Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 25 juin 2014 à 14h45
Renforcement de l'efficacité des sanctions pénales — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

De surcroît, 80 % des condamnés quittent aujourd’hui la prison sans aucun accompagnement ni projet de réinsertion. Or il est démontré que les sorties « sèches » augmentent le risque de récidive.

Enfin, l’incarcération coûte beaucoup plus cher que le suivi en milieu ouvert : environ 32 000 euros par détenu annuellement et 150 000 euros par place à construire, alors que, à titre indicatif, le coût d’un placement sous bracelet électronique est de 10, 43 euros par jour.

Devant ces constats, et compte tenu du contexte budgétaire actuel, faut-il continuer à remplir encore et toujours les prisons ? Faudra-t-il, pour financer ce système, lever un nouvel impôt ? En outre, eu égard à l’importance de la récidive après un passage en prison, est-il opportun de s’obstiner à recourir à l’enfermement systématique ?

Vous avez fait le choix, madame la garde des sceaux, de privilégier la prévention de la récidive, en rétablissant l’individualisation de la peine en fonction de la gravité des faits et de la personnalité de l’auteur de ceux-ci, et de redonner aux magistrats leur pleine liberté d’appréciation.

Pour ce faire, vous nous proposez de supprimer, conformément à l’engagement pris par le Président de la République, les peines planchers, dispositif qui s’est montré inefficace pour contrer la récidive et se trouve à l’origine d’un allongement de la durée des peines et d’un accroissement de la surpopulation pénale. Nous disposons d’un recul suffisant, de sept années, pour apprécier cette inefficacité.

Le texte que vous nous présentez aujourd’hui prévoit également d’enrichir l’arsenal répressif mis à la disposition des juges, en créant une nouvelle peine en milieu ouvert. La contrainte pénale consiste à imposer, sous le contrôle du juge de l’application des peines, le respect d’obligations et d’interdictions. Elle exigera un engagement du détenu, à qui il incombera, par exemple, de trouver un emploi, un hébergement, ou encore de rembourser ses victimes.

Ces mesures s’inscrivent donc dans une démarche de prévention de la récidive en favorisant la réinsertion. Le Gouvernement ne souhaite pas remettre tous les délinquants en liberté, comme cela a pu être dit. Tout délit mérite une sanction, mais cette dernière doit être utile et garantir la réinsertion du condamné dans la société à sa sortie.

Ce faux procès en laxisme qui est fait depuis toujours à la gauche dans ce pays est ridicule et dangereux.

Les arguments avancés contre cette réforme ont oscillé entre mises en cause contradictoires, invoquant le peu de changements que l’application de celle-ci apportera ou dénonçant, au contraire, une augmentation de la délinquance, indignations feintes, prédictions fantasmatiques d’une hausse de la délinquance et accusations injustes de vouloir vider les prisons. Je souhaite véritablement que les débats qui auront lieu dans cet hémicycle ne nous opposent pas de cette façon stérile et caricaturale.

La commission des lois, par la voix de son rapporteur, Jean-Pierre Michel, dont je salue l’excellent travail, a procédé à des améliorations intéressantes du texte, qui vous ont été présentées hier de manière détaillée. Néanmoins, je souhaiterais revenir rapidement sur certaines d’entre elles.

J’évoquerai, tout d’abord, la suppression de la rétention de sûreté.

La rétention de sûreté, qui permet de retenir en fin de peine des condamnés considérés comme dangereux et dont les bases juridiques sont jugées « hasardeuses et incertaines » par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, ne concerne, à ce jour, que quatre personnes. Cette mesure n’est pas faite pour remplacer l’internement en hôpital psychiatrique. Les détenus concernés ont besoin de soins, que la prison n’est pas en mesure de dispenser.

Je pense, ensuite, aux tribunaux correctionnels pour mineurs, créés par la loi du 10 août 2011 et ayant vocation à juger les mineurs récidivistes âgés de plus de 16 ans au moment de la commission de faits correctionnels punis de cinq ans d’emprisonnement. Ces tribunaux dérogent au principe de la spécialisation des juridictions pour mineurs et se sont révélés, dans la pratique, inutiles, coûteux et chronophages.

Quant au fait que la contrainte pénale soit prononcée à titre principal pour une série de délits punis de courtes peines d’emprisonnement n’impliquant pas de violences aux personnes, Alain Bauer, professeur de criminologie entendu par la commission des lois, nous a fait savoir que l’Allemagne a supprimé de son code pénal la peine de prison pour la quasi-totalité des délits : aujourd’hui, seules 20 % des infractions, contre 60 % en France, y donnent lieu à un emprisonnement.

Le dernier point sur lequel il me semble utile d’insister concerne l’intégration dans le texte des dispositions contenues dans la proposition de loi de nos collègues Jean-René Lecerf, Gilbert Barbier et Christiane Demontès relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, qui avait été adoptée, en 2011, à l’unanimité par le Sénat.

En conclusion, je tiens à rappeler que ce projet de loi est l’aboutissement d’une large concertation avec les acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire et la société civile, ayant débuté avec la conférence de consensus que vous avez bien voulu mettre en place, madame la garde des sceaux. Il consacre une philosophie de la politique pénale qui tranche avec celle que nous avons connue pendant dix ans, en donnant enfin aux tribunaux correctionnels et à la défense les moyens d’assurer une véritable individualisation des peines. Nous espérons néanmoins voir évoluer le texte dans le sens indiqué par le rapporteur de la commission des lois. §

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