Intervention de Patricia Schillinger

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 8 juillet 2014 : 1ère réunion
Présentation du rapport d'information de mme patricia schillinger « les collectivités territoriales et la petite enfance »

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger, rapporteure :

Madame la Présidente, mes chers collègues, la Cour des comptes a publié, en novembre 2013, un rapport public thématique consacré à « l'accueil des enfants de moins de 3 ans ». Bien qu'aucune collectivité territoriale n'ait de compétence explicite en ce domaine, il m'a semblé opportun de faire le point sur les responsabilités qu'elles assument néanmoins pour soutenir les familles souhaitant faire garder leurs enfants en bas âge.

La Délégation a bien voulu me confier, au mois de janvier 2014, la réalisation d'un rapport sur ce sujet, dont je vous présente aujourd'hui les conclusions.

Pour y parvenir, j'ai consulté des représentants des principales associations d'élus : Assemblée des départements de France, Association des maires de France, Association des maires ruraux de France. J'ai aussi consulté des représentants de l'Union nationale des associations familiales, des assistants maternels, une ancienne responsable de la petite enfance ayant exercé en région Alsace, et le directeur de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF).

Vous trouverez dans mon rapport une description détaillée des différents modes de garde des jeunes enfants. Ceux-ci étaient en France au nombre de 2,5 millions au 1er janvier 2012, dont 1,27 million étaient confiés, pour 60 %, à des assistantes maternelles, pour 30 % à des crèches, les 10 % restant étant préscolarisés ou gardés au domicile des parents.

Le coût global de cet accueil s'élevait, en 2011, à la somme considérable de 14 milliards d'euros, qui représente 0,7 % du PIB de l'année 2011. 73 % de ce total étaient à la charge de la branche famille de la Sécurité sociale, 17 % à la charge des collectivités territoriales et 10 % à celle de l'Etat.

Cet important effort vise un triple objectif : de soutien à la natalité, d'encouragement au travail des femmes, et de développement de l'enfant.

Si l'Etat en fixe les orientations générales, le financement de cette politique est en grande partie assuré par la branche famille de la Sécurité sociale, et sa mise en oeuvre relève principalement des collectivités territoriales. Or il apparaît clairement - et cela a également été souligné par la Cour des comptes - que ces dernières sont réduites à un rôle marginal dans la prise de décision, qui est essentiellement assurée par l'Etat et la Sécurité sociale.

Par ailleurs, le service offert aux familles est perfectible, car les besoins de ces dernières ne sont pas clairement connus.

De plus, les gestionnaires d'établissements d'accueil collectif rencontrent des difficultés croissantes à recruter du personnel qualifié alors que, dans le même temps, le vivier des assistantes maternelles peine à se renouveler.

L'offre de modes de garde est très disparate selon les territoires. Au total, et en moyenne nationale, il existe un potentiel de 52 places de garde pour 100 enfants de moins de 3 ans. Cette moyenne recouvre cependant de fortes disparités, car les capacités d'accueil varient, selon les départements de France métropolitaine, de 1 à 3. Les départements les mieux dotés se situent dans l'ouest de la France et dans les zones urbaines disposant d'un fort potentiel fiscal, comme Paris ou les Hauts-de-Seine. À l'inverse, les départements ruraux situés sur un axe allant de l'Eure aux Ardennes, et les zones urbaines défavorisées, comme la Seine-Saint-Denis ou le Val-d'Oise, disposent des offres les plus réduites. Ces inégalités sont le résultat de facteurs multiples et complexes : difficultés pour les familles démunies socialement et financièrement de recourir à un mode de garde extérieur, dispersion de l'habitat dans les zones rurales ou manque de personnels qualifiés.

Selon la Cour des comptes, « l'accès des familles à un mode de garde reste largement dépendant du niveau de leurs revenus. Ainsi, 64 % des ménages les plus aisés font garder leur enfant, contre 8 % pour les familles les plus modestes ».

Une enquête réalisée en 2012 par la CNAF souligne que les parents gardant leur enfant sont deux fois plus nombreux que ceux qui l'ont expressément souhaité. La CNAF a donc intégré, dans la convention d'objectifs et de gestion (COG) qu'elle a conclue avec l'Etat pour la période 2013-2017, la nécessité de « cibler les dépenses sur les territoires prioritaires au sein des bassins de vie ». Vous savez que l'INSEE définit le « bassin de vie » comme : « le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants ». Ce sont ainsi 120 millions d'euros qui seront affectés aux crèches situées dans les territoires prioritaires.

Par ailleurs, les trois-quarts des 100 000 nouvelles solutions d'accueil seront créés dans les territoires où la tension entre l'offre et la demande est forte.

Il faut relever que la capacité d'accueil des jeunes enfants, même si elle reste insuffisante, a été notablement renforcée de 2006 à 2011, avec une offre supplémentaire de 132 000 places. Ainsi, les enfants de moins de 3 ans bénéficiant d'une place d'accueil sont passés, durant cette période, de 48 % à 52 %. Cette croissance de l'offre est prioritairement due à l'accroissement des places offertes par les assistants maternels (+ 160 000) et par les crèches (+ 53 000).

Dans son rapport thématique, la Cour des comptes relève que « quelle que soit la tranche de revenu de la famille, le taux d'effort et le reste à charge sont toujours moins élevés en établissement d'accueil collectif (EAJE : établissement d'accueil des jeunes enfants), alors qu'il est le plus coûteux pour la collectivité, le moins coûteux étant l'accueil par les assistants maternels ».

Cette distorsion entre les coûts pesant sur les familles et ceux pesant sur la collectivité est préoccupante. Ses causes sont connues : elles découlent des fortes exigences requises des personnels qui sont employés dans les crèches.

Ce haut niveau de qualité explique que le choix prioritaire des familles se porte sur ce type d'accueil, mais ce choix ne peut être satisfait que pour une minorité de demandes, et selon des critères qui ne sont pas toujours transparents. Ainsi, ce sont les assistantes maternelles qui assurent le plus fort taux d'accueil, avec 60 % du total, soit près de 740 000 places. 50 000 enfants sont gardés par des salariés à domicile, et 95 000 vont à l'école maternelle.

Les objectifs et les modalités de la garde des jeunes enfants relèvent sans conteste de l'Etat, seul à même de les définir pour l'ensemble du territoire, ainsi que de déterminer et fournir le financement de cette politique.

Cette évidence ne doit cependant pas conduire à méconnaître le rôle important assuré par les collectivités territoriales, en l'occurrence le bloc communal et les départements, dans son application. Ceci est d'autant plus crucial que de nombreuses améliorations des modes d'accueil pourraient être réalisées par une approche pragmatique issue du territoire, comme le constate le rapport de la Cour des comptes. Celui-ci souligne, en effet, que : « l'éclatement des compétences entre la CAF, le département et le niveau communal en matière d'initiative, d'autorisations, d'agréments et de financement des projets nuit à leur cohérence.

La coordination des différents acteurs est insuffisante, notamment au sein des commissions départementales d'accueil du jeune enfant (CDAJE) ». Ces commissions, créées en 2002 et placées sous l'autorité du président du conseil général, visaient à recueillir les avis de tous les acteurs impliqués : collectivités territoriales, services de l'Etat, CAF, gestionnaires et professionnels de la petite enfance et usagers de ces modes d'accueil.

Au total, ces commissions se sont révélées utiles à la confrontation des points de vue, mais n'ont que marginalement joué le rôle d'aide à la décision. Elles ont été remplacées, le 7 février 2014, par les commissions départementales des services aux familles, réunissant les mêmes acteurs. Ces nouvelles instances ont pour mission de mettre en place les schémas territoriaux des services aux familles, visant à définir l'offre et à réduire les inégalités territoriales dans son accès. Ces schémas sont actuellement expérimentés dans 17 départements pilotes (16 en métropole, plus La Réunion). Leur achèvement, prévu à l'été 2014, engagera les départements impliqués pour 4 ans. Ces schémas doivent s'appuyer sur « un diagnostic territorial local », et ont vocation à être généralisés d'ici à la fin 2014.

Cette initiative est doublement opportune, puisqu'elle donne à ces nouvelles commissions départementales une mission et un cadre précis, et implique une programmation sur 4 ans. Elle conforte le département dans son rôle de chef de file de la cohésion sociale. Il l'exerce notamment dans la mise en place de maisons d'assistantes maternelles (MAM), locaux où ces personnels accueillent des enfants - y compris ceux qui sont peu gravement malades - à des horaires atypiques.

Cette formule comporte de nombreux avantages : elle répond à un souhait de nombreuses assistantes maternelles d'accueillir des enfants hors de leur domicile et de partager leurs expériences. Elle permet également d'apporter des services très demandés par les familles en matière d'accueil : horaires souples et accueil d'enfants légèrement souffrants, ce qui évite à l'un des deux parents de devoir s'absenter de son travail. Le conseil général accorde également les agréments, après avis du maire, aux micro-crèches et aux assistantes maternelles, en fonction des besoins.

Enfin, s'agissant de la scolarisation des enfants à l'âge de 2 ans, les élus locaux soulignent qu'elle a l'avantage d'offrir un mode d'accueil gratuit à tous les parents, mais que ce service a un coût élevé pour la collectivité, comprenant le salaire des enseignants et, en milieu rural, le coût du transport scolaire.

Les représentants des communes rurales ont souligné combien la petite enfance est un service de proximité immédiate, particulièrement pour ses modalités pratiques d'organisation. La souplesse des modes de garde doit prévaloir, comme le pragmatisme dans leur choix. Les maires ruraux sont particulièrement attentifs à la présence sur leur territoire de modes d'accueil diversifiés des enfants, qui constituent un élément fort d'attractivité pour les jeunes couples dont la présence est vivement souhaitée pour dynamiser ces zones.

L'ensemble des maires s'accordent sur la nécessité de recenser les offres d'accueil des jeunes enfants, qui prennent des formes très diverses. Les communes disposent, grâce aux centres communaux d'action sociale (CCAS), d'éléments concrets sur les offres.

De même, le taux d'activité de la population féminine est connu, à un niveau fin, des mairies ou des intercommunalités, qui sont en mesure de juger de l'opportunité d'ouvrir ou non de nouvelles structures.

Les élus émettent une vive crique envers la tarification à l'heure imposée par la CNAF aux crèches. En effet, elle fragilise le bien-être des enfants, des parents et des professionnels en suscitant l'existence de crèches s'apparentant à des « halls de gare », à cause des allers et venues incessantes des parents venant confier ou reprendre leur enfant. Par ailleurs, cette tarification renforce le comportement consumériste des familles, qui respectent de moins en moins les horaires de garde pour lesquels ils s'étaient engagés, ce qui complique la tâche des gestionnaires.

Sur ce point, il me semblerait souhaitable que les familles confiant leurs enfants à des crèches, et plus encore à des assistantes maternelles, paient ces services à l'avance, comme cela s'est imposé pour les cantines scolaires, après des expériences malheureuses. La réglementation de la CNAF ne le permet pas aujourd'hui, mais il m'apparaît nécessaire de la faire évoluer sur ce point : il est choquant que des assistantes maternelles soient conduites à accueillir des enfants sans être payées en temps et en heure. La plupart d'entre elles, en effet, ne refusent pas les enfants, pour ne pas leur porter préjudice. Il conviendrait de responsabiliser les parents défaillants, qui sont loin d'être tous dans des situations financières difficiles. La CNAF m'a d'ailleurs indiqué qu'une expérimentation permettant le paiement en tiers payant d'une fraction de l'aide accordée aux parents allait débuter.

Une meilleure connaissance de l'offre de garde devrait s'accompagner d'une appréciation plus fine de la demande, qui n'est pas toujours formulée, notamment faute de connaissance des modes d'accueil existants.

En conclusion, et avant de vous présenter quelques propositions, je tiens à souligner la qualité du modèle français d'accueil des jeunes enfants, qui est certes perfectible, mais qui nous est envié par nombre de pays voisins.

La première recommandation consisterait à mieux associer les élus locaux (maires et présidents de conseil général) à la mise en oeuvre de la politique définie par l'Etat et la CNAF en matière d'accueil de la petite enfance. Si la définition relève bien du niveau étatique, sa mise en oeuvre gagnerait beaucoup en efficacité en prenant en compte les connaissances de terrain que possèdent les élus, qui ressentent avec regret et une certaine amertume que leur rôle soit souvent réduit à l'exécution, voire au financement, de décisions qui ne leur semblent pas toujours adaptées

Il conviendrait également de distinguer fonctions administratives et pédagogiques au sein des crèches, et de mutualiser les premières au sein des intercommunalités. En effet, autant l'accueil et le suivi des enfants doivent relever de chaque établissement, autant la gestion administrative et financière pourrait utilement relever d'une personne spécifiquement formée, en mesure de mutualiser et d'harmoniser les modes de gestion des différents établissements d'accueil, aujourd'hui disparates. Ce gestionnaire unique permettrait notamment de globaliser les achats et d'en réduire le coût.

Il faudrait également décentraliser le plus possible l'offre d'accueil, dont la gestion concrète dépend des territoires de vie.

Il apparaît prioritaire de renforcer la formation des assistantes maternelles, qui est financée par les conseils généraux, pour valoriser leurs fonctions et en faire un vrai métier.

Enfin, il faudrait instaurer le paiement à l'avance par les parents des frais liés à l'accueil de leurs enfants, et faire verser directement aux assistantes maternelles, en cas de nécessité, les aides versées aux parents.

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