Intervention de Francis Delattre

Réunion du 17 juillet 2014 à 15h10
Sécurisation des contrats de prêts structurés — Adoption définitive en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Francis DelattreFrancis Delattre :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le présent projet de loi de validation rétroactive, qui nous revient en deuxième lecture, a pour objet de sécuriser juridiquement les emprunts structurés dits « toxiques », octroyés par certaines banques et aujourd’hui contestés devant les tribunaux par plusieurs collectivités territoriales, essentiellement pour défaut de mention du TEG, le taux effectif global, mention pourtant obligatoire, ou d’erreur dans son calcul.

Cette validation juridique devrait mettre fin – nous l’espérons ! – aux centaines de contentieux en cours, qui, selon une jurisprudence récente, vont aboutir, à la suite du vice de forme né de l’absence de notification ou de l’erreur de calcul évoquées, à la condamnation des établissements bancaires ayant souscrit ces emprunts, ce qui impactera fortement les finances de l’État, lequel est actionnaire de ces établissements à hauteur de plusieurs milliards d’euros.

Cette validation juridique avait déjà été proposée dans le projet de loi de finances pour 2014, mais avait été censurée par le Conseil constitutionnel. Le Gouvernement revient donc avec une nouvelle copie, présentée comme juridiquement plus solide.

Rappelons que toutes les banques ne sont pas concernées, car toutes n’ont pas distribué d’emprunts structurés qui se sont révélés « toxiques ». Il s’est agi essentiellement de Dexia, dont l’État est actionnaire à 44 %.

Dexia, en faillite, a été remplacé par la Société de financement local, nouvelle entité chargée du financement des collectivités locales, détenue à 75 % par l’État, 20 % par la Caisse des dépôts et consignations et 5 % par la Banque postale.

Le stock d’emprunts toxiques a donc été repris partiellement par la SFIL, qui a hérité d’un portefeuille de 90 milliards d’euros de prêts déjà consentis à des collectivités, dont 9, 4 milliards d’euros considérés comme « sensibles », concernant environ un millier de collectivités.

Les contentieux juridiques qui se multiplient pourraient donc avoir pour conséquence une nécessaire recapitalisation par l’État de la Société de financement local, voire sa mise en extinction.

Ainsi, faute de validation de l’absence de TEG et de l’absence de taux de période et/ou de durée de période, le risque financier maximum, direct et indirect, pour l’État peut être estimé à 17 milliards d’euros, dont 9 milliards d’euros se matérialiseraient dès la fin de cette année ou au début de 2015.

Selon le Gouvernement, l’ampleur des montants en jeu représente donc un risque systémique pour la Société de financement local, qui est appelée à devenir un acteur important du financement du secteur public local, avec une part de marché supérieure à 20 %, et, par conséquent, un risque de perturbation du financement des collectivités locales et de l’ensemble de l’économie française.

Toujours selon le Gouvernement, la loi de validation se justifie par le fait que l’absence de mention du TEG a une pertinence très limitée dans le cas des prêts structurés – ils sont effectivement, par essence, volatils –, notamment dans le cas des prêts consentis aux personnes morales de droit public, dans la mesure où, contrairement aux prêts à taux fixe, ils n’ont pas de valeur informative quant au taux réel qui sera appliqué.

Même sans notification du TEG, l’emprunteur disposait, selon le Gouvernement, de toutes les informations lui permettant de prendre une décision éclairée : montant ou mode de détermination des échéances de remboursement du prêt en principal et intérêts, périodicité et nombre de ces échéances ou durée du prêt.

En vérité, sur ce dossier, si ce n’est pas l’État qui paye la note au travers de la recapitalisation de la SFIL, ce seront les collectivités qui devront verser des surcoûts bancaires indécents, à hauteur de plusieurs milliards d’euros.

Contribuable national ou contribuable local, au final, ce sont les Français qui devront assumer financièrement ces égarements, dont il faut reconnaître qu’ils sont la responsabilité partagée de tous les pouvoirs publics dans leur ensemble depuis dix ans. Malgré tous les contrôleurs ou dispositifs de contrôle dont notre pays dispose – Cour des comptes, chambres régionales des comptes, Trésor, contrôle de légalité, personne ne s’est vraiment inquiété de la nature réelle des emprunts et des dangers encourus par les collectivités locales avec ces produits structurés dont elles n’étaient pas capables techniquement d’évaluer les risques.

Ces collectivités, aujourd'hui aux prises avec ces emprunts toxiques et des frais financiers qui s’envolent, n’ont en réalité d’autre choix que d’augmenter leur fiscalité ou de réduire fortement, avec un effet récessif, leurs investissements.

On aurait pu penser, au nom de la décentralisation et de l’autonomie financière des collectivités locales, que les élus qui ont manqué de discernement ou de prudence devaient être responsables de leurs actes. Or la situation dure depuis parfois deux mandatures, et aujourd'hui, même si les équipes ont changé, les emprunts toxiques figurent toujours dans les comptes et constituent un grave handicap pour la gestion de nombreuses collectivités. Je pense en particulier aux petites communes qui, par manque de capacités d’expertise devant ces produits financiers complexes, ont pu être bernées par les établissements financiers. Nous en connaissons tous ici des exemples.

Quand on étudie les documents commerciaux proposés à l’époque par Dexia, la prise de risque n’est jamais mentionnée, l’adossement à la parité euro-franc suisse étant présenté comme une valeur sûre et les économies garanties sur les taux d’intérêt.

La situation est donc complexe, car, s’il est possible que des défauts de conseil soient imputables à certaines banques, les procédures contentieuses ne devraient alors pas être entravées, particulièrement dans un domaine qui doit obéir à la loi des parties, puisqu’il s’agit de contrats entre les collectivités et leurs prêteurs.

Au surplus, monsieur le secrétaire d'État, le fonds de soutien de 1, 5 milliard d’euros sur dix ans, mis en place par la loi de finances pour 2014 afin de favoriser le règlement des contentieux, apparaît aujourd'hui insuffisant pour répondre aux besoins recensés.

En effet, en décembre 2011, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux évaluait à 22 milliards d’euros l’encours de la dette liée à ces produits et à 18 milliards d’euros le volume total des produits structurés les plus toxiques.

Aussi, la renonciation à toute procédure contentieuse ne va pas forcément dans l’intérêt des contribuables des nombreuses collectivités concernées, lesquelles devront s’abstenir de tout recours en justice et se désengager des procès en cours, pour une aide indéterminée et dans son principe et dans sa durée. La loi de finances pour 2014 prévoit, en effet, que le montant de l’aide sera décidé conjointement par vous, monsieur le secrétaire d'État, et par le ministre chargé des collectivités territoriales. Mais vos décisions n’interviennent qu’une fois l’accord conclu avec l’établissement de crédit.

En fait, ce procédé s’inspire d’une technique bien connue : celle de la carotte et du bâton !

Les collectivités concernées ont jusqu’au 15 mars 2015 pour déposer leur demande d’aide, mais aucune n’est assurée de pouvoir en bénéficier, les modalités d’éligibilité au fonds n’étant, à notre connaissance, pas bien précisées – en tout état de cause, elles ne figurent pas dans la loi. Par ailleurs, le délai est court : certains produits structurés peuvent se révéler toxiques bien plus tard, puisque les taux sont indexés sur différentes variables de marchés complexes et, même, parfois, exotiques.

En résumé, nous avons le choix entre deux options.

Soit nous rejetons le présent projet de loi de validation, avec ces incertitudes. Nous laissons alors les centaines de procès en cours aboutir et nous faisons payer les banques qui ont pu abuser certaines collectivités, aujourd’hui la SFIL principalement, et donc l’État, pour un montant de 9 milliards d’euros à trouver d’ici la fin de l’année…

Soit nous adoptons le texte, et nous laissons alors les collectivités qui ont pu manquer de discernement et pris des risques avec ce type d’emprunts, négocier avec leur banque et étaler leur dette sur plusieurs années, au risque d’affecter leurs finances, leurs investissements et d’augmenter la fiscalité locale, dans un contexte de baisse drastique de leurs dotations.

Compte tenu de la complexité de cette situation et de l’importance des enjeux de part et d’autre, le groupe UMP, comme en première lecture, s’abstiendra, ce qui, monsieur le secrétaire d'État, revient, en réalité, à permettre un vote conforme.

Cependant, au-delà de cette position d’abstention, compromis entre une position de défense des collectivités et une position de responsabilité au regard de la situation des finances de l’État, nous nous interrogeons sur la constitutionnalité de ce projet de loi de validation rétroactive. En particulier, quand il a censuré les dispositions de l’article 92 du projet de loi de finances pour 2014, le Conseil constitutionnel n’a pas examiné tous les autres moyens invoqués par les parlementaires, notamment l’absence de but d’intérêt général suffisant, autre motif d’annulation qui pourrait être pertinent en l’espèce.

Nous ne mésestimons pas l’intérêt du présent projet de loi. En effet, le sujet est grave. Il l’est pour les finances publiques, car les ordres de grandeur sont considérables. En vertu des règles comptables, la SFIL et Dexia devraient constituer 10, 6 milliards d’euros de provisions cumulées, en sus des 7 milliards d’euros de recapitalisation de la SFIL.

Le sujet est sensible aussi pour les collectivités territoriales, ainsi que pour certaines sociétés d’HLM et certains hôpitaux, car la validation législative objet de ce texte les privera d’une jurisprudence qui leur était favorable et les mettait parfois en position de force pour renégocier avec leurs banques. Là aussi, les surcoûts financiers et les pertes sont à peu près connus : de l’ordre de 10 milliards d’euros, à comparer, d'ailleurs, avec les 100 millions d’euros du fonds qui a été mis en place sur l’initiative du Gouvernement.

Monsieur le rapporteur, il sera compliqué pour le Conseil constitutionnel de déterminer, entre des intérêts contradictoires, où réside l’intérêt général suffisant. Un intérêt général suffisant, certes, mais pour qui ? Pour l’État ou pour les collectivités territoriales ? En réalité, du choix qui sera fait dépendra le sort de ce projet de loi, monsieur le secrétaire d'État !

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