Nous nous retrouvons surtout avec un texte totalement identique à la première version examinée en commission par le Sénat voilà maintenant huit jours. Beaucoup d’énergie pour un bien faible résultat !
J’avoue ma perplexité devant ces tentatives assez dilatoires et peu constructives, ayant en mémoire l’article 24 de la Constitution, qui confie expressément au Sénat la représentation des collectivités territoriales. J’espère – le travail qui a été réalisé ce matin par la commission spéciale m’a permis de retrouver en partie mon optimisme naturel, même si je ne nie pas la vigueur des divergences – que notre assemblée ne s’enfermera pas dans une opposition stérile. Un Sénat qui ne peut représenter les collectivités qu’en s’opposant à toute réforme territoriale, cela fait tout de même désordre et justifie que l’on cherche à le réformer.
Vous le savez, monsieur le ministre, le groupe écologiste critique la méthode employée par le Gouvernement. Je reviendrai sur ce point, mais je veux d’abord exposer les raisons qui nous conduisent à considérer que cette séquence législative porte des évolutions positives et nécessaires justifiant un débat de fond, afin d’apporter un certain nombre d’améliorations au projet de loi. Nous souhaitons sans ambiguïté que celui-ci soit adopté : telle est la position claire du groupe écologiste.
Nous avons une vision d’ensemble du projet de loi, celle d’un ensemble de plusieurs lois, dont un premier volet était constitué par la loi sur les métropoles, qui concernait déjà quelque peu les régions, adoptée l’an dernier. Le Président de la République avait exprimé sa volonté de réaliser un « acte III de la décentralisation », dont les écologistes défendent le principe. Avec le nouveau projet de loi de Mme Lebranchu, que nous aurions préféré examiner en premier, car il aurait permis d’éclairer différemment le débat, c’est la première fois que nous nous trouvons face à un texte aussi clair sur l’organisation institutionnelle de la France. Ce texte correspond à ce que les écologistes demandent depuis toujours, parfois en se sentant un peu seuls – cela nous arrive encore, monsieur le rapporteur –, à savoir une décentralisation fondée sur le couple socle des territoires de vie d’aujourd’hui : les intercommunalités et les régions.
Dans le projet de loi, les intercommunalités, qui correspondent à la réalité des bassins de la vie quotidienne actuelle, se voient confier les compétences opérationnelles et les services publics de proximité. Les régions, ces territoires qui sont parfois fondés sur la culture et l’histoire – ce qui est une chance –, mais aussi sur les dynamiques et les échanges réguliers des réseaux d’acteurs, ont la responsabilité, lourde et essentielle, des stratégies d’aménagement durable et de développement économique des territoires, déclinées – c’est fondamental – en schémas prescriptifs permettant enfin une véritable cohérence des politiques locales entre tous les niveaux de collectivités.
J’ai noté dans votre intervention liminaire, monsieur le ministre, la mention du rôle clé que joueront à l’avenir les régions dans la transition énergétique. Je partage votre analyse.
Les écologistes ont toujours défendu cette vision de la décentralisation, qui, jusqu’à aujourd’hui, n’était guère partagée. Monsieur le rapporteur, nous étions, une fois encore, en avance sur notre temps ! Cette vision n’est pas dogmatique, elle est seulement mue par la volonté de construction d’une régionalisation rompant avec des siècles d’un centralisme qui montre, aujourd’hui encore plus qu’hier, ses limites. Elle est d’abord liée à notre analyse des fractures territoriales qui s’aggravent et ne seront pas réduites par le statu quo et le repli sur les gouvernances du passé.
Bien sûr, nous avons dans nos communes périurbaines, rurales ou de banlieue, des élus dévoués, qui sont le rempart démocratique – parfois le dernier ! – contre le repli sur soi, les tentations de céder aux sirènes des populismes protestataires. Leur travail est essentiel pour maintenir une cohésion sociale, que détricote chaque jour la montée des inégalités et des exclusions.
Évidemment, nous avons aussi des élus départementaux attentifs à défendre leurs territoires, à répondre aux souffrances individuelles et collectives. Mais ont-ils aujourd’hui les moyens réels de leur action si celle-ci ne s’inscrit pas dans une nouvelle péréquation financière, qui nécessite de construire de nouveaux espaces politiques d’intervention rassemblant des territoires en dynamique économique avec d’autres territoires davantage en difficulté ? Peuvent-ils accompagner de nouveaux secteurs économiques créateurs d’emplois et garantir des services publics de proximité s’ils ne peuvent s’appuyer sur des planifications, des stratégies discutées et financées collectivement ?
La question n’est pas la libre administration des collectivités, car ces dernières sont parfois libres seulement de gérer des difficultés, faute de moyens d’intervention et de capacités suffisantes pour susciter de nouvelles solidarités et interactions territoriales. Elles ne peuvent donc, au final, réduire cette fracture territoriale qui s’aggrave. C’est là que réside l’urgence, et cette réforme s’inscrit dans ce cadre – je vous rejoins, monsieur le ministre, sur ce point.
Même si toute réforme de ce type ne va pas sans heurts, sans susciter des craintes, souvent légitimes, je le redis, ne pas tenter une remise à plat de nos modes d’intervention, c’était se résigner à l’affaiblissement, voire à la marginalisation des territoires les moins bien dotés. Cette réforme me semble donc bienvenue, même si je reste lucide sur les faiblesses du processus proposé.
Ce texte pose en effet quelques problèmes, et la méthode employée par le Gouvernement ces derniers mois ne nous semble pas avoir été la plus adéquate. N’ayons pas peur de le dire, il est incohérent de se prononcer d’abord sur une carte, puis sur les compétences qui seront données aux territoires redéfinis. Une inversion était plus que souhaitable, le débat aurait gagné en sérénité, et je suis convaincu qu’une meilleure compréhension des nouveaux outils de la planification économique régionale prévus par le projet de loi aurait conforté les désirs de fusion.
Notre erreur est bien évidemment dans la publication de cette nouvelle carte, qui n’illustre guère de manière incontestable la recherche d’un nouvel équilibre territorial, fondé tout à la fois sur les potentiels économiques, universitaires et urbains et les traditions de coopération et les solidarités culturelles et historiques.
Ces erreurs ne sont pas sans raison dans la perception d’une réforme plus combattue que débattue, et nous le regrettons profondément.
Le Gouvernement a pris la responsabilité de procéder à une révision de la carte des régions à la va-vite, sans avoir écouté les acteurs des territoires, qui ont la volonté de mettre en place des projets et des destins communs, ni pris en compte les spécificités des régions, façonnées par l’histoire, les cultures ou la géographie. Clairement, la valse-hésitation des dernières heures, que nous avons tout particulièrement vécue ici, avec des mariages annoncés puis défaits, n’a pu que dérouter jusqu’aux plus ardents défenseurs de la réforme. Probablement aussi, le refus d’entrer dans une logique autre que la fusion de régions a fragilisé l’édifice, plus qu’il ne l’a conforté. La peur d’ouvrir ce qui pouvait apparaître comme la boîte de Pandore de l’autodétermination départementale a finalement créé des tensions non nécessaires, que ces soupapes auraient permis de canaliser.
Monsieur le ministre, nous considérons qu’il faut du temps pour qu’une telle réforme puisse être partagée et soutenue par la population et les acteurs des territoires. Quelle est cette urgence absolue qui nous impose de boucler cette réforme de la carte des régions avant le week-end, j’allais dire avant le quart de finale de la Coupe du monde ? Sans remettre en cause les contraintes, y compris peut-être constitutionnelles, nous avons encore du temps. Alors prenons-le, écrivons une méthode ! Je suis convaincu que les évolutions qui semblent aujourd’hui impossibles peuvent devenir envisageables au terme d’un débat de qualité au Parlement, et surtout dans les régions.
Concernant la rapidité d’évolution, il suffit de voir la tournure qu’a prise en quelques jours le débat sur la fusion entre la Bretagne et les Pays de la Loire. Je note que le temps des postures semble aujourd'hui révolu et laisse place à des approches plus ouvertes et que la population s’invite dans le débat, certes par sondages, puisque nous n’avons pas fait appel à d’autres méthodologies. Il faut donc engager un débat public construit. L’opinion publique se fait entendre et elle est en train de faire évoluer un certain nombre de prises de position politiques.
Aussi, notre premier amendement vise à remplacer la carte du Gouvernement par une méthode, fondée sur l’instauration d’un véritable débat dans les territoires, dans un temps certes contraint, mais pas irréaliste. Si jamais cette méthode n’était pas adoptée – j’ai tout de même quelques craintes sur le fait de trouver une majorité sur ce point –, nous soutiendrions le renvoi à l’automne en deuxième lecture de la finalisation de la carte. C'est un temps nécessaire, et ce ne sera pas du temps perdu. La nécessité de donner du temps au temps pour aboutir à une réforme ambitieuse est assez largement partagée ici. Tel est le sens du débat que nous avons eu ce matin.
Il faut aussi prévoir des mécanismes d’assouplissement de cette carte pour qu’elle puisse répondre à la complexité des situations : la diversité de nos territoires ne permet pas de calquer la même formule de redécoupage sur l’ensemble du pays. Il faut, par exemple – je pense que nous évoluons sur ce point –, un droit d’option des départements pour rééquilibrer certaines fusions. Nous avons bien avancé ce matin sur ce sujet, et j’en remercie notamment M. Mézard, avec lequel nous avons formé un axe politique que nous n’utilisons probablement pas assez souvent.