C'est la seconde fois depuis 1996 que le Parlement examine une loi de financement rectificative. Il l'avait fait une première fois en 2011. A la différence des lois de financement initiales, un projet rectificatif ne comporte que deux parties, recettes et dépenses, et non quatre. Il contient des articles obligatoires, dont l'article liminaire sur le solde des administrations publiques, la révision des prévisions de recettes et le tableau d'équilibre ainsi que la révision des objectifs de dépenses des différentes branches. L'Assemblée nationale a complété les seize articles initiaux par cinq articles additionnels.
Ce texte ne saurait être considéré isolément : les dépenses de sécurité sociale représentant 44 % des dépenses publiques, elles font partie intégrante de la stratégie globale de redressement de notre économie. Ce texte intervient alors que la croissance est atone, le chômage dramatiquement élevé et les comptes publics structurellement déséquilibrés.
Le projet de loi traduit les engagements pris par le Président de la République dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité. Le mot d'ordre est la confiance : travailler ensemble, conjuguer les efforts pour trouver un nouvel élan et redonner des perspectives à notre économie et à notre société. Je suis frappé par la morosité, et même par le fatalisme un peu complaisant que je constate souvent.
Huit millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté. Cela pèse sur l'avenir des jeunes et des enfants, et sur notre cohésion sociale. Soutenir le pouvoir d'achat, développer l'emploi, c'est lutter contre cette tendance. La consommation des ménages sera soutenue par l'engagement de ne plus augmenter les prélèvements des classes moyennes, de contribuer au pouvoir d'achat des bas salaires et d'accroître la solidarité envers les plus fragiles. Les minima sociaux ne sont pas concernés par le gel de prestations : dans le cadre du plan pauvreté, l'allocation de soutien familial et le complément familial ont été revalorisés le 1er avril, comme l'allocation de rentrée scolaire en 2012. Les prestations familiales sont recentrées sur les plus modestes et sur les familles monoparentales. Le coup de pouce aux prestations relevant du minimum vieillesse est maintenu. Le RSA sera, comme en 2013, revalorisé de 2 % au 1er septembre prochain, avec l'objectif de l'augmenter de 10 % sur 5 ans. Le plafond de ressources de la couverture maladie universelle complémentaire a été revalorisé le 1er juillet 2013 pour inclure 300 000 nouveaux bénéficiaires, de même que celui de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé, pour 250 000 bénéficiaires supplémentaires. L'effort envers les plus fragiles n'est pas seulement préservé, il est accru.
L'article 1er introduit via la baisse des cotisations salariales une progressivité des prélèvements salariaux et redonne du salaire net aux salariés et aux fonctionnaires dont le revenu est proche du Smic. Il prévoit une exonération de cotisations salariales pour les salaires entre 1 et 1,3 Smic, soit un supplément net d'au moins 520 euros par an. Cet effort de 2,5 milliards d'euros en faveur du pouvoir d'achat se combine avec l'aménagement du barème de l'impôt sur le revenu dans le collectif budgétaire.
Le pacte soutient l'investissement des entreprises et améliore leur compétitivité à l'exportation grâce à une amplification de la réduction dégressive des cotisations patronales sur les salaires entre 1 et 1,6 Smic, afin de parvenir à un « zéro charges Urssaf » sur le salaire minimum au 1er janvier 2015. Le pacte instaure également un taux réduit de cotisations familiales sur les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic. Il prévoit enfin de réduire les cotisations familiales sur les bas revenus des travailleurs indépendants. S'y ajoutera à partir de 2016 l'extension du taux réduit de cotisations familiales à l'ensemble des salaires inférieurs à 3,5 Smic. L'allègement des charges des entreprises passe aussi par la suppression progressive, d'ici à 2017, de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), une première étape étant franchie en 2015 avec un abattement d'assiette à hauteur de 3,25 millions d'euros de chiffre d'affaires. Au total, les articles 2 et 3 représentent un effort de 6,5 milliards d'euros en 2015.
A cet article 2, je vous proposerai un amendement relatif aux particuliers employeurs. Ce régime a été réformé : l'abattement de 15 points sur les cotisations patronales a été supprimé le 1er janvier 2012, puis le forfait au 1er janvier 2013, cette seconde mesure représentant une hausse de cotisations de 12 % pour les ménages concernés. La réduction de cotisations de 75 centimes par heure déclarée n'a pas suffi à enrayer la chute du nombre d'heures déclarées, qui a baissé de 7 % en 2013, soit une perte de 16 000 équivalents temps plein, faisant suite à une première baisse de 12 000 ETP en 2012. La suppression du forfait améliorait les droits sociaux des intéressés, c'était une bonne mesure mais, cumulée aux précédentes, elle s'est traduite, sinon par une perte d'emplois, du moins par une perte d'emplois déclarés ou une sous-déclaration des heures. Ce secteur se caractérise par une élasticité très forte entre le coût de l'emploi et sa déclaration - le régime avait, du reste, été conçu pour favoriser l'emploi déclaré.
Le montant de la réduction de cotisations est fixé par décret. Le Gouvernement avait fait des annonces mais elles ne sont pas encore concrétisées. Je vous proposerai donc de doubler le montant de la réduction, pour la porter à 1,5 euro dès le 1er septembre prochain, afin de reconquérir de l'emploi déclaré - donc des cotisations - pour un coût que j'estime à 120 millions d'euros en année pleine. L'application dès la rentrée scolaire enverrait un signal aux ménages avant la réception de leur avis d'imposition...
L'Assemblée nationale a inclus dans la négociation annuelle de branche un suivi de l'impact, sur l'emploi et sur les salaires, de tous les avantages fiscaux et sociaux dont bénéficient les entreprises. Elle a confirmé le principe de l'autonomie de gestion du régime social des indépendants (RSI) afin de garantir que l'intégration financière de ses branches à la Cnam et à la Cnav se passe dans les meilleures conditions d'indépendance de gestion, comme cela a été le cas pour la Mutualité sociale agricole. Elle a souhaité sortir dès 2015 l'ensemble des coopératives agricoles du champ de la C3S. A l'initiative de sa commission des finances, l'Assemblée a demandé un rapport sur les conséquences pour le RSI de la suppression de la C3S et de l'intégration des indépendants au régime général. Je vous proposerai d'en retravailler l'intitulé : les conséquences financières ne pèseront pas, dans la configuration retenue, sur le RSI mais bien sur le régime général, et il s'agit nullement d'intégrer les indépendants au régime général mais d'intégrer financièrement les différentes branches du RSI avec celles du régime général.
L'Assemblée nationale a enfin réaffirmé le principe de compensation financière à la sécurité sociale des pertes de recettes induites par ce projet de loi : cette compensation annuelle, qui interviendra dès 2015, est garantie par le code de la sécurité sociale. C'est donc sur le budget de l'Etat qu'elle pèsera.
Quant à la trajectoire de redressement des finances publiques, le pacte prévoit une réduction ambitieuse de notre déficit, avec un plan d'économies de 50 milliards d'euros. J'insiste sur ce point, il ne s'agit pas de 50 milliards d'économies sur nos dépenses actuelles, mais de 50 milliards de moins que l'évolution spontanée de la dépense. Si nous restions sur la même trajectoire tendancielle, nous dépenserions 120 milliards de plus sur les trois prochaines années. Le pacte de responsabilité consiste à ne dépenser « que » 70 milliards supplémentaires.
Notre système de protection sociale prendra sa part, soit 21 milliards d'euros, à hauteur de son poids dans les dépenses publiques. L'augmentation de la dépense n'est pas une garantie de qualité du service rendu : il s'agit de réformer sans le dégrader, afin de préserver la pérennité de notre système. Il n'est ni juste ni solidaire de reporter sur les générations à venir le poids de nos remboursements de médicaments, de nos séjours hospitaliers ou de nos indemnités journalières.
L'avenir du système dépend du redressement de ses équilibres financiers. La loi de programmation en cours prévoyait le retour à l'équilibre des comptes sociaux, toutes administrations de sécurité sociale confondues, en 2014. Nous avons consenti pour cela un effort de maîtrise des dépenses et de remise à niveau des recettes. Or, si les objectifs de dépenses ont été tenus, notamment l'Ondam, pour la quatrième année consécutive, les recettes, en raison d'une croissance faible, n'ont pas été au rendez-vous et les déficits sociaux s'élèveront cette année à 12,5 milliards d'euros.
Le projet de loi dégrade par conséquent la prévision de solde des régimes obligatoires de base, 10,1 milliards d'euros contre 9,8 prévus en loi de financement initiale. Ce solde résulte de 1,7 milliard d'euros de moindres recettes et 1,4 milliard de moindres dépenses, essentiellement en raison du rebasage de l'Ondam. En dépit de ces ajustements, les dépenses des régimes obligatoires de base devraient progresser de 7,8 milliards d'euros entre 2013 et 2014. Il n'y a pas de baisse des dépenses, mais une progression moins dynamique que prévu.
Le texte contient des mesures destinées à corriger l'équilibre des comptes sociaux, telles que la rectification du montant de l'Ondam. La rédaction initiale de l'article 9 prévoyait le gel des pensions de retraite de base et de l'allocation de logement familiale, qui devaient être revalorisées au 1er octobre prochain. L'Assemblée nationale a supprimé le gel de l'allocation de logement familiale, comme elle l'avait déjà fait pour l'aide personnalisée au logement et l'allocation de logement sociale lors de l'examen du collectif budgétaire. Elle a en revanche adopté le gel des pensions de base supérieures à 1 200 euros bruts par mois. Le montant des économies réalisées représenterait en année pleine près d'un milliard d'euros, soit en moyenne onze euros par mois et par retraité. Près de la moitié des retraités, soit 6,5 millions de personnes, ne seront pas concernés par ce gel, leur pension étant inférieure à 1 200 euros bruts par mois. C'était la moins mauvaise des solutions, par rapport à des coupes dans les prestations. Les 935 millions d'euros de gel des pensions en 2015 sont à comparer avec les 2,5 milliards de pouvoir d'achat rendus aux actifs les plus modestes. Une lecture complète implique de prendre en compte les mesures fiscales inscrites dans le collectif budgétaire en faveur des plus modestes.
J'en viens aux articles additionnels adoptés par l'Assemblée nationale. Issu d'un amendement du Gouvernement, l'article 9 bis élargit le champ de la recommandation temporaire d'utilisation (RTU) en autorisant l'usage de médicaments hors de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) dès lors qu'il n'existe pas de spécialité possédant la même substance active, le même dosage et la même forme pharmaceutique. Les articles 9 ter à 9 sexies comportent diverses mesures relatives aux complémentaires santé. Il s'agit notamment d'étendre l'aide à la complémentaire santé (ACS) aux contrats collectifs à adhésion facultative ; d'autoriser les bénéficiaires potentiels de l'ACS à résilier par anticipation leur contrat actuel au bénéfice d'un contrat éligible à l'ACS ; de préciser les critères d'éligibilité à l'ACS en excluant les contrats qui opéreraient une sélection sur l'âge des assurés ; enfin de moduler les plafonds de prise en charge des dépassements d'honoraires par les contrats complémentaires dits « responsables » en fonction de l'adhésion du médecin à un contrat d'accès aux soins, par lequel il s'engage à modérer ses dépassements (l'entrée en vigueur du nouveau dispositif étant reportée au 1er avril 2015).
Pour l'essentiel, les mesures inscrites dans ce texte sont connues et discutées depuis plus de six mois. Le temps est venu de les concrétiser et de les traduire dans le droit.