La commission des finances du Sénat s’est penchée sur le sujet à plusieurs reprises, notamment lors des auditions conjointes du 3 juillet 2013 et du 12 février 2014. Notre collègue Nicole Bricq en avait déjà abordé les principaux enjeux dès l’année 2011, alors que la mode était aux accords Rubik, ces ultimes tentatives de sauver le secret bancaire dont on ne parle même plus aujourd’hui.
La loi FATCA, adoptée par les États-Unis en 2010, ne s’embarrasse pas des mêmes précautions : elle oblige tout simplement les banques et établissements financiers du monde entier à transmettre aux États-Unis toutes les informations dont ils disposent sur les contribuables américains, personnes physiques et entités, sous peine d’une retenue à la source dissuasive de 30 % des flux concernés.
Personne ne l’ignore ici : la loi FATCA a été l’élément déclencheur de progrès considérables dans la lutte contre l’évasion fiscale internationale. Dans le sillage de l’initiative américaine, l’Union européenne et l’OCDE se sont lancées dans l’élaboration de standards d’échange automatique d’informations, bien plus efficaces que l’actuel échange à la demande, qui est plutôt un échange à la carte, tant il dépend de la bonne volonté des partenaires.
Avec l’échange automatique, il ne sera plus possible de s’abriter derrière une demande mal formulée ou un quelconque vice de procédure pour ne pas révéler l’identité des contribuables indélicats.
Il faut être très clair : l’échange automatique d’informations, autre nom de la transparence fiscale que réclame depuis longtemps la société civile, n’aurait jamais vu le jour sans la loi FATCA.
Cette filiation est d’ailleurs assumée : le standard de l’OCDE, qui sera présenté au G20 à l’automne prochain, s’inspire directement de FATCA. Il en va de même pour la directive européenne sur la coopération administrative de 2011, dont la révision est en cours. L’extension de l’échange automatique aux produits couverts par la directive Épargne de 2003 a, quant à elle, fait l’objet d’un accord le 24 mars dernier, à la suite de la levée du veto du Luxembourg et de l’Autriche, eux aussi poussés au changement par l’aiguillon de la loi FATCA.
Certes, la méthode employée par les États-Unis est quelque peu cavalière, c’est le moins que l’on puisse dire. Telle qu’elle a été votée en 2010, la loi FATCA était un dispositif unilatéral et extraterritorial, qui ne laissait tout simplement aucun choix aux autres pays et à leurs établissements financiers. Quelle grande banque, en effet, pourrait se permettre de se voir fermer l’accès au marché américain, de loin le plus grand du monde ?
L’objet de l’accord que nous examinons aujourd’hui est très précisément de transformer ce dispositif unilatéral en accord bilatéral, négocié entre États souverains, réciproque et assorti de multiples garanties. À la suite de l’action de la France et de ses principaux partenaires européens, la loi FATCA a véritablement changé de nature.
L’accord signé par la France permet une mise en œuvre de FATCA de manière centralisée. Les données transiteront ainsi par l’administration fiscale française, la direction générale des finances publiques, ou DGFIP, au lieu d’être transmises directement par les banques, diminuant ainsi considérablement les surcoûts financiers, les complications techniques et les incertitudes juridiques qu’impliquait le dispositif original. De plus, les entités et produits soumis à l’échange automatique reçoivent une définition compatible avec le droit français.
Une clause de la nation la plus favorisée permet à la France et à ses banques de bénéficier de toute stipulation plus favorable que les États-Unis accorderaient à un autre pays. De plus, la France pourra toujours invoquer les dispositions du code fiscal américain si celles-ci lui sont plus favorables que les termes de l’accord. En bref, l’accord FATCA pourrait évoluer dans un sens plus favorable à la France, mais jamais dans un sens moins favorable.
Il est vrai, toutefois, qu’une incertitude importante demeure : la question de la réciprocité de l’accord, et, par conséquent, de sa compatibilité avec le standard international, qui est lui parfaitement réciproque.
En effet, les élus républicains du Congrès bloquent actuellement la transmission du solde des comptes bancaires dans le cadre du dispositif, même si toutes les autres informations – identité du contribuable, revenus versés, banque concernée, etc. – pourront être fournies par les États-Unis.
Gardons-nous toutefois de surestimer les conséquences de ce blocage : la France peut toujours solliciter les informations manquantes via l’échange à la demande, qui fonctionne très bien entre les deux pays. Toutefois, la réciprocité est aussi une question de principe, à laquelle nous devons rester très attachés.
Alors que l’Union européenne et l’OCDE mettent chaque pays sur un pied d’égalité, il ne serait pas acceptable que les États-Unis puissent déroger à cette règle. Ils se sont formellement engagés à mettre en œuvre une réciprocité complète dès que leur droit interne le leur permettra, cela figure en toutes lettres à l’article 6 de l’accord. M. le secrétaire d'État pourra certainement nous rendre compte, en séance, des avancées en la matière, et nous en reparlerons, si nécessaire, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2015.
Pour sa part, la France doit continuer à soutenir l’adoption d’un standard mondial unique, réciproque et harmonisé, qui demeure la seule réponse viable, à long terme, à la menace que l’évasion fiscale fait peser sur notre souveraineté.
Ces questions en suspens ne doivent pas occulter le chemin parcouru, qui est considérable : nous partions d’un dispositif imposé et nous avons aujourd’hui un accord négocié, largement réciproque et assorti de multiples garanties. Comme toute négociation internationale, il s’agit d’un rapport de force : quand on se bat, il est possible de faire changer les choses. L’année dernière, par exemple, le commissaire Michel Barnier a obtenu, après d’âpres négociations, que les régulations américaines et européennes en matière de produits dérivés soient considérées comme strictement équivalentes.
La loi FATCA témoigne d’une véritable action menée par les États-Unis pour combattre les abus du système financier. Il serait faux de n’y voir que la manifestation d’une sévérité sélective, qui ne s’appliquerait qu’aux banques étrangères.
Il en va d’ailleurs de même pour les amendes infligées aux banques : faut-il rappeler que JP Morgan a dû payer 13 milliards de dollars l’année dernière et que Citigroup a accepté de verser 7 milliards de dollars le 14 juillet dernier ? La justice américaine réclame près de 17 milliards de dollars à Bank of America, un record absolu justifié par son rôle dans la crise des subprimes.
Enfin, pour en revenir au sujet, il faut reconnaître à l’initiative américaine le mérite d’avoir provoqué un véritable sursaut international en faveur de l’échange automatique, qui porte déjà ses premiers fruits. La loi FATCA n’est pas pour rien dans le changement d’attitude des banques suisses, qui encouragent aujourd’hui leurs clients à régulariser leur situation.