Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 4 juillet 2014 à 9h45
Délimitation des régions et élections régionales et départementales — Articles additionnels avant l'article 1er, amendement 47

Bernard Cazeneuve, ministre :

Je voudrais en quelques minutes répondre à ces interventions, qui reprennent toutes des éléments essentiels du débat.

Trois sujets ont été plus particulièrement évoqués par les orateurs des différents groupes.

Premièrement, est-il bien nécessaire de faire des grandes régions ? Est-ce pertinent sur le plan économique ? Ces nouvelles régions vont-elles être dotées de pouvoirs supplémentaires ? C’est la question posée notamment par Gérard Longuet ; elle est légitime et mérite une réponse.

Deuxièmement, dans la foulée de l’amendement lui-même, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin s’est interrogé sur la visibilité de l’ensemble de la réforme. Je comprends très bien cette question : nous ne pouvons pas aborder un débat sur ce texte sans avoir une lecture globale de la réforme portée par le Gouvernement ; nous ne pouvons pas examiner les problèmes les uns derrière les autres sans cohérence, sans volonté de donner un contenu, un sens, une visibilité, un relief à l’organisation des territoires de la République.

Troisièmement, s’agissant de l’amendement lui-même, faut-il le voter, dès lors que l’on considère que cette lecture est nécessaire ?

Je répondrai à ces trois questions.

Premièrement, est-il économiquement pertinent de rassembler les régions ?

Si nous le faisons, c’est que nous le jugeons indispensable. Nous ne le faisons pas simplement pour faire une réforme, pour créer du vacarme dans les hémicycles et dans le pays en suscitant des oppositions. Nous le faisons parce que c’est nécessaire !

D’ailleurs, beaucoup d’excellentes choses ont déjà été accomplies en matière de coopération économique interrégionale par les précédents gouvernements, y compris par les gouvernements que vous souteniez, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition. Faut-il rappeler ce que les pôles de compétitivité, qui traversent les frontières des régions, ont apporté ?

Messieurs Philippe Bas et Jean-Claude Lenoir, dans notre propre région de Basse-Normandie, que le Gouvernement propose de réunir à la Haute-Normandie, des rapprochements ont été entrepris avec les Hauts-Normands en matière d’automobile, à travers le pôle Mov’eo, dans la filière équine et dans d’autres domaines.

D’autres régions ont développé des pôles de compétitivité. Dès lors qu’ils seront gérés par des régions rassemblées, ces pôles permettront de réaliser des investissements utiles et d’accompagner davantage les filières. Cela constitue-t-il, monsieur Longuet, une rupture par rapport à ce qui a déjà été fait ? Non ! Il s’agit d’un prolongement, d’un approfondissement. Grâce à des coopérations économiques intelligentes, qui ont été louées, il sera possible d’aller plus loin et de créer les conditions d’une unité de pilotage et de coordination de l’action économique, ce qui donnera de la force aux régions. Je pourrais prendre d’autres exemples et évoquer les investissements dans les infrastructures.

Ensuite, l’objectif étant celui que je viens de dire, le découpage des régions que nous proposons est-il le bon ? L’examen de l’article 1er sera l’occasion de débattre de cette question.

Si nous proposons de rassembler des régions, c’est parce que nous pensons que c’est pertinent d’un point de vue économique. En outre, comme je l’ai déjà dit hier, ces rassemblements rendront possibles des mutualisations, lesquelles permettront de dégager des marges de manœuvre et d’investir dans l’économie. Dans un contexte où l’argent public est rare, c’est une nécessité.

On peut discuter à l’infini de l’opportunité de constituer ou non de grandes régions. Je ne veux pas rouvrir ce débat, il a eu lieu hier. Sur toutes les travées, il y a d’ailleurs eu des parlementaires pour considérer qu’il fallait rassembler les régions.

Nous prenons donc le risque de le faire pour les raisons économiques que je viens d’indiquer. À cet égard, je précise, à l’intention de Gérard Longuet, que nous ne le faisons pas à pouvoirs des régions inchangés.

Je rappelle en effet que le Gouvernement a déposé un projet de loi, que vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, sur la répartition des compétences. Ce texte a été adopté en conseil des ministres, et il est sur le bureau du Sénat depuis le 18 juin dernier.

Ce projet de loi s’inscrit dans le droit fil de la loi du 13 août 2004, monsieur Raffarin. Il permet aux régions de faire des schémas d’aménagement du territoire et de développement économique prescriptifs. Il prévoit également que la région aura toutes les compétences économiques infrarégionales, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Il prolonge donc l’ambition que vous avez portée, monsieur Raffarin, lorsque vous avez clarifié les compétences des régions dans la loi du 13 août 2004.

Le texte relatif à la répartition des compétences entre les départements et les régions prévoit enfin qu’un pouvoir normatif d’adaptation réglementaire pourra être confié aux régions dans le domaine du développement économique.

Je réponds le plus précisément et le plus scrupuleusement possible à Gérard Longuet : nous nous inscrivons dans une démarche de continuité. Ce que nous voulons, c’est donner une plus grande force économique aux régions, et ce en leur donnant des pouvoirs nouveaux, dans l’esprit de la décentralisation, en poussant plus loin la logique de la loi du 13 août 2004 présentée par Jean-Pierre Raffarin.

Je tenais à faire cette réponse, car elle est importante pour la clarté du débat.

Deuxièmement, avançons-nous à l’aveugle ? Ne faudrait-il pas, dès lors que nous commençons par le découpage, que l’amendement n° 47 soit adopté afin d’avoir une vision globale de ce que doit être l’organisation territoriale de la République ?

Cette vision globale – mais peut-être n’ai-je pas été assez clair ? –, je vous en ai fait part hier dans mon propos. Nous n’avançons pas à l’aveugle, mesdames, messieurs les sénateurs : le texte établissant la répartition des compétences a été examiné en conseil des ministres, vous en avez pris connaissance, vous n’ignorez pas son contenu et nos intentions.

Permettez-moi cependant de rappeler quelles sont nos intentions. Nous voulons des intercommunalités plus fortes, dans un pays où l’émiettement intercommunal est puissant. Nous souhaitons parachever l’organisation territoriale et la moderniser, dans la continuité de ce qui a déjà été engagé. Nous voulons une administration déconcentrée de l’État plus puissante, non pas pour remettre en cause la décentralisation, mais afin qu’il y ait un transfert entre l’État central et l’État déconcentré, pour donner plus de force à l’administration déconcentrée, au plus près du terrain. Nous voulons une nouvelle carte régionale et une répartition des compétences clarifiée entre les départements et les régions.

Nous avons donc dit ce que nous voulions faire. Nous ne disons pas au Sénat : « Prenez cette carte, nous vous dirons ce qui va se passer après. »

Depuis hier, je dis au Sénat : « Voici quelle organisation nous voulons pour la République, voici l’organisation de ses territoires. » Nous jouons cartes sur table, nous disons quel est le chemin. Nous comprenons qu’il soit contesté, mais vous ne pouvez pas dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Sénat, l’Assemblée nationale et le pays ne sont pas informés de l’organisation républicaine cohérente, globale, que nous souhaitons pour nos territoires. Je réponds, disant cela, à la préoccupation très légitime exprimée par Jean-Pierre Raffarin et par d’autres orateurs.

Troisièmement, l’amendement n° 47, dès lors qu’il s’inscrit dans cette perspective, pourrait être adopté s’il ne posait deux problèmes.

Le premier problème, c’est qu’il est dénué de portée normative. Or il est souhaitable qu’une assemblée comme le Sénat, qui produit du droit, n’introduise pas dans la loi, si l’on veut que celle-ci ait un sens, des dispositions n’ayant aucune conséquence ni portée normative. Si nous faisions cela, indépendamment de l’intérêt de l’amendement, nous créerions des textes peu précis, dont l’orientation pourrait parfois être aléatoire. Un projet de loi est d’autant plus fort qu’il a du sens et qu’il produit des normes précises et succinctes.

Le second problème, c’est que le dernier alinéa de l’amendement tend à prévoir l’inverse de ce que nous faisons. Nombreux sont ceux d’entre vous qui considèrent qu’il aurait fallu commencer par la répartition des compétences et terminer par la carte.

Vous avez vous-même expliqué tout à l’heure, monsieur Grosdidier, que, lorsqu’il s’est agi du conseiller territorial, la précédente majorité s’est vu reprocher d’avoir commencé par une loi électorale et par la carte avant de se préoccuper des compétences. Je pourrais plaider pendant dix minutes l’intérêt de commencer à travailler sur la carte avant de réfléchir sur les compétences, en étant tout aussi pertinent que vous l’êtes lorsque vous défendez le contraire. C’est un débat sans fin !

Ce débat aurait un intérêt si vous ne saviez pas où nous allons. Or vous le savez. Je viens de le redire à l’instant.

Essayons donc de donner au présent texte un caractère normatif. Évitons les amendements politiques, surtout s’ils visent à reprendre les intentions du Gouvernement, qui a clarifié sa copie sur ces sujets.

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