Luc Oursel

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 18 juin 2014 : 1ère réunion
Transition énergique — Audition de M. Luc Oursel président du directoire d'areva

Luc Oursel, président du directoire d'Areva :

J'ai grand plaisir à participer à vos travaux. Le projet de loi en préparation sur la transition énergétique confirme l'ambition de la France, tandis qu'elle prépare la conférence sur l'énergie et le climat de 2015, de réduire sa dépendance aux énergies fossiles et ses émissions de carbone.

Le bilan de la France dans le domaine électrique est correct. Notre production d'électricité est, grâce au nucléaire et, pour un pourcentage encore limité, aux énergies renouvelables, celle qui, en Europe, présente le plus faible taux de CO2 par kilowattheure, à savoir 70 grammes, le cinquième de la moyenne européenne. Au Danemark, champion de l'éolien en Europe, ce taux est sept à huit fois supérieur : quand il n'y a pas de vent, ce pays doit recourir à une production d'origine thermique.

La stratégie de réduction des émissions de carbone ne saurait se limiter à la seule production d'électricité. Le bâtiment et les transports sont de gros émetteurs de CO2 (respectivement 25 % et 41 % du total), quoiqu'il n'en ait guère été question dans les discussions préliminaires de 2013. Un débat global s'impose donc, qui ne se limite pas à l'alternative « pour ou contre le nucléaire ? ». L'électricité française présente de bons résultats quant à son coût, à l'indépendance énergétique qu'elle nous assure, à son impact sur la balance commerciale, et à ses faibles émissions de CO2. Si l'objectif essentiel est de réduire ces émissions, nous devons réfléchir à augmenter la part de l'électricité dans notre mix énergétique. Elle répondra à de nouveaux usages, comme les technologies de l'information, les transports urbains, les villes intelligentes, la voiture électrique, etc... La consommation électrique a vocation à s'accroître.

La transition énergétique est une mutation majeure, qui doit s'accomplir progressivement. Le rapport du sénateur Jean Bizet a montré quelles seraient les conséquences d'un changement à marche forcée : l'expérience allemande a coûté très cher en subventions aux énergies renouvelables et le prix de l'électricité pour les ménages y est aujourd'hui deux fois plus élevé qu'en France ; près de 30 000 emplois ont été détruits dans la filière industrielle, et Siemens, fleuron de la transition énergétique, a décidé d'abandonner toute activité dans le solaire. Cette transition doit être conduite dans la durée et s'accompagner du développement d'une filière industrielle.

Il importe que la diversification de nos sources d'énergie s'opère sans porter atteinte au patrimoine public que représente la filière nucléaire, troisième filière industrielle française. Le gouvernement a demandé à EDF de présenter régulièrement un plan stratégique. Ce sera pour nous un outil précieux, confirmant l'engagement dans le nucléaire et envoyant un message fort aux pays qui souhaitent développer cette industrie et ont besoin des compétences françaises.

Ce plan sera aussi l'occasion d'assurer la cohérence de développement du nucléaire et des énergies renouvelables, et d'envisager, à côté de la question de nos réacteurs, celle de leur approvisionnement en combustible et du retraitement.

EDF représente 25 % du chiffre d'affaires d'Areva et Areva est de loin le premier fournisseur d'EDF, pour 10 % de ses achats. Même si leurs métiers sont différents, nos deux entreprises ont une approche commune de ces sujets.

C'est particulièrement vrai dans le domaine du retraitement du combustible. Il représente près de 6 500 emplois et un leadership technologique mondial. Nous négocions actuellement un contrat pour la construction d'une usine en Chine. Plus d'une vingtaine de réacteurs français sur 58 utilisent du Mox ; s'ils devaient fermer, nous aurions à prévoir d'autres réacteurs capables d'employer ce combustible.

Nos perspectives de ventes à l'étranger sont importantes et, trois ans après Fukushima, l'activité repart. Des pays pourtant producteurs d'hydrocarbures, comme les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, le Kazakhstan, la Malaisie ou l'Indonésie, souhaitent s'équiper de centrales nucléaires pour répondre à leurs besoins en électricité. C'est un signal que cette énergie à un rôle à jouer dans le futur. En Chine, une électricité propre est d'autant plus nécessaire que les problèmes de pollution s'aggravent.

On présente parfois le nucléaire comme une énergie du passé pour le continent européen. Mais seize pays européens exploitent aujourd'hui des centrales, ou ont l'ambition d'en construire. Le nucléaire représente 30 % de la production d'électricité en Europe. Le Royaume-Uni, après avoir beaucoup misé sur le gaz, souhaite rééquilibrer son mix énergétique. Nous avons le projet, avec EDF, d'y construire des EPR. D'autres nations sont intéressées, notamment en Europe centrale. Quant au réacteur Atmea de 1 000 mégawatts, son installation fait actuellement l'objet de négociations avec la Turquie ; d'autres s'ouvriront demain avec le Vietnam et le Brésil.

Ces réacteurs bénéficient de la force de l'« équipe de France » : toute l'expérience de l'opérateur EDF et de l'industriel Areva, les retours d'expérience des premiers projets d'EPR, enfin de la confiance qu'inspire le « label France », internationalement reconnu pour sa sûreté, grâce à la coopération avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Il y a place, à côté du secteur nucléaire, pour les énergies renouvelables. Nous souhaitons remédier à leur manque de compétitivité, qui a nécessité de les développer à coup de subventions. Notre ambition est de nous positionner sur des domaines où notre capacité technologique et notre expérience de gestion des grands projets nous assurent un avantage. L'éolien offshore, par exemple : nous venons de remporter les deux champs compris dans l'appel d'offres du Gouvernement. Il y a beaucoup de possibilités dans ce domaine en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Asie...

Il importe, pour les développer, de jouer la carte de la consolidation européenne. Nous avons créé un partenariat avec l'entreprise espagnole Gamesa pour devenir, demain, l'un des leaders européens. La stratégie d'Areva pour les énergies renouvelables est de rechercher des partenariats nationaux et européens. Nous venons de créer, dans le domaine du stockage de l'électricité, une entreprise française spécialisée dans l'hydrogène, Smart Energy, avec le soutien de l'Ademe. Ce stockage n'est pas assez encouragé. Le projet de loi de transition énergétique peut être l'occasion de donner une prime à ceux qui développent de telles capacités.

Il est encore trop tôt pour dire quelle sera la technologie dominante parmi les énergies renouvelables ; il y en aura probablement plusieurs, depuis les stations de pompage hydroélectriques jusqu'aux batteries et aux technologies de l'hydrogène. L'important est de réaliser rapidement des démonstrateurs, de nouer très vite là aussi des partenariats européens et de mettre en place des procédures simplifiées.

Pour Areva, cette transition énergétique est une source d'opportunités : si un gros travail de construction de réacteurs s'impose, il y a aussi beaucoup à faire sur les réacteurs existants dans le monde : 85 % du chiffre d'affaires d'Areva provient de la fourniture de combustible et de son retraitement ainsi que de la maintenance des installations.

Quant à la situation d'Areva, le pré-rapport de la Cour des comptes porte sur la période 2006-2012. Je déplore qu'il paraisse si tard. Il décrit ce que nous avions déjà mis en évidence lorsque la nouvelle équipe s'est installée : une dégradation de la situation financière d'Areva sur la période correspondante. Cela ne pouvait durer. Depuis 2011, nous avons pris des mesures pour diminuer la dette : rechercher systématiquement les champs de croissance, réduire nos coûts en faisant, d'ici 2015, un milliard d'économies, céder des participations non essentielles, enfin ramener l'entreprise à l'équilibre financier. Nous avons, pour la première fois en 2013, atteint l'équilibre de la trésorerie opérationnelle : autant de cash rentré que sorti.

Nous avons choisi plusieurs secteurs dans le domaine des énergies renouvelables : l'éolien offshore, le solaire à concentration, la biomasse et le stockage d'énergie ; les marchés de l'éolien terrestre et du photovoltaïque sont déjà bien occupés, notamment par des constructeurs asiatiques. Il faut le reconnaître, nous avons manqué ce virage.

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