Intervention de Jean-Jacques Filleul

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 16 juillet 2014 : 1ère réunion
Taxis et voitures de transport avec chauffeur — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Jacques FilleulJean-Jacques Filleul, rapporteur :

La loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, dite loi Novelli, a créé un nouveau régime de transport léger de personnes : les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Avec le développement massif de l'usage des smartphones, l'offre de VTC s'est rapidement accrue : en trois ans, de 2010 à 2013, le nombre d'immatriculations d'entreprises auprès d'Atout France a été multiplié par 4,6 pour s'élever en 2014 à 7 213. L'assouplissement réglementaire permet aujourd'hui de se lancer dans cette activité très facilement : la procédure d'immatriculation est purement déclarative, et les conditions peu exigeantes.

Grâce à la révolution numérique, ces nouvelles entreprises organisent les déplacements de leurs flottes de véhicules pour coller au plus près de la demande, vers la Côte d'Azur lors du festival de Cannes, par exemple. Leur multiplication répond à un décalage persistant, essentiellement en région parisienne, entre l'offre et la demande de transports particuliers. En pratique, il suffit aujourd'hui au consommateur d'installer l'application d'une entreprise de VTC sur son téléphone pour s'assurer de la disponibilité d'une voiture, la réserver et payer sa course en ligne, par carte bancaire. Cela les a placés sur le marché du grand public.

Au-delà du développement de cette nouvelle offre concurrentielle qui met en cause son avenir, la profession de taxi doit aujourd'hui s'adapter à une demande qui évolue et à une société qui se modernise. Si le monopole des taxis sur la maraude se justifie encore, il est indispensable d'améliorer la mise en relation entre l'offre et la demande et de faire prendre aux taxis le virage numérique. En outre, l'accès à la profession doit être facilité et assaini et le statut des chauffeurs de taxis mieux protégé.

Le Gouvernement n'est pas resté inactif : il a pris deux décrets, en juillet et en décembre 2013, précisant les conditions d'exploitation des VTC, clarifiant les modalités de justification de la réservation préalable et renforçant les conditions d'accès à la profession de conducteur de VTC. Mais le 4 février 2014, le Conseil d'État a suspendu en référé le décret du 27 décembre 2013 qui avait notamment fixé un délai minimum de quinze minutes entre la réservation préalable et la prise en charge du client, au motif qu'il n'était pas justifié au regard du principe de liberté du commerce et de l'industrie. Cette décision a provoqué diverses actions des chauffeurs de taxi à Paris et dans plusieurs villes de province. Le 11 juin dernier encore, les taxis ont fait grève dans plusieurs capitales européennes, pour protester en particulier contre la société américaine Uber, qui met en relation, via une application smartphone, les véhicules avec chauffeur et les clients et qui leur permet de les géolocaliser.

En février 2014, après les manifestations des taxis, le Gouvernement a confié au député Thomas Thévenoud une mission de concertation. Son rapport, de qualité, a été remis le 24 avril 2014. Il comporte 30 propositions. Certaines sont de nature réglementaire et doivent être mises en oeuvre rapidement, comme la réservation d'une voie d'accès aux taxis et aux bus sur l'A1, annoncée par la région Ile-de-France pour 2015, ou encore l'instauration d'un forfait aéroport entre Paris et Roissy, annoncé aussi pour 2015 par le ministre des affaires étrangères, en charge du tourisme.

Le rapport propose également un certain nombre de modifications législatives, dont cette proposition de loi, déposée le 18 juin à l'Assemblée nationale et adoptée à la quasi-unanimité le 10 juillet, est la traduction. Les délais sont courts, mais elle fait suite à une longue concertation, menée par Thomas Thévenoud, qui a effectué plus de 50 auditions, piloté huit groupes de travail : 170 heures d'écoute au total, plus de 120 personnes rencontrées et 364 contributions analysées.

Le fil rouge de cette proposition de loi, en droite ligne avec le rapport, se résume en deux mots : équilibre et modernisation. Elle conserve ce qui fonde la distinction entre taxis et VTC : le régime de la maraude - la possibilité de circuler et stationner sur la voie publique à la recherche du client et d'être hélé. Elle la renforce même : le monopole des taxis est étendu à la maraude dite électronique. Les VTC auront toujours le droit d'utiliser la géolocalisation mais les clients ne pourront plus « héler électroniquement » un véhicule.

La première partie de la proposition de loi, avec les cinq premiers articles, modernise le secteur des taxis en lui donnant les armes nécessaires pour s'adapter à la révolution numérique et au développement des VTC. L'article premier institue la plus grande innovation de ce texte, en créant un registre de disponibilité des taxis, un véritable open data taxi, géré par Etalab. Des éditeurs pourront ainsi développer des applications, notamment pour les smartphones, à partir de données collectées auprès des autorités délivrant les licences et des taxis qui auront la possibilité - et non l'obligation - de transmettre leurs informations de disponibilité et de localisation. Avec l'article 2, les autorités qui délivrent les autorisations de stationnement, c'est-à-dire les licences, pourront définir des dispositifs d'identification, comme la couleur du véhicule ou une marque comme la tour Eiffel, spécifiques au territoire ou à la zone urbaine concernée. L'article 3 réforme le statut des quelques 7 000 locataires taxis de Paris employés, pour un grand nombre d'entre eux, par les compagnies et les coopératives, statut sui generis insatisfaisant et précaire qui leur fait payer tous les mois une redevance pour la location, l'entretien du véhicule et les charges sociales, jusqu'à 4 500 euros parfois : les nouvelles licences ne pourront plus être exploitées par le système de la location ; les licences déjà délivrées seront transformées en location-gérance selon le statut prévu par le code de commerce, qui le rapproche de celui d'artisan. L'article 4 rend toutes les licences délivrées après la promulgation de la loi incessibles et crée pour les autres une obligation de quinze ans d'exploitation pour la première cession à titre onéreux et de cinq ans pour les suivantes. Il assainit aussi un système d'inscription sur les listes d'attente dévoyé et qui créait des injustices : il faudra justifier de deux ans d'activité dans les cinq ans pour obtenir une licence et être inscrit sur une seule liste d'attente. L'article 5 interdit le cumul, pour un même conducteur, des activités de taxi et de VTC.

La deuxième partie encadre, par cinq articles, l'activité émergente des VTC, non pour pénaliser cette profession créatrice d'emplois, mais pour rétablir une certaine égalité des armes dans sa concurrence avec les taxis. L'article 6 redonne la main aux pouvoirs publics sur l'immatriculation des VTC, supprimant la procédure actuelle et confiant à un décret la tâche de préciser l'échelon le plus adapté pour mieux les contrôler. L'article 7 supprime les dispositions du code du tourisme et crée un nouveau chapitre dans le code des transports : les intermédiaires, comme Uber ou LeCab, sont responsabilisés ; le prix, normalement déterminé forfaitairement lors de la réservation, pourra être calculé en partie en fonction de la durée de la course mais pas de la distance, ce mode de tarification restant un monopole des taxis ; les véhicules devront remplir des conditions techniques et de confort, les conducteurs devront disposer d'une carte professionnelle et les entreprises devront justifier de capacités financières.

L'article 8 introduit dans le code des transports des dispositions communes à tous les modes de transport routier léger de personnes : taxis, VTC, véhicules motorisés à deux ou trois roues ou véhicules de transport léger de groupe. C'est significatif : il ne s'agit pas de pénaliser les uns ou les autres. Cet article sanctionne en particulier la maraude illicite et impose de détenir une assurance responsabilité civile professionnelle. L'article 9 crée l'arsenal de sanctions administratives et pénales correspondant au nouveau régime juridique des VTC. L'article 10 renforce les contrôles et les sanctions applicables aux faux taxis, visant en particulier le dispositif Uber POP. Présenté comme du covoiturage, celui-ci s'apparente plutôt à une activité de taxi clandestin puisque le chauffeur, qui est un particulier, tire une rémunération de sa course. Une procédure judiciaire est actuellement en cours. Le parquet a requis mercredi dernier une amende de 100 000 euros contre la société Uber. Le délibéré a été fixé au 16 octobre prochain. Enfin, l'article 11 habilite les agents de la DGCCRF et de l'Autorité de la concurrence à contrôler les manquements au dispositif introduit par la proposition de loi.

L'Assemblée nationale a apporté au texte initial des modifications, dont la plupart sont rédactionnelles. D'autres sont significatives et vont toujours dans le sens du dosage le plus pertinent entre les deux versants du texte : un article additionnel généralise les terminaux de paiement par carte bancaire dans tous les taxis ; une dérogation à la fin du système de la location-taxi est prévue pour les Scop, et l'application en est repoussée à 2017 ; le critère des deux ans d'activité pour se voir délivrer une licence ne sera plus obligatoire mais donnera une priorité ; un amendement du rapporteur impose aux VTC de rentrer à leur siège social ou de stationner dans un parking - la base arrière - une fois leur course terminée, dans l'attente d'une prochaine réservation, pour qu'ils ne pratiquent pas la maraude - les syndicats et les compagnies de taxi, qui réclament cette mesure, en font un casus belli ; depuis le vote du texte, les VTC se sont certes faits entendre, mais leur activité ne sera pas trop perturbée ; une dérogation aux caractéristiques techniques imposées aux VTC a été intégrée pour les véhicules propres, hybrides ou électriques - rapporteur de la proposition de loi relative au réseau de bornes de recharge pour les véhicules électriques, je ne peux que m'en féliciter ; un amendement du Gouvernement a supprimé le régime des véhicules de petite remise, un archaïsme qui n'existait plus ; un article additionnel impose les mêmes obligations que pour les VTC à ce qu'on appelle improprement les « moto-taxis », c'est-à-dire le transport de personnes par véhicule motorisé à deux ou trois roues.

Nous sommes aujourd'hui contraints par le temps : suite à la décision du Gouvernement du 13 février 2014, les réunions de la commission d'immatriculation d'Atout France ont été suspendues pour une période de deux mois. Nous devons donc légiférer pour pouvoir enclencher le dégel progressif des immatriculations. C'est une attente légitime des VTC, secteur riche en emplois et essentiel pour l'attractivité et la croissance de notre pays.

Face à cela, nous avons le travail extrêmement minutieux et exhaustif de notre collègue de l'Assemblée, jusqu'en séance, où l'ensemble des bancs politiques ont apporté leur contribution. J'ai pris le temps d'analyser attentivement les équilibres proposés par ce texte. J'ai rencontré tous les acteurs, organisé quatre tables rondes, entendu plus de quarante personnes, certaines plusieurs fois. C'était nécessaire, compte tenu de l'extrême éclatement des représentants de ces professions.

Nous devons prendre nos responsabilités ; je prends les miennes : ce texte a atteint un point d'équilibre, traduction fidèle d'un rapport dont l'équilibre a été reconnu par l'ensemble de la profession et que les avancées de l'Assemblée nationale ont conservé. Ce n'est pas mon habitude mais je vous proposerai d'adopter ce texte en l'état.

Bien sûr, il serait possible d'apporter davantage de satisfaction aux uns ou aux autres : mais c'est un texte de compromis que nous avons à examiner aujourd'hui, et, par définition, il ne peut contenter parfaitement tout le monde. Nous ne pouvons reporter cette nécessaire réforme et nous devons dépasser les oppositions binaires. Ce texte, ce n'est pas les taxis contre les VTC, ou l'inverse. C'est donner des règles du jeu stables et équitables pour l'ensemble des acteurs d'un secteur de grand avenir, tant au niveau des transports du quotidien que du tourisme, et avec des perspectives d'emploi très importantes.

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