Intervention de Jean-Jacques Lozach

Réunion du 3 juillet 2014 à 21h45
Délimitation des régions et élections régionales et départementales — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accélération des réformes nécessaires au pays devait également concerner l’architecture territoriale de notre République.

La mutation de nos modes de vie, une nouvelle gestion de l’espace-temps, les évolutions technologiques, les difficultés de compréhension du système actuel, les enjeux territoriaux de la mondialisation : tous ces éléments justifient une réforme territoriale, une réforme de réajustement entre des pouvoirs anciens, établis, installés – communes, départements, État – et des pouvoirs nouveaux, émergents – intercommunalités, régions, Europe.

C’est la cohérence de ces pouvoirs qu’il s’agit de réorganiser. Mais l’importance et la sensibilité du sujet nécessitent doigté, méthode et diplomatie, autant d’ingrédients facteurs d’efficacité.

Nous débattons du calendrier électoral. Chaque rendez-vous avec les électeurs doit avoir un sens, un fondement démocratique, une signification pour les candidats et le corps électoral. Le rendez-vous de décembre 2015 doit être perçu comme une invitation à se projeter vers une situation institutionnelle nouvelle, qui contribuera au progrès de notre pays. S’il n’en est rien, il se traduira par un nouveau malentendu entre la population et sa représentation.

À la difficulté d’approfondir la décentralisation dans une période de croissance économique faible s’ajouterait alors un manque d’adhésion de nos concitoyens.

Vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, la peur du décrochage ruine certains territoires ; vous l’avez encore rappelé cet après-midi dans votre propos liminaire.

Or c’est notamment par l’investissement public que l’on redonnera de la confiance à ces espaces qui craignent la relégation. Si, demain, il n’y a plus rien entre de grandes régions et l’intercommunalité, que deviendront les projets et les investissements de nature intermédiaire, ceux qui correspondent aujourd’hui aux initiatives à caractère départemental ou interdépartemental ? Il est illusoire de penser qu’ils seront portés par des communautés de communes de l’espace rural, car leur capacité d’investissement – même si le seuil de population est relevé à 20 000 habitants – restera très insuffisante : elle sera de l’ordre de 2 à 3 millions d’euros par an, pas plus, d’où la profonde inquiétude du secteur du BTP, mais aussi d’autres domaines de l’activité économique.

En un mot, simplification ne signifie pas nécessairement suppression. Sur ces sujets, faisons preuve de discernement : le conseil général est vécu comme une réalité dans nos espaces ruraux ; il n’en est pas de même dans les secteurs fortement urbanisés.

Ne faisons pas de la métropolisation une idéologie ni des grandes régions la finalité unique et ultime du développement local. L’avenir de conseils départementaux modernisés peut et doit, sur certains espaces, être une condition du succès des grandes régions. Leurs intérêts peuvent se rejoindre si la synergie de leur fonctionnement et la complémentarité de leurs rôles s’harmonisent. Ne raisonnons pas en termes d’institutions superposées, mais en termes de fonctionnement d’instances territoriales placées au service de nos concitoyens.

Dans ce nouveau paysage, l’échelon départemental peut être celui qui met de l’huile dans les rouages et crée de la dynamique, à partir de son expérience de solidarité sociale et territoriale. Mais si l’on en reste à une vision figée de simple soustraction de strates, on connaîtra une régression en matière de lisibilité de l’action publique, de liens entre les élus et les électeurs, de soutien aux plus démunis, de qualité des services à la population ou bien encore d’efficacité économique.

C’est ainsi que l’avenir de la ruralité est en grande partie conditionné par le maintien d’une instance départementale. C’est notamment l’un des postulats exprimés par le mouvement « Nouvelles ruralités », mentionné, à mon grand plaisir, par Didier Guillaume cet après-midi.

Le maintien d’un conseil départemental dans une vision redéfinie permettrait de réduire les risques que comporte le paysage institutionnel aujourd'hui envisagé : risque de tutelle des régions sur les communautés de communes, consécutif au déséquilibre financier, risque d’un poids croissant de la technocratie administrative des grandes régions, risque de cloisonnement des collectivités par manque de coopération entre les territoires, risque de perte de projets innovants, risque d’un niveau élevé de projets orphelins, risque de normalisation des performances avec perte de vue des réalités du terrain.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré : « L’objectif n’est pas de faire des régions identitaires, mais des régions économiques puissantes ». Votre ambition de croissance et d’emploi est parfaitement légitime, mais force est de constater que, généralement, les régions les plus performantes économiquement sont celles qui présentent une identité culturelle forte. Il est difficile de dissocier les deux, comme il peut être préjudiciable de casser des processus en cours. Je pense notamment à l’affirmation de l’identité du Massif central, dont la montée en puissance, ces dernières années, concomitante d’une organisation spatiale autour d’un axe routier majeur tel que la RCEA, la route Centre Europe Atlantique, pourrait justifier une région Poitou-Charentes-Limousin-Auvergne. Pour beaucoup d’élus, les choix d’adhésion deviennent actuellement des choix par défaut.

Toutefois, l’essentiel est sans doute non pas le redécoupage, mais les compétences exercées et les moyens disponibles. L’essentiel, c’est surtout le contenu des politiques publiques portées par les futures régions, leurs priorités en termes d’équipement, d’infrastructures et de politiques territoriales, la relation entre le centre et la périphérie, la répartition équilibrée des richesses. L’essentiel, c’est aussi la capacité, pour un élu, de se faire entendre et d’exprimer ouvertement les intérêts, les attentes et les aspirations d’un territoire et de sa population.

Comment sera perçue une politique régionale dans des départements qui seront représentés par un ou deux élus régionaux, d’autant que ces mêmes départements ont déjà vu le nombre de leurs députés réduit en 2012 ? Va-t-on réhabiliter l’action publique en effaçant les acteurs de celle-ci, émanation du suffrage universel ?

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