Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 3 juillet 2014 à 21h45
Délimitation des régions et élections régionales et départementales — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un article de La Gazette des communes affirmait la semaine dernière que « nommer les choses, c’est déjà prendre le pouvoir sur elles ».

En remplaçant dans ses éléments de langage le terme de « décentralisation » par ceux de « réforme territoriale », le Gouvernement va à l’encontre de ce qu’attendait une majorité des élus locaux qui, en 2011, ont permis au Sénat de basculer à gauche, un événement qualifié alors d’« historique ». L’avenir dira s’il était véritablement historique… Le Gouvernement semble reléguer très loin la priorité des Françaises et des Français ayant contribué à faire élire, en 2012, un Président de la République de gauche.

Je ne reviendrai pas non plus sur les états généraux de la démocratie territoriale organisés au cours de l’automne 2012. S’ils ont créé de l’espoir et de l’envie dans nos départements, ils ont suscité depuis lors de la frustration et du désespoir.

Pourtant, pourquoi ne pas être parti de cette dynamique pour mettre en débat les moyens susceptibles de renforcer la décentralisation et nous proposer une loi élaborée dans la durée et de façon démocratique avec les élus locaux ?

« Déception, une fois de plus », diront, dans un soupir exaspéré, celles et ceux qui, résignés, ne voient plus une seule lueur d’espoir de changement.

Avec ce texte, vous voulez faire entrer par la fenêtre le fédéralisme dans notre pays : un fédéralisme qui est malheureusement toujours bénéfique aux plus riches, aux plus compétitifs ; une petite fenêtre, entre la fin de l’année scolaire et la Coupe du monde ! Peut-être pensiez-vous que tout avancerait sans faire beaucoup de remous.

Pourtant, à lire la presse quotidienne régionale de ces quinze derniers jours – et même d’avant ! –, on peut s’interroger sur cette précipitation et s’inquiéter, notamment, du rejet, hier soir, de la motion référendaire par l'Assemblée nationale.

Ne vous inquiétez pas, mes chers collègues, je ne citerai pas ici la longue liste des vœux ou des motions émis par les départements et les régions qui, du nord au sud de notre pays, et d’est en ouest, réclament une consultation démocratique sur ce texte, des motions qui se multiplient depuis quinze jours.

Pour quelles raisons nous présente-t-on un tel texte maintenant ? Ainsi que l’ont souligné certains de mes collègues, pourquoi construire la boîte avant d’en définir le contenu ? Cette définition sera repoussée à l’automne. C’est un peu comme si l’on faisait le paquet cadeau avant même d’avoir acheté le cadeau ! L’emballage risque de ne pas être le bon.

Vous dites, monsieur le ministre, vouloir des régions fortes, compétitives. Toutefois, si nous nous en tenons au texte qui nous est présenté, en quoi les fusions ou les non-fusions proposées répondront-elles à cette volonté ? En quoi une future région Auvergne-Rhône-Alpes comptant 156 élus, contre 150 pour la région Rhône-Alpes actuelle, participera-t-elle à ce dynamisme, comme on l’affirme ?

On peut aussi s’interroger sur les choix opérés, qui ne reposent sur aucune recherche d’harmonisation entre les régions : ni le PIB, ni la population, ni même la superficie ne semblent avoir servi de repères pour guider les choix de fusion et de non-fusion.

Enfin, comme de nombreuses personnes rencontrées sur le terrain, notamment des élus, je m’interroge : en quoi agrandir les régions et supprimer les départements, ou plutôt les dévitaliser, répond-il aux attentes de nos concitoyennes et de nos concitoyens ?

On nous promet des régions plus fortes, plus compétitives, plus grosses, mais pour qui ? Pour celles et ceux qui souffrent ou pour celles et ceux qui s’enrichissent malgré la crise ?

Bien sûr, certains dans cet hémicycle nous stigmatiseront : nous serions dans le clan des ringards, des has been, comme l’on dit aujourd’hui, de celles et de ceux qui ne voudraient rien changer. Pourtant, comme nous n’avons eu de cesse de le rappeler, et comme nous continuerons de le faire, nous souhaitons, oui, une véritable réforme des institutions de notre pays. Seulement, nous appelons de nos vœux une réforme au sein de notre République, et non pas une réforme qui fasse voler celle-ci en éclats.

Nous défendons l’idée de décentralisation, d’une grande décentralisation qui organise la République pour répondre à l’exigence démocratique. Notre République, il nous faut en décentraliser l’organisation, et non l’atomiser au risque de casser son unicité, une unicité indispensable pour garantir la solidarité entre les femmes et les hommes de notre pays.

Monsieur le ministre, nous sommes et serons toujours disponibles pour travailler à la mise en commun et à la réflexion sur le partage des décisions entre l’État et les régions. Nous resterons disponibles, quelle que soit la période : car, si certains peuvent changer de discours, comme il a été souligné, entre le temps de leur campagne et celui de leur mandat, tel n’est pas notre habitude, au sein de notre groupe. En effet, dire le contraire de ce que l’on fait aggrave les crises de la politique plus qu’autre chose !

Disponibles, nous l’avons été au moment de l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. À cette occasion, nous avons défendu l’intelligence territoriale, les conférences territoriales et les conférences des exécutifs, qui peuvent être de véritables lieux où les collectivités territoriales décident entre elles de leur organisation, de la répartition de leurs compétences et de la manière la plus efficace de mettre en œuvre des politiques publiques qui répondent aux besoins des populations. Oui, nous combattons l’autoritarisme étatique, qui impose et ne construit pas !

Disponibles, nous le sommes et le serons, mais une chose est sûre : nous sommes convaincus que faire mieux avec moins, ce n’est pas possible. Or si les deux projets de loi successifs sont votés, nous aurons des « super-conseillers régionaux » en charge de compétences supplémentaires, mais qui seront moins nombreux pour les assumer.

Nous serons toujours présents pour travailler à rapprocher la décision et ses moyens d’application de nos citoyens, mais ce rapprochement doit s’opérer au sein d’une République une et indivisible.

Cela fait rire parfois, mais on entend dire qu’il faudrait en finir avec les services de l’État, qui ne seraient pas à la hauteur. Ce discours, que nous entendons à maintes reprises lorsque nous rencontrons les élus, est de plus en plus répandu, dans des termes variables, mais qui reviennent au même, au point d’être dominant. Il est dangereux, ne serait-ce que parce qu’il est tenu par ceux qui ont orchestré le dépérissement de l’État par la mise en œuvre de la RGPP et de la MAP, ainsi que l’affaiblissement du service rendu par l’État aux collectivités territoriales ; par ceux qui ont affaibli l’État au lieu de lui donner les moyens de son action dans ce que l’on appelle aujourd’hui pudiquement « l’ensemble des territoires ».

Ce premier projet de loi, que beaucoup ont salué lorsqu’il a été annoncé, fait également apparaître une pratique surprenante de la part de femmes et d’hommes politiques. En effet, les tenants de grosses régions compétitives, attractives et dynamiques sont souvent très ardents quand il s’agit des autres, et beaucoup moins quand il est question de leur propre région.

On peut aussi s’interroger, à la suite de M. le rapporteur, sur les termes utilisés. Ainsi, on se demande régulièrement avec quelle autre région la Picardie pourrait fusionner, mais, quand il s’agit de Provence-Alpes-Côte d’Azur ou du Nord-Pas-de-Calais, on ne pose pas la question de la même façon : on tient pour acquis que d’autres régions vont les rejoindre, mais ce ne sont pas elles qui vont disparaître.

En vérité, il y a peut-être une carte qui n’a pas été publiée : celle des régions qui absorberont et des régions qui seront absorbées. C’est cette carte qui est dangereuse ! Car l’enjeu est non pas d’arrêter un découpage, mais d’entériner la disparition de telle ou telle région. D’ailleurs, à l’issue de ce grand mercato territorial, il reste deux régions que tout le monde veut fusionner avec d’autres, mais que personne ne veut absorber : l’une au nord de Paris, l’autre à l’ouest du Massif central.

Monsieur le ministre, chers collègues qui soutenez le projet de loi, tout va très bien, mais, à part ça, il faut que je vous dise…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion