Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’adoption d’un amendement rédactionnel par l’Assemblée nationale, nous voici contraints d’examiner une seconde fois ce projet de loi qui n’enthousiasme personne, et pour cause !
En effet, nous nous trouvons devant une impasse et il n’existe aucune échappatoire satisfaisante : si nous adoptons ce texte, qui procède à une validation législative, nous priverons un grand nombre de collectivités locales, et peut-être d’autres acteurs publics, d’un moyen de recours devant le juge ; si nous ne l’adoptons pas, nous ferons peser sur l’État un risque évalué par le M. le secrétaire d’État et par M. le rapporteur à 17 milliards d’euros.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez souligné que, même si ce montant devait être divisé par deux, l’impact sur les finances publiques n’en resterait pas moins considérable et précisé que 9 milliards d’euros devraient être mobilisés dès la fin de cette année en raison du provisionnement qu’imposent les règles comptables face au risque de contentieux.
Si un tel risque pour les finances publiques se réalisait, il ne pourrait qu’être répercuté, au moins en partie, sur le contribuable, via des hausses de prélèvements.
Cependant, je tiens à rappeler que le paiement par les collectivités locales des indemnités de remboursement anticipé pour se « libérer » des emprunts dits « toxiques » représente lui aussi un coût pour le contribuable. L’opposition entre contribuable local et contribuable national est assez factice, nos concitoyens le savent bien !
On l’a dit, le problème des emprunts structurés est complexe et les responsabilités sont largement partagées. Je commencerai par rappeler celles du secteur bancaire, qui ne font aucun doute : certains établissements financiers n’ont eu, en effet, aucun scrupule à faire souscrire à des acteurs publics des contrats de prêt totalement farfelus, dont ils ne maîtrisaient pas les tenants et les aboutissants. Pensons à ceux qui étaient indexés sur le cours de change entre l’euro et le franc suisse : les taux d’intérêt sont passés de 2 % ou 3 % à beaucoup plus. Par exemple, le taux d’intérêt est passé de 2 % à 33 % pour une collectivité, de 3, 2 % à 34 % pour une autre, et même de 3, 5 % à 37 % pour un syndicat ! Les hausses sont donc considérables.
Or, aucune sanction n’a été prise à l’égard des dirigeants ou des responsables de ces établissements ; certains ont même quitté leurs fonctions avec de très belles primes, avant de rejoindre la haute fonction publique ou le secteur privé…
Il est regrettable que les banques responsables du chaos financier provoqué par les emprunts toxiques en sortent presque indemnes. Certes, vous leur demandez de contribuer au fonds de soutien – doté de 100 millions d’euros sur quinze ans – que vous avez mis en place, au travers d’un relèvement de la taxe systémique, pour venir en aide aux collectivités ayant souscrit de tels emprunts. Cette contribution est cependant elle aussi problématique, puisqu’elle concerne tous les établissements bancaires, alors que seuls certains d’entre eux ont proposé des prêts structurés au secteur public.
Par ailleurs, les responsabilités de certaines collectivités territoriales de grande taille ayant massivement souscrit ce type de prêts sans pouvoir en ignorer totalement les risques sont elles aussi évidentes. C’est pourquoi, comme une grande partie des membres de mon groupe, j’ai toujours été extrêmement réservé quant à la création de ce fonds de soutien aux collectivités ayant contracté des emprunts toxiques. Cela pourrait en effet s’apparenter à une prime aux mauvais gestionnaires : les conséquences des erreurs de certains seraient prises en charge par tous, au titre de la solidarité nationale. Avec ce type de dispositif, nous sommes bien en présence d’un aléa moral.
Il n’est pas impossible que certains exécutifs de grandes collectivités, conseillés par des directeurs généraux des services ou des directeurs financiers se voulant imaginatifs et novateurs, aient cru bon de souscrire des contrats de ce type dans l’espoir d’en tirer rapidement des bénéfices grâce aux fameux taux bonifiés s'appliquant les premières années, sans avoir peut-être mesuré les conséquences dévastatrices de l’application des « taux volatiles » les années suivantes… Ce recours assumé à de véritables « bombes à retardement » budgétaires n’est pas à la hauteur des responsabilités que les électeurs ont confiées aux élus concernés.
Pour autant, toutes les collectivités locales ayant souscrit des emprunts toxiques ne sont peut-être pas à mettre dans le même sac. De nombreuses petites communes, qui ne disposaient pas des moyens ni de l’expertise nécessaires, ont pu facilement être trompées par des banques qui, comme Dexia, avaient pignon sur rue.
Enfin, ma collègue Anne-Marie Escoffier a souligné, en première lecture, les risques constitutionnels qui peuvent peser sur ce projet de loi. Les premières mesures prises dans le projet de loi de finances pour 2014 avaient en effet été censurées par le Conseil Constitutionnel, au motif que la validation législative revêtait « une portée très large », ce qui portait « une atteinte injustifiée aux droits des personnes morales ayant souscrit un emprunt ».
Le Gouvernement nous assure que le champ du dispositif a été restreint afin de tenir compte des réserves formulées par les gardiens de notre Constitution. Nous ne sommes pas complètement convaincus…
En raison de ces incertitudes, une large majorité des membres de mon groupe ne seront pas en mesure d’approuver un tel texte et s’abstiendront donc, comme en première lecture.