Intervention de Augustin de Romanet

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 22 juillet 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Augustin de Romanet de beaune candidat proposé aux fonctions de président-directeur général de la société aéroports de paris adp

Augustin de Romanet, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président-directeur général de la société Aéroports de Paris (ADP) :

Sans vouloir singer Fernand Braudel, la proximité d'un aéroport est aussi capitale au XXIème siècle pour la puissance d'une ville que celle d'un port dans l'Antiquité ou d'une gare au XIXème. Le bruit causé par les avions diminuant, les aéroports, qui ceinturaient les villes au siècle passé, ont tendance à se rapprocher des centres.

Il n'y a pas de grandes capitales sans grands aéroports. Ils forment un noeud de connexions aussi bien pour les voyageurs que pour le fret. L'importance du tourisme n'est plus à démontrer : avec 10 % du PIB mondial et 102 millions de salariés, le secteur dépasse désormais l'automobile, la métallurgie ou la chimie. Chaque million de passagers supplémentaire représente 4 500 emplois directs et indirects ; 100 000 tonnes de marchandises supplémentaires supposent 1 000 salariés de plus.

Les ingénieurs des années 1960-1970 avaient conçu un système aéroportuaire parmi les meilleurs en Europe : quatre pistes à Roissy, deux à Orly et trois au Bourget. Charles de Gaulle est le hub le mieux connecté d'Europe : il offre 25 000 facultés de correspondances en moins de deux heures par semaine contre environ 10 000 chez nos principaux concurrents. Orly, dont le trafic n'est limité qu'à raison du plafond instauré, est promis à un bel avenir. Enfin, Le Bourget est le premier aéroport d'affaires d'Europe avec 55 000 mouvements par an.

ADP représente la première capitalisation boursière mondiale dans son secteur : environ 10 milliards d'euros ; c'est la quarantième capitalisation française. Nous sommes 40 % au-dessus de la deuxième entreprise, l'allemand Fraport.

Faisons prospérer cet héritage pour le bien de l'économie francilienne, pour celui de l'économie française. D'après une étude du BIPE en 2010, les retombées d'ADP équivalent au PNB de la Lituanie ou du Ghana.

Ces vingt derniers mois, j'ai engagé le dialogue pour une meilleure insertion dans les territoires ; j'ai mis l'accent sur l'amélioration des accès - ne pas renforcer ce maillon faible mettrait en péril la plateforme - et, à la suite de mon prédécesseur, j'ai insisté sur l'accueil des voyageurs dans une maison d'ingénieurs, traditionnellement plutôt tournée vers la construction de pistes et de terminaux.

Après la construction de commerces lors de l'entrée en bourse de 2006, l'effort a été porté sur l'accueil et l'hospitalité depuis 2010. La prospérité d'Air France en dépend intrinsèquement et, donc, la nôtre puisque la compagnie est notre principal client. Le 1er juillet, nous avons ainsi décidé, ce qui sera une première en Europe, d'équiper le hub en wifi gratuit : un investissement assez coûteux, mais tout à fait essentiel pour les passagers. En 2013, nous avons d'ailleurs enregistré une hausse historique du taux de satisfaction : plus 2 % pour atteindre 88 %, quand nous peinions à gagner 0,15 à 0,20% auparavant.

Améliorer les conditions d'accueil des voyageurs ne peut se faire depuis le boulevard Raspail. Je m'en suis rapidement rendu compte après mon installation, quand bien même j'étais décidé à ne pas me laisser dicter mes choix. Dès le matin, le passager est pris dans les embouteillages, à l'entrée de l'aéroport il doit zigzaguer entre des files de taxis, de voitures de tourisme avec chauffeurs et de bus pour débarquer ses valises, patienter devant les comptoirs d'embarquement puis aux postes d'inspection et de contrôle et, enfin, devant la police aux frontières... Il m'a fallu un an et demi pour m'apercevoir que nous laissons des familles attendre une journée entière dans des terminaux de compagnies à bas coût sans une bouteille d'eau. Voilà pourquoi j'ai voulu déménager notre siège à Roissy-Charles de Gaulle ; nous y perdons en confort, mais la décision était nécessaire. Elle implique un changement de culture d'entreprise, dont nous pourrions débattre des heures.

Après la priorité donnée aux clients, une gestion plus rigoureuse des dépenses de fonctionnement et d'investissement. À mon sens, limiter la hausse des redevances est indispensable car, derrière, il y a des compagnies. Nous en sommes solidaires, même si certaines d'entre elles ont tendance à surpondérer l'importance de nos redevances par rapport à leurs véritables charges d'exploitation. Pour notre principal client, le montant des redevances aéronautiques demeure faible comparé aux coûts de personnel et de carburant : 430 millions contre 7 milliards, de sorte qu'une hausse de 1 % des redevances est égale à 0,6 % des frais de personnel ou à 1 h 03 de travail. Grâce à un plan d'économies, nous avons réussi à ramener la progression des charges d'ADP de 7,3 % en 2012 à moins de 2,7 % en 2013.

Quant à l'effort sur l'investissement, j'ai trouvé en arrivant 150 millions de dépenses de plus que prévu dans le contrat entre l'État et l'entreprise. De fait, on raisonnait sur l'excédent brut d'exploitation avant investissement, or l'amortissement pèse sur le compte de résultats. J'ai coupé 150 millions dans les dépenses sans amoindrir la qualité du service.

Conformément à l'engagement pris en 2010, nous avons lancé un plan de départs volontaires que le précédent gouvernement avait refusé. Il s'est accompagné du recrutement de 120 agents d'accueil, parce que nous ne pouvons pas sous-traiter ce qui forme le coeur de notre métier, et de 100 agents de maintenance chargés d'effectuer les réparations de plomberie, de chauffage et d'électricité afin de ne pas dépendre de prestataires dont la spécialité est de mettre quinze jours à trouver l'origine d'une panne.

ADP a clarifié sa stratégie internationale. Quand j'ai rejoint l'entreprise en 2012, nous possédions des poussières d'empire et des confettis : à Madagascar, en Guinée, à l'île Maurice, mais aussi au Mexique. Pour dire les choses avec pudeur, la gestion de notre filiale d'ingénierie, ADPI, laissait entrevoir des marges de progression immenses, en particulier sur le plan du respect des règles déontologiques et de la gestion financière. Nous y avons mis bon ordre. Cependant, je n'envisagerai jamais de me séparer de cette activité.

L'entreprise avait également réalisé une opération très chanceuse en Turquie. Nous avons investi dans la gouvernance et le contrôle de l'aéroport pour atteindre 38 % du capital, cela nous évitera de nous laisser entraîner dans des opérations hasardeuses. Pour être déjà présent à Ankara, Istanbul et Izmir, nous avions le sentiment de pouvoir remporter l'appel d'offres du troisième aéroport d'Istanbul : l'objectif de ce projet pharaonique était de recevoir 150 millions de passagers quand le premier au monde, Atlanta, en reçoit 98 millions. À regarder de près les chiffres, nous avons finalement résisté à la bulle des infrastructures et à la surenchère et nous avons bien fait : l'aéroport est parti à 22 milliards d'euros ; résultat, aucune banque ne veut mettre la main à la poche pour le financer.

Notre but est de projeter notre savoir-faire en matière de conception et de construction d'aéroports sous quatre conditions : des synergies au sein du groupe, le contrôle de l'aéroport, une croissance à un rythme 1,5 fois plus rapide que celle attendue à Paris et une rentabilité correspondant aux attentes des investisseurs.

L'insertion dans les territoires est extraordinairement importante pour ADP. Nous apportons tout notre soutien au projet du Grand Paris, les nouvelles lignes 14 et 17 qui rejoindront Paris et Orly ne concurrencent pas le Charles de Gaulle Express que nous avons relancé de manière très volontariste, cela renforcera l'écosystème. Nous avons d'ailleurs décidé de financer l'accès routier par l'est à hauteur de 2 millions d'euros plutôt que d'attendre que toutes les sous-commissions administratives se réunissent. Il le faut : la route à deux voies est embouteillée en permanence. Cela a payé : l'État, qui l'avait d'abord refusé, a réévalué le projet à 4 millions et accepté d'investir la moitié. Charles de Gaulle Express est vital pour l'avenir de la plateforme : avec Aéroville, le projet Europa City et la croissance naturelle du trafic à Roissy, 130 à 140 millions de personnes transiteront par ces routes dans quelques années contre 60 millions actuellement.

Les investisseurs sont satisfaits de voir le cours d'ADP évoluer plus vite que les indices de référence. L'action est passée de 56,50 euros à mon arrivée à 101 euros aujourd'hui, soit un gain de valorisation de 4,2 milliards.

Ce résultat, nous le devons aux salariés d'ADP. Par leur professionnalisme, et il s'observe jusqu'au plus bas de l'échelle des responsabilités, ils sont des cousins des soldats de l'armée de l'air. Nos collaborateurs sont très engagés dans leur métier, leur faculté de mobilisation est excellente. Ajoutez-y le sens du détail et l'attention au client qui se développe, et vous obtiendrez un bon cocktail pour la progression de l'entreprise.

Dans les soixante prochains mois, nous axerons notre action sur le renforcement de la compétitivité des aéroports parisiens. Nous pourrions nous contenter de nous installer dans la guérite d'un monopole naturel et de toucher les péages. Ce serait oublier la concurrence des autres hubs et celle des autres modes de transport que sont le train et la route que des voyageurs préfèrent pour s'épargner le stress des contrôles. L'aéronautique, il faut en avoir conscience, croît deux fois plus vite dans le monde que le PIB. La France a des atouts pour capter cette croissance mondiale au profit de la croissance domestique avec son triple A : un grand constructeur d'avions, une grande compagnie nationale et le plus grand groupe aéroportuaire au monde. Pour conquérir des parts de marché, nous allons chercher les clients. Au premier semestre, seize nouvelles compagnies ont rejoint ADP, dont Jet Airways et une compagnie mongole, Hunnu Air. Loin de nuire à notre principal client, nous attirons à lui la diaspora mongole de Los Angeles en ouvrant une liaison directe avec Oulan-Bator. Les Français, qui sont au coeur du monde aérien et peuvent se rendre en Asie ou en Amérique directement l'oublient trop souvent, les autres voyageurs doivent effectuer une correspondance quelque part, les avions de ligne les plus performants parcourant seulement 12 000 km.

En début de mandature, notre activité sera principalement tournée, avec la négociation du contrat de régulation économique, vers l'optimisation du hub de Paris. Grâce à cela, nous espérons un rythme de croissance des passagers aussi rapide qu'actuellement : je rendrai publics les chiffres prochainement.

L'aéroport est considéré comme une commodité, comparable à une gare ou à une station de taxi. Le voyageur en attend des services de base, pas davantage. S'il parvient à prendre son avion, il est déjà satisfait. Nous aiderons les compagnies aériennes à capter le plus de clients possible en faisant en sorte que les voyageurs, sitôt la porte du terminal passée, soient pris en charge, orientés vers les comptoirs d'enregistrement par des agents d'accueil et franchissent au plus vite les poste de sécurité et de la police aux frontières. De nombreuses personnes, qui doivent se rendre dans un autre aéroport afin de poursuivre leur voyage, musardent dans les commerces et ratent leur correspondance en toute bonne foi parce qu'on ne leur a pas annoncé que le bus partait... Les clients chinois sont plongés dans le désarroi le plus total : pas le moindre idéogramme à l'aéroport. Nos amis d'Asie sont nombreux à reculer devant un séjour en Europe face à l'humiliation que représentent ces dix premières minutes seuls, perdus dans les voies de débarquement, avant de retrouver le tour opérateur qui les emmènera dans le restaurant chinois voisin. Je tiens également beaucoup à installer des photographies magnifiant la France dans tous nos couloirs ; l'exposition des villes d'art et de patrimoine françaises que nous avons exposée après que je l'ai vue sur les grilles du jardin du Luxembourg a enthousiasmé les voyageurs se rendant en Allemagne. Charles de Gaulle Express, enfin, sera capital pour l'accueil des passagers.

Pas de stratégie internationale motivée par l'ego, pour le plaisir de planter son drapeau dans un pays exotique. Nous avons récemment perdu le Brésil et la Turquie, nous nous en réjouissons : à y réfléchir, ce n'étaient pas de bonnes opérations. En revanche, nous sommes candidats pour la rénovation de La Guardia, que le vice-président américain Joe Biden a qualifié d'aéroport du tiers monde. Nous réfléchissons également, avec Vinci, pour doubler la capacité de l'aéroport de Santiago du Chili, ce pays est très sûr. L'idée est bien de projeter notre savoir-faire à l'étranger. Et du savoir-faire, nous en avons. Voyez à Berlin : ils ont souffert mille maux, l'ouverture de l'aéroport a dû être reportée de cinq ans. Exporter nos services le plus possible, nos capitaux le moins possible, voilà notre stratégie. Elle est prudente car tout dépend, les tarifs étant régulés, de la connaissance politique du terrain.

Le développement d'ADP doit bénéficier à toutes les parties prenantes et, d'abord, aux communes à proximité des aéroports. Nous entretenons des relations étroites avec l'Acnusa et travaillons avec la DGAC pour réduire les nuisances sonores dans les zones les plus peuplées. Nous incitons les compagnies à augmenter leur taux de remplissage afin de diminuer le nombre de leurs mouvements. Grâce à cela, l'indice de bruit a baissé de 25 % en une dizaine d'années. Notre attention à l'environnement est reconnue : nous sommes la seule entreprise aéroportuaire classée parmi les 100 premières en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) - nous occupons même le quarantième rang. Cela demeure perfectible, évidemment. Nous avons créé un système de bus intelligents avec Kéolis pour les salariés de la plateforme : un simple coup de téléphone à 4 heures du matin, et on les emmène au travail. Ceux qui habitent dans des endroits excentrés et travaillent à des horaires atypiques ont droit à un forfait de location entretien de la voiture à hauteur de 100 euros par mois.

Souci du bruit, souci de la biodiversité, souci de créer de l'emploi à proximité, souci des salariés, également : je compte amplifier notre forte appétence pour l'actionnariat salarié durant mon deuxième mandat.

Pour les clients, nous voulons les prix les plus bas et les plus intelligents. L'opposition que certains voudraient créer entre aéroports et compagnies aériennes par simplicité n'a pas lieu d'être : nous dépendons les uns des autres. Si nos courts courriers sont plutôt attractifs, il reste des marges de progression sur les longs courriers.

Enfin, les actionnaires continuent de nous manifester leur confiance, à commencer par l'État qui détient 50,6 % du capital. Nous signerons avec lui un nouveau contrat de régulation économique en juillet 2015, auquel sera adossé un plan stratégique et qui fera l'objet d'un document public de consultation en janvier prochain. Les négociations débuteront en septembre. Ce sera le moment de calibrer le bon niveau d'investissement. Si c'était Noël, nous dépenserions 7 milliards ! Il faudra raisonnablement diviser cette somme par deux d'autant que des pistes sont à rénover à Orly et que des investissements de capacité seront nécessaires à Roissy-Charles de Gaulle en 2025. D'ores et déjà, sans même avoir dépensé un sou, nous savons qu'il faudra consacrer 1,6 milliard d'euros à l'entretien des pistes et des terminaux et à la mise aux normes des équipements de contrôle.

Avec Air France, nous discutons de l'amélioration du service rendu aux clients des lignes nationales. Laurent Wauquiez, que j'ai reçu récemment, m'a expliqué que les voyageurs arrivant du Puy ne sont plus au contact de l'aéroport : débarqués au large, ils sont ramenés au terminal en bus. Notre client Hop! m'a présenté une requête très substantielle. Encore une fois, le père Noël pourrait nous offrir un nouveau terminal dédié aux lignes nationales, mais il y a d'autres solutions... En tout cas, la qualité de certaines lignes de province s'est dégradée, cela est certain, et il faudra y remédier.

Monsieur le président Vall, vous pouvez compter sur mon engagement, il sera total lors de mon deuxième mandat si vous voulez bien me renouveler votre confiance.

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