Pour se justifier, le patronat se réfugiait alors derrière la crise économique et une demande atone.
L’histoire se répète et, comme dans les années quatre-vingt, les victimes sont du côté des travailleurs.
La technique proposée ici, à savoir la réduction d’une partie des cotisations patronales, n’est pas nouvelle et, au regard de la courbe du chômage depuis vingt ans, force est de constater qu’elle n’a pas fait la preuve de son utilité –, tout du moins pour ce qui est de favoriser l’emploi et donc de relancer l’économie, objectifs dont se recommandent gouvernements et patrons. Cette politique a toutefois réussi à réduire considérablement la part du financement des employeurs à la sécurité sociale !
Contrairement au discours erroné du MEDEF en la matière, le coût du travail, et notamment du financement de la sécurité sociale, ne tend pas à croître. Le poids des cotisations sociales des employeurs dans la valeur ajoutée a en effet baissé : il s'établissait à 18, 2 % en 1992, mais à 16 % en 2006. Sans compter les 22 milliards d’euros d’exonérations de cotisations employeurs consenties chaque année, les 6 milliards d’euros du crédit impôt-recherche, les 6 milliards d’euros de baisse de la taxe professionnelle, les 20 milliards d’euros accordés au titre du CICE...
Et pour quels résultats, si ce n’est un tassement généralisé des salaires, une paupérisation grandissante des salariés et un chômage record, jamais atteint, même au plus fort de la crise économique ?
Parce qu’il reprend les dogmes du passé, critiqués par tous les observateurs sérieux, y compris la Cour des comptes, le pacte de responsabilité produira mécaniquement les mêmes effets.
Il conduira probablement les employeurs à continuer à verser aux travailleurs des salaires de misère afin de conserver le bénéfice des exonérations de cotisations sociales, et participera même à détruire des emplois qualifiés et rémunérateurs.
À l’occasion de la discussion du projet de loi de finances rectificative, la rapporteure générale à l’Assemblée nationale explique même, ce que confirme une étude des services de Bercy, que le pacte de responsabilité aura un effet récessif qui se traduira par la suppression de 60 000 emplois, ni plus ni moins ! Or, 60 000 emplois en moins, ce sont autant de salariés privés d’emplois à indemniser et de prestations sociales à servir, en échange d’une réduction des recettes sociales de l’ordre de 8 milliards d’euros, rien que pour l’année 2015.
Là encore, nous disposons en la matière d’un recul suffisant pour bien voir que les mesures d’allégement, d’exonération ou de suppression de cotisations sociales sont, dans les faits, inefficaces pour réduire le chômage. Les Économistes atterrés ont récemment rendu public une analyse du pacte de responsabilité évaluant le rapport entre l’efficacité et le coût des allégements Fillon, qui inspirent le pacte de responsabilité.
Pour eux, « en rapportant ces dépenses au volume d’emplois créés ou sauvegardés, on peut estimer le coût annuel pour les finances publiques de chacun de ces emplois à près de 75 000 euros, un coût exorbitant pour des emplois souvent à bas salaire, de qualité incertaine, et mis à la disposition des entreprises privées ». Cette somme astronomique est à rapprocher du budget consacré aux contrats aidés. En 2010, ils ont coûté 5 milliards d’euros pour 520 000 contrats conclus, ce qui porte le coût du contrat pour la collectivité publique et les comptes sociaux à tout juste 10 000 euros.
On peut faire la même démonstration avec le CICE. L’Observatoire français des conjonctures économiques a estimé l’effet de ce dispositif sur cinq ans à 150 000 emplois créés pour un coût annuel estimé à 20 milliards d’euros à partir de 2014.
Alors que notre pays connaît une situation économique douloureuse et que chaque dépense est comptée au point même d’imposer des dispositions injustes et antisociales comme le gel des retraites, il nous semble, au groupe CRC, qu’aucune mesure ne doit être prise dès lors qu’elle fragilise la sécurité sociale, le seul outil qui sert encore d’amortisseur social.
À moins que l’emploi et la baisse du coût du travail ne servent en réalité à dissimuler le projet réel du MEDEF, validé par le Gouvernement, d’une suppression totale du financement de la branche famille par les cotisations sociales…
La satisfaction de cette exigence ancienne du patronat, qui voit dans la suppression de la branche famille de la sécurité sociale une première étape de l’explosion du système tout entier, est déjà en bonne voie. Les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls y auront contribué en réduisant par deux fois le taux des cotisations alimentant cette branche – une première fois à l’occasion de la réforme des retraites de 2013 et une seconde fois dans ce PLFRSS pour 2014.
Pour justifier cette rupture majeure avec les avancées contenues dans le programme du Conseil national de la Résistance, qui constitue notre pacte social, le patronat avance l’idée que les prestations familiales seraient sans lien avec le travail.
Cet argument a été entendu et même assimilé par Michel Sapin, puisque ce dernier affirmait, lorsqu’il était ministre du travail : « Le fait que vous ayez des enfants n’est pas en lien avec votre travail, donc il n’y a pas de raison que ce soit financé par les entreprises. Tout le monde bénéficie de la politique familiale […] le seul critère est d’avoir des enfants. Il n’y a pas de raison qu’elle soit financée principalement par le travail ».
Et pourtant, lorsque l’on se penche sur les mécanismes de compensations des allégements consentis aux employeurs sur la branche famille, on s’aperçoit qu’ils pèsent majoritairement sur les salariés et reposent sur des ressources qui sont précisément en lien avec le travail et les salaires. On y trouve la CSG – elle représente 18 % de ces ressources – tandis que, parmi les autres impôts et taxes affectés, la plus grosse ressource – pour près d’un tiers en 2010 – se trouve provenir de la taxe sur les salaires, c’est-à-dire une taxe qui porte sur le travail, mais qui est acquittée par les salariés !
Comme le soulignent les Économistes atterrés, avec cette taxe sur les salaires, « une taxe qui porte sur le travail se [substitue] donc à des cotisations sociales employeurs au motif affiché que les prestations familiales ne devraient pas être financées par des prélèvements portant sur le travail ».
Cette politique de substitution du financement des salariés au financement des employeurs s’accompagne, dans le même temps, d’une remise en cause des prestations servies par la branche famille. Je pense naturellement aux modifications que vous avez apportées au quotient familial et aux tentations de certains de remettre en cause l’universalité des prestations familiales, pilier de notre politique familiale.
Et ce qui se joue aujourd’hui avec la branche famille n’est que le préambule de ce qui se passera demain !
L’application totale du pacte de responsabilité, qui permettra aux employeurs de réduire leur participation au financement de la sécurité sociale, s’accompagne d’un corollaire : la réduction des dépenses sociales de plus de 11 milliards d’euros.
Cette réduction conduira de fait à des mécanismes d’exclusion et de renoncement aux soins. Nos concitoyens seront poussés à opter pour des mécanismes de type assurantiel et commercial venant se substituer à la sécurité sociale, tant sur la santé ou l’assurance chômage que les retraites. Enfin, cette réduction accroîtra les inégalités sociales, alors même que les mesures d’exonération de cotisations sociales conduiront à la généralisation des « trappes à bas salaires », donc de la précarité.
La voie dans laquelle le Gouvernement et le MEDEF veulent nous conduire avec l’adoption de ce PLFRSS pour 2014 pourrait bien être irréversible : elle acte la priorité donnée au capital sur l’humain et contre l’humain ; elle substitue à notre pacte social un pacte d’irresponsabilité.
C’est pour toutes ces raisons, et non pour couper court au débat ou pour l’éviter, que nous avons choisi, mes chers collègues, de déposer cette motion tendant à opposer la question préalable, que je vous invite à adopter.