Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen du présent texte, qui doit permettre la mise en œuvre la plus diligente possible des dispositions de la loi du 11 février 2005 en matière d’accessibilité.
Je tiens à souligner l’importance de la contribution sénatoriale sur cette question, avec le premier bilan de la loi handicap effectué par nos collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois en 2012, et, bien évidemment, avec la concertation présidée par Mme Campion, qui a permis de dégager des pistes qui se concrétisent dans le présent projet de loi et dont je veux saluer une nouvelle fois la qualité du travail, même si je regrette, bien entendu, le procédé retenu par le Gouvernement.
La loi de 2005 a représenté une formidable étape pour la cause des personnes handicapées, mais sans doute était-elle trop exigeante, tant sur l’étendue de l’accessibilité que sur le calendrier à tenir.
Je le répète volontiers, si la mise en œuvre de la loi de 1975 a pu être légitimement critiquée, il ne saurait en être de même de la loi de 2005 quand on se compare à nos voisins européens au regard de l’exigence du principe d’accessibilité universelle, sur lequel je reviendrai.
Toutefois, après le constat de l’impossibilité de parvenir à une accessibilité universelle en 2015, il est devenu nécessaire de trouver des solutions répondant aux fortes attentes de nos concitoyens et des associations représentatives des personnes handicapées. Pour cela, nous devons adopter une démarche plus réaliste et plus pragmatique, qui tienne compte des difficultés constatées dès 2012.
Le rapport sénatorial, tout comme un rapport de l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, avait pointé la trop grande complexité des règles issues de la loi de 2005 et l’absence d’évaluation des travaux à prévoir. L’échéance de 2015 avait été fixée sans prendre réellement en compte la charge financière et le temps que les travaux représenteraient.
Par ailleurs, ne manquons-nous pas aujourd’hui de réalisme quand on connaît la situation financière de notre pays, qu’il s’agisse des acteurs publics ou des acteurs privés, d'ailleurs ?
Certes, nos débats sur le présent texte ont révélé notre communauté de vues sur la voie à adopter pour poursuivre le chantier de l’accessibilité : ce sont les agendas d’accessibilité programmée, qui décriront les travaux pluriannuels de mise en conformité et leur programmation financière. Cette méthode doit être saluée, et je le fais volontiers.
Le projet de loi a donc le mérite de maintenir les exigences de la loi handicap, ce qui était essentiel pour tous les citoyens concernés par les questions d’accessibilité. Il a également le mérite de proposer un dispositif ayant reçu l’assentiment des divers acteurs de la concertation, tout du moins dans ses lignes générales.
Je formulerai cependant plusieurs regrets. Pour commencer, je ne puis que réitérer mes regrets que le Gouvernement ait décidé de procéder par voie d’ordonnances, dessaisissant ainsi le Parlement.
Bien sûr, madame la secrétaire d'État, je sais qu’il y a urgence. Néanmoins, le rapport de 2012 permettait d’associer davantage la représentation nationale, qui, à nouveau, aurait pu apporter une contribution utile. Nous sommes quotidiennement confrontés à la question de l’accessibilité dans nos communes et départements ; aussi, notre vision concrète et équilibrée n’aurait pas été sans intérêt.
Bien sûr, il devenait urgent de légiférer, avant d’en arriver à la date butoir de 2015. Néanmoins, je regrette infiniment que nous nous trouvions au pied du mur, alors que le rapport sénatorial de 2012 dressait déjà un bilan qui ne laissait aucun doute sur la question du respect du délai fixé.
Le débat parlementaire fait donc les frais du temps qui lui aurait permis de trouver sa place entre juin 2012 et l’échéance de 2015. De nos préconisations, le Gouvernement n’a retenu que sa présentation d’un rapport au Parlement sur la mise en œuvre des ordonnances d’ici à trois ans. J’espère que cette échéance nous permettra – et vous permettra, madame la secrétaire d'État – d’avoir raison…
Très sincèrement, madame la secrétaire d'État, je souhaite que les ordonnances vous permettent de répondre aux exigences affichées. Ayant choisi cette procédure, vous en avez la responsabilité. Toutefois, je crains, encore une fois, un manque de réalisme et une nouvelle désillusion.
Nous recommandions pourtant des ajustements de bon sens, qui tenaient compte des difficultés rencontrées par les collectivités dans la mise en œuvre de la loi handicap.
Le Gouvernement persiste à faire preuve du plus grand optimisme dans les capacités des différents intervenants à mettre en œuvre la réforme de l’accessibilité, mais les collectivités territoriales, déjà soumises à d’importantes contraintes budgétaires, se trouvent aujourd’hui confrontées à l’incertitude de la réforme territoriale qui vient d’être engagée. Cela, vous le savez, et vous conviendrez que les transferts de compétences ainsi envisagés ont un impact – indirect pour certains, mais direct pour d’autres – sur la mise en œuvre du projet de loi.
Quand je parle de souplesse d’un côté et d’exigence de l’autre, je veux faire référence à une position que j’assume et que j’ai délibérément soulevée, dès la première lecture du texte, en parlant de la contrainte qui résulte de notre interprétation exigeante du principe d’accessibilité universelle, principe mis en œuvre de façon beaucoup plus pragmatique dans des pays souvent cités en exemple.
Madame la secrétaire d'État, vous me comprendrez mieux quand j’affirme que l’accessibilité, c’est d’abord le principe et la philosophie de la loi de 2005, qui, comme je l’ai déjà souligné, veut répondre à tous les aspects du handicap, et non exclusivement de la mobilité, souvent mise en avant lorsqu’il est question d’accessibilité.
Oui, c'est vrai, la loi de 1975 n’avait pas été mise en œuvre comme elle aurait dû l’être, ce qui a été la raison majeure de la fermeté de la loi de 2005. La vérité n’est jamais dans les extrêmes, et la loi de 2005 ne pourra prétendre être bonne pour, si j’ose dire, venger celle de 1975.
Or, madame la secrétaire d'État, entre ces deux lois, il en est une dont on parle beaucoup moins, c’est celle de 1989, dont une disposition est connue sous l’appellation d’« amendement Creton ». En permettant à des jeunes de plus de vingt ans de rester dans leurs établissements faute de places dans les établissements adultes, cette disposition voulait, elle aussi, répondre à une situation insupportable et même donnée pour scandaleuse à l’époque, si bien que le dispositif mis en œuvre avait un caractère provisoire.
Vingt-cinq ans après, il y a au moins autant de jeunes relevant de l’amendement Creton qu’en 1989, avec, en revanche, des milliers de jeunes en attente de places, sans parler des handicapés adultes vieillissants qui, à défaut de pouvoir être reçus dans des établissements spécialisés pour personnes âgées, passent leurs journées dans les ESAT, les établissements et services d’aide par le travail.
Madame la secrétaire d'État, si je prends cet exemple très précis, sur lequel vous n’avez pas manqué d’être interpellée récemment, à l’occasion du cinquante-quatrième congrès de l’UNAPEI, l’Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés –, c'est parce que l’accès au droit le plus fondamental de la dignité humaine se place selon moi à un niveau tout aussi élevé que la réforme de l’accessibilité dont nous débattons aujourd’hui.
Oui, madame la secrétaire d'État, tel est le message que peuvent et doivent faire passer les politiques lorsqu’ils en ont la responsabilité : les droits de la personne handicapée forment un tout, et l’on ne peut se dispenser d’en aborder certains en prétendant qu’on en a servi d’autres avec une grande exigence.
Je forme le vœu que les ordonnances que vous mettrez en œuvre respectent bien ces exigences de pragmatisme, pour que les acteurs en charge du handicap puissent accompagner tous les handicaps, afin que le droit de tous à l’accessibilité revienne d’abord au respect de chacun, et surtout de ceux dont on parle le moins parce que, souvent, ils ne peuvent pas parler.
C'est la raison pour laquelle, madame la secrétaire d'État, je réitère mon souhait que, au travers des ordonnances que vous prendrez, vous puissiez aboutir – dans trois ans, nous nous retrouverons. Néanmoins, j’ai exprimé, notamment lors de la réunion de la CMP, un certain nombre de réserves, en raison desquelles nous nous abstiendrons.