Monsieur le ministre de l’intérieur, hier, vous avez reproché à la Haute Assemblée son conservatisme et l’avez accusée de faire le jeu du Front national, parce qu’elle refusait votre réforme dans ces conditions. Ce ne sont pas les médias, mais bel et bien M. le ministre qui a tenu de tels propos.
Si vous aviez voulu vous inscrire dans une certaine continuité institutionnelle, rien ne vous empêchait de modifier, sans l’abroger, la précédente réforme territoriale. Rien ne vous interdisait d’aller plus loin dans la clarification des compétences et de proposer, si nécessaire, de fusionner certaines régions, bien au contraire.
Nous demander aujourd’hui de décider de la fusion d’office de régions constituant parfois d’immenses territoires sans savoir si les départements existeront encore, sans savoir si c’est depuis Amiens que sera décidé l’entretien des collèges ou organisé le ramassage scolaire sur le plateau de Langres, ce n’est pas sérieux !
Même si nous pouvons tous être tentés de redessiner une carte qui est plus qu’imparfaite, et qui risque d’être imposée, nous n’avons aucune envie d’engager un tel exercice dans d’aussi mauvaises conditions, alors que vous nous faites par ailleurs la promesse, que nous espérons voir tenue, dans quelques semaines ou dans quelques mois, de discuter d’une clarification des compétences pour l’avenir.
À ce moment-là, nous saurons au moins si ces régions seront dessinées pour gérer des grandes compétences transférées par l’État, par exemple l’université ou les pôles de productivité, ou si ces collectivités vont être appelées à exercer des compétences de proximité assurées actuellement par des départements dont vous n’êtes pas capable de nous dire aujourd’hui s’ils existeront encore demain ou si ce sont les communautés de communes, dont on ne sait pas si la population minimale sera portée à 20 000 ou restera à 10 000 ou 5 000 habitants, qui les remplaceront. Nous sommes dans le flou le plus total.
Aussi, il me semble très injuste de faire au Sénat le reproche du conservatisme – qui a été votre position dans les années précédentes –, alors qu’il a fait tout le contraire, et, plus encore, de lui reprocher de faire le jeu du Front national.
Vous avez déjà commencé à tuer la proximité en vidant les communes de leur substance. En effet, demain, les maires vont être obligés de signer des permis de construire sur la base de plans locaux d’urbanisme qu’ils désapprouveront et qui n’auront pas été adoptés par la commune. Vous déracinez également les conseillers généraux. En somme, vous vous attaquez aux rocs de la démocratie locale, qui sont les plus résistants aux courants populistes et extrémistes.
En éloignant le pouvoir territorial des citoyens et en dessinant des grandes régions désincarnées, vous risquez, au contraire, de faire le lit de l’extrémisme.
Vous avez, hélas, fermé la porte qui vous était proposée par Jean-Pierre Raffarin et par Philippe Bas. Vous n’avez pas retenu leur méthode, qui aurait consisté à discuter d’abord dans les territoires, l’État décidant en fin de compte si aucun accord local ne pouvait être trouvé.
Cette façon de faire, utilisée pour l’intercommunalité, mais que vous jugiez déjà trop autoritaire, vous n’en voulez même pas, et vous préférez l’oukase de la loi, de surcroît en nous accordant un délai d’un week-end pour réunir la commission spéciale.