Intervention de Michel Mercier

Réunion du 15 octobre 2014 à 14h30
Lutte contre le terrorisme — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel MercierMichel Mercier :

Monsieur le ministre, je pourrais dire que le présent texte a pour principal mérite d’exister, et d’être soumis à notre examen aujourd’hui !

En effet, monsieur le président, mes chers collègues, réagir contre le terrorisme est indispensable. Ce projet de loi marque, à cet égard, une évolution des esprits profonde et nécessaire. Il suffit de comparer l’accueil réservé il y a un peu plus de deux ans par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois à un texte précédent sur le même sujet à la réception dont jouit le présent texte dans cette assemblée pour s’en convaincre.

Permettez-moi de vous dire que je m’en réjouis, car la lutte contre le terrorisme requiert l’action conjointe de tous les républicains réunis. Oui, tous ceux qui veulent défendre la République doivent agir ensemble, par-delà les limites partisanes, contre le terrorisme.

Le fait que ce soit le ministre de l’intérieur qui défende un texte créant de nouvelles incriminations pénales souligne aussi une autre évolution importante, même pour le Sénat…

Ce texte doit aussi nous inciter à redoubler d’attention : les terroristes, malheureusement, sont souvent plus forts que nous ; mais ils ne doivent en aucun cas l’emporter au final. Ce sont les amis de la liberté et de la République qui doivent gagner !

Bien sûr, ce projet de loi intervient après que des actes terroristes ont été commis, et je ne vous reproche pas, monsieur le ministre, d’intervenir en réaction ; il est bon que vous réagissiez.

Le terrorisme évolue. Il est intelligent ; il sait utiliser les dernières technologies. Nous ne pouvons pas tout prévoir, mais, lorsqu’on sait, on doit agir. C’est exactement ce que vous faites avec ce texte, monsieur le ministre.

Les évolutions du terrorisme sont de plus en plus rapides. Le législateur doit donc adapter les outils juridiques, afin que, amis de la liberté et partisans de la sécurité, justice et forces de sécurité, tous puissent voir protégés l’ensemble de nos concitoyens.

Comme cela a été rappelé, on observe ces derniers mois une progression constante des départs de djihadistes vers la Syrie et l’Irak. Les effectifs combattants sont ainsi passés, depuis le 1er janvier, de 224 à 350 personnes. Même si les chiffres peuvent faire l’objet de contestations, ils illustrent cependant l’importance de la progression, avec, notamment, une augmentation de 74 % du nombre d’individus plus généralement impliqués dans les filières djihadistes ou ayant manifesté des velléités de départ.

Le retour potentiel des individus partant s’exercer au terrorisme dans ces pays fait peser sur la France des menaces bien réelles, qui nous imposent aujourd’hui, et pour la seconde fois sous cette législature, d’adapter notre droit aux nouvelles réalités.

Le terrorisme d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier. Multiplication des comportements de transition entre l’intégrisme et le terrorisme actif, développement d’internet, embrigadement d’individus souvent jeunes, voire très jeunes, qui décident de passer à l’acte : ses causes et ses caractéristiques évoluent en permanence et de manière de plus en plus menaçante.

Pour autant, nous ne pouvons pas, face à cette menace, faire l’économie d’une question essentielle, au reste posée par tous les intervenants : les principales mesures du texte que nous examinons aujourd’hui respectent-elles l’équilibre fondamental entre liberté et protection des citoyens ?

Il est normal et nécessaire que nous nous interrogions sur ce point, mes chers collègues, et, pour ma part, c’est sans hésitation que je réponds par l’affirmative !

L’interdiction de sortie du territoire, prévue à l’article 1er du projet de loi, permettra aux autorités de s’opposer au départ hors de France de nos ressortissants, dès lors qu’il existera des raisons sérieuses de croire que leur déplacement a une finalité terroriste ou que leur retour porterait atteinte à la sécurité publique.

Il s’agit là d’une mesure importante, qui vient combler une lacune de notre dispositif de lutte contre le terrorisme, puisque cette capacité d’empêcher le départ d’un individu majeur n’existait jusqu’à présent que dans le cadre d’une procédure judiciaire. Notons que des dispositions de ce type sont déjà en vigueur au Royaume-Uni et en Allemagne.

Le blocage administratif des sites internet, prévu à l’article 9, a suscité de longs débats à l’Assemblée nationale. Cela a été rappelé, le dispositif donnera la possibilité à l’autorité administrative de demander aux éditeurs et hébergeurs, lorsqu’ils sont identifiés, de procéder au retrait des contenus provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et, à défaut, aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès aux sites, à l’instar de ce que le législateur a déjà prévu pour les sites pédopornographiques.

Comme vous nous l’avez précisé, monsieur le ministre, ce blocage est ciblé et limité au strict nécessaire. Il s’effectuera sous le contrôle d’une personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Très naturellement, le tout sera soumis au contrôle du juge administratif.

Il suffit de considérer une législation comme le droit des étrangers et l’action du juge administratif dans ce domaine pour savoir combien celui-ci est un véritable juge protecteur des libertés individuelles, même si, traditionnellement, la Constitution réserve ce rôle aux juges judiciaires.

Certains prétendent que cette possibilité de blocage administratif des sites constituerait une atteinte à la liberté d’expression. C’est faux, parce que cette mesure ne crée pas un délit d’opinion. Elle vise, de façon limitative, les contenus diffusés par des individus ou des groupes terroristes faisant, par le biais d’internet, la publicité de leurs exactions ou fournissant des conseils techniques pour commettre des attentats. La puissance publique doit avoir les moyens de faire cesser de tels comportements le plus rapidement possible.

Autre point qui nous paraît important, la création d’un délit d’entreprise individuelle terroriste. Notre arsenal juridique en la matière est, il est vrai, essentiellement construit autour de la notion de délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Or de plus en plus de personnes isolées – on parle alors, comme M. Mézard l’a rappelé, de « loups solitaires » – préparent et commettent de tels actes. La mesure sera donc utile afin de pouvoir les appréhender avant tout passage à l’acte.

Nous saluons également la transformation de la provocation à la commission d’actes terroristes et de l’apologie d’actes terroristes en délits terroristes. C’est un point essentiel. En effet, on ne peut plus tolérer que, sur le sol français, des messages appelant au djihad ou le glorifiant soient diffusés en toute impunité. Ces messages participent très clairement du conditionnement idéologique et sont de nature à entraîner la commission d’actes terroristes.

Je rappelle qu’en 2012, lors de l’examen du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, j’avais déjà proposé de déplacer l’incrimination de ces délits de la loi de 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal. À l’époque, cette modification avait été refusée et j’avais indiqué à votre prédécesseur, monsieur le ministre, qu’il faudrait y revenir. Nous y voilà !

Je voudrais m’arrêter un instant sur ce point. Tout comme chacune et chacun d’entre vous, mes chers collègues, je suis très attaché à la loi de 1881, qui appartient à ces grandes lois libérales qui, adoptées au tout début de la IIIe République, fondent notre droit public et notre vivre ensemble. Je suis donc tout à fait d’accord pour affirmer qu’il convient de la conserver. Est-ce pour autant l’alpha et l’oméga ?

Ce qui compte dans une loi protégeant la liberté, c’est la liberté ! Dès lors, la seule question qui vaille, et que nous devons nous poser, est bien celle de savoir si la presse est libre là où le terrorisme a triomphé… Peut-on publier ce que l’on veut dans l’État islamique ? Sûrement pas !

Certes, les démocraties ne disposent pas forcément des mêmes armes que les États totalitaires et, depuis Saint-Just, ce sujet est source d’interrogations. Mais gardons-nous de tout angélisme qui nous conduirait à ignorer la réalité : la loi de 1881 ne peut pas nous aider dans la lutte contre le terrorisme !

Si la loi de 1881 doit être conservée, il faut probablement la modifier sur ce point, même s’il pourrait sembler préférable de conserver en l’état une législation qui a constitué un jalon dans l’histoire de l’établissement de la République. Quoi qu’il en soit, la répression de délits en lien avec le terrorisme doit être extraite de la loi de 1881. Son maintien dans le texte conduirait tout droit à la suppression de la liberté de la presse, qui constitue le véritable fondement de la loi de 1881.

Cette mesure, monsieur le ministre, était inscrite dans votre projet de loi. La commission des lois du Sénat n’a pas souhaité aller aussi loin, mais c’est un sujet dont nous débattrons dans la discussion des articles. Quoi qu’il en soit, ce point devra être traité, si ce n’est cette fois, la fois prochaine !

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