Séance en hémicycle du 3 juillet 2014 à 21h45

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La séance

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La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de M. Charles Guené .

Photo de Charles Guené

La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un article de La Gazette des communes affirmait la semaine dernière que « nommer les choses, c’est déjà prendre le pouvoir sur elles ».

En remplaçant dans ses éléments de langage le terme de « décentralisation » par ceux de « réforme territoriale », le Gouvernement va à l’encontre de ce qu’attendait une majorité des élus locaux qui, en 2011, ont permis au Sénat de basculer à gauche, un événement qualifié alors d’« historique ». L’avenir dira s’il était véritablement historique… Le Gouvernement semble reléguer très loin la priorité des Françaises et des Français ayant contribué à faire élire, en 2012, un Président de la République de gauche.

Je ne reviendrai pas non plus sur les états généraux de la démocratie territoriale organisés au cours de l’automne 2012. S’ils ont créé de l’espoir et de l’envie dans nos départements, ils ont suscité depuis lors de la frustration et du désespoir.

Pourtant, pourquoi ne pas être parti de cette dynamique pour mettre en débat les moyens susceptibles de renforcer la décentralisation et nous proposer une loi élaborée dans la durée et de façon démocratique avec les élus locaux ?

« Déception, une fois de plus », diront, dans un soupir exaspéré, celles et ceux qui, résignés, ne voient plus une seule lueur d’espoir de changement.

Avec ce texte, vous voulez faire entrer par la fenêtre le fédéralisme dans notre pays : un fédéralisme qui est malheureusement toujours bénéfique aux plus riches, aux plus compétitifs ; une petite fenêtre, entre la fin de l’année scolaire et la Coupe du monde ! Peut-être pensiez-vous que tout avancerait sans faire beaucoup de remous.

Pourtant, à lire la presse quotidienne régionale de ces quinze derniers jours – et même d’avant ! –, on peut s’interroger sur cette précipitation et s’inquiéter, notamment, du rejet, hier soir, de la motion référendaire par l'Assemblée nationale.

Ne vous inquiétez pas, mes chers collègues, je ne citerai pas ici la longue liste des vœux ou des motions émis par les départements et les régions qui, du nord au sud de notre pays, et d’est en ouest, réclament une consultation démocratique sur ce texte, des motions qui se multiplient depuis quinze jours.

Pour quelles raisons nous présente-t-on un tel texte maintenant ? Ainsi que l’ont souligné certains de mes collègues, pourquoi construire la boîte avant d’en définir le contenu ? Cette définition sera repoussée à l’automne. C’est un peu comme si l’on faisait le paquet cadeau avant même d’avoir acheté le cadeau ! L’emballage risque de ne pas être le bon.

Vous dites, monsieur le ministre, vouloir des régions fortes, compétitives. Toutefois, si nous nous en tenons au texte qui nous est présenté, en quoi les fusions ou les non-fusions proposées répondront-elles à cette volonté ? En quoi une future région Auvergne-Rhône-Alpes comptant 156 élus, contre 150 pour la région Rhône-Alpes actuelle, participera-t-elle à ce dynamisme, comme on l’affirme ?

On peut aussi s’interroger sur les choix opérés, qui ne reposent sur aucune recherche d’harmonisation entre les régions : ni le PIB, ni la population, ni même la superficie ne semblent avoir servi de repères pour guider les choix de fusion et de non-fusion.

Enfin, comme de nombreuses personnes rencontrées sur le terrain, notamment des élus, je m’interroge : en quoi agrandir les régions et supprimer les départements, ou plutôt les dévitaliser, répond-il aux attentes de nos concitoyennes et de nos concitoyens ?

On nous promet des régions plus fortes, plus compétitives, plus grosses, mais pour qui ? Pour celles et ceux qui souffrent ou pour celles et ceux qui s’enrichissent malgré la crise ?

Bien sûr, certains dans cet hémicycle nous stigmatiseront : nous serions dans le clan des ringards, des has been, comme l’on dit aujourd’hui, de celles et de ceux qui ne voudraient rien changer. Pourtant, comme nous n’avons eu de cesse de le rappeler, et comme nous continuerons de le faire, nous souhaitons, oui, une véritable réforme des institutions de notre pays. Seulement, nous appelons de nos vœux une réforme au sein de notre République, et non pas une réforme qui fasse voler celle-ci en éclats.

Nous défendons l’idée de décentralisation, d’une grande décentralisation qui organise la République pour répondre à l’exigence démocratique. Notre République, il nous faut en décentraliser l’organisation, et non l’atomiser au risque de casser son unicité, une unicité indispensable pour garantir la solidarité entre les femmes et les hommes de notre pays.

Monsieur le ministre, nous sommes et serons toujours disponibles pour travailler à la mise en commun et à la réflexion sur le partage des décisions entre l’État et les régions. Nous resterons disponibles, quelle que soit la période : car, si certains peuvent changer de discours, comme il a été souligné, entre le temps de leur campagne et celui de leur mandat, tel n’est pas notre habitude, au sein de notre groupe. En effet, dire le contraire de ce que l’on fait aggrave les crises de la politique plus qu’autre chose !

Disponibles, nous l’avons été au moment de l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. À cette occasion, nous avons défendu l’intelligence territoriale, les conférences territoriales et les conférences des exécutifs, qui peuvent être de véritables lieux où les collectivités territoriales décident entre elles de leur organisation, de la répartition de leurs compétences et de la manière la plus efficace de mettre en œuvre des politiques publiques qui répondent aux besoins des populations. Oui, nous combattons l’autoritarisme étatique, qui impose et ne construit pas !

Disponibles, nous le sommes et le serons, mais une chose est sûre : nous sommes convaincus que faire mieux avec moins, ce n’est pas possible. Or si les deux projets de loi successifs sont votés, nous aurons des « super-conseillers régionaux » en charge de compétences supplémentaires, mais qui seront moins nombreux pour les assumer.

Nous serons toujours présents pour travailler à rapprocher la décision et ses moyens d’application de nos citoyens, mais ce rapprochement doit s’opérer au sein d’une République une et indivisible.

Cela fait rire parfois, mais on entend dire qu’il faudrait en finir avec les services de l’État, qui ne seraient pas à la hauteur. Ce discours, que nous entendons à maintes reprises lorsque nous rencontrons les élus, est de plus en plus répandu, dans des termes variables, mais qui reviennent au même, au point d’être dominant. Il est dangereux, ne serait-ce que parce qu’il est tenu par ceux qui ont orchestré le dépérissement de l’État par la mise en œuvre de la RGPP et de la MAP, ainsi que l’affaiblissement du service rendu par l’État aux collectivités territoriales ; par ceux qui ont affaibli l’État au lieu de lui donner les moyens de son action dans ce que l’on appelle aujourd’hui pudiquement « l’ensemble des territoires ».

Ce premier projet de loi, que beaucoup ont salué lorsqu’il a été annoncé, fait également apparaître une pratique surprenante de la part de femmes et d’hommes politiques. En effet, les tenants de grosses régions compétitives, attractives et dynamiques sont souvent très ardents quand il s’agit des autres, et beaucoup moins quand il est question de leur propre région.

On peut aussi s’interroger, à la suite de M. le rapporteur, sur les termes utilisés. Ainsi, on se demande régulièrement avec quelle autre région la Picardie pourrait fusionner, mais, quand il s’agit de Provence-Alpes-Côte d’Azur ou du Nord-Pas-de-Calais, on ne pose pas la question de la même façon : on tient pour acquis que d’autres régions vont les rejoindre, mais ce ne sont pas elles qui vont disparaître.

En vérité, il y a peut-être une carte qui n’a pas été publiée : celle des régions qui absorberont et des régions qui seront absorbées. C’est cette carte qui est dangereuse ! Car l’enjeu est non pas d’arrêter un découpage, mais d’entériner la disparition de telle ou telle région. D’ailleurs, à l’issue de ce grand mercato territorial, il reste deux régions que tout le monde veut fusionner avec d’autres, mais que personne ne veut absorber : l’une au nord de Paris, l’autre à l’ouest du Massif central.

Monsieur le ministre, chers collègues qui soutenez le projet de loi, tout va très bien, mais, à part ça, il faut que je vous dise…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

M. Bourquin, en Languedoc-Roussillon, veut rester seul et lance une pétition en ce sens.

M. Rousset déclare que l’Aquitaine a vocation à rester seule et ajoute, à juste titre, que le véritable développement des régions, qui est nécessaire, viendra d’une grande réforme fiscale.

M. Bonneau, en région Centre, veut bien des Pays de la Loire, mais surtout pas du Limousin.

Quant à M. Auxiette, en Pays de la Loire, il propose une fusion avec la Bretagne, sans parler de la région Centre qui voudrait fusionner avec lui.

En Bretagne, justement, c’est M. Urvoas, député, qui déclare : « Le pire serait que la Bretagne soit diluée dans un Grand Ouest mou ». Je ne doute pas que le même, dans quelques jours, au moment de voter le projet de loi, aura pour les autres régions le même respect qu’il voue à la sienne…

Ajoutez à cela certains bruits qui courent : monsieur le rapporteur, vous qui défendez ce projet de loi, ce que je respecte, vous auriez pu vous abstenir lors du vote sur le texte élaboré par la commission spéciale en raison de l’adoption d’un amendement visant à rattacher la Picardie à la région Nord-Pas-de-Calais.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Pourtant, monsieur le rapporteur, cette grosse région, forte de plus de 6 millions d’habitants et d’un PIB de plus de 140 milliards d’euros, vous aurait permis de devancer Provence-Alpes-Côte d’Azur, et peut-être de voir se lever un peu du soleil du sud dans une belle région Nord–Pas-de-Calais–Picardie !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

M. Daniel Dubois. Nous ne sommes pas assez bien pour eux !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Le président de la Picardie, pour sa part, compare ce projet de loi à un nouveau jeu qu’on pourrait appeler « surprise, surprise », préférant prendre le débat avec dérision ; il faut dire qu’il est un peu l’invité du bal de fin d’année, qui voudrait bien danser avec tout le monde, mais que personne n’invite !

En Poitou-Charentes, le président du conseil régional se félicite de la fusion proposée, mais les quatre présidents de département refusent le nouveau découpage.

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, M. Vauzelle déclare à Nice-Matin qu’il faut réduire le nombre de régions, mais que, en ce qui concerne la sienne, « on ne va pas faire d’énormes régions qui vont générer de nouveaux problèmes ». Je m’arrête là, avant que la maison ne brûle !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous aurez compris que nous ne voterons pas le projet de loi. Nous ne voulons pas que le résultat de la finale soit : « Décentralisation : 0 – Fédéralisme : 1 ».

Défenseurs des territoires au sein de notre République, nous ne voulons pas de ce projet de loi, parce qu’un tel score en finale serait une catastrophe pour les services publics, seul rempart contre la crise et seul garant de la cohésion sociale dont ont besoin aujourd’hui les femmes et les hommes de notre pays !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC . – M. Daniel Dubois applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir bien écouté tous les orateurs qui se sont exprimés depuis l’ouverture de ce débat, je ne comprends pas en vertu de quels arguments le Sénat devrait, demain, rendre copie blanche. Pourquoi faudrait-il que le Sénat ne dise rien ?

Personne n’a présenté un amendement en vue du mutisme. Au contraire, nombre de nos collègues ont proposé des améliorations.

D’ailleurs, comment comprendrait-on que le Sénat, qui représente les collectivités territoriales de la République, n’ait rien à dire au sujet d’un projet de loi qui touche à l’organisation territoriale de la France ?

Pour ma part, je pense que nous sommes au cœur d’une grande mutation, qui va durer des décennies : alors que la France du XIXe siècle était articulée autour des départements et des communes, la France du XXIe siècle sera articulée autour de régions et de communautés efficaces. J’appelle « communautés » les métropoles, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les communautés de communes, si importantes dans le monde rural et pour les moyennes communes.

Passer d’un état à l’autre ne se fera pas rapidement, mais il faut montrer l’orientation et dessiner cette mutation. En définitive, tout le monde sait bien que c’est cette direction que nous allons prendre ; c’est si vrai que je n’ai entendu personne défendre le statu quo. En vérité, y a-t-il une seule sénatrice, un seul sénateur, qui pense que tout va très bien et qu’il ne faut rien changer ? Puisqu’il n’y en a pas, parlons des changements.

En ce qui concerne les régions, je n’aime pas trop, moi non plus, l’expression « régions fortes » ; j’ai parlé de régions efficaces.

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il est heureux, monsieur le ministre, que deux nouvelles lectures soient prévues en octobre prochain, car il nous faudra bien quatre lectures pour parfaire la carte. La commission spéciale a commencé le travail. Beaucoup ont jugé sa carte intéressante, certains ont formulé des critiques ; c’est cela, le débat parlementaire. Ce fut le premier acte ; il y en aura un deuxième, et puis un troisième et un quatrième. Nous avons plusieurs mois pour travailler et il n’y a pas le feu ; travaillons donc calmement.

J’ai entendu tout un débat au sujet du rapport Raffarin-Krattinger. Pour ma part, j’ai constaté qu’il y avait en fait un large accord. On nous dit : il faut que les régions comportent des métropoles, des lignes ferroviaires à grande vitesse, des aéroports, qu’il y ait une logique du développement, de la recherche et de l’économie. Très bien. Qu’il nous faille au XXe siècle des régions efficaces pour l’économie, l’entreprise et l’emploi, nous en sommes tous d’accord, parce que ce sont aujourd’hui les sujets qui intéressent les Français et les défis que nous devons relever. Construisons donc des régions qui aient cette vocation !

Je répète que ce n’est pas une question d’hectares et que, selon moi, il ne faut faire preuve d’aucun dogmatisme en ce qui concerne le découpage. Il n’y a pas de solution parfaite, qui s’imposerait absolument. En revanche, construire des régions efficaces pour l’économie et l’emploi, personne n’est contre, et tous les rapports vont dans ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

C’est pourtant compréhensible, cher collègue.

Pour ce qui est des intercommunalités, il faut les renforcer ; je crois que, sur ce point aussi, tout le monde est d’accord. Les intercommunalités, qui ont été la révolution des vingt dernières années, sont efficaces, je crois, et doivent être rendues plus efficaces encore.

Bien sûr, il faut agir avec pragmatisme : on sait très bien que, dans certaines campagnes et dans les pays de montagne, on ne procédera pas de la même façon qu’ailleurs. Dans d’autres endroits, on peut tout à fait construire des intercommunalités de 20 000 habitants. Qui est contre ?

Petit à petit, une organisation va voir le jour, fondée sur des régions et des intercommunalités efficaces. Je n’ai entendu personne s’opposer à cette évolution.

On objecte qu’il y a les communes. Pour ma part, je suis attaché comme à la prunelle de mes yeux aux 36 700 communes de notre pays. De bons esprits – il n’en manque pas – prétendent qu’il faudrait les supprimer ou réduire leur nombre.

Pourtant, les 550 000 conseillers municipaux que compte notre pays et qui, dans chaque commune, petite ou grande, connaissent chaque rue, chaque maison, chaque école et chaque ferme sont précieux ; je ne vois pas ce que nous aurions à gagner à les licencier. Reste que, pendant qu’ils s’occupent de la proximité, les communautés doivent s’occuper des choix plus structurels.

Il y a ensuite les départements. Pour ce qui concerne leur avenir, j’ai été très sensible aux propos que Didier Guillaume a tenus tout à l'heure. Personne ne dit que l’on va supprimer les départements demain matin ou dans quelques années…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Mes chers collègues, à cet égard, un amendement a même été présenté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je vous l’affirme : cette après-midi, au Sénat, je n’ai entendu personne dire que l’on pourra, à court terme, se dispenser des départements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

En revanche, cher collègue, j’ai entendu beaucoup de propos convergents selon lesquels, par rapport aux compétences actuelles du département, il est possible que le modèle de la métropole de Lyon – personne n’est contre : il est déjà inscrit dans la loi – se développe ailleurs, dans des secteurs urbains.

Dans d’autres secteurs, il est absolument nécessaire d’imaginer des systèmes où se trouveront des collectivités du type du département, ou des collectivités qui s'appuieront sur des communautés de communes susceptibles de se fédérer et se regrouper. En somme, il faut inventer et mettre en place quelque chose d’intermédiaire, dont tout le monde sent bien ici le caractère inéluctable et nécessaire. On verra bien ensuite si cela durera.

On discute avec les conseillers généraux, actuels et futurs, pour savoir comment exercer au mieux les compétences des départements…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Mon cher collègue, vous parlez des collèges… Peut-être faut-il faire certains choix, avoir des collèges différents. C'est un vrai sujet.

On peut donc avoir différentes idées sur la manière dont ce que font les départements peut être traité dans certains cas par les régions, dans certains cas par les métropoles ou les communautés urbaines ou d’agglomération, dans d’autres cas par les communautés de communes et, dans d’autres cas encore, par des départements qui seraient maintenus. Il y aurait donc une pluralité de solutions.

Pour ma part, je n’aime pas le postulat selon lequel la décentralisation se fait partout de manière uniforme. Il ne faut plus décentraliser de manière centralisée !

Je résume : premièrement, il faut des régions efficaces, sans dogmatisme quant au nombre d’hectares et quant aux configurations, qui se discutent et dont nous continuerons à débattre §; deuxièmement, il faut des intercommunalités qui montent ; troisièmement, les communes doivent être maintenues ; quatrièmement, il s'impose d’adopter des solutions diversifiées, adaptées au terrain pour l’exercice ultérieur des compétences des départements.

Tout cela me paraît parfaitement pragmatique, et j’ai le sentiment, mes chers collègues, de ne faire que reprendre purement et simplement ce qui a déjà été dit, ici, dans plusieurs groupes.

En conclusion, une première lecture n’est qu’une première lecture, monsieur Mézard.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

M. Jean-François Husson. Et une deuxième lecture n’est qu’une deuxième lecture…

Sourires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Toutefois, lors de cette première lecture, le Sénat peut prendre un certain nombre d’orientations, affirmer un certain nombre d'options.

En tout cas, je veux être très clair. Le Sénat représente les collectivités territoriales de la République. Par ailleurs, les points de convergence sont nombreux – bien plus que certains ne l’ont dit. Si nous rendons une feuille vierge, cela signifiera que le Sénat n’a rien à dire sur ce projet, alors qu’il peut mettre en avant un certain nombre d'options et de propositions toujours susceptibles d’être revues ultérieurement.

Je considérerai alors que le Sénat se tire une balle dans le pied, que, pour employer une métaphore d’actualité, il marque un but contre son camp !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas sûre qu’il soit nécessaire de revenir sur les critiques que nombre d’entre nous ont déjà formulées et qui convergent pour dénoncer un texte inabouti, préparé et présenté dans l’urgence, contrairement à la démarche que le Président de la République avait mise en avant sans discontinuer : le dialogue pour tendre vers un consensus de bon aloi.

Le consensus, monsieur le ministre, existe sur le fond – c’est assez précieux pour le souligner. Y aurait-il parmi nous, sénateurs, porteurs privilégiés de la parole des élus locaux, quelque opposant au principe d’une réforme cohérente de l’organisation territoriale ?

Qui refuserait de voir l’absolue nécessité d’améliorer le fonctionnement des services de l’administration d’État et celui des services des collectivités territoriales pour répondre plus efficacement aux besoins de nos populations sur l’ensemble de notre territoire ?

Qui n’aurait pas l’ambition d’apporter sa part de réflexion à la construction d’un nouvel aménagement du territoire respectueux tant des contraintes auxquelles nous sommes exposés – bataille pour l’emploi, compétitivité, évolution sociétale, participation à l’effort de maîtrise de nos dépenses – que des formidables potentialités dont sont riches tous nos territoires ?

Je ne peux que m’adjoindre à celles et ceux qui, ici, regrettent les conditions dans lesquelles le texte nous est soumis, et dont nous cherchons encore l’objectif réel. Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec une attention soutenue, tout comme j’avais écouté, avant vous, le Premier ministre.

Je dois reconnaître que l’une et l’autre de vos interventions m’ont rassurée, qu’elles m'ont rassérénée. Je me suis retrouvée dans une démarche qui doit être de raison, de bon sens, parce qu’elle répond aux attentes de nos concitoyens : des régions fortes portées par l’ambition d’investir, d’innover et de se mettre au diapason de la compétitivité dans le concert mondial que nous connaissons ; une clarification des compétences au sein des services de l’État et de ceux des collectivités locales, source d’une meilleure maîtrise des dépenses, que vous avez déclinée, monsieur le ministre ; une juste place reconnue aux territoires dans leur diversité, qu’ils soient métropolitains, urbains ou ruraux.

Toutefois, pourquoi donc a-t-il donc fallu attendre aujourd’hui pour que ce discours apaisé et apaisant parvienne jusqu’à une assemblée qui a le droit de comprendre, de débattre, sans se sentir menacée, et qui – je le crois sincèrement – n’a d’autre ambition que de parvenir à un bon texte ?

À vous comme à nous, rien n’a été épargné. L’objectif premier n’était-il pas, à nouveau, le report de la date des élections régionales et départementales, ainsi que quelques aménagements supplémentaires rendus nécessaires pour la métropole de Lyon ou le remplacement des conseillers départementaux ?

Il fallait, constitutionnellement parlant, habiller cette mesure d’une disposition modifiant l’organisation territoriale des régions. D’où cette carte qui n’en a pas fini de susciter l’ire de certains et d’en interroger d’autres sur son bien-fondé.

Pour y avoir, en d’autres temps, un peu réfléchi, j’étais convaincue que la détermination du nouveau périmètre des régions devait se faire sur la base de plusieurs critères. Le critère démographique, seul, n’est pas pertinent.

Nombreux ont été les exemples rapportés ici, et dans les réunions de la commission spéciale et dans l’hémicycle, montrant que l’histoire propre à une région – émanation de nos anciennes provinces –, sa sociologie, sa géographie physique et bien entendu sa culture sont autant d’éléments qui peuvent créer et fédérer une région. Néanmoins, aujourd’hui, me semble-t-il, sa surface financière importe plus que tout dans une économie dynamique, capable de susciter innovation, recherche et compétitivité.

Il doit s'agir en effet de régions attractives, qui donnent envie aux entreprises de taille intermédiaire, aux petites et moyennes entreprises, de venir s’y installer pour développer de nouveaux talents.

Pourtant, me direz-vous, une surface financière suffisante emporte l’affectation de ressources suffisantes, dont il faut bien trouver la source : transfert de l'État, fiscalité locale nouvelle, péréquation entre régions ou avec d’autres niveaux de collectivités… Le sujet financier de l’autonomie fiscale et financière ne peut être passé sous silence. Il est impérativement lié à notre débat.

Je sais, monsieur le ministre, que cette question ne peut nous échapper. Nous la traiterons dans un autre cadre, et dans un autre temps. Mais si le débat concernant cette question n’est pas conjoint à celui de ce soir, nous risquons bien de nous trouver confrontés à de nouvelles incohérences.

« Incohérent » : voilà un mot revenu bien souvent au cours de nos travaux. Il a été appliqué à plusieurs reprises à la « décision » de suppression des conseils généraux, ou à ce qui ressemblait à une décision non décrite – ainsi, ce matin, un amendement de nos amis socialistes visant à faire une exception pour les départements ruraux confirmait incidemment l’intention du Gouvernement.

Qu’il faille ou non supprimer les conseils généraux mérite un vrai débat, en premier lieu pour imaginer qui assumera les compétences de ces assemblées.

La notion de proximité, dont il faudra un jour m’expliquer à quoi elle correspond vraiment, me paraît bien mal en point face à des régions agrandies et élargies, dont le chef-lieu ne sera peut-être pas accessible dans les meilleures conditions. Le périmètre de nos intercommunalités, là encore, n’a pas vraiment de sens par rapport à un seuil démographique de vingt mille habitants : il doit se construire sur la base d’un vrai projet dans un bassin de vie. Ces intercommunalités remodelées seront-elles à même de se substituer au conseil général ? Et dans quels délais, et pour quels domaines ?

Monsieur le ministre, je voudrais que vous soyez assuré que vous n’avez pas affaire ici à des sénateurs obtus, ancrés dans la certitude qu’ils détiendraient la vérité contre celle portée par le Gouvernement. Je suis de celles et de ceux qui veulent, avec vous – je sais vos qualités –, travailler à la construction d’une organisation territoriale moderne, rénovée, porteuse des ambitions des Français et des valeurs de la République.

Les propositions qui ont été formulées tout à l’heure par mon ami Jacques Mézard sont là pour témoigner de cette volonté.

Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'UMP, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis animé par un sentiment de gratitude. En effet, le ton que vous avez employé pendant une demi-heure, monsieur le ministre, pour nous présenter votre projet de loi était particulièrement apaisant – ma collègue l’a d'ailleurs relevé.

Toutefois, la douceur de ce ton contraste avec la violence du texte. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué : vous nous proposez dans un temps court de supprimer la moitié des régions, de supprimer en théorie les départements, puis de bouleverser la totalité des communautés de communes. C'est tout de même un choc pour les populations et pour les territoires, c’est une violence pour les élus et également pour l’ensemble des fonctionnaires qui travaillent dans nos collectivités.

Depuis quelques jours, voire quelques semaines, vous nous avez soufflé le chaud et le froid. Au début, c'était une fermeture hermétique. Je vous rappelle que le Premier ministre nous a annoncé un certain nombre de fois – ici même, ou dans des émissions de télévision ou de radio –, avec beaucoup d’autorité, que l’on ne toucherait pas à la carte, qu’il y aurait quatorze régions, qu’il n’était pas question de modifier quoi que ce soit et qu’il n’y aurait évidemment pas de droit d’option.

Cela a été dit avec beaucoup de fermeté, et voilà que nous découvrons, au fil des débats – un peu aujourd'hui, dans les questions d’actualité – qu’un certain nombre d'ouvertures sont en train de se faire. Nous pouvons nous en féliciter. L’opposition en particulier peut s'en féliciter : son attitude, comme celle de tous ceux qui ont résisté par leurs propos, a peut-être contribué à ouvrir les yeux du Gouvernement, tout comme y ont contribué les élus locaux, les départements, les régions et les manifestations qui ont eu lieu au plan local.

Par ailleurs, nous sommes au Sénat et non à l’école primaire. Quand j’entends dire qu’on va nous « coller » tout le mois de juillet, le mois d’août, ainsi que les week-ends, cela ne me plaît pas ! Je n’apprécie pas la menace.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Dallier

M. Philippe Dallier . Des séances au mois d’août, c’est quand les sénateurs ne sont pas sages !

Sourires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

De surcroît, ce matin, au moment où nous avons refusé l’article 1er, j’ai entendu avec surprise l’un des porte-parole de la majorité nous dire que, si jamais on ne discutait pas de la carte, il n’y aurait qu’une seule lecture du texte. Est-ce officiel, ou, plus sûrement, s’agit-il d’une menace agitée par un parlementaire qui a voulu nous faire peur pour nous pousser à voter un texte ? C’est une question qui vous a été posée, monsieur le ministre, et j’espère que nous aurons une réponse.

On ne connaît pas la règle du jeu, et c’est tout de même surprenant. M. Mézard a fait tout à l’heure un certain nombre de citations. Le Président de la République a affirmé à Tulle, en janvier 2013 : moi, Président de la République et ancien président de département, je protégerai les départements, car je suis départementaliste. Puis, au mois de mai dernier, il nous annonce que les départements ont vécu, et nul ne sourcille, tout le monde baisse le nez, alors qu’il fait strictement le contraire de ce qu’il avait promis quatre mois plus tôt ! Qu’un Président de la République affirme une chose un jour et le lendemain soutienne son contraire, cela me gêne en tant que citoyen et en tant qu’élu !

Je regrette l’absence, ce soir, parmi nous, de M. Vallini, qui s’est rendu il y a quelques jours à Nevers, ville qui a été évoquée par mon collègue Didier Guillaume. Or, à Nevers, M. Vallini en a pris pour son grade, si j’ose dire, lors des états généraux des nouvelles ruralités ! Il y avait trente-six départements de gauche. Quatre départements de gauche de quatre régions de gauche organisaient cette journée. Ils ont signifié à M. Vallini ce qu’ils pensaient de la réforme. M. Vallini leur a répondu qu’il était possible de réaliser des économies. La preuve selon lui ? Les routes départementales sont trop belles et il faut économiser sur leur entretien !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Il a osé dire cela ? (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Lisez les comptes rendus, cela y figure ! C’est tout de même une façon spéciale de voir les choses…

Monsieur le ministre, ne dites pas que nous n’avons rien à proposer. Au contraire, nous refusons ce texte, mais nous approuvons la réduction du nombre des régions. Vous n’avez malheureusement cité qu’une partie du rapport Raffarin-Krattinger, mais vous savez que nous avons des propositions importantes en la matière.

En l’occurrence, nous proposons de diminuer le nombre des régions, mais de maintenir les départements, voire éventuellement d’en modifier le nombre. D’ailleurs, notre collègue Guillaume a formulé tout à l’heure des suggestions qui n’étaient pas inintéressantes, ce qui prouve que nous pouvons nous retrouver sur certains sujets.

Ce qui me frappe également, c’est la recentralisation. J’en veux pour preuve la région à laquelle j’appartiens pour l’instant sur la future carte : la région qu’un journal a baptisée « Limouchentre » : Limousin-Centre-Poitou-Charentes ! Toutes les études et les enquêtes réalisées montrent que personne n’en veut. La région Pays de la Loire approuve une éventuelle fusion avec nous à 2 %. Les régions Limousin et Poitou-Charentes nous disent : surtout pas vous, nous, nous voulons nous associer avec l’Aquitaine. C’est tout de même quelque peu gênant de nous avoir mariés d’office avec des départements et des régions qui ne voulaient pas de nous.

Cette future région fondra treize départements et trois régions en une seule collectivité : seize en une ! À terme, il n’y aura plus de présidents de conseils généraux et il ne restera qu’un seul président de région, qui se trouvera en face de treize préfets. Ne s’agit-il pas de recentralisation ? Comment un président de région, avec quelques représentants de-ci de-là dans un département pourra-t-il exister face à l’État, qui aura tous les pouvoirs ?

Je vous rappelle que le deuxième texte que nous devrons examiner, et que nous aurions dû étudier avant, prévoit que le choix de la capitale régionale se fera par décret en Conseil d’État, donc par les préfets ! On demandera l’avis des élus, mais nous savons très bien que nul n’en tiendra compte : on l’a bien vu au moment du découpage des cantons. Quand, dans les schémas prescriptifs, cela ne fonctionne pas, ce sont les préfets qui imposent leur avis. De mêmeavec les communautés de communes. Les élus seront donc exclus de toutes les décisions importantes concernant les territoires.

Je dirai un mot également sur la situation choquante des personnels. Il est amusant, si j’ose dire, que Mme la ministre nous ait envoyé le 16 mai dernier, soit quelques jours avant la parution du texte le 18 mai, un document relatif à la prévention des risques psychosociaux dans la fonction publique !

(Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Chers collègues, je puis vous garantir qu’ils l’ont ressenti comme ça. Vous protestez parce que ça ne vous intéresse pas de savoir ce que pensent les fonctionnaires de vos collectivités !

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

On nous a fait parvenir un texte pour nous dire : attention, dans deux jours, vous allez annoncer une mauvaise nouvelle à vos fonctionnaires ! §Moi, je me soucie de ceux dont j’ai la responsabilité et je sais qu’ils sont complètement dépités.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Tout va tellement vite que je n’ai pas eu le temps de leur dire quoi que ce soit !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Tout ce qui est excessif est insignifiant, cher collègue !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

M. Éric Doligé . Vous êtes donc insignifiant, monsieur Néri, puisque vous êtes excessif !

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Ma collectivité compte 2 600 fonctionnaires, mais 10 000 personnes dépendent à 100 % de nous. Je pense à tous les établissements pour les personnes handicapées, lesquels sont payés intégralement par le département. Vous êtes en train de déstabiliser tout un territoire, ce qui n’ira pas sans poser des problèmes extrêmement importants.

Monsieur le ministre, des sondages intéressants, que je n’ai pas le temps de citer, ont été réalisés. J’ai également en ma possession un document, que vous devriez vous procurer et qui nous a été envoyé en avril par Mme Lebranchu – Printemps 2012-printemps 2014, deux ans d’actions de décentralisation de modernisation de l’action publique –, dans lequel votre collègue du Gouvernement nous explique tous les bienfaits du département. C’est également intéressant !

Pour conclure, nous sommes d’accord sur de nombreux points. Nous aimerions savoir clairement si l’on peut changer les limites des régions, si l’on a le droit d’option, si l’on peut modifier les dates des élections et si l’on peut découpler les élections départementales et régionales. Si on nous laissait suffisamment de temps pour travailler à l’élaboration d’une nouvelle carte, je vous certifie que nous pourrions aboutir à un redécoupage équilibré.

Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après le mariage pour tous, voici venu le temps du mariage forcé. Un mariage forcé entre deux ou trois régions. Un mariage forcé qui ne satisfait personne.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Un mariage forcé dont sont exclues quelques baronnies très proches du pouvoir !

La méthode utilisée est particulièrement détestable. Une carte dessinée à la va-vite sur un coin de table à l’Élysée. Une étude d’impact dont le contenu laisse à désirer. Une procédure d’urgence au Parlement que nous vivons ici, au Sénat, comme une défiance inadmissible vis-à-vis de tous les sénateurs et de la qualité de leurs travaux. Aucun avis demandé aux conseils régionaux et départementaux concernés, malgré la loi du 24 février 1996. Pourtant, la réforme de l’organisation territoriale de notre pays est un enjeu d’avenir.

À ce moment de mon propos, je voudrais saluer le travail réalisé par nos collègues Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger pour la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

De l’ensemble de leurs propositions, j’ai retenu que, si le nombre de régions devait être fixé par la loi, il était impossible d’en déterminer les contours sans une concertation approfondie. Je souscris à cette méthode, que vous auriez dû suivre, monsieur le ministre.

J’ai aussi retenu l’idée que le regroupement des régions devait s’accompagner du maintien des départements comme collectivités de proximité. Là encore, j’adhère à cette analyse pertinente. Le choix du Gouvernement est tout autre : c’est regrettable et c’est dangereux pour notre démocratie locale.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Les vrais enjeux ne sont pas pris en compte par ce texte. De nombreux éléments ne figurent pas dans ce projet de regroupement des régions. J’en citerai trois : premièrement, ce texte ne prend pas en compte l’avenir du bassin parisien dans le concert européen, pour ne pas dire mondial ; deuxièmement, le projet de loi ne tient pas compte du potentiel d’avenir de nos façades littorales ; troisièmement, les choix de métropoles d’équilibre dans chacune des régions ont encore moins été pris en compte.

En outre, j’ai le sentiment que le problème a été pris à l’envers. Comme de nombreux intervenants l’ont souligné, la première question à se poser aurait dû être : quels services doivent rendre les régions ? Ce qui nous renvoie à la question de la répartition des compétences.

La deuxième question concerne les moyens humains et financiers pour exercer ces compétences efficacement et à moindre coût pour les contribuables. Cela nous renvoie à la modernisation du statut de la fonction publique, au problème de la fiscalité locale, à la baisse des dotations de l’État.

La troisième question est celle, non moins importante, de la réforme de l’État, tant à l’échelon central qu’au niveau déconcentré pour supprimer tous les doublons.

Enfin, la quatrième question touche aux liens historiques, culturels, économiques, sociaux et géographiques qui justifieraient le regroupement des régions. Pour la Normandie, cela semble aller de soi. Toutefois, n’est-ce pas l’exception qui confirme la règle ?

Monsieur le ministre, aucune de ces questions n’a été posée. L’inquiétude est donc grandissante. Le Gouvernement s’est jeté à corps perdu dans une réforme où il n’a aucune visibilité.

Concernant la carte des régions proposée par le Gouvernement, quels ont été les critères retenus pour l’élaborer ? Quelle a été « la carte de la carte » ? Quant à l’étude d’impact, elle ne fait que tenter de justifier laborieusement le découpage par la prise en compte des dimensions démographiques et économiques. Soyons clairs, il ne s’agit que d’une justification de fortune pour cacher la précipitation et les tergiversations de l’exécutif.

Je constate dans mon département, la Somme, en Picardie, combien est mal vécu le mariage forcé avec la Champagne-Ardenne. Toutes les assemblées locales, de droite comme de gauche, ont exprimé des avis négatifs, tout comme les habitants via les pétitions en ligne.

À titre personnel, je m’opposerai de toutes mes forces à ce mariage forcé avec la région Champagne-Ardenne. Le contrat de mariage est léonin, monsieur le ministre, et vos plaidoiries n’y pourront rien changer !

Je pourrais aussi citer le mariage forcé de Midi-Pyrénées avec Languedoc-Roussillon, ou encore la création de la vaste région Centre-Limousin-Poitou-Charentes. Et que dire du maintien en l’état de la région Bretagne, ou encore du Nord-Pas-de-Calais, région chère à notre rapporteur ? Je crois qu’il n’a pas eu d’états d’âme quand il a fallu voter le rapport de la mission spéciale !

Pourtant, M. Vallini avait trouvé un argument massue pour faire accepter sa réforme : elle allait, selon lui, permettre de dégager des économies colossales, entre 12 et 25 milliards d’euros. Ces chiffres, monsieur le ministre, ne sont pas sérieux !

Le second sujet de ce projet de loi, et non des moindres, est le report des élections régionales et cantonales à décembre 2015. Outre l’abrogation du conseiller territorial, François Hollande a décidé de reporter les élections prévues en 2014 à mars 2015 pour aérer le calendrier électoral et permettre le charcutage de tous les cantons de France.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Pour le charcutage, adressez-vous à M. Marleix, c’est le spécialiste !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Aujourd’hui, il est question d’un nouveau report, à décembre 2015. Je m’interroge : jusqu’à quand va-t-on continuer de se moquer des citoyens ? À moins qu’il ne s’agisse de reporter aux calendes grecques le rendez-vous avec une nouvelle défaite des candidats socialistes !

Enfin, le projet de loi actuel prévoit de désigner les chefs-lieux des nouvelles régions par décret. Là aussi, le choix d’une nouvelle capitale régionale ne doit pas se faire sur un coin de table de la place Beauvau, monsieur le ministre. À lire votre texte, vous décideriez d’une ville pour accueillir le siège des futures « mégarégions », avant de demander l’avis d’un certain nombre d’organismes dont la liste n’est d’ailleurs pas fixée dans la loi.

Au-delà de cet aspect juridique, je m’interroge sur le fin fond de votre pensée. Depuis la loi du 21 février 1996, la procédure de changement de chef-lieu de région est clairement énoncée. Je vous renvoie à l’article L. 4122-2 du code général des collectivités territoriales, qui dispose que « le transfert du chef-lieu d’une région est décidé […] après consultation du conseil régional et des conseils généraux ainsi que des conseils municipaux de la ville siège du chef-lieu et de celle où le transfert du chef-lieu est envisagé ».

Pourquoi diable changer cette procédure ?

Votre texte prévoit que vous, et vous seul, allez décider du siège de la future région, que vous demanderez l’avis de la seule commune d’accueil – et je ne vois pas comment elle pourrait être défavorable – et du conseil régional.

L’enjeu est de taille, mes chers collègues. La capitale régionale, c’est le siège du président du conseil régional, des élus régionaux, de la direction des services et des principales directions.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

L’hémicycle actuel sera-t-il suffisant pour accueillir tous les élus supplémentaires ? C’est une question qui fit débat il y a quelques années, les opposants au conseiller territorial dénonçant le coût exorbitant de l’agrandissement ou de la construction de nouveaux hémicycles. Étrangement, monsieur le ministre, vous passez ce point sous silence. Il n’est pourtant pas sans incidence sur le coût de la réforme que vous nous proposez.

La capitale régionale, c’est également tout un symbole pour les villes concernées, un symbole et un atout économique.

La capitale régionale, c’est enfin le lieu où travaillent des milliers d’agents du conseil régional. Même si tous ne vont pas rejoindre la future capitale régionale, tôt ou tard, une majorité d’entre eux seront invités à le faire. La ville qui perdra la qualité de chef-lieu de région perdra des milliers d’emplois et toute l’activité économique qui en découle.

Le choix d’une capitale régionale est donc primordial.

Vous comprendrez que je prenne l’exemple de la ville d’Amiens, capitale du département de la Somme et de la région Picardie. Monsieur le ministre, avez-vous l’intention de solliciter l’avis du conseil municipal d’Amiens ? Avez-vous l’intention de transférer le chef-lieu de région à Châlons-en-Champagne, si nous sommes mariés de force avec Champagne-Ardenne, ou à Lille, si c’est avec le Nord-Pas-de-Calais ? Mais, à entendre le rapporteur de la commission spéciale, j’ai compris que cette dernière hypothèse ne serait pas retenue ! Avez-vous l’intention de transférer ce chef-lieu dans une nouvelle ville, Reims par exemple ?

À titre personnel, je considère qu’Amiens doit rester une capitale régionale.

Manque de réflexion en amont, manque de visibilité sur les court, moyen et long termes, manque de respect du travail parlementaire, des citoyens et des élus locaux : tel est, pour résumer, le constat fait par bon nombre d’entre nous au sujet de cette réforme territoriale. Elle est menée avec l’énergie du désespoir pour grappiller des points de popularité dans les sondages avant l’été.

Tout en dénonçant l’absence de cap du Gouvernement, nous considérons qu’une réforme de nos territoires est pourtant fondamentale. C’est même une nécessité absolue. Notre pays ne peut plus se satisfaire d’un statu quo dans tous les domaines. La France a besoin de se réformer pour retrouver vigueur et dynamisme. Encore faut-il que la réforme soit juste, équitable, comprise et admise.

Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Le cap d’une telle réforme doit être l’accomplissement d’un triple objectif : rechercher une meilleure efficience publique, lutter contre l’érosion de la démocratie locale, armer la France face aux défis de la mondialisation en s’appuyant sur les territoires urbains et ruraux.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Qu’est-ce que vous avez fait pendant dix ans ? Vous avez dormi ! Et maintenant vous vous réveillez !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

M. Daniel Dubois. Il faut que les territoires soient pleinement parties prenantes dans l’élaboration de leur nouvelle organisation. C’est un préalable à toute réforme réussie des territoires.

Nouvelles marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Écoutez la conclusion avant de râler !

C’est pourquoi le groupe centriste participera à l’examen de ce texte pour le faire évoluer dans le bon sens. Il y va de la rénovation de notre pays.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur Dubois, vos propos respiraient véritablement la convivialité !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons enfin au fond de ce projet de loi. Je dis « enfin », car il y a eu quelques obstacles : demande de création d’une commission spéciale, …

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Ce n’est pas un obstacle, c’est un moyen de travailler !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

La commission des lois aurait très bien pu travailler sur ce texte, mon cher collègue !

… demande au Conseil constitutionnel de se prononcer sur l’étude d’impact, vote d’une motion référendaire, repoussée très largement hier soir à l’Assemblée nationale par les députés socialistes et écologistes, mais également par ceux du groupe UDI.

Ces obstacles étant levés, nous engageons enfin le débat au fond.

J’ai écouté attentivement tous les intervenants qui se sont succédé au cours de cette discussion générale ; beaucoup, c’est vrai, ont exprimé leur opposition, parfois farouche, à ce projet, d’autres ont fait part de leur grande insatisfaction, mais la plupart ont reconnu la nécessité d’une réforme.

Pour ceux qui s’y opposent, cette réforme serait une mauvaise, voire très mauvaise réforme. Pourtant, et là je ne comprends plus, ils ne semblent pas souhaiter y apporter des modifications. C’est ainsi qu’ils ont demandé hier un recours au référendum et qu’ils ont voté ce matin, dans le cadre de la commission spéciale, la suppression de l’article 1er, laquelle ferait tomber l’essentiel du texte et clôturerait de facto nos débats sur la carte des nouvelles régions.

Mes chers collègues, allons-nous continuer, avec cette stratégie d’évitement, à nous interdire nous-mêmes d’apporter des modifications à ce texte ? Pour le groupe socialiste, ainsi que nous ne cessons de le répéter, ce texte n’est pas figé. Nous sommes favorables à des évolutions…

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

… et le Parlement, tout particulièrement sa chambre haute, qui est saisie la première, a toute latitude pour faire évoluer ce projet de loi.

Le Gouvernement l’a dit tout à l’heure encore par la voix de Bernard Cazeneuve : il souhaite que le Sénat fasse son travail, s’empare du texte et mette en œuvre son expertise.

J’espère donc que l’incohérence que nous avons pu relever hier chez les partisans de la motion référendaire ou ce matin chez celles et ceux qui ont voté la suppression de l’article 1er ne se répétera pas en séance, que ceux qui ne sont pas satisfaits feront des propositions, défendront des amendements, et que, ensemble, nous pourrons faire évoluer ce texte.

J’espère que les postures ne nous conduiront pas in fine à rendre une copie blanche.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Jean-Pierre Sueur l’a bien expliqué : ce serait se tirer une balle dans le pied.

On ne peut pas dénoncer le contenu d’une réforme et, dans le même temps, s’en remettre à d’autres pour l’amender et la valider. Nous sommes aujourd’hui en mesure de le faire.

Comme Mme Gourault, j’ai toute confiance en nos excellents collègues députés pour modifier la carte, pour tenir compte des petits départements afin qu’ils soient bien représentés, pour faire en sorte que le droit d’option soit mis en place, mais je pense que c’est d’abord à nous, sénateurs, de nous saisir de ces dossiers et de faire des propositions pour faire valoir le point de vue spécifique du Sénat.

Remplissons pleinement le rôle qui nous a été confié, ne regardons pas passer le train de cette réforme territoriale, faisons notre travail de législateur.

La semaine dernière, le climat était plus favorable. La commission spéciale a travaillé au fond, a fait des propositions, s’est accordée majoritairement sur une nouvelle carte qui, je l’avoue, était à mon sens plus cohérente que celle qu’avait initialement proposée le Gouvernement.

Qui plus est, ce texte reprend, dans son esprit, les grands principes de la réforme territoriale que nous appelons de nos vœux sur de nombreuses travées de cet hémicycle. Allons-nous renier nos principes et ne pas nous emparer de ce texte, alors que beaucoup ici ont défendu la réduction du nombre des régions ? Le Gouvernement propose d’en fixer le nombre à quatorze ; la commission spéciale avait réduit ce nombre à douze ; on pourrait même le réduire à dix ! Alors, allons-nous ne rien faire, transmettre ce texte à l’Assemblée nationale sans y imprimer notre marque ? Ou allons-nous changer d’attitude et renoncer aux postures politiques ?

C’est vrai, les élections sénatoriales approchent, mais elles n’auront lieu qu’en septembre et nous sommes encore en juillet. N’anticipons pas trop sur le calendrier.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Il est vrai que certains paraissent très motivés par ces élections sénatoriales et par ce qui s’ensuivra. Mais faisons la part des choses entre des élections à venir et un débat important sur un texte qui engage nos collectivités territoriales pour longtemps.

Cinquante ans après la naissance des régions, notre pays a changé et il faut adapter son architecture territoriale. Cela a été bien expliqué : le XIXe siècle a connu le couple commune-département, et cette architecture convenait parfaitement à la France rurale d’alors ; aujourd’hui, il faut la faire évoluer. Pour ma part, je crois beaucoup aux métropoles, je crois beaucoup également aux régions, à de grandes régions, et c’est sur ce nouveau couple métropole-région que notre pays doit s’appuyer pour redresser son économie, retrouver la croissance et créer des emplois.

Le groupe socialiste s’inscrit dans cette démarche constructive. Depuis le début de l’examen de ce texte, nous défendons nos amendements tout en faisant preuve d’ouverture. Le président de notre groupe, Didier Guillaume, l’a bien expliqué tout à l’heure : le groupe socialiste est ouvert à une évolution de la carte des régions. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement visant à regrouper l’Aquitaine, le Limousin et Poitou-Charentes, pour en finir avec cette grande région tant décriée. Ceux qui critiquent cette région ne proposent rien et voudraient même supprimer l’article 1er, ce qui nous empêcherait de formuler la moindre proposition.

La modification que nous préconisons est attendue en Poitou-Charentes. Je vois notre collègue Nicole Bonnefoy qui opine du chef, et elle a raison.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Eh oui, elle a raison ! Bravo, Nicole Bonnefoy !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Alors, monsieur Raffarin, si elle a raison, il ne faut pas supprimer l’article 1er et empêcher ainsi tout débat sur la carte territoriale !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous disons non à votre carte et oui à celle de Mme Bonnefoy !

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

S’agissant de la demande de Champagne-Ardenne de rejoindre la Lorraine, pourquoi pas ?

S’agissant de la demande du Centre de rejoindre les Pays de la Loire, nous sommes également ouverts au débat, tout comme nous pourrions l’être sur le regroupement entre cette région avec la Bretagne.

Sur toutes ces demandes, nous sommes ouverts au débat, mais encore faut-il que celui-ci ait lieu dans cet hémicycle et que nous puissions mesurer quelles sont les solutions qui sont majoritaires.

La deuxième ouverture qu’a défendue notre président de groupe, c’est le droit d’option pour les départements, qui n’existe pas aujourd’hui, à moins d’un vote majoritaire avec un minimum de participation de 25 %. On l’a vu en Alsace, cela n’a pas fonctionné. Nous proposons de créer ce droit d’option pour les départements. Ne pourrions-nous pas nous rejoindre tous sur cet amendement ? Encore faut-il débattre de ce texte et ne pas mettre fin à toute discussion en supprimant l’article 1er.

Des propositions ont également été faites pour tenir compte des départements faiblement peuplés, qui, c’est vrai, avec le système actuellement en vigueur, sont peu représentés dans les conseils régionaux. Nous sommes favorables à l’excellent amendement de Jacques Mézard, qui propose un minimum de trois conseillers régionaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Au cours du débat, nous pourrions même envisager d’aller jusqu’à cinq. Mais encore faut-il que le débat ait lieu ! C’est pourquoi il ne faut pas y mettre fin tout de suite ; essayons plutôt de trouver des points d’accord.

S’agissant des grandes régions, le rapporteur ainsi que Didier Guillaume sont favorables à ce qu’on puisse remonter le nombre de conseillers régionaux.

Vous le voyez, mes chers collègues, à partir d’une réforme qui est critiquée, et que nous-mêmes, socialistes, souhaitons voir évoluer, nous faisons des propositions. Notre conviction est que le Sénat, assumant sa responsabilité, doit s’emparer de ce texte et en débattre.

Hier, nous avons même déposé un amendement visant au maintien de conseils départementaux élus après 2020 dans les zones rurales. C’est encore une ouverture ; c’est même une avancée considérable.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

La véritable avancée, c’était le conseiller territorial !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Lorsqu’on vous tend la main, saisissez-la ! Une fois que le train est passé, on ne sait pas quand il repassera.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Saisissez-vous de ce débat. C’est ce à quoi nous invitons l’ensemble des sénateurs.

En conclusion, je rappellerai que, voilà quelques mois, mes chers collègues, nous avons su finalement nous rassembler autour de la loi relative aux métropoles.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Le président Jean-Jacques Hyest a souligné tout à l'heure que nous avions alors su dépasser nos clivages politiques pour travailler ensemble et que, grâce à la sagesse et aux contributions du Sénat, ce texte avait été considérablement amélioré.

Il serait regrettable que, sur la présente réforme, le Sénat ne puisse pas faire de même. Ce serait regrettable pour cette réforme, mais aussi pour le Sénat, qui, outre son rôle de législateur, est le représentant des collectivités locales.

Comme vous avez pu le constater, mes chers collègues, le groupe socialiste s’est pleinement impliqué dans ce débat pour faire émerger un projet de réforme qui soit en cohérence avec des valeurs sur lesquelles nous pouvons tous nous retrouver. Je vous ai présenté nos propositions, nous les mettons en débat, nous sommes ouverts à des évolutions. C’est maintenant à l’ensemble des groupes de faire part de leurs propositions.

J’ai entendu beaucoup de critiques. J’aimerais entendre davantage de propositions

Exclamations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais essayer de ne pas être redondant par rapport aux interventions précédentes et de me placer dans la perspective de ces grandes régions, de ces grandes intercommunalités et de la suppression des départements.

Je vous avoue, monsieur le ministre, que, en vous entendant hier énumérer vos quatre objectifs, j’ai été charmé par votre idée de créer de grandes régions qui se consacrent au développement, à l’innovation, à l’investissement, et cela tout en réalisant des économies de fonctionnement. J’ai cru que nous étions revenus en 1986 !

Il se trouve que j’ai eu la chance d’être pendant dix-huit ans conseiller régional et conseiller général. À cette époque-là, souvenez-vous, mes chers collègues, 80 % du budget des régions étaient consacrés aux dépenses d’intervention et 20 % aux dépenses de fonctionnement.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Quant au budget des départements, la proportion était et est restée respectivement de 30 % et de 70 % pour les dépenses d’investissement et de fonctionnement.

Il y a donc un équilibre.

Monsieur le ministre, nous partageons votre volonté de faire émerger de grandes régions stratégiques, tournées vers l’innovation, le développement économique, l’environnement au sens large du terme, la formation, l’emploi ou encore l’aménagement de grandes infrastructures. Mais encore faut-il que cette volonté trouve sa concrétisation dans votre projet de loi ! Car quelles sont les compétences que vous proposez de transférer aux régions ? La gestion des routes et des collèges, ce qui suppose un personnel nombreux, pour assurer l’entretien de ces routes, la propreté de ces établissements, etc.

En tant que président du conseil départemental de la Marne, je suis gestionnaire de 4 000 kilomètres de routes et j’ai sous ma responsabilité 400 fonctionnaires chargés de leur entretien. En outre, mon département compte quarante-sept collèges publics qui emploient 476 personnels TOS.

Si vous créez de grandes régions comme Picardie-Champagne-Ardenne ou, pis, Champagne-Ardenne-Lorraine-Alsace, …

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

… vous aurez un ensemble appelé à gérer 600 collèges, 400 lycées, 15 000 personnes et 40 000 kilomètres de routes ! Pensez-vous véritablement tirer ces régions vers le haut en leur collant un tel poids ? Avec des collectivités ayant de 10 000 à 15 000 personnes à gérer, va-t-on vraiment dans le sens du développement ? C’est surtout la proximité qu’on fait disparaître !

Et les régions auront toujours en charge les TER. J’ai demandé son avis sur la question au président de ma région, la région Champagne-Ardenne, et je n’ai pas été déçu, car il est venu expliquer devant les conseillers départementaux que, quand vous gérez un TER, vous ne pouvez évidemment pas avoir la même approche en Champagne-Ardenne, qui compte 54 habitants au kilomètre carré, et chez nos amis Alsaciens, où la densité de population atteint 220 habitants au kilomètre carré !

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Quant à nos amis Lorrains, ils sont 103 au kilomètre carré, et à nos amis Picards, 99 au kilomètre carré.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Il est clair que, quand on gère le TER, les recettes l’emportent sur les dépenses dans les zones densément peuplées, alors que c’est l’inverse en zone rurale, du fait de la modicité des recettes.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Donc, vous n’arriverez pas à convaincre les élus de réaliser des investissements dans des zones où les usagers font défaut, quand il faut encore en réaliser là où la population est importante.

Le problème est le même dans le domaine du numérique. Les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique…

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

… ont déjà été élaborés sur le plan régional ; il va donc falloir les faire concorder si vous regroupez les régions. Ils sont déclinés à l’échelon départemental, et le chantier a bien avancé. Quand vous allez mettre tout cela ensemble, croyez-vous vraiment que vous améliorerez la performance ? Pour avoir des opérateurs, il faut que vous soyez le maître d’ouvrage, mais comme les opérations de développement des réseaux ont déjà débuté, vous ne gagnerez rien à mutualiser le numérique, pas plus que le TER.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, il faut des régions qui aient une certaine cohérence, une complémentarité, une identité…

Cela montre en tout cas qu’il faut une réflexion sur ces sujets.

Un autre problème se pose : celui du chef-lieu de région.

Ah ! sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Quand vous êtes élu dans un département dont le chef-lieu est aussi le chef-lieu de région, vous travaillez en permanence avec le préfet, vous nouez avec lui des liens plus étroits que les élus des autres départements.

En Champagne-Ardenne, ce sont 300 postes à la préfecture qui seront délocalisés si Châlons-en-Champagne n’est plus chef-lieu de région, car on ne va évidemment pas garder deux ou trois préfectures de région ! Au total, pour l’ensemble de la région Champagne-Ardenne dans sa configuration actuelle, cela fera 600 personnes. Et quand vous parlez avec le général de gendarmerie, vous vous rendez compte qu’il faut encore y ajouter 50 à 70 personnes. Vous discutez avec le recteur : 520 personnes de plus. Et encore 400 personnes liées à l’organisation territoriale. D’où notre inquiétude !

Démontrez-moi, monsieur le ministre, que je me trompe et que toutes ces personnes ne seront pas délocalisées si Châlons-en-Champagne, par exemple, n’est plus chef-lieu de région.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Vous ne vous rappelez pas ce qui s’est passé quand on a transféré des agents des DDE ?... On a bien délocalisé du personnel, non ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

À vous suivre, monsieur Savary, il ne faut faire aucune réforme !

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

la bonne réforme serait celle qui conférerait aux régions, non pas des compétences de proximité, mais des compétences en matière de développement, d’emploi, d’innovation, d’enseignement supérieur, de recherche.

Voilà pourquoi il faut garder un échelon départemental qui a fait la preuve de son efficacité et de son expertise, de sa capacité à mutualiser. Sa « subsidiarité » est indispensable à l’équilibre des territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Telle est ma conception du développement de nos territoires.

J’en viens à la question du seuil des 20 000 habitants nécessaires à la formation d’une intercommunalité. Monsieur le ministre, si l’on applique ce seuil dans un département comme le mien, où par endroits la densité de population ne dépasse pas 7 habitants au kilomètre carré, je me retrouverai avec six intercommunalités, dont une qui représentera le quart de la population du département, un département de quelque 8 000 kilomètres carrés, soit quasiment la superficie du Haut-Rhin et du Bas-Rhin réunis !

Par conséquent, pour former six intercommunalités appelées à exercer une partie des compétences du département, notamment dans le domaine social, on créera six petits départements qui n’auront pas la taille critique pour avoir l’expertise que les départements ont acquise en trente ans de décentralisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

C’est bien pour cela qu’il faut débattre et faire évoluer le texte !

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Vous l’avez compris, monsieur le ministre, je ne suis pas favorable à la nouvelle carte des régions que vous proposez et j’ai besoin pour avancer dans ma réflexion de garanties concernant les chefs-lieux et les compétences des futures régions.

On en revient donc au point de départ : tant qu’on ne connaît pas les compétences des futures régions, on ne peut pas redécouper la carte des régions. Il y a une logique à respecter si l’on veut réformer notre organisation territoriale et c’est ce que j’ai essayé de vous démontrer. §

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai écouté avec beaucoup d’attention ce débat, passionnant et passionné, et j’en retire deux convictions très fortes.

La première est qu’il faut faire cette réforme territoriale.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

La deuxième est que le Sénat doit être le moteur de cette réforme, ou du moins son artisan principal.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Il faut faire cette réforme territoriale parce que tout le monde la veut ! Du reste, personne ici n’a dit qu’il ne fallait rien changer, que maintenir le statu quo était l’idéal. Personne ! Ce serait d’ailleurs difficile puisque, depuis des années, dans tous les groupes, et parfois même ensemble, nous travaillons à l’élaboration d’une réforme territoriale.

Et nous ne sommes pas les seuls à vouloir une réforme territoriale : les observateurs la veulent aussi, qu’ils soient journalistes, universitaires, acteurs du monde économique, qu’ils soient français ou étrangers. Car, vue de l’étranger, notre architecture républicaine paraît parfois quelque peu insolite.

Tout le monde veut une réforme territoriale, sachant que celle-ci ne doit pas seulement consister à tracer des limites de territoires, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

C’est bien, pourtant, ce qui est proposé aujourd'hui !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

… qu’elle doit aussi viser à clarifier les responsabilités des uns et des autres, à simplifier les procédures. Qui, dès lors, voudrait s’y opposer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Il y a des années que nous tournons autour de cette réforme. Je ne dis pas qu’on n’a rien fait durant toutes ces années : il y a eu des pas en avant, éventuellement un peu timides, mais aussi, parfois, il faut le reconnaître, des pas en arrière.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

La suppression du conseiller territorial, par exemple, ce fut un pas en arrière !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Eh bien, ce gouvernement nous propose courageusement une réforme territoriale. Je crois qu’il faut saisir cette occasion. Il est toujours extrêmement inquiétant et dangereux de remettre à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Et surtout de changer de politique tous les trois mois !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

On a toujours de bonnes raisons de remettre à plus tard, surtout quand il s’agit d’une réforme compliquée.

Pourquoi le Sénat doit-il être l’artisan majeur de cette réforme ? Je ne vais pas rappeler une fois de plus les termes de l’article 24 de la Constitution, mais, à l’évidence, nous sommes le mieux placées pour mener cette réforme.

Je ne citerai pas non plus les nombreux rapports qui ont déjà été maintes fois mentionnés, mais je constate que tout le monde parle du rapport rédigé par Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger, certains affirmant toutefois que le projet du Gouvernement n’a rien à voir avec ce rapport. Eh bien, si le rapport Raffarin-Krattinger, c’est le paradis

Marques d’approbation amusées sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

M. Claude Dilain . Cela dit, à titre personnel, je ne sais pas si je suis digne de l’atteindre… Je veux parler du paradis !

Sourires et exclamations.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Le Gouvernement n’y est pas hostile : il n’a pas dit que le texte était à prendre ou à laisser, il nous a invités à travailler. Eh bien, travaillons !

Je voudrais vous faire part d’une expérience qui m’a marqué, car, bien que je ne sois sénateur que depuis trois ans, j’ai quand même déjà en mémoire quelques souvenirs un peu aigres. Je veux parler de l’examen par la Haute Assemblée du texte relatif à la métropole du Grand Paris. J’étais rapporteur pour avis et j’ai vu le Sénat, dans sa grande majorité, balayer d’un revers de main joyeux le projet du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Tout le monde dans l’hémicycle était content parce qu’on allait envoyer à l’Assemblée nationale une « page blanche ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Non, ce n’est pas pour cela que nous étions contents !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Une « page blanche », c’est l’expression qui avait été employée, et cela en faisait sourire plus d’un.

Eh bien, mes chers collègues, les députés savent écrire, et la page blanche, ils l’ont remplie. Ensuite, lorsque le texte est revenu au Sénat en deuxième lecture, j’ai vu certains sourires se crisper… Du reste, quand on relit certaines interventions, on perçoit quelques regrets.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Aussi, mes chers collègues, sur un sujet encore plus important que la métropole du Grand Paris, ne commettons pas la même erreur. Il faut que nous nous saisissions de ce texte.

Son examen, c’est vrai, ne peut qu’être difficile parce que nous sommes dans une situation de conflit entre des intérêts également légitimes. Mais, en France, il existe une porte de sortie lorsqu’on est confronté à ce type de conflit : cela s’appelle l’intérêt général. Contrairement à ce qu’il en est dans les pays anglo-saxons, chez nous, l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers : c’est une façon de transcender les intérêts particuliers.

C’est le travail que je vous invite à faire aujourd’hui, mes chers collègues.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

C’est touchant, mais, sans majorité, ce sera difficile !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Ce sera difficile, mais personne n’ignore que, à quelques pas d’ici, place du carrefour de l’Odéon, il y a une statue de Danton.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Sur le socle de cette statue, est en effet inscrite la fameuse phrase que Danton a prononcée le 2 septembre 1792, alors que la patrie était en danger, devant l’Assemblée législative : « Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! »

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici invités à discuter dans l’urgence d’un projet de loi lui-même rédigé dans l’urgence et qui, pourtant, concerne l’avenir de nos collectivités, de nos territoires et de ceux qui y vivent.

Cette urgence, je le rappelle, est née d’une débâcle électorale sans précédent, signe d’une condamnation sans appel de la politique gouvernementale.

L’écrivain et romancier américain d’origine russe Isaac Asimov disait : « Souvent, les gens prennent leurs propres lacunes pour celles de la société qui les entoure et cherchent à réformer ladite société parce qu’ils sont incapables de se réformer eux-mêmes ».

Mes chers collègues, nous y sommes ! Dans l’urgence, il fallait réformer pour réformer, donner aux Français l’image d’une majorité qui réforme quoi qu’il arrive, mais surtout sans aborder le fond.

On fait ici acte de communication, non de réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

En voulant, symboliquement, et pour des raisons qui tiennent plus à la communication politique qu’à une réelle vision de notre territoire, saborder notre organisation territoriale avant même de définir les compétences de chacun, vous avez posé le toit avant les fondations !

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Alors, évidemment, la maison n’est pas solide et il sera difficile d’y vivre !

Les oppositions, de tous bords, de toutes catégories sociales, de tous horizons, qui se multiplient partout dans le pays, et la façon dont sont organisés les débats parlementaires, dans la précipitation et l’amateurisme, démontrent de manière encore plus criante le caractère improvisé de cette réforme.

Cette carte des territoires, rédigée à la va-vite, n’est qu’un patchwork territorial, loin de l’ambition légitime que nous pouvions nourrir pour nos territoires et pour notre pays, bien loin de ce qu’il aurait été possible de faire si le Gouvernement, monsieur le ministre, avait pris le temps du dialogue, de la concertation et d’un débat parlementaire détendu.

Les élus locaux, dont nous faisons tous partie et dont vous avez fait partie, monsieur le ministre, ainsi que l’ensemble des Françaises et des Français sont conscients de la nécessité de réformer notre pays. Ils sont conscients aussi qu’il faut faire des économies et que cela supposera parfois des sacrifices. Toutefois, ils vous demandent du respect et de l’écoute. Je suis d’ailleurs convaincue qu’une réforme bien plus ambitieuse que la vôtre aurait été possible si le temps de la nécessaire concertation avait été pris.

Pourquoi avoir écarté par dogmatisme le conseiller territorial ? En effet, il avait l’avantage de donner à des élus une double vision, départementale et régionale, donc d’associer ces deux dimensions de manière complémentaire et cohérente, alors que, avec ce projet de loi, ce que vous proposez finalement de substituer au millefeuille territorial, ce sont 999 feuilles ! §

Pour quelle réforme et pour quelles économies ?

Car, vous le savez, les économies ne seront guère au rendez-vous du jour au lendemain ; elles viendront au mieux dans dix ans. J’ose même prédire, à la suite de plusieurs collègues, que, avant d’être source d’économies, ces grandes régions coûteront cher.

Dans ce texte, on ne trouve aucune cohérence territoriale, aucune étude d’impact digne de ce nom, aucune trace de concertation, aucune vision de l’aménagement du territoire.

On veut faire fusionner des régions qui n’expriment aucune envie de se regrouper, des élus qui n’ont ni le désir ni l’habitude de travailler ensemble et des habitants qui ne se retrouvent pas dans une nouvelle communauté de destin.

Pis, demain, nos conseils régionaux seront des assemblées réunissant des élus n’ayant aucune vision commune, et qui devront défendre des problématiques tellement opposées qu’ils ne pourront obtenir aucun résultat.

Je prendrai l’exemple de ma région, la Picardie, et, en contrepoint, celle de M. René-Paul Savary, Champagne-Ardenne, avec laquelle on nous impose un mariage d’office, un mariage arrangé et arbitraire. C’est un contresens territorial, économique, social et humain.

En vérité, tout comme vous, cher collègue René-Paul Savary, nous ne voulons pas de ce mariage forcé.

Comment nos deux régions pourraient-elles avoir un destin commun ? Nous, nous n’avons jamais regardé vers l’est, alors qu’avec l’ouest – la Haute-Normandie et la Basse-Normandie – ou le nord – je pense au Nord-Pas-de-Calais –, nous partageons une façade maritime, des voies de circulation ou encore des objectifs économiques.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État – je salue votre arrivée dans l’hémicycle, monsieur le secrétaire d'État à la réforme territoriale –, quitte à réformer, faisons-le d’une manière plus rationnelle. Ne nous obligez pas à des unions forcées avec des régions vers lesquelles nous ne sommes guère tournés et avec lesquelles il nous sera difficile d’engager des partenariats.

Je me demande encore qui a eu cette brillante idée ! Comment en sommes-nous arrivés là ? J’ai finalement l’impression qu’après avoir fait droit aux demandes de vos amis, que ce soit pour réclamer ou pour refuser telle ou telle alliance entre régions, vous avez songé que l’heure tournait et qu’il en restait deux dont vous ne saviez pas très bien quoi faire. Vous vous êtes alors dit : « Il n’y a qu’à les mettre ensemble ! »

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Il fallait envoyer de toute urgence un second communiqué à l’Agence France-Presse avec quatorze régions, et hop ! la Picardie s’est retrouvée en Champagne-Ardenne…

De plus, vous déplacez les élections au moment des fêtes de fin d’année. Joli cadeau ! Cela va évidemment renforcer le parti des abstentionnistes. Et pourquoi pas le 15 août ? §

Permettez-moi de vous dire qu’après le fiasco général des dernières élections européennes, votre choix est doublement incompréhensible. Vous n’avez tiré aucune leçon du message envoyé par les Français. Vous allez même accentuer leur colère et leur défiance à l’égard du monde politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Et cerise sur le gâteau, ou plutôt cerise sur le millefeuille, on maintient les élections départementales !

Cela signifie que l’on va demander aux Françaises et aux Français de voter, à la Noël 2015, pour des élus appelés à disparaître, des élus qui n’auront par ailleurs plus aucune prérogative puisque votre second projet de loi a pour vocation de vider les départements de leur substance, d’en faire des coquilles vides !

Vous demandez ainsi expressément à des candidats de se présenter au suffrage universel pour ensuite se faire hara-kiri !

C’est non seulement une tromperie démocratique, mais encore un mensonge électoral !

Il va être difficile pour ces futurs candidats de trouver un programme. Quelle profession de foi rédiger ? Sur quels thèmes faire campagne ? Ils seront sûrement heureux de dire aux électeurs : « Votez pour moi, mais dans peu de temps, je disparais ! »

En vérité, mes chers collègues, cette réforme n’apporte aucune réponse concrète à l’état inquiétant de notre pays. Elle éloigne les citoyens des centres de décision, elle bipolarise la France entre grandes régions et métropoles, oubliant au passage les villes de France et la ruralité, qui sont le socle de notre organisation territoriale.

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Elle laisse de côté les territoires inframétropolitains, nos pôles de proximité, là où s’organise la vie dans notre pays. Elle crée une rupture dangereuse avec notre tradition territoriale, en occultant nos habitudes, nos modes de vie et nos bassins d’emploi.

C’est une réforme qui s’inscrit dans le droit fil de la mondialisation, contre laquelle nous essayons de lutter, une réforme qui renforce l’éloignement entre les centres de décision et nos concitoyens, avec une prime aux grands ensembles dont on sait que les Françaises et les Français ne veulent plus.

Mes chers collègues, quelles sont les élections pour lesquelles on enregistre le plus fort taux d’abstention ?

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Celles dont les institutions semblent justement le plus éloignées des Français !

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Et quel est l’élu qui, selon les dernières études d’opinion, inspire le plus confiance aux Français ? Le maire, évidemment, puisqu’il s’agit du mandat de proximité par excellence ! La France n’est pas l’Allemagne, la France n’est pas les États-Unis. La France, c’est la France !

Notre pays s’est construit à travers son histoire ; celle-ci fut parfois douloureuse, mais c’est son histoire. Notre organisation territoriale, si imparfaite soit-elle, s’est construite au fil du temps et des équilibres territoriaux se sont établis. Modifier ainsi, de manière aléatoire, et quasi discrétionnaire, la carte de nos territoires, de nos lieux de démocratie est une sorte de coup d’État territorial que je trouve détestable.

Marques d’impatience sur les travées socialistes.

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Oui, mes chers collègues, un référendum s’imposait, la parole devait être donnée à nos concitoyens sur ce sujet qui touche à l’armature même de notre pays !

Debut de section - PermalienPhoto de Caroline Cayeux

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, si la mission de représentation des collectivités territoriales par notre assemblée signifie encore quelque chose à vos yeux, nous vous demandons d’entendre la voix du Sénat, d’entendre la voix des territoires de France ! Je demande donc au Gouvernement de retirer son projet de loi, de prendre le temps de la nécessaire concertation et de construire un texte fédérateur.

En conclusion

Ah, tout de même ! sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai été frappé par les interventions, ce soir, d’un certain nombre de nos collègues socialistes qui, en définitive, nous adjurent d’adopter un texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous voulons surtout qu’on puisse en débattre !

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Je veux bien que l’on adopte un texte, mais à condition de nous en laisser le temps, et sous réserve que l’on démarre sur des bases autres que celles qui nous sont proposées.

Après tout, si nous sommes presque tous d’accord quant à la nécessité de revoir nos structures territoriales, nous n’avons pas le couteau sous la gorge, nous ne sommes pas obligés d’aller trop vite. D’ailleurs, à l’heure actuelle, nous ne sommes peut-être pas assez imaginatifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Je veux d’abord relever que la situation dans laquelle nous nous trouvons à l’égard de ce texte est parfaitement incongrue. En effet, compte tenu de la période durant laquelle il vient en discussion, nous sommes amenés à l’examiner alors que la moitié des sénateurs vont être, dans quelques semaines, soumis à renouvellement : ceux qui ne se représenteront pas et ceux qui ne seront pas réélus n’auront donc pas à l’appliquer eux-mêmes. Ce sont les nouveaux sénateurs qui appliqueront le texte et, avant cela, l’examineront en deuxième lecture.

En outre, ceux qui seront chargés de mettre en œuvre cette réforme n’auront pas eu à en discuter puisque les conseillers régionaux et les conseillers départementaux ne seront élus qu’en décembre 2015.

Par conséquent, les principaux intéressés ne sont pas dans le coup !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

C’est le propre de presque toutes les réformes !

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Au-delà de cette incongruité, je veux relever quelques errements qui apparaissent dans l’étude d’impact.

Tout d’abord, je voudrais enfoncer, non pas une porte ouverte, mais une contre-vérité…

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

… que l’on développe à longueur de temps sur le prétendu modèle européen régional.

Il n’y a pas de modèle européen régional.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Il est absurde de vouloir comparer le découpage territorial français avec celui de la République fédérale d’Allemagne, celui de l’Italie, celui de l’Espagne ou celui de la Belgique. Pourquoi ? Parce que, dans certains cas, il s’agit d’États fédéraux et, dans d’autres, d’États où le régionalisme est constitutionnalisé : nous ne sommes pas en présence d’États centralisés ou déconcentrés comme le nôtre. Quant au Royaume-Uni, il est sui generis, et les counties y ont moins d’autonomie que nos régions. Certes, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord ont un statut particulier qui s’apparente au fédéralisme. Mais comme de toute façon la France n’est pas un État fédéral, la situation n’est pas transposable.

Par ailleurs, comment peut-on comparer la situation de nos régions françaises à celle des régions d’États récemment admis au sein de l’Union européenne, qu’il s’agisse de la Slovénie ou de l’Estonie ? Les trois régions imposées à la Slovénie par Bruxelles pour la répartition des crédits européens correspondent à peine à quelques intercommunalités françaises.

Et que dire du Luxembourg, sinon qu’il est l’équivalent d’un département ? Que dire de la Sarre ou des villes-États allemandes ?

Bref, il n’existe pas de modèle européen et, en tout état de cause, chaque pays fait comme il l’entend.

Mais ce qui m’interpelle surtout, c’est notre manque d’imagination en la matière. On aurait très bien pu concevoir de ne pas imposer une réforme identique à toutes les régions et de ménager des dispositions spécifiques à telle ou telle.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

L’Alsace ne pourrait-elle pas disposer d’un statut spécial, comme la Catalogne ou le Trentin–Haut-Adige ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Certes, monsieur Kaltenbach, mais ce mode d’organisation n’interdit nullement les régimes spéciaux ! La Corse ne dispose-t-elle pas d’un statut particulier ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Ensuite, il convient à mon sens de nous appesantir sur la question du Grand Paris, idée très intéressante sur laquelle s’est penché M. Domenach et qu’a reprise M. Attali. Comment ce projet sera-t-il articulé avec le découpage territorial que l’on nous prépare ? Il n’y aura plus de Grand Paris puisqu’il n’y aura plus d’ouverture sur la mer. Ce ne sera pas la peine : des régions seront là pour cela !

Plus largement, c’est tout un ensemble de projets en cours, toute une série de contractualisations déjà engagées qui devront être abandonnés, et ce au profit d’un système qui ne correspond pas à la réalité. §

Enfin – je serai bref, car je ne voudrais pas excéder mon temps de parole –, deux imperfections de l’étude d’impact nous interpellent directement.

Premièrement, croyez-vous que, dans chacune de ces grandes régions, on maintiendra deux ou trois rectorats ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Certaines régions comptent déjà deux rectorats !

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Croyez-vous que, dans chacune de ces grandes régions, on maintiendra deux ou trois cours d’appel, deux ou trois tribunaux administratifs ? Non ! Ces services feront évidemment l’objet de regroupements.

Plusieurs rectorats ont été créés lors de la mise en œuvre des régions actuelles, par exemple celui de Rouen, dont le ressort relevait précédemment de Caen. À ce titre, cette réforme entraînera un retour en arrière. Il est évident qu’un recteur placé à la tête d’une grande région ne pourra pas se charger des problèmes de la rentrée scolaire, notamment au sein des départements éloignés de son chef-lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Il y a bien longtemps qu’ils ne s’occupent plus de cela !

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Je le sais bien, cher collègue, mais ce sont tout de même les recteurs qui arbitrent lorsque des difficultés surviennent, et Dieu sait s’il y en a !

Deuxièmement, telle qu’elle est envisagée dans le présent projet de loi, la création des régions aurait dû prendre en compte le problème des personnels. Nombre d’agents seront contraints de déménager. S’ils refusent, il ne sera pas possible de les y contraindre. Il faudra donc les mettre en congé, et ce sera à la charge des départements ou des régions ! Rien n’est prévu à cet égard.

Mes chers collègues, on nous a proposé de construire la maison avec les matériaux que l’on nous a donnés. Mais ces matériaux sont de si mauvaise qualité, …

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la redéfinition du périmètre des régions, principal objet du présent texte, ne suscite ni mon opposition ni celle des sénateurs du groupe socialiste. En tant que tel, ce programme ne se heurtait pas non plus, me semble-t-il, à l’hostilité de la plupart des membres du Sénat : à preuve le rapport de MM. Raffarin et Krattinger, …

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

… qui proposait une réduction encore plus drastique du nombre des régions !

Toutefois, nous en conviendrons tous, si un redécoupage est engagé, il est indispensable qu’il soit mené selon un double principe de cohérence territoriale et de respect des attentes des citoyens. Or la carte qui nous est proposée ne répond pas à cet impératif.

En effet, la région « Grand Ouest » ne correspond à aucune réalité humaine, économique ou naturelle, et n’emporte pas l’approbation des citoyens et des élus concernés. Je le constate dans mon département, la Charente. La mobilisation y est forte, comme dans la grande majorité des territoires de la région Poitou-Charentes, pour demander un rapprochement avec l’Aquitaine. Cette piste est plus que jamais pertinente à l’heure où la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique, la LGV SEA, nous rapproche encore davantage de Bordeaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Il est impensable de rompre ces liens naturels au profit d’une région difforme, qui, de plus, serait dépourvue de métropole identifiée. Voilà pourquoi les communes, par leurs délibérations successives et concordantes, les départements, les acteurs de la société civile, du monde économique et associatif et les citoyens, lorsque leur avis est sollicité, émettent tous ce message fort : leur avenir doit se dessiner en direction de l’Aquitaine.

Un tel mouvement s’observe également en Limousin, en faveur d’une grande région du sud-ouest bordant la façade atlantique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Pour le moment, c’est parfait ! Il n’y a rien à redire !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Cet ensemble s’organiserait naturellement autour de la métropole bordelaise et ferait fructifier les liens économiques, historiques, humains, culturels et géographiques qui les rapprochent l’un de l’autre.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

J’ajoute que ce souhait d’un rapprochement de l’Aquitaine et des régions Limousin et Poitou-Charentes est également exprimé par un grand nombre d’élus aquitains.

Il est donc important de redessiner en ce sens cette partie de la carte : c’est l’objet d’un amendement que j’ai déposé, avec mes collègues du groupe socialiste.

Il est tout aussi important de travailler sur le reste du projet de loi pour défendre au mieux les intérêts des territoires. Tel est le sens des amendements du groupe socialiste qui visent à donner aux départements un droit d’option quant à leur région d’appartenance et à maintenir les conseils départementaux dans les zones rurales après 2020.

Aussi, je tiens à le dire, tout particulièrement à nos collègues du groupe UMP et à leurs alliés de circonstance : vous n’êtes pas les seuls dépositaires de l’intérêt des territoires. Le Gouvernement a eu le mérite de proposer une carte servant de point de départ aux travaux et aux débats parlementaires. Il s’est engagé à nous laisser la redessiner. En refusant d’assumer la tâche qui nous incombe, vous dessaisissez le Sénat de son rôle de représentant des territoires et, en définitive, vous déléguez l’intégralité du pouvoir législatif à l’Assemblée nationale.

L’obstruction inlassablement menée depuis des jours, par l’emploi de tous les artifices de procédure, est en totale contradiction avec votre revendication : pouvoir travailler correctement cette carte, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Mais c’est à cause de groupes de votre majorité !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

… dans le cadre d’une commission spéciale, que vous avez appelée de vos vœux, puis à présent, en séance publique.

Cessons l’obstruction, assumons nos responsabilités et travaillons sur ce texte !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Travaillons sur ce socle territorial commun que Didier Guillaume a évoqué précédemment et que le Sénat est parfaitement capable de déterminer.

Je m’adresse plus encore aux sénateurs UMP des régions Poitou-Charentes et Aquitaine : il ne suffit pas d’exprimer une revendication au sein de nos territoires pour la voir aboutir. Il faut la défendre au Parlement, lorsque ce dernier a le pouvoir d’agir, et cela passe par un travail et un vote responsables !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mettez de l’ordre dans votre majorité et il n’y aura pas de problèmes !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Parce que, à l’UMP, vous n’en avez pas, des problèmes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à vous dire tout simplement pourquoi je m’oppose à ce projet de loi.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Parce que vous êtes de droite !

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vois au moins six raisons. Cela fait beaucoup !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Delebarre

M. Michel Delebarre, rapporteur. Cela fait cinq de trop !

Nouveaux sourires sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Premièrement, le Gouvernement ne respecte pas l’une des règles de base de la démocratie : en régime démocratique, l’électeur, lorsqu’il désigne son représentant, sait pour combien de temps celui-ci assumera son mandat et à quel moment il pourra exercer son contrôle démocratique sur celui qui a été précédemment élu.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

La droite n’a donc jamais reporté les élections ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Et M. de Villepin n’a jamais préconisé la dissolution ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Or l’actuelle majorité a déjà reporté d’un an les élections locales. Elle les reporte à présent d’une seconde année. Pourquoi est-elle contrainte d’agir ainsi ? Parce qu’elle n’a pas de suite dans les idées !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Elle s’était engagée dans une voie, mais elle a bifurqué et elle se lance à présent dans une autre direction. Le premier report ne suffit plus : il faut en ajouter un second ! Ce procédé n’est pas convenable, il n’est pas respectueux de nos règles démocratiques.

Deuxièmement, je suis, pour ma part, insensible au fétichisme de la taille critique des régions qui inspire votre projet.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Et je ne crois pas au mirage des « euro-régions ».

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Patrice Gélard vient de le dire : les régions d’Europe sont toutes ancrées dans des réalités historiques. Elles sont de tailles très diverses, et il n’est venu à l’esprit de personne, où que ce soit dans l’Union européenne, de créer de toutes pièces des régions par voie d’autorité.

Ce qui importe, pour une région, c’est que sa taille soit en adéquation avec ses pouvoirs et qu’elle soit ancrée dans une réalité culturelle permettant à ses habitants de s’identifier profondément à elle.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

C’est à ces conditions qu’une région peut incarner une ambition soutenue par ses habitants.

Troisièmement, je m’oppose à ce projet parce que, en réalité, il tourne le dos à trente ans de décentralisation, un mouvement qui a été encouragé par tous les gouvernements qui se sont succédé au cours de cette période.

Que seront donc ces régions paralysées par leurs pouvoirs de gestion s’apparentant à des semelles de plomb, sinon des entités recentralisant un grand nombre des missions assumées, à l’heure actuelle, par les départements, au plus près possible des habitants ? Le centralisme régional n’a rien à envier au centralisme d’État ! En tant que défenseur des libertés locales, je m’y oppose, comme je m’oppose à la fin de la proximité et au mépris exprimé envers les territoires ruraux.

Quatrièmement, cette réforme dénature la vocation des régions. Le Gouvernement crée des ensembles régionaux qui seront des colosses aux pieds d’argile, enlisés dans les responsabilités quotidiennes, alors qu’ils devraient se consacrer à l’animation économique, à la planification des grandes infrastructures et aux équipements publics majeurs. Créer des régions de gestion en lieu et place de régions de mission, c’est tout simplement méconnaître ce qu’est la vocation des régions françaises !

Cinquièmement, ce projet entrave le mouvement de mutualisation : les compétences départementales seront démutualisées et éclatées. Les départements seront vidés par le haut, avec les régions, et par le bas, avec les intercommunalités. C’est la collectivité de proximité qui s’en trouvera déstabilisée. Or cette collectivité de proximité est, en même temps, la collectivité de l’égalité des territoires. Les conséquences seront particulièrement nocives pour les Français vulnérables, car c’est au département qu’il revient de défendre l’égalité en matière sociale.

En vérité, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État et vous-mêmes, chers collègues socialistes, vous n’assumez pas vos responsabilités jusqu’au bout, vous ne respectez pas les intentions proclamées. Après avoir déclaré, en janvier dernier, son attachement profond aux départements, le Président de la République annonce leur suppression ! Puis, trois semaines plus tard, les constitutionnalistes lui ayant expliqué que l’article 72 de la Constitution s’opposait à une telle mesure, il déclare qu’il les conservera jusqu’en 2020, tout en les vidant entièrement de leur substance.

Cette démarche n’est pas loyale. Comme nombre de nos collègues, je ne peux l’accepter.

Sixièmement, enfin, votre action souffre d’une profonde incohérence.

Incohérence dans le temps, cela a été amplement démontré : vous faites exactement le contraire de ce que vous avez entrepris de prime abord. Vous avez commencé par rétablir la clause de compétence générale et, à présent, vous la supprimez.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Si vous avez mené une réforme des cantons, c’est bien parce que vous comptiez sur l’avenir des départements. Et maintenant, je le répète, vous proposez de les supprimer !

Incohérence aussi dans le contenu, car il y a deux manières d’approcher la réforme territoriale : la bonne, qui consiste à spécialiser les collectivités et à les articuler harmonieusement entre elles, la région avec les départements et les intercommunalités avec les communes ; la mauvaise, qui consiste à déséquilibrer profondément notre système territorial, en enflant démesurément les régions, en déplaçant vers elles des compétences qui doivent s’exercer dans la proximité, comme celles qui concernent les routes départementales, le transport scolaire ou le tourisme, de telle sorte que les départements deviennent des entités négligeables, des coquilles vides.

Un tel système territorial est profondément déséquilibré, d’autant qu’il n’est pas corrigé par la territorialisation, pourtant nécessaire, des élus régionaux.

Si vous compromettez durablement le succès de la réforme territoriale dans notre pays et l’adhésion des Français aux évolutions nécessaires, c’est parce que vous vous y êtes pris de la mauvaise façon. Nous ne pouvons donc que nous opposer à ce projet de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accélération des réformes nécessaires au pays devait également concerner l’architecture territoriale de notre République.

La mutation de nos modes de vie, une nouvelle gestion de l’espace-temps, les évolutions technologiques, les difficultés de compréhension du système actuel, les enjeux territoriaux de la mondialisation : tous ces éléments justifient une réforme territoriale, une réforme de réajustement entre des pouvoirs anciens, établis, installés – communes, départements, État – et des pouvoirs nouveaux, émergents – intercommunalités, régions, Europe.

C’est la cohérence de ces pouvoirs qu’il s’agit de réorganiser. Mais l’importance et la sensibilité du sujet nécessitent doigté, méthode et diplomatie, autant d’ingrédients facteurs d’efficacité.

Nous débattons du calendrier électoral. Chaque rendez-vous avec les électeurs doit avoir un sens, un fondement démocratique, une signification pour les candidats et le corps électoral. Le rendez-vous de décembre 2015 doit être perçu comme une invitation à se projeter vers une situation institutionnelle nouvelle, qui contribuera au progrès de notre pays. S’il n’en est rien, il se traduira par un nouveau malentendu entre la population et sa représentation.

À la difficulté d’approfondir la décentralisation dans une période de croissance économique faible s’ajouterait alors un manque d’adhésion de nos concitoyens.

Vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, la peur du décrochage ruine certains territoires ; vous l’avez encore rappelé cet après-midi dans votre propos liminaire.

Or c’est notamment par l’investissement public que l’on redonnera de la confiance à ces espaces qui craignent la relégation. Si, demain, il n’y a plus rien entre de grandes régions et l’intercommunalité, que deviendront les projets et les investissements de nature intermédiaire, ceux qui correspondent aujourd’hui aux initiatives à caractère départemental ou interdépartemental ? Il est illusoire de penser qu’ils seront portés par des communautés de communes de l’espace rural, car leur capacité d’investissement – même si le seuil de population est relevé à 20 000 habitants – restera très insuffisante : elle sera de l’ordre de 2 à 3 millions d’euros par an, pas plus, d’où la profonde inquiétude du secteur du BTP, mais aussi d’autres domaines de l’activité économique.

En un mot, simplification ne signifie pas nécessairement suppression. Sur ces sujets, faisons preuve de discernement : le conseil général est vécu comme une réalité dans nos espaces ruraux ; il n’en est pas de même dans les secteurs fortement urbanisés.

Ne faisons pas de la métropolisation une idéologie ni des grandes régions la finalité unique et ultime du développement local. L’avenir de conseils départementaux modernisés peut et doit, sur certains espaces, être une condition du succès des grandes régions. Leurs intérêts peuvent se rejoindre si la synergie de leur fonctionnement et la complémentarité de leurs rôles s’harmonisent. Ne raisonnons pas en termes d’institutions superposées, mais en termes de fonctionnement d’instances territoriales placées au service de nos concitoyens.

Dans ce nouveau paysage, l’échelon départemental peut être celui qui met de l’huile dans les rouages et crée de la dynamique, à partir de son expérience de solidarité sociale et territoriale. Mais si l’on en reste à une vision figée de simple soustraction de strates, on connaîtra une régression en matière de lisibilité de l’action publique, de liens entre les élus et les électeurs, de soutien aux plus démunis, de qualité des services à la population ou bien encore d’efficacité économique.

C’est ainsi que l’avenir de la ruralité est en grande partie conditionné par le maintien d’une instance départementale. C’est notamment l’un des postulats exprimés par le mouvement « Nouvelles ruralités », mentionné, à mon grand plaisir, par Didier Guillaume cet après-midi.

Le maintien d’un conseil départemental dans une vision redéfinie permettrait de réduire les risques que comporte le paysage institutionnel aujourd'hui envisagé : risque de tutelle des régions sur les communautés de communes, consécutif au déséquilibre financier, risque d’un poids croissant de la technocratie administrative des grandes régions, risque de cloisonnement des collectivités par manque de coopération entre les territoires, risque de perte de projets innovants, risque d’un niveau élevé de projets orphelins, risque de normalisation des performances avec perte de vue des réalités du terrain.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré : « L’objectif n’est pas de faire des régions identitaires, mais des régions économiques puissantes ». Votre ambition de croissance et d’emploi est parfaitement légitime, mais force est de constater que, généralement, les régions les plus performantes économiquement sont celles qui présentent une identité culturelle forte. Il est difficile de dissocier les deux, comme il peut être préjudiciable de casser des processus en cours. Je pense notamment à l’affirmation de l’identité du Massif central, dont la montée en puissance, ces dernières années, concomitante d’une organisation spatiale autour d’un axe routier majeur tel que la RCEA, la route Centre Europe Atlantique, pourrait justifier une région Poitou-Charentes-Limousin-Auvergne. Pour beaucoup d’élus, les choix d’adhésion deviennent actuellement des choix par défaut.

Toutefois, l’essentiel est sans doute non pas le redécoupage, mais les compétences exercées et les moyens disponibles. L’essentiel, c’est surtout le contenu des politiques publiques portées par les futures régions, leurs priorités en termes d’équipement, d’infrastructures et de politiques territoriales, la relation entre le centre et la périphérie, la répartition équilibrée des richesses. L’essentiel, c’est aussi la capacité, pour un élu, de se faire entendre et d’exprimer ouvertement les intérêts, les attentes et les aspirations d’un territoire et de sa population.

Comment sera perçue une politique régionale dans des départements qui seront représentés par un ou deux élus régionaux, d’autant que ces mêmes départements ont déjà vu le nombre de leurs députés réduit en 2012 ? Va-t-on réhabiliter l’action publique en effaçant les acteurs de celle-ci, émanation du suffrage universel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lozach

La RGPP, la révision générale des politiques publiques, s’est traduite, pour les services de l’État par une recentralisation insidieuse. Veillons à ce qu’une refondation des collectivités territoriales n’emporte pas les mêmes conséquences.

Enfin, les deux textes de cette réforme territoriale doivent non pas verrouiller le dialogue, mais au contraire offrir la possibilité, pour la période 2016-2020, de s’appuyer sur l’« intelligence des territoires », pour faire vivre un échange fructueux, porteur d’évolutions nouvelles et visant à instaurer un climat et un pacte de confiance entre l’État et les collectivités territoriales. Notre pays en a besoin. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour la troisième fois en un peu plus d’un an pour débattre d’un nouveau projet de loi visant à bouleverser en profondeur, et avec brutalité, l’organisation décentralisée de notre République.

Cela pourrait s’apparenter à du comique de répétition si l’enjeu n’était pas crucial et historique. Il s’agit bien, mes chers collègues, de montrer à nos concitoyens que leurs élus et les organisations partisanes peuvent encore être les moteurs de la réforme, de l’adaptation du pays aux défis de notre époque.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous aimerions croire que le Gouvernement n’est pas, telle une girouette, soumis aux aléas du vent, tourbillonnant sans fin jusqu’à en perdre le nord. En décembre dernier, le Parlement votait le premier volet de ce qui devait être le grand texte de décentralisation du quinquennat : réintroduction de la clause de compétence générale, renforcement des départements, développement des métropoles. La gauche décentralisatrice était de retour, le changement était en marche ; nous l’avons entendu ici !

Pourtant, à peine le texte était-il voté que le Premier ministre d’alors, M. Ayrault, changeait d’avis, déclarant que, finalement, il faudrait probablement revenir sur la clause de compétence générale. Cette suppression devait être actée dans un nouveau projet de loi qui aurait remplacé les deux autres volets du premier, abandonnés en rase campagne. Depuis le début, les faits nous le prouvent, vous naviguez à vue et improvisez en permanence.

Mais nous n’avions pas tout vu ! Il a fallu attendre le gouvernement de M. Valls et son discours de politique générale pour qu’un nouveau projet de loi soit présenté, en décalage radical avec le programme électoral du candidat Hollande, qui recueillait en 2012 une majorité de suffrages, et en contradiction totale avec le texte voté quelques mois plus tôt. J’espère que vous me suivez toujours !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Ou les quatre points cardinaux !

Alors que la clause de compétence générale a été réintroduite, on veut la supprimer ; alors que les départements ont été renforcés pour en faire des acteurs de solidarité territoriale, on veut les effacer ; alors qu’une grande réforme de simplification fiscale avait été annoncée au congrès des maires de France, on brouille encore un peu plus les lignes, en faisant peser des charges toujours plus lourdes sur les collectivités, sans leur transférer des moyens supplémentaires.

Pour couronner le tout, vous annoncez soudainement vouloir fusionner les régions, sans aucune précision sur les compétences qu’il s’agirait de leur confier, et encore moins sur les ressources dont elles pourraient disposer. Le projet de loi que vous présentez devant le Sénat est tout à fait incohérent et inconséquent.

Inconséquent sur la forme : il est réalisé sans qu’aucun des acteurs concernés n’ait été entendu, qu’il s’agisse des élus, qui œuvrent pourtant quelle que soit la collectivité dans le cadre de laquelle ils ont été désignés par les électeurs, ou des citoyens, nous avons pu le voir voilà quelques jours. Une réforme d’une telle ampleur historique méritait infiniment mieux.

On sait que le texte a été rédigé entre amis, socialistes, sur un coin de table à l’Élysée, au gré de petits arrangements dignes de la IVe République. Autant dire qu’ils ne sont pas à la hauteur de la cinquième puissance mondiale.

Comment pouvez-vous présenter un projet de loi aussi important et déterminant sans concertation ? Convenez en outre que la légitimité populaire acquise en 2012 est aujourd'hui grandement amoindrie.

Adapter l’organisation du territoire républicain aux nécessités du temps, pour la faire progresser et répondre aux enjeux de demain, constitue un objectif volontiers partagé. Mais il aurait fallu commencer par se poser quelques questions fondamentales : une nouvelle étape, oui, mais dans quel but ? Avec quels moyens, quelle stratégie et quel calendrier ?

Vous auriez pu prendre le temps de la consultation, en vous appuyant sur un certain nombre de structures capables de réaliser de bonnes études. Je citerai ici la DATAR, que vous avez vous-même ressuscitée, les agences d’urbanisme, un certain nombre de grands outils. Que nenni ! Pas de son, pas d’image !

Vous auriez pu aussi vous fonder sur l’intelligence des territoires, des exemples de coopérations réussies et d’innovations institutionnelles permettant de faire avancer des projets au-delà des seuls périmètres institutionnels et administratifs.

La France a besoin de lutter contre son déficit public. En quoi votre projet répond-il à cet objectif ? Quelles sont les économies prévues ? Quelle réforme de l’État proposez-vous ? Il aura fallu attendre aujourd'hui pour apprendre que, s’agissant des départements, vous auriez de nouveaux objectifs.

Ce premier projet de loi ne reflète-t-il pas la volonté de faire insidieusement assumer par les collectivités territoriales la responsabilité de la baisse de la dépense publique ? Ce serait extrêmement dangereux pour la vie des territoires et le dynamisme des entreprises qui y vivent et les irriguent.

La France a aujourd'hui besoin d’un pays uni, dans sa diversité, au-delà des sensibilités politiques : interdépendance entre territoires ruraux et urbains ; solidarités entre territoires riches et plus pauvres ; diminution de la fracture territoriale, une fracture que vous semblez plutôt creuser. Quelle est, aujourd'hui, l’approche prévue en termes de péréquation entre les régions ?

Sur ce projet de loi, comme sur le reste de votre politique, nous n’arrivons pas à identifier le cap suivi. Le contexte est trop grave pour ignorer les Français, leurs souffrances, leurs difficultés. Ils vous les ont signifiées à deux reprises. Cessez d’improviser !

Enfin, je veux le dire à cette tribune avec solennité et gravité : les voix de l’abstention – et celle-ci est, bien souvent, le fait des « sans-voix » – doivent être entendues comme des cris de doute, de dépit et de défiance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Aujourd’hui, nous avons tous, collectivement, une responsabilité dans la montée du vote protestataire, du vote contestataire, en France et en Europe.

Alors, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, ce nouvel acte de la décentralisation aurait pu être l’occasion pour la France de s’adapter aux conditions d’aujourd'hui.

Le Président de la République a reçu mandat du peuple pour réformer le pays, non pour être le marieur des régions, au gré des envies de quelques notables socialistes.

Vous êtes aux responsabilités. L’audace serait de les assumer, ces responsabilités, et de prendre le temps de la réflexion, de la concertation, en considérant également les territoires et leurs représentants.

Les responsabilités que vous détenez, monsieur le ministre, mes chers collègues, vont de pair avec l’ardente obligation de servir le pays, de le réformer.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dès lors qu’il s’agit de changer les limites régionales, c’est-à-dire de donner plus de force aux nouvelles entités, il eût été logique d’en évoquer les nouvelles compétences, qui ne pourront s’exercer sérieusement sans nouveaux moyens financiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Pour autant, la nécessité d’avoir des collectivités régionales plus fortes économiquement, et donc financièrement, ne fait pas débat, non plus que l’utilité d’en réduire le nombre. La quasi-totalité de l’échiquier politique acquiesce à ce qui est devenu une évidence, et le rapport Raffarin-Krattinger du 8 octobre 2013, souvent évoqué aujourd'hui, en avait étayé la pertinence.

Cette perspective et les bénéfices à en tirer en termes d’efficacité imposent, me semble-t-il, de ne pas tarder, compte tenu de la situation notre pays.

Modifier les limites territoriales, c’est aussi modifier les habitudes de concertation, voire les habitudes de vie, peut-être aussi l’appréhension des infrastructures. C’est donc un vaste chantier pour le présent, mais aussi et surtout pour l’avenir.

Notre horizon doit être celui d’une réforme pesant au moins sur les quarante à cinquante années à venir. C’est pourquoi les raisonnements court-termistes doivent être exclus de nos débats.

C’est dans cette logique que j’essaie de me situer pour vous parler des régions de l’ouest atlantique. Je pense qu’il est d’une impérieuse nécessité pour les régions de l’ouest de la France de se rassembler économiquement, financièrement mais aussi bien sûr dans leur organisation administrative. À ce titre, l’idée d’une union entre Poitou-Charentes et Aquitaine va dans le bon sens, en y adjoignant le Limousin. Nous devons faire ce même chemin pour les régions Bretagne et Pays de la Loire, et cela pour au moins trois raisons.

L’ouest de la France ne doit pas devenir le Far West de l’Europe. La modification des frontières européennes et son extension à l’est ont changé le centre de gravité de l’Union européenne et fait que nous risquons, sur la façade atlantique, de souffrir encore plus de notre périphéricité.

Voici déjà quelques années, la DATAR, la Délégation à l’aménagement du territoire – à l’époque sous la responsabilité d’Olivier Guichard – avait développé le concept d’Arc atlantique, partant de Glasgow en Ecosse, pour aller jusqu’au sud de l’Espagne. L’utilité, pour toutes ces régions périphériques, d’avoir des actions communes, des logiques économiques et d’aménagement concertées allait de soi. C’est a fortiori le cas pour les régions Bretagne-Pays de la Loire, qui sont au cœur de l’Arc atlantique et en sont symboliquement la flèche. La communauté d’intérêts est évidente en de nombreux domaines : transport, ferroviaire ou aérien, économie maritime...

La deuxième raison d’unir la Bretagne aux Pays de la Loire est l’excellente habitude de travail en commun prise depuis déjà de très nombreuses années, avec des spécialisations économiques semblables, notamment en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, des pôles de compétitivité de dimension interrégionale, une stratégie conjointe de lobbying au sein de l’espace interrégional européen, une université fédérale commune, qui verra le jour le 1er janvier 2016, une coopération sur la pêche et l’aquaculture ou encore sur les énergies marines renouvelables, la formation professionnelle continue…

Cette liste, loin d’être exhaustive, démontre, si nécessaire, que déjà une logique conjointe de travailler ensemble est évidente et que l’union des deux régions Bretagne et Pays de la Loire serait ni plus ni moins que la formalisation démultipliée, compte tenu des nouvelles compétences, d’un fait majeur des trente dernières années, à savoir une coopération très privilégiée entre ces deux régions.

La troisième raison, c’est que les populations ligériennes et bretonnes le demandent, ainsi que les acteurs économiques. Un sondage paru aujourd'hui nous indique que 67 % des habitants des Pays de la Loire y sont favorables, tout comme 63 % des Bretons.

Le rapprochement entre Bretagne et Pays de la Loire apparaît donc d’une grande rationalité et il correspond à une évidence de travail partagé et d’intérêts communs, pour les populations de même pour l’avenir de ces deux régions de l’ouest atlantique.

En conclusion, je voudrais insister sur la nécessité d’avoir, dans ce débat, l’avenir à l’esprit. Je peux entendre qu’ici ou là des élus ne soient pas encore prêts, hésitent ou demandent plus de réflexion. C’est le respect dû à tous et à chacun, mais ce respect nous le devons aussi aux générations futures. C’est pourquoi tout démantèlement des régions actuelles doit, selon moi, être proscrit, car ce serait rayer d’un trait de plume les efforts de plusieurs décennies.

Faute de mieux, le statu quo, regrettable pour nos deux régions, ne pourrait être que momentané. Continuons la réflexion, écoutons aussi les nouvelles générations des maires de l’ouest. Prenons le temps de l’échange renouvelé, laissons les esprits et les consciences évoluer.

Laissons aussi la place à l’expérimentation entre les territoires, à l’ouest comme ailleurs. L’unité de la France n’implique pas l’uniformité ! Osons l’expérimentation à géométrie variable. L’administration centrale n’a rien à craindre de cela et notre pays a tout à y gagner. Soyons des bâtisseurs d’avenir comme d’autres l’ont été avant nous, en prenant leçon du passé et du présent ; bref, suivant la si jolie formule dont Pierre Mauroy avait fait le titre d’un livre un livre, soyons les« héritiers de l’avenir ». §

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’organisation territoriale de notre pays est un thème ancien et même révolutionnaire : Condorcet, Sieyès, Thouret, Cassini et, plus récemment, Attali et Balladur ainsi que quelques-uns de nos collègues, ici au Sénat, se sont attelés à cet ouvrage.

Et pendant que les parlementaires, les conseillers, les anciennes éminences réfléchissent, se réunissent, discutent et rédigent des rapports, l’œuvre de la réorganisation s’accomplit avec un objectif qui n’a jamais été abandonné ni par un bord ni par l’autre, ni par la droite ni par la gauche ; il s’agit, de manière quasi implacable, d’effacer petit à petit les départements de la carte de France, …

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

D’ailleurs, l’État a déjà montré l’exemple en réduisant le rôle des préfets de département au bénéfice des préfets de région, en transférant à la région bon nombre d’anciens services départementaux : exit les directions départementales de l’équipement, les directions départementales de l’agriculture et de la forêt, les directions départementales de la jeunesse et des sports ; exit, donc, tous ces cadres, toute cette matière grise qui ont quitté les villes chefs-lieux de département pour se concentrer dans les capitales régionales ou les métropoles, amoindrissant du même coup les forces de territoires qui ne sont ni tout à fait ruraux ni tout à fait urbains.

On a vu fleurir les directions régionales, voire interrégionales, telles que les DIR, les DRAC, les DIRECCTE et autres acronymes, qui s’éloignent peu à peu des territoires.

Ce processus de réduction, de redéploiement, de reconcentration tourne le dos à la décentralisation, acte d’émancipation des collectivités, signe incontestable de vitalité des territoires, qui leur avait été octroyé par François Mitterrand, Gaston Defferre et Pierre Mauroy.

Vers quelle collectivité s’est pourtant tourné l’État pour transférer les personnels des ex-DDE et des collèges ? Vers qui s’est tourné l’État pour partager le financement des allocations individuelles de solidarité que sont l’APA, le RSA, la PCH, faisant du coup supporter par les recettes propres des départements une charge de 42 milliards d’euros – j’attire votre attention sur ce chiffre, mes chers collègues – entre 2002 et 2013 ?

Vers quelle collectivité se tourne encore l’État pour financer les travaux sur la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique ou sur les routes nationales ? Les départements !

Ceux-ci ont supporté, en maugréant souvent, mais ont supporté tout de même les conséquences de décisions prises ailleurs et par d’autres. Ils ont pourtant préparé des budgets équilibrés – ils n’avaient d’ailleurs pas le choix –, tout en maintenant l’investissement si précieux pour les entreprises. Ils ont même pu, ici et là, développer des projets créateurs d’emplois. Là, un Futuroscope, ailleurs, un pôle de l’image animée.

Mais je sais que rien n’est immuable. Il faut être moderne. Il faut tourner les pages, il faut réduire le millefeuille, il faut « dégraisser le mammouth », disait-on à une époque, pour faire des économies et renouer avec la croissance.

Le transfert des compétences va-t-il diminuer le coût de l’exercice de ces compétences ? J’en doute. Ce que je pressens surtout et ce que j’entrevois, c’est un mouvement de plaques tectoniques, ou technocratiques, visant à la disparition des uns et à l’émergence des autres.

La question des compétences, de leur maintien, de leur exercice, de leur transfert est essentielle.

La question du périmètre des collectivités régionales ou intercommunales est d’importance. D’ailleurs, les élus locaux, les populations se sont emparés de cette question, sans doute à la surprise de beaucoup.

En Poitou-Charentes, par exemple, sur mon initiative, les conseils généraux des quatre départements se sont réunis le 6 juin dernier et ont voté à l’unanimité – moins une voix et deux abstentions – la formation d’une région Aquitaine–Poitou-Charentes–Limousin.

À ce jour, 300 des 404 communes que compte le département de la Charente ont délibéré sur la formation de cette région Poitou-Charentes–Limousin–Aquitaine.

Dans des régions plus grandes, les départements, surtout les départements ruraux, auront encore plus qu’aujourd’hui un rôle de première importance à jouer en termes de mutualisation, de solidarité tant humaine que territoriale. Ni trop éloignés pour être un gage d’efficacité et de réactivité, ni trop proches pour pouvoir mutualiser au mieux les moyens humains et matériels, ils seront à la fois une garantie de bonne gestion et, dans tous les cas, une source de péréquation et d’équité.

Je ne remets pas en cause la réforme, mais que l’on ne cloue pas au pilori tous ces élus, toutes ces femmes, tous ces hommes au service des collectivités, qu’on ne les désigne pas à la vindicte !

Réformer, oui ! Clarifier, oui ! Transférer des compétences, pourquoi pas ? Mais à la condition qu’elles soient plus efficacement exercées par ceux qui se les verraient alors confier et que ce transfert soit également compatible avec la situation financière et économique de notre pays.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du RDSE et de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parler la dernière dans une discussion générale de plus de quatre heures est une gageure ! J’irai donc droit au but : je souscris, sans ambiguïté, aux objectifs affichés par le Gouvernement : plus grande efficience de l’action publique, clarification des compétences dévolues à chaque collectivité et simplification de la carte territoriale française.

Davantage que la date des élections ou le découpage géographique des territoires – quoique… –, c’est la manière dont les compétences seront exercées par les collectivités et le rapport de proximité qu’elles pourront établir avec les élus qui intéressent le plus nos concitoyens. Il me semble que cet axe aurait pu être abordé en tout premier lieu, à la suite des débats que nous avons eus l’an dernier à propos des métropoles.

L’enjeu est important pour l’avenir, celui de la France, celui des Françaises et des Français : il s’agit de réfléchir à la plus-value qui leur sera apportée lorsque telle collectivité remplira telle compétence ou telle mission.

Comment agir au plus près, et au plus juste, des besoins des territoires et des habitants en matière d’action économique, d’emploi et de formation, d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation, d’environnement, d’énergie et de transport ou encore d’éducation, de culture et de sport ?

Il ne faut pas non plus oublier l’ensemble des politiques de solidarité, si importantes dans la vie de nos concitoyens et assumées aujourd’hui largement par les départements. Je veux parler des politiques en faveur des personnes âgées ou handicapées, de la protection de l’enfance, de l’insertion ou du soutien aux familles. Nous aurons l’occasion de débattre de ces questions dans les prochains mois, et nous espérons de réels engagements en la matière.

Il ne s’agit pas de refuser tout changement, loin de là. Mais l’évolution de l’organisation territoriale n’a de sens que si elle contribue à mieux répondre aux attentes des citoyens et aux enjeux ressentis dans nos territoires. Il s’agit d’accompagner, d’encourager la mise en œuvre de politiques publiques efficaces et utiles, non de réduire les moyens, les marges de manœuvre ou les leviers d’action des élus locaux.

J’aborderai la délimitation géographique de la région des Pays de la Loire. Cette région a une histoire, certes récente, mais qui offre de grandes et belles réussites, et à plus d’un titre : taux de chômage et taux de pauvreté les plus faibles de France, première région pour ce qui concerne la création d’emplois industriels et le soutien à la recherche, ou encore région la plus sportive. Sans tomber dans l’autosatisfaction, je tiens à souligner que notre région a de la cohérence et des points forts.

L’unité des Pays de la Loire est précieuse, il faut la défendre. Il serait dangereux d’y mettre fin. Le sondage IPSOS cité par Yannick Vaugrenard révèle d’ailleurs que 83 % des Ligériens sont attachés à leur région et à ses cinq départements.

Le statu quo proposé par le Gouvernement n’est pas forcément une solution ; en tout cas, à mes yeux, elle manque d’ambition. Nous avons en quelque sorte l’impression d’un rendez-vous manqué pour le développement de nos territoires et l’avenir de leurs habitants.

Il ne fait aucun doute pour moi que la fusion des Pays de la Loire et de la Bretagne doit devenir réalité. Ce scénario a du sens au regard de la cohérence géographique, de la démographie, des retombées économiques et en matière de politiques universitaires ou culturelles.

Des coopérations fortes existent déjà, et les enjeux partagés entre les deux régions sont bien réels. Néanmoins, il faut désormais aller plus loin.

De nombreux citoyens, chefs d’entreprise, responsables associatifs, acteurs du monde culturel, élus de tous partis, s’expriment depuis plusieurs semaines pour défendre l’unité des Pays de la Loire et souhaiter un renforcement des échanges et des partenariats avec la Bretagne. Mentionnons, à ce titre, les présidents des chambres de commerce et d’industrie de Rennes et de Nantes-Saint-Nazaire, mais également les maires de Nantes, de Rennes et de Brest.

Je le disais au début de mon propos, l’évolution de l’organisation territoriale doit accompagner et encourager la mise en œuvre de politiques publiques efficaces et utiles.

Je crois, en l’occurrence, que la fusion des Pays de la Loire et de la Bretagne est ambitieuse. Surtout, je suis convaincue qu’elle constitue un véritable « plus » pour l’avenir de nos régions et des citoyens qui les font vivre, chaque jour. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à remercier l’ensemble des orateurs de tous les groupes, sans exception, qui ont apporté une contribution extrêmement utile et intéressante au débat sur ce projet de loi.

Je ne répondrai pas de façon exhaustive à chacun des intervenants, car, comme la discussion générale a duré près de cinq heures, vous pourriez, à juste titre, m’en tenir grief ! J’essaierai de reprendre quelques-unes des critiques les plus saillantes qui ont été exprimées et d’y répondre de façon brève.

La première impression que suscite l’écoute des différents orateurs lorsqu’on est au banc du Gouvernement pour porter ce texte, c'est qu’une partie des sénateurs ici présents seront bientôt renouvelés. Certains d’entre vous, siégeant notamment sur les travées de l’opposition, se sont davantage adressés à ce qu’ils imaginent être la majorité de demain pour la séduire qu’au Gouvernement pour critiquer son texte.

Deux discours, en particulier, ont été tout à fait emblématiques de cette volonté de s’inscrire dans une perspective qui est non pas celle d’aujourd'hui, mais celle d’après les élections sénatoriales. Le Parlement a de tout temps fonctionné ainsi, cédant à la tentation de s’abandonner aux charmes de la « politique ». Ce débat a fourni une nouvelle illustration du phénomène.

Je le regrette vivement, car, au vu de la situation de notre pays depuis dix ans, on pourrait tout de même se dire les choses sans agressivité ou volonté de polémiquer. Le Front national a souvent été évoqué, mais le gouvernement actuel n’est pas le seul responsable, s’il devait avoir quelque responsabilité que ce soit à cet égard, de la montée de ce parti. Depuis dix ans, il y a eu d’autres gouvernements, qui n’ont pas tout réussi et qui et, par conséquent, pourraient partager la responsabilité du score du Front national.

Dès lors que nous acceptons de reconnaître que la responsabilité de la montée de ce parti est partagée, nous pourrions peut-être essayer ensemble d’en analyser les raisons. J’en vois une qui mérite d’être évoquée au moment où nous discutons ce projet de loi : c'est l’affaiblissement de notre pays et l’éloignement des citoyens de la classe politique. Quelle en est la raison ? Elle tient à ce que, face à des problèmes sérieux, qui impliquent des réformes urgentes, la politique, dans sa dimension la plus classique, la plus clivante, la plus « antagonisante », reprend ses droits, alors que nous devrions essayer de trouver des compromis pour élaborer ensemble de bons textes.

Cela vaut pour toutes les majorités, tous les gouvernements, quels qu’ils soient. Lorsque nous étions dans l’opposition, nous avons aussi cédé à ce type de charmes. Aujourd’hui, c'est vous, mesdames, messieurs les sénateurs de l’UMP, qui êtes dans l’opposition. Plutôt que de tirer des enseignements de ce que vous n’avez pas réussi à faire durant ces dix dernières années – vous avez commis de nombreuses erreurs que nous aurions, nous aussi, pu faire –, vous vous êtes lancés dans une entreprise de démolition absolument classique, et avec une jubilation sans limite.

Or, je le redis, quand un pays est en crise, que le Front national atteint un tel score et que les citoyens s’éloignent de la vie politique, celle-ci ne peut pas se résumer à une entreprise perpétuelle de démolition, avec toutes les outrances, les excès et les contre-vérités qui vont de pair. Et, au cours de ce débat, des outrances et des excès, j’en ai beaucoup entendu, qui ont contribué à fabriquer de belles contre-vérités.

Je les reprendrai les unes après les autres, pour qu’il reste au moins une trace de la sincérité des intentions du Gouvernement. On ne peut pas raconter tout et n’importe quoi dans un débat, notamment pour faire dire à un texte ce qu’il ne dit pas.

Tout d’abord, j’ai entendu dire que nous voulions recentraliser, que nous souhaitions prendre des pouvoirs aux collectivités locales pour les donner aux préfets, dans les départements, et que nous allions défaire ce que la décentralisation avait fait. C’est un énorme mensonge !

Pour qu’une telle allégation puisse avoir quelque crédit, il faudrait qu’une loi défasse ce que les lois de décentralisation ont fait et transfère à l’État des compétences que ces dernières avaient confiées aux collectivités locales. Pouvez-vous me citer un seul exemple de compétence qui avait été donnée aux collectivités locales, dans la multiplicité de leurs strates, et que l’État cherche à reprendre ? Non, car il n’y en a aucun !

Si nous donnons des pouvoirs supplémentaires aux préfets, ce n’est pas au détriment des collectivités locales, c’est à celui de l’État central ! Cela s’appelle la déconcentration !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Pour que l’administration publique soit au plus près des territoires, nous proposons que l’État central déconcentre ses pouvoirs vers l’État territorial. Ainsi, il pourra y avoir dans les territoires ruraux, dont vous nous dites qu’ils sont en risque de rupture et de décrochage, davantage de fonctionnaires, là où les précédentes réformes en ont supprimé beaucoup.

Je le dis à M. Gérard Larcher, qui a fait une déclaration très passionnée, enflammée, sur ce sujet : nous voulons non pas prendre aux régions ou aux départements des pouvoirs pour les redonner à l’État, mais déconcentrer les pouvoirs de l’État central vers les territoires pour corriger les effets de la révision générale des politiques publiques, qui a conduit à une véritable attrition de l’administration territoriale.

La démarche que nous préconisons doit-elle vraiment être condamnée à tout prix ? Ne pouvez-vous pas, sur cette question, compte tenu de la situation de l’administration territoriale de l’État, simplement accompagner, de bonne foi, la volonté du Gouvernement ?

J’en viens au deuxième point sur lequel je tiens à apporter une correction : la carte régionale que nous proposons d’adopter serait nécessairement mauvaise parce que la réforme est inopportune. Je veux bien admettre, comme je l’ai d’ailleurs déjà dit lors la discussion générale, qu’un certain nombre d’éléments de la carte ne conviennent pas. Mais, sauf à être totalement de mauvaise foi, on ne peut pas ne pas reconnaître que d’autres éléments de la carte, eux, sont tout à fait adéquats !

On ne peut pas non plus dire, monsieur le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, que nous essayons de capter de façon indélicate le rapport que vous avez rédigé avec Yves Krattinger. Dans ce rapport, il était proposé de constituer quinze régions. Vous vous êtes vous-même exprimé sur cette question pour dire à quel point il était important que la taille des régions soit suffisamment grande pour leur permettre de mener une politique de développement économique. Mais lorsque nous proposons de le faire nous-mêmes, vous considérez que notre proposition est inopportune : c’est absurde !

Voilà précisément ce dont la politique française se meurt : que des élus, selon qu’ils sont dans la majorité ou dans l’opposition, disent le contraire de ce qu’ils avaient dit ou écrit la veille, simplement parce que leur idée est maintenant portée par un gouvernement qu’ils combattent !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Monsieur Raffarin, lors de la discussion générale, j’ai cité fidèlement une phrase de votre rapport !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous prenons position pour le département et vous le supprimez ! Ne faites pas référence au rapport !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Je n’ai jamais dit que vous préconisiez la suppression du département. Comme je suis précis et rigoureux, j’ai indiqué que vous préconisiez de faire de grandes régions et que vous estimiez que le plus important était leur taille, car c'est ce qui leur permettait d’être pertinentes et efficaces.

Je ne dis pas que nous reprenons la totalité des propositions figurant dans votre rapport. J’évoque simplement une idée que vous aviez intelligemment avancée. Nous l’avons reprise, car il n’y a pas de raisons de ne pas prendre les idées qui ont été développées dans des rapports parlementaires, même si elles l’ont été par des sénateurs de l’opposition.

Bien entendu, vous ne proposez pas, vous, monsieur Raffarin, la suppression des départements, mais d’autres le font. En réponse hier à M. Retailleau, j’ai repris les propos de celui qui était encore le président de votre parti il y a un mois : dans un entretien publié par Le Parisien le 14 janvier dernier, il a déclaré qu’il était partisan de la suppression des départements.

Je veux bien que toutes les idées, dès lors qu’elles viennent de la majorité, soient pernicieuses, mais vous les avez, pour beaucoup d’entre elles – par le truchement de différents responsables politiques, notamment des parlementaires –, vous-mêmes formulées.

Nous voulons des régions de taille européenne afin qu’elles puissent être efficaces. Vous avez vous-même, monsieur le Premier ministre, soutenu que la question de la taille était importante. Si les périmètres de ces régions ne vous conviennent pas, ce que je peux tout à fait comprendre, proposez par amendements que l’on en dessine d’autres, plutôt que de polémiquer en cédant à l’outrance ! Vous ne faites que jeter le discrédit sur un projet sous prétexte qu’il n’est pas le vôtre, alors qu’il reprend des propositions que vous avez vous-même pu faire, sacrifiant par là au jeu classique de la politique, lequel, je le redis, affaiblit la démocratie et le Parlement.

J’en viens, enfin, à la question des départements. Sur ce sujet, le Gouvernement a une position très simple, qu’il n’y a pas lieu de travestir, d’amplifier ou de dramatiser, pour faire peur.

Premièrement, nous voulons des intercommunalités fortes. Pourquoi ? Parce que l’intercommunalité répond à notre besoin de proximité, tout en contournant les difficultés que pose l’existence de 36 0000 communes. Pour ce faire, le Gouvernement veut aller au bout des réformes conduites par les gouvernements précédents. Autrement dit, la réforme que nous entendons mener ne marquera pas une rupture.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Elle s’inscrira dans la continuité de ce qui a été fait antérieurement, en l’approfondissant.

Deuxièmement, nous voulons déconcentrer dans l’esprit que je viens d’évoquer : en mettant à un terme à la destruction de l’administration déconcentrée de l’État engagée depuis des années. Est-ce condamnable ? Je ne le crois pas.

Troisièmement, nous voulons nous doter de régions de dimension européenne.

Quatrièmement, nous raisonnons à l’horizon 2020. Vous aurez noté que, dans le texte qui vous est soumis, il n’est pas question de supprimer les départements. D’ici à 2020, il nous reste six ans : six ans pour échanger au travers de débats parlementaires, pour évaluer ce que nous avons fait, pour mener une réflexion associant chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs ; 2020, ce n’est pas demain ! D’ici là, nous avons le temps de créer, ensemble, les conditions d’une suppression des conseils départementaux – et nous le ferons !

Nous aurons six ans pour débattre des conséquences de cette réforme sur la proximité et l’efficacité des services publics, que certains d’entre vous craignent de voir remises en cause. Trouvez-vous que six ans, c’est trop court pour évoquer ces questions ensemble, pour les mettre sur le métier, pour essayer de trouver les bons équilibres ? Tel n’est pas notre avis.

Sous prétexte que nous proposons de débattre de cette question avec vous pendant six ans, il faudrait que nous ne décidions rien aujourd'hui ? Non ! Dès aujourd'hui, nous devons trancher, parce que beaucoup de sujets relèvent de l’urgence.

Je veux, avant de conclure, évoquer la question des conséquences de la fusion des régions sur l’administration de l’État. J’ai entendu tout à l'heure que l’on ne pouvait pas fusionner les régions parce que la réduction du nombre de capitales régionales conduirait à des transferts massifs d’administrations depuis les capitales existantes vers les capitales nouvelles. Mais raisonner ainsi, c’est s’empêcher de faire une seule fusion ! Vous feriez mieux de dire que vous êtes opposés à toute évolution de la carte régionale ! §Si vous y êtes favorables, vous devez accepter que des rectorats et des services déconcentrés de l’État se regroupent !

D'ailleurs, je dois vous dire, à vous que préoccupe la nécessité de faire hardiment des économies, notamment dans la fonction publique et dans l’appareil d’État, que vous n’en ferez aucune si vous ne rationalisez pas la carte des administrations sur les territoires. Nous, nous proposons de le faire, mais tout en garantissant la proximité et l’efficacité des services publics.

Vous ne pouvez réclamer 100 milliards d’euros d’économies – quand nous en proposons 50 milliards – et, dans le même temps, décrier chacune des réformes de l’administration que nous envisageons ! Ou alors expliquez-nous comment vous comptez réformer l’administration pour réaliser ces 100 milliards d’euros d’économies ! À moins qu’il n’y ait là que démagogie, et que vous ne sachiez comment procéder…

Pour ce qui nous concerne, investis que nous sommes de la responsabilité de redresser les comptes, nous ferons ces 50 milliards d’économies parce que nous considérons que la situation du pays est suffisamment dégradée, du fait de la gestion des gouvernements successifs, pour les rendre indispensables.

Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, les fusions de régions impliqueront des regroupements au niveau de certaines capitales. C’est normal ! Si l’on ne veut pas de ces regroupements, il ne faut pas entreprendre de réforme régionale. Cette clarté, cette honnêteté, nous les devons à la représentation nationale et aux Français. On ne peut vouloir tout et son contraire !

Dernier sujet important : celui de la proximité. Selon certains, si l’on fait de grandes régions et si l’on engage la suppression, à terme, des conseils départementaux, il n’y aura plus de proximité.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Vous ne concevez la proximité qu’au travers du tissu des structures locales et administratives actuelles, à tout jamais figé. En fait, vous nous expliquez que la proximité n’est possible qu’à la condition de renoncer à faire montre d’imagination ! Eh bien, ce n’est pas notre démarche.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Comment faire de la proximité dans de grandes régions ?

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Nous, nous considérons que la proximité est possible dès lors que l’on donne à des strates de collectivités locales organisées la possibilité de se doter de compétences qui leur permettront d’être beaucoup plus près des habitants.

Monsieur Bas, vous êtes le brillant conseiller général du célèbre petit canton de Saint-Pois.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Vous savez comme moi que le département de la Manche, dans lequel je suis aussi élu, compte au nord, une agglomération, Cherbourg, et, au centre, les villes de Saint-Lô et de Coutances. Tout le reste n’est qu’émiettement de petites communes, avec des intercommunalités de petite taille. Ne pensez-vous pas que, demain, les services seraient mieux rendus aux habitants de la Manche si les pays s’organisaient autour d’intercommunalités ?

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste s’exclament.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Donc, vous le reconnaissez vous-même !

Cela signifie que, aujourd'hui, il est bel et bien possible d’innover en matière d’ingénierie territoriale en faisant vivre la proximité, à condition de faire preuve d’un peu d’imagination, de mettre cette imagination au service d’un projet et de ne pas être conservateur.

Dans ces conditions, je suis absolument convaincu qu’il existe une place pour un compromis, qu’il existe un chemin qui nous permette de faire évoluer ensemble notre pays dans la bonne direction. Je suis convaincu que le Sénat ne fera pas le choix de saboter ce texte, qu’il ne refusera pas d’y travailler et qu’il participera pleinement à l’élaboration d’une grande réforme que le pays attend depuis longtemps et que les gouvernements précédents n’ont pas engagée ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. le président de la commission spéciale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, le ministre a été disert, mais il n’a pas répondu à la question que je lui ai posée au nom de la commission spéciale : ce texte fera-t-il l’objet de deux lectures dans chaque assemblée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

J’ai moi aussi posé cette question, sans obtenir de réponse !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Moi, je la pose en tant que président de la commission spéciale !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Quid des propos de M. Kaltenbach ? Ce n’est pas sérieux !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Le débat de ce jour se termine sur une note d’humour…

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 3 juillet 2014, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 1613 bis A du code général des impôts (Contributions perçues au profit de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés) (2014-417 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la Séance.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 4 juillet 2014, à neuf heures trente, à quatorze heures trente et le soir :

Suite du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (Procédure accélérée) (n° 635, 2013-2014) ;

Rapport de M. Michel Delebarre, fait au nom de la commission spéciale (658, 2013-2014) ;

Résultat des travaux de la commission spéciale (n° 659, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le vendredi 4 juillet 2014, à zéro heure vingt-cinq.