Voici une réforme très attendue par de nombreux acteurs du système ferroviaire - les nombreux spécialistes du sujet au sein de la commission ne me contrediront pas. J'ai d'ailleurs souhaité les associer à l'examen de ce texte, en ouvrant mes auditions aux membres du groupe de travail Mobilités et transports, ainsi qu'à ceux dont le groupe politique n'y était pas représenté.
Cette réforme nécessaire et urgente assure la cohérence du système ferroviaire tout en étant compatible avec le droit européen. Des discussions sont en cours sur un « quatrième paquet ferroviaire », avec de nouvelles étapes d'ouverture à la concurrence. Ce texte n'a pas pour objet d'anticiper ces étapes, que je n'appelle pas de mes voeux. Nous devons cependant nous préparer à cette échéance, sous peine de nous exposer aux mêmes déconvenues que lors de la libéralisation du fret ferroviaire.
Nous devons pour cela nous attaquer aux trois handicaps dont souffre notre système ferroviaire, à commencer par la séparation de la gestion de l'infrastructure entre RFF et la SNCF, organisée par la loi de 1997. Cette séparation, que plus personne ne défend, comme l'ont montré les Assises du ferroviaire de l'automne 2011, a causé de nombreux dysfonctionnements dans l'entretien du réseau : surcoûts de gestion, manque de réactivité, dilution des responsabilités...
Une dette colossale (44 milliards d'euros, dont 37 milliards pour le réseau) pèse sur notre système ferroviaire. La réforme de 1997 a laissé ce problème sans réponse, RFF ayant été considéré comme une structure de défaisance. L'État, qui cherchait à satisfaire aux critères de Maastricht, n'a pas souhaité en reprendre une partie, contrairement à ce que l'Allemagne avait fait pour la Deutsche Bahn. RFF a ainsi hérité de plus de 20 milliards de dette, sans qu'aucune mesure structurelle vienne en réduire la progression. La double dérive des coûts de gestion du réseau existant et de développement de nouvelles lignes a conduit à son emballement : si l'on ne fait rien, la dette atteindra près de 80 milliards en 2025. Cette situation insoutenable coûte chaque année 1,3 milliard d'intérêts, une somme qui serait mieux placée dans l'entretien et la régénération du réseau.
Notre système ferroviaire a enfin souffert de l'insuffisante préparation à l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire : faute d'un cadre social homogène, elle a conduit au déclin de Fret SNCF. L'Etat n'a pas pleinement joué son rôle d'arbitre. Faute de s'impliquer dans les décisions stratégiques, il a laissé de larges marges de manoeuvre à la SNCF et à RFF.
Ces éléments de contexte démontrent l'absolue nécessité et l'urgence de cette réforme créant un gestionnaire d'infrastructure unifié, SNCF Réseau, qui rassemble les activités exercées par RFF, SNCF Infra et la direction des circulations ferroviaires (la DCF). Le gestionnaire d'infrastructure et l'exploitant des services de transport ferroviaire sont rassemblés dans un même groupe public ferroviaire - en jargon européen, on parle d'une structure verticalement intégrée. Il s'agit, en quelque sorte, de mettre en place une holding ferroviaire à la française, tout en conservant le statut d'EPIC de ses différentes composantes. Le groupe public ferroviaire sera composé d'un EPIC de tête, dénommé SNCF, chargé de l'unité sociale et de missions transversales, et de deux EPIC filles, SNCF Réseau et SNCF Mobilités.
L'expérience du terrain a en effet montré que seul un système intégré était réellement efficace : les problématiques d'entretien du réseau et les contraintes d'exploitation ne peuvent pas être systématiquement dissociées. La Deutsche Bahn a d'ailleurs choisi une organisation similaire. Ce modèle intégré n'a pas eu, dans un premier temps, les faveurs de la Commission européenne. Fort heureusement, les ministres français et allemands ont démontré que ce modèle était plus pertinent que celui d'une séparation intégrale entre la gestion de l'infrastructure, d'une part, et l'exploitation des services de transport, d'autre part. Il nous revient d'appuyer la position du ministre en adoptant ce texte.
Le projet offre en outre aux concurrents de la SNCF de réelles garanties d'indépendance dans l'exercice des fonctions essentielles, soit la tarification et l'allocation des sillons conformément au droit européen. L'ARAF (Autorité de régulation des activités ferroviaires), dont le rôle a été considérablement renforcé après l'examen du texte à l'Assemblée nationale contrôlera le respect de ces exigences.
Ce texte comporte également des mesures fortes destinées à mettre fin à la dérive financière du système. Le pilotage du système ferroviaire sera renforcé, puisque le projet de loi organise un retour de l'État-stratège. Un contrat avec chacun des trois EPIC du groupe public formalisera leurs objectifs. Pour SNCF Réseau, une trajectoire financière sera définie afin d'assurer, d'ici dix ans, la couverture intégrale par ses ressources des frais de maintenance du réseau, sans recours à l'endettement. Le projet de loi instaure aussi une règle de maîtrise de l'endettement pour les investissements sur le réseau. Lorsque certains ratios seront dépassés, l'État et les collectivités qui demandent de nouveaux projets d'investissement devront les financer intégralement.
Il reviendra à l'ARAF de vérifier la bonne application du contrat, comme de la règle de maîtrise de l'endettement. L'autorité se voit ainsi dotée d'un nouveau rôle de régulateur économique du système.
Le choix d'une structure verticalement intégrée conserve au sein du groupe public ferroviaire les recettes financières de l'exploitant, pour les réinvestir dans le réseau, l'État renonçant à son dividende.
Ce projet de loi instaure enfin un cadre social commun à l'ensemble des salariés de la branche ferroviaire, qui sera élaboré pour l'essentiel par les partenaires sociaux. Un décret-socle établira les règles relatives à la durée du travail, garantissant un haut niveau de sécurité des circulations et assurant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il reviendra à la négociation collective de déterminer les caractéristiques de ce cadre social.
Le texte a été substantiellement complété à l'Assemblée nationale, sous l'impulsion de Gilles Savary, dont je voudrais souligner l'engagement et la compétence. Les députés ont tenu compte des aspirations des cheminots, en renforçant, à l'article 1er, l'intégration du groupe public ferroviaire. Ils ont créé un comité central de groupe et des délégués syndicaux centraux à l'échelle du groupe. Ils ont aussi précisé les missions de l'EPIC de tête, afin de garantir l'unité de traitement de l'ensemble des salariés des trois établissements. La SNCF sera également chargée de coordonner la gestion domaniale, ce qui évitera aux élus d'être ballottés entre différents interlocuteurs. Sous réserve de quelques amendements rédactionnels, je suis satisfait de l'équilibre trouvé par les députés sur ces questions. Il est très important que nous conservions les garanties obtenues pour la réunification de la famille cheminote.
Les députés ont en outre complété les dispositions relatives à la gouvernance, en ajoutant au Haut comité du ferroviaire un Comité des opérateurs du réseau, rattaché à SNCF Réseau. Composé des différents clients de SNCF Réseau, il sera chargé de l'élaboration de la charte du réseau et du règlement amiable des différends liés à son application. Le Haut comité du ferroviaire, rebaptisé Haut comité du système de transport ferroviaire, sera quant à lui destinataire d'un rapport stratégique d'orientation du Gouvernement, un an avant le renouvellement des contrats passés entre l'État et les trois EPIC. Ce rapport, qui exposera la politique de l'État en matière de mobilité au sens large, sera transmis au Parlement. Je vous proposerai d'inscrire ce dispositif dans une perspective pluriannuelle et de compléter son contenu, afin de donner davantage de visibilité sur la situation financière du système de transport ferroviaire et sur les moyens financiers consacrés au réseau. Je souhaiterais en outre qu'il comporte un volet spécifique sur la politique nationale en matière de fret ferroviaire.
Les députés ont instauré, à l'article 1er bis, un schéma national des services de transport, qui déterminera les services de transport de voyageurs conventionnés par l'État et encadrera les services de transport non conventionnés d'intérêt national. Il sera présenté devant le Parlement tous les cinq ans.
Le Parlement sera également destinataire des projets de contrats entre l'État et les trois EPIC du groupe public ferroviaire. J'approuve totalement ces dispositions qui renforcent le contrôle du Parlement sur le système de transport ferroviaire national. Je vous proposerai d'affirmer le principe de la présence d'un député et d'un sénateur au conseil de surveillance de la SNCF.
À l'article 2, les députés ont précisé le contenu du contrat conclu par SNCF Réseau avec l'État et la règle de maîtrise de l'endettement. Celle-ci distingue désormais, d'une part, les investissements de maintenance ou de renouvellement du réseau, qui devront être financés suivant la trajectoire définie dans le contrat, c'est-à-dire, avec l'objectif d'une couverture à terme des coûts d'entretien du réseau par les ressources de SNCF Réseau ; d'autre part, les investissements de développement, qui seront appréciés au regard de ratios fixés par décret, comme le prévoyait le texte initial.
Les députés ont étendu la possibilité offerte à SNCF Réseau de confier à des tiers certaines de ses missions de gestion de l'infrastructure à l'ensemble des lignes à faible trafic ainsi qu'aux infrastructures de service. Comme ce type de délégation doit être strictement encadré, afin d'écarter toute perspective de démantèlement du réseau ferré national, un amendement identifiera SNCF Réseau comme le propriétaire unique de l'ensemble des lignes du réseau ferré national.
Les deux articles suivants, introduits par amendements du Gouvernement à l'Assemblée nationale, suivent la même logique. L'article 2 bis A ouvre aux régions la possibilité de racheter certaines petites lignes d'intérêt purement local, afin de ne pas les laisser se détériorer. Il s'agit de lignes à voie métrique qui ne sont pas reliées au réseau national. L'article 2 bis B, les autorise à créer ou exploiter des lignes d'intérêt régional. Il règle certains cas ponctuels, comme celui de la ligne Digne-Nice dont la région PACA pourra devenir gestionnaire de pleine compétence. Pas plus que le précédent, cet article ne remet en cause l'unicité du réseau national, puisque seules des infrastructures d'intérêt purement local sont visées. SNCF Réseau restera compétent pour créer et exploiter les lignes du réseau ferré national.
Le nouvel article 2 ter prévoit quant à lui la remise d'un rapport au Parlement sur les solutions à mettre en oeuvre pour le traitement de la dette historique du système ferroviaire. Je vous présenterai un amendement incluant explicitement dans ce rapport l'examen d'une reprise, par l'État, de tout ou partie de la dette de SNCF Réseau.
À l'article 4, les pouvoirs de l'ARAF ont été sensiblement renforcés par l'Assemblée nationale. Son avis conforme sur les redevances d'infrastructures a été rétabli et étendu aux redevances des gares et relatives à l'accès aux infrastructures de services. L'autorité sera en outre chargée de veiller à ce que les décisions de la SNCF respectent l'indépendance de SNCF Réseau dans l'exercice des fonctions essentielles.
La composition et le fonctionnement de l'autorité ont été remaniés. Son collège conservera sept membres, mais le président et deux vice-présidents nommés par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, exerceront leurs fonctions à temps plein. Le rapporteur chargé de l'instruction a été supprimé. L'ARAF a en revanche été dotée d'une commission des sanctions composée de trois magistrats. Outre quelques amendements de cohérence ou rédactionnels, je proposerai d'inscrire dans la loi le principe de la publicité de l'ensemble des propositions, avis et décisions de l'ARAF, en conformité avec la directive 2012/34/UE établissant un espace ferroviaire unique européen.
L'article 5 bis constitue également un apport important de nos collègues députés. Il répond à certaines revendications-phares des régions en leur confiant un rôle de chef de file en matière d'aménagement des gares d'intérêt régional, en leur octroyant la liberté tarifaire, sous réserve du maintien des tarifs sociaux nationaux, en permettant de leur transférer la propriété du matériel roulant et en imposant une présentation comptable séparée des contrats de service TER. L'équilibre trouvé sur ces points correspond à une solution de compromis que nous souhaitions.
L'Assemblée nationale a renforcé le volet sécurité et sûreté ferroviaires. L'article 6 ter A impose ainsi une remontée à l'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) des événements mettant en cause la sécurité ferroviaire et prévoit un mécanisme de sanction en cas de manquement à cette obligation. Je suis favorable à cette initiative qui préfigure l'instauration d'une culture du compte-rendu. Après le terrible accident de Brétigny-sur-Orge, il convient d'afficher la mobilisation de l'ensemble des acteurs du système ferroviaire dans ce domaine.
L'article 6 ter pose le principe du libre accès des forces de l'ordre aux véhicules ferroviaires, pour l'exercice de leurs missions de protection de l'ordre public, et l'assortit d'une sanction pénale. Cette mesure facilite la présence policière à bord des trains nationaux comme étrangers. En outre, afin de consolider les compétences de la surveillance générale (SUGE) de la SNCF, cet article habilite ses agents à établir des procès-verbaux pour constater des infractions et dresser des contraventions.
À l'article 7 qui rattache la SUGE à l'EPIC de tête, les députés ont fait en sorte que sa mobilisation soit systématique pour l'ensemble des opérateurs, dès lors que les tarifs associés à ses prestations sont transparents, non discriminatoires et contrôlés par un avis conforme de l'ARAF. Cette solution efficiente et de bon sens s'inscrit dans une logique d'économies d'échelle, tout en préservant les conditions d'une saine concurrence.
L'article 9 bis a été introduit par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, en coordination avec le dépôt de la proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF. L'objectif est purement technique, puisqu'il s'agit d'adapter les dispositions relatives au contrôle parlementaire en matière de nominations à la modification de l'architecture du groupe, en prévoyant l'audition des deux membres du directoire et du président du conseil de surveillance de la SNCF devant les commissions compétentes du Parlement, en application de l'article 13 de la Constitution.
Aux articles 10, 11 et 16, les députés ont considérablement clarifié et sécurisé les opérations de transfert de propriété entre les trois EPIC, à la fois sur les aspects juridiques, comptables et fiscaux. Ils ont également soulevé la question de la gestion des gares de voyageurs, et prévu la remise au Parlement d'un rapport gouvernemental sur le sujet. Celui-ci présentera l'impact d'un transfert des gares à SNCF Réseau ou à des autorités organisatrices de transports. Je suis favorable à une telle clause de revoyure, dans la mesure où il n'est pas possible de traiter de façon satisfaisante dès aujourd'hui ce sujet éminemment complexe.
Quant à l'article 11 bis, il transfère à SNCF Réseau les terminaux de marchandises appartenant à l'État et gérés par SNCF Mobilités, ainsi que certaines installations de services autres que les gares de voyageurs et les centres d'entretien. Je vous proposerai un amendement modifiant la liste de référence servant de base à la négociation entre SNCF Réseau et SNCF Mobilités pour les infrastructures transférées.
Enfin, les modifications à l'Assemblée des articles 6, 14 et la création de l'article 18 bis résolvent certaines difficultés identifiées par les organisations syndicales. À l'article 6, les députés ont ouvert aux salariés de RFF qui remplissaient les conditions d'embauche au statut lors de leur recrutement un droit d'opter pour le statut des cheminots. À l'article 14, l'échéance du 1er juillet 2015 pour l'aboutissement de la convention collective a été repoussée d'un an, afin de laisser davantage de temps aux partenaires sociaux pour la négociation collective. Enfin, des élections professionnelles anticipées seront organisées dans un délai d'un an à compter de la constitution du groupe public ferroviaire, en vertu du nouvel article 18 bis. Je suis entièrement favorable à ces dispositions.
À l'article 18, l'habilitation du Gouvernement à prendre des mesures législatives par voie d'ordonnance pour des mises en cohérence de textes a été étendue à la transposition de la directive 2012/34/UE.
Le projet de loi, complété par les députés, fournit des outils pertinents pour un nouveau départ du système ferroviaire. L'équilibre atteint par l'Assemblée doit être conservé. Aussi vous recommanderais-je de l'adopter, sous réserve de quelques ajustements et d'améliorations rédactionnelles. Je suis également favorable à la proposition de loi relative à la nomination des dirigeants de la SNCF, qui donne toute sa place au Parlement.