Intervention de Christian Favier

Réunion du 3 juillet 2014 à 15h00
Délimitation des régions et élections régionales et départementales — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Christian FavierChristian Favier :

En effet, partout, les élus locaux, les acteurs locaux, les populations s’expriment, grondent. J’en veux pour preuve, par exemple, la motion unanimement adoptée par l’Assemblée des départements de France pour affirmer son opposition à la réforme territoriale telle qu’elle nous est aujourd'hui proposée.

La quasi-unanimité des protagonistes rejette, si ce n’est l’objet de la loi, en tout cas la méthode. Quant au peuple, dont le Gouvernement espère le soutien, ce dernier le garde soigneusement éloigné, ne lui permettant de s’exprimer que par sondages et refuse évidemment de lui laisser décider du cadre institutionnel local par voie référendaire.

Alors, oui, sur cette question comme sur tant d’autres, nous devons maintenant faire vivre le changement !

À l’opposé des petits comités, des petits arrangements de couloir pour établir la carte des nouvelles baronnies, il est temps que s’installe dans notre pays un grand débat national pour refonder notre République et non pour faire peser sur les collectivités la responsabilité de la dette publique que les gouvernements successifs ont creusée depuis trente ans. Car, ne l’oublions pas, cette réforme est arrivée dans le discours public par le biais de la recherche d’économies, sous la pression des institutions européennes. C’était même le premier argument utilisé.

Or, depuis, la preuve en a été apportée, cette fusion des régions va d’abord coûter cher, et les économies à venir ne sont pas assurées sans réduire massivement les services publics et l’action sociale. C’est d'ailleurs bien cela qu’exige Bruxelles dans sa recommandation adressée le 2 juin dernier : « Le projet de nouvelle loi sur la décentralisation devrait permettre de simplifier les divers échelons administratifs en France, en vue d’éliminer les chevauchements de compétences entre les administrations, de créer de nouvelles synergies, d’obtenir de nouveaux gains d’efficacité et de réaliser des économies supplémentaires en fusionnant ou en supprimant des échelons administratifs. »

Voilà donc le véritable objectif de ce projet de loi : suivre scrupuleusement les rails tracés par Bruxelles. C’est en quelque sorte, monsieur le ministre, si j’ai bien compris, votre feuille de route. On comprend mieux, dès lors, que l’utilité de cette réforme des territoires pour nos concitoyens n’est ni affichée, ni débattue et encore moins démontrée.

Cependant, les conséquences, on le sait, seront lourdes. Dès maintenant, les réductions drastiques opérées par l’État sur les dotations des collectivités locales conjuguées aux incertitudes qui pèsent sur le devenir des départements et des intercommunalités, notamment en région parisienne, génèrent une baisse des investissements des collectivités locales et donc, mécaniquement, une réduction de l’activité des secteurs du bâtiment, des travaux publics et du paysage. Selon des projections, cette réduction pourrait atteindre 10 % en 2014 et menacer directement près de 10 000 emplois en Île-de-France à très court terme.

Par ailleurs, cette réforme s’inscrit à contre-courant du processus de décentralisation engagé par notre pays. Alors que, depuis trente ans, le pouvoir local, communal et départemental, dans la proximité nouée avec la population, tente de mieux répondre aux besoins et aux attentes des citoyens, l’objectif de ces textes est la suppression des assemblées locales, au profit de grandes structures régionales et intercommunales de plus en plus éloignées des populations.

À l’inverse de tous les actes de décentralisation, vous venez même d’annoncer, monsieur le ministre, que pour compenser la disparition des départements, vous allez renforcer l’intervention des préfets. Autant nous nous félicitons d’un retour de l’action de l’État sur les territoires, que nous n’avons jamais contesté pour notre part, autant nous ne saurions accepter que cela se fasse contre les assemblées élues. C’est bien la preuve d’un retour en arrière, d’une reconcentration des pouvoirs, d’une recentralisation technocratique et, surtout, il faut bien le dire, d’un recul démocratique.

Intégration, concentration et organisation hiérarchique pyramidale des pouvoirs semblent être aujourd'hui l’alpha et l’oméga de votre pensée institutionnelle et de vos propositions, alors que tout pousse, au contraire, dans un monde moderne, à de nouvelles formes d’organisation plus souples, plus évolutives, plus collaboratives.

La nouvelle étape de la décentralisation, à laquelle nos concitoyens sont attachés, doit s’appuyer sur la volonté de rapprocher davantage les citoyens des lieux de décisions, de favoriser les coopérations, le partage des savoirs et des pouvoirs.

À rebours de tout cela, la perspective des mesures que vous nous proposez met gravement en péril notre organisation démocratique. Ainsi, vous voulez supprimer, en 2020, plus de 4 000 élus départementaux et leurs assemblées délibératives. Qui peut croire qu’il y aura plus de démocratie avec moins d’élus et moins d’assemblées élues ? Y aura-t-il plus de démocratie en supprimant l’obligation de consultation des citoyens en cas de modification de la région de rattachement d’un département ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion