Intervention de Anne-Marie Escoffier

Réunion du 22 juillet 2014 à 21h30
Accord avec les états-unis sur la loi américaine dite « fatca » — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteur, mes chers collègues, pendant de nombreuses années, l’évasion fiscale a été considérée, si ce n’est comme une fatalité, du moins comme un problème tout à fait secondaire.

Certes, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, avait tenté d’attirer l’attention sur la « concurrence fiscale dommageable » depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Cependant, ce n’est qu’après l’éclatement de la crise financière mondiale en 2008-2009 et la succession d’un certain nombre de scandales qu’une véritable prise de conscience est intervenue.

Fléaux pour nos finances publiques, atteintes choquantes à l’égalité devant l’impôt et à la justice fiscale, les phénomènes d’évasion et d’optimisation fiscales occupent depuis lors le devant de la scène internationale.

À l’issue du G20 de Londres de 2009, l’OCDE a établi les fameuses listes « noire » et « grise » des États et territoires « non coopératifs ». Conséquence de cette « stigmatisation » répondant au principe du naming and shaming, le nombre d’accords d’échange de renseignements en matière fiscale a été multiplié par plus de trente en l’espace de quelques années.

Pour autant, nous le constatons aujourd’hui, la multiplication des accords fiscaux bilatéraux, qui reposent sur l’échange « à la demande », n’a pas tout à fait produit les effets escomptés. L’évasion fiscale demeure un phénomène important, et l’opacité de certains paradis fiscaux se serait même renforcée au cours de ces dernières années. Cela s’explique notamment par le fait que, malgré la signature de conventions fiscales, certains pays ne transmettent pas les renseignements demandés. Ainsi, l’opacité réside bien souvent dans « l’indisponibilité » des informations avancée par les administrations fiscales concernées.

Certains territoires jouent également sur des divergences d’interprétations pour bloquer l’échange d’informations. Ainsi, en août 2013, Jersey, les Bermudes et les Îles Vierges britanniques ont été réinscrites sur la liste française des États et territoires non coopératifs, à la suite de difficultés rencontrées par notre administration pour obtenir les réponses demandées. Ces territoires n’auront fait qu’un retour express sur la liste, puisque deux d’entre eux en sont sortis à nouveau quelques mois plus tard, le 17 janvier 2014, des progrès notables ayant été apparemment réalisés.

Cependant, certains États ne disposent tout simplement pas de la capacité normative et administrative nécessaire au respect de leurs engagements. Ce problème demeure même dans le cas d’un échange automatique, et non plus « à la demande ».

En 2010, les États-Unis ont adopté de manière unilatérale la loi FATCA, qui, cela a été dit, a fait l’effet d’un véritable coup de tonnerre dans le monde financier.

L’accord entre la France et les États-Unis que nous examinons ce soir est la traduction de cette loi, dans une logique de réciprocité. Certains ont émis des réserves quant à la méthode, tout à fait brutale en effet, utilisée par les États-Unis. Il est vrai que la ratification de l’accord qui nous est soumis aujourd’hui peut s’apparenter à une sorte de « vote bloqué » imposé par un pays tiers. D’ailleurs, l’extraterritorialité du droit américain pose un problème plus large, qui ne s’arrête pas au seul domaine financier.

Cette situation n’est guère satisfaisante. Cependant, malgré ces réserves, et comme l’a très bien démontré notre rapporteur, cet accord représente pour diverses raisons un véritable progrès. Ainsi, par rapport à la loi FATCA unilatérale et extraterritoriale de 2010 qui prévoyait, à la clef, la sanction pour les banques d’une retenue à la source de 30 % sur tout revenu d’origine américaine, nous avons aujourd’hui un accord bilatéral, équilibré, qui offre un certain nombre de garanties pour avancer vers une réelle transparence fiscale, dont la France serait bien sûr bénéficiaire.

Ainsi, l’accord contient une clause de la nation la plus favorisée, qui permettra à la France de se prévaloir de toute clause plus favorable que les États-Unis pourraient conclure à l’avenir avec d’autres États.

Cet accord repose sur un principe de réciprocité, qui implique que l’administration américaine devra transmettre à la France les mêmes informations sur les revenus de contribuables français, qu’il s’agisse de ménages ou d’entreprises. La réciprocité de cet accord sur l’échange automatique d’informations avec les États-Unis représente, comme l’a souligné Michèle André, « un enjeu fiscal réel » pour notre pays.

Nous devons cependant rester extrêmement vigilants pour que l’entière réciprocité de cet accord soit garantie. Tout à l’heure, à deux reprises, il a été dit que cette réciprocité était « presque » garantie. Actuellement, le Congrès américain bloque en effet la transmission des soldes de comptes bancaires.

Si la ratification de cet accord FATCA constitue un « grand pas en avant » vers la généralisation de l’échange automatique d’informations, des difficultés subsistent dans sa mise en œuvre. La question du traitement des flux d’informations très importants qui résulteront de l’échange automatique mérite d’être posée. Tout l’enjeu, pour les administrations fiscales, consistera désormais à utiliser efficacement les données issues de ces recoupements. Notre administration, monsieur le secrétaire d’État, dispose-t-elle aujourd’hui les moyens humains, techniques et financiers pour atteindre ces objectifs ? Il s'agit d’une véritable question.

En outre, même si nous avançons vers un standard mondial fondé sur l’échange automatique – chacun le souhaite dans cette assemblée –, la faiblesse juridique de certains territoires demeurera un obstacle à l’échange d’informations pertinentes, que cet échange soit automatique ou à la demande.

De plus, alors que les choses avancent relativement bien aux États-Unis et en Europe, n’y a-t-il pas un risque de transfert de l’évasion fiscale et de l’opacité vers d’autres territoires plus lointains, comme Hong-Kong ou Singapour ?

Enfin, pour instaurer une réelle transparence, des étapes complémentaires devront être franchies. Je pense, en particulier, à l’harmonisation fiscale à l’échelle européenne en matière d’impôt sur les sociétés, avec le projet de directive concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, dite « directive ACCIS », qui demeure malheureusement pour l’instant lettre morte.

Il faut espérer que la possibilité de mettre en place une coopération renforcée deviendra une réalité, afin que la règle de l’unanimité qui prévaut pour les décisions européennes sur les questions fiscales cesse d’être une barrière pour les pays qui veulent avancer vers plus de transparence et d’égalité. Ces propositions figurent dans les rapports des commissions d’enquête sénatoriales sur l’évasion des capitaux de 2012 et 2013, dont il faut saluer le travail fondateur.

Il faudra aussi s’assurer de l’avancée du projet BEPS de l’OCDE qui vise à lutter contre l’érosion de la base fiscale et le transfert des bénéfices. Parviendrons-nous à redéfinir la notion « d’établissement stable », sur laquelle restent fondées les règles fiscales internationales pour l’imposition des sociétés et qui ne correspond plus aux réalités économiques, notamment celles de l’économie numérique dont nous avons souvent débattu ?

Le chemin à parcourir est encore long, mais la conclusion d’un accord tel que FATCA nous donne de bonnes raisons d’espérer. Espérons qu’un FATCA européen verra rapidement le jour, ou plutôt qu’un standard mondial unique, comme celui qui est préparé par l’OCDE, se mettra en place pour éviter la superposition de normes différentes.

Une chose reste sûre : sans l’unilatéralisme de la loi FATCA, permis par l’hégémonie américaine, nous ne discuterions probablement pas aujourd’hui de l’échange automatique d’informations au niveau mondial. Nous en serions encore à tergiverser sur les États à inscrire ou à désinscrire de nos listes de paradis fiscaux, dont l’efficacité est tout de même beaucoup plus limitée.

Par conséquent, l’ensemble des membres du groupe RDSE votera cet accord franco-américain, qui constitue une véritable avancée vers la transparence fiscale mondiale, dans un souci de justice et d’équité.

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