Séance en hémicycle du 15 octobre 2014 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • blocage
  • délit
  • internet
  • terrorisme
  • terroriste

La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

En application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de l’article R. 542-12 du code de l’environnement, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, lors de sa réunion du 14 octobre 2014, a émis un vote favorable (vingt-quatre voix pour, une voix contre) à la nomination de M. Pierre-Marie Abadie aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée à l’initiative du groupe UDI-UC, en application de son droit de tirage

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 11 de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (projet n° 807 [2013-2014], texte de la commission n° 10, rapport n° 9).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord féliciter l’ensemble des sénateurs et sénatrices récemment élus ou réélus. Je me réjouis que nous commencions cette nouvelle session parlementaire par l’examen d’un texte qui a fait consensus à l’Assemblée nationale. Le présent projet de loi, extrêmement important pour la sécurité de nos compatriotes, s’inscrit dans un contexte international particulièrement difficile, chacun ayant à l’esprit les événements non seulement d’Irak et de Syrie, mais également d’Afrique du Nord.

Premièrement, je souhaite insister sur le contexte de développement et d’essaimage du terrorisme partout dans le monde, mais plus particulièrement dans la bande sahélo-saharienne, en Afrique du Nord, en Irak et en Syrie où les groupes terroristes, notamment Daech, effectuent une poussée importante. Cette dernière organisation est aux frontières d’un certain nombre de villes – je pense à Kobané, mais aussi à Bagdad, car elle est désormais non loin de cette dernière. Des minorités sont persécutées. Il a beaucoup été question des chrétiens d’Orient, mais ils ne sont pas seuls en cause. La communauté internationale est mobilisée pour stopper l’avancée de ce groupe, pour faire en sorte que ses exactions cessent et pour assurer la sécurité de nos compatriotes.

Ces groupes sont donc présents en Irak, en Syrie et dans la bande sahélo-saharienne. En Afrique du Nord, même s’ils ne sont pas toujours en relation les uns avec les autres, ils sont nombreux et présents dans beaucoup de pays. Ils circulent de part et d’autre des frontières et profitent parfois de la déréliction de certains États pour s’installer ; je pense, notamment, à la présence de nombreux groupes terroristes en Libye où ils s’implantent, prospèrent et se développent à la faveur de la disparition de l’État libyen et de son incapacité à assurer le contrôle de son territoire.

Qu’il s’agisse de Daech et du Jabhat al-Nosra en Syrie ou en Irak, de Boko Haram, d’Ansar al-Charia, d’AQMI, d’Al-Mourabitoun, ces nombreux groupes, qu’ils soient ou non franchisés à Al-Qaïda et qu’ils aient fait ou non allégeance à Daech, sont présents avec leur cortège d’exactions, de meurtres, de crimes, d’exécutions multiples, de décapitations, de crucifixions. Bref, ils sont à l’origine d’actes d’une absolue barbarie, d’une cruauté extrême que l’humanité a rarement connue et qui nous appellent à la responsabilité.

Ces actes suscitent une très grande émotion. L’exécution de notre compatriote Hervé Gourdel dans les conditions que l’on sait a uni les Français qui ont fait preuve de communion, et a suscité un même sentiment de dégoût et d’indignation.

Il faut par conséquent avoir conscience du risque que font peser ces groupes sur la sécurité du monde et, à l’intérieur de nos frontières, sur la sécurité de nos compatriotes.

Deuxièmement, je veux insister sur la forme nouvelle de terrorisme qui se présente à nous : elle nous met face à des défis que nous n’avons jusqu’à présent jamais connus.

Certes, par le passé, la France a déjà été confrontée à des actes de terrorisme, qu’il s’agisse d’actions de groupuscules d’extrême droite ou d’extrême gauche, mais aussi d’attentats perpétrés par des groupes radicalisés. Je pense au GIA, le Groupe islamique armé, composé de vétérans d’Afghanistan, dont les actions terroristes ont profondément endeuillé l’Algérie dans les années quatre-vingt-dix en faisant plusieurs centaines de milliers de victimes. Mais ces groupes étaient fermés, leurs connaissances étaient faibles. Ils intervenaient en France à partir de l’étranger et repartaient ensuite après avoir commis leurs exactions.

Aujourd'hui, nous sommes face à un nouveau type de terrorisme. Il s’agit d’un terrorisme en libre accès, car la numérisation de la société favorise la propagande de ces groupes, notamment sur internet. Il n’est qu’à voir les vidéos, à consulter les sites et les blogs appelant à l’engagement de nos concitoyens dans ces groupuscules, il n’est qu’à écouter le témoignage de ces parents désemparés quand, par le truchement d’internet, leurs enfants ont basculé dans le terrorisme pour comprendre la force de la propagande diffusée par l’intermédiaire de l’espace numérique à destination des plus vulnérables de nos ressortissants !

J’ai à l’esprit le témoignage de cette jeune mère de famille, Mériam Rhaiem, dont nous avons accompagné le retour après qu’elle eut récupéré en Turquie sa fille enlevée par son père, parti en Syrie mener des opérations terroristes. Cette jeune femme, à plusieurs reprises, a évoqué dans ses témoignages l’enfermement de son conjoint sur internet jusqu’à ce que, autoradicalisé, il décide de se rendre avec sa fille sur les théâtres des opérations terroristes.

C’est donc un phénomène nouveau que cette forme d’endoctrinement, d’embrigadement, de basculement, non par la fréquentation des mosquées où œuvreraient des imams salafistes, mais par internet. Les éléments transmis par nos services pour expliquer le phénomène d’engagement de nos ressortissants dans le terrorisme montrent la place particulière prise par la société numérique, y compris par les acteurs du numérique même si c’est, bien entendu, à leurs dépens. Il nous faut prendre conscience de cette nouveauté au moment où nous nous apprêtons à légiférer pour protéger nos concitoyens.

J’ajoute que ce phénomène « de masse », en ce sens que la diffusion de l’information est accessible à tout le monde, ce terrorisme en libre accès a conduit un très grand nombre de nos ressortissants à s’engager dans des groupes terroristes, notamment en Irak et en Syrie.

Après avoir évoqué le contexte international, la forme nouvelle de terrorisme à laquelle nous sommes confrontés, je donnerai quelques chiffres concernant le nombre de ceux qui ont rejoint ces groupes.

On estime qu’entre 8 000 et 10 000 ressortissants de l’Union européenne sont engagés dans des organisations terroristes en Irak et en Syrie. Ces chiffres n’ont cessé d’augmenter. Pour ce qui concerne la France, depuis le début de cette année, le nombre de ses ressortissants présents en Syrie sur le théâtre des opérations terroristes connaît une hausse de l’ordre de 72 % à 80 %. Nous devons donc faire face à un accroissement exponentiel et nous devons tenter de juguler, d’enrayer, de stopper ce phénomène, non seulement pour assurer la sécurité de nos concitoyens, mais aussi pour protéger ceux qui, embrigadés, endoctrinés par la propagande précitée, trouvent la mort à l’étranger. Je rappelle que près de quarante Français ont été tués en Syrie dans les conflits ou dans les batailles menés par le Jabhat al-Nosra ou Daech.

Au début de cette année, on dénombrait un peu plus de 200 Français en Syrie. Ils sont dorénavant 350. L’augmentation est très significative. Aujourd'hui, près d’un millier de nos compatriotes sont concernés, soit qu’ils se trouvent sur le théâtre des opérations, soit qu’ils aient pris le chemin du retour – on parle d’à peu près 190 individus, dont certains sont déjà sur le territoire national, et, au total, 80 % des départements français sont concernés –, soit qu’ils soient en route vers la Syrie, quelque part en transit au sein de l’Union européenne – près de 185 –, soit qu’ils soient encore en France et aient matérialisé leur volonté de s’engager, l’aient confiée à leurs proches, les familles s’étant parfois rapprochées de la Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, ou de la plateforme de signalement que nous avons mise en place pour exprimer leur inquiétude.

Par conséquent, il est important de prendre la mesure du phénomène : je le répète, un millier de nos compatriotes sont concernés soit parce qu’ils sont sur les théâtres des opérations, soit parce qu’ils sont sur le chemin du retour, soit parce qu’ils ont l’intention de partir, soit parce qu’ils sont en transit vers la Syrie. Le problème ne cesse de s’aggraver, ce dont vous devez être bien conscients, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’heure où vous vous apprêtez à examiner le texte que le Gouvernement vous présente. C’est à l’aune de ce phénomène que doivent être appréciées les mesures de protection et de prévention que nous soumettons à la délibération de votre assemblée.

Voilà pour le contexte, voilà pour la nature du phénomène, voilà pour son ampleur.

J’entrerai maintenant dans le vif du sujet en évoquant les différentes dispositions de ce projet de loi.

Notre premier objectif est de faire obstacle à ceux qui prennent un aller simple vers la mort, qu’elle soit physique – quarante de nos compatriotes ont perdu la vie en Syrie – ou psychologique – lorsque ces jeunes, souvent vulnérables, ont connu les exécutions en nombre, les décapitations, ont été les témoins d’actes barbares, voire les ont parfois commis eux-mêmes, ils reviennent dans notre pays sans plus aucune digue. Habités par les seuls instincts de la violence, ils représentent pour notre pays et pour nos compatriotes un véritable risque et un danger. Par conséquent – et c’est la première mesure –, il nous faut éviter les départs. À cet effet, nous avons déjà pris certaines dispositions.

Ainsi, avant même que ce projet de loi soit soumis à votre délibération, mesdames, messieurs les sénateurs, des mesures préventives ont été adoptées. Je pense à la mise en place de la plateforme de signalement, qui a conduit 450 familles à signaler le cas d’un ou de plusieurs de leurs enfants ou de leurs proches s’apprêtant à basculer.

Cette plateforme permet au ministère de l’intérieur de communiquer immédiatement aux préfets dans les territoires du ressort de résidence des parents ou des enfants les cas signalés. Par circulaire, prise avec le garde des sceaux, nous avons demandé que les procureurs de la République et les préfets organisent autour d’eux, dans tous les départements, un dispositif de suivi mobilisant toutes les administrations de manière à éviter ce basculement.

Cela peut se traduire par la mobilisation de compétences médicales et psychiatriques, par l’intervention de l’école lorsque le décrochage scolaire est à l’origine d’une perte de repères, par la mobilisation de la protection judiciaire de la jeunesse lorsque est en jeu un processus de rupture pouvant nécessiter un accompagnement précis, y compris de la prévention spécialisée. Cela peut se traduire aussi par la mobilisation de compétences sociales destinées à venir en aide à des familles qui sont en situation de décrochage pour des raisons de difficultés d’accès à l’emploi et d’absence de perspectives d’avenir.

Quoi qu’il en soit, et je l’affirme solennellement devant cette assemblée, rien ne peut excuser le basculement de nos jeunes dans les groupes susvisés. Il faut commencer par condamner avec la plus grande fermeté ces actes terroristes qui ne peuvent trouver aucune excuse légitime. Mais nous devons aussi, pour éviter que ce phénomène ne s’amplifie, mettre en place des politiques préventives, accompagner les familles, et c’est ce que nous faisons au travers de cette plateforme, dont l’institution, à la fin du mois d’avril dernier, a d’ailleurs permis d’éviter près de soixante-dix à quatre-vingts départs.

Mais cela ne suffit pas. Il est des cas pour lesquels les services dont c’est le rôle de prévenir et d’enquêter disposent de suffisamment d’éléments pour être convaincus que ces personnes partiront pour s’engager dans des groupes terroristes. Dans ces cas-là, nous proposons de mettre en place une interdiction administrative de sortie du territoire, afin d’empêcher ces départs.

Certains présentent cette mesure d’interdiction administrative de sortie du territoire comme une mesure d’exception et mettent en avant sa dimension liberticide, au motif qu’elle mettrait en cause la liberté d’aller et venir.

D’abord, cette mesure n’est en rien une mesure d’exception. Elle est une mesure de police destinée à prévenir un trouble grave à l’ordre public, comme il en est de toutes les autres mesures de police administrative. Elle n’entrera en vigueur que lorsque l’administration aura entre les mains suffisamment d’éléments témoignant du risque lié au départ non seulement pour celui qui s’apprête à partir, mais également pour nos concitoyens, dès lors que celui qui part pourrait revenir animé par les instincts violents dont j’ai parlé à l’instant.

Comme le présent projet de loi ne comporte aucune mesure qui ne soit assortie de dispositifs de contrôle ou de garantie, j’ai tenu à ce que cette interdiction administrative de sortie du territoire, qui relève d’une mesure de police destinée à prévenir un trouble à l’ordre public, soit assortie d’un contrôle du juge, et ce sans tarder, c’est-à-dire quarante-huit heures après que la mesure a été prise, en référé. Le juge administratif n’est pas – contrairement à ce que j’ai pu entendre parfois – le bras armé de l’État. Accompagnant les mesures d’empêchement que l’État prend pour des raisons supérieures qui relèvent notamment de la nécessité de protéger, face à des risques graves, nos concitoyens, il n’est pas, dans ce cas-là, je le répète, le bras armé de l’État ; il est le protecteur du citoyen, des libertés publiques et des libertés individuelles, auxquelles les citoyens sont attachés.

De l’arrêt Benjamin à l’arrêt Canal, tous ceux qui, dans cette enceinte, apprécient le droit administratif…

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

… savent à quel point le juge administratif est protecteur des libertés individuelles. Il a constamment protégé les citoyens contre les risques attentatoires aux libertés individuelles et aux libertés publiques.

Pour que le principe du contradictoire soit plein et entier et qu’il ait un sens, dès lors que le juge administratif sera saisi en référé, l’État produira à l’avocat l’ensemble des éléments dont il dispose et qui ont présidé à l’interdiction. Il le fera d’ailleurs dans son propre intérêt, car plus l’État fournira d’éléments qui ont justifié l’interdiction, plus il sera garanti de voir le juge reconnaître la décision – si elle est légitime – qu’il a prise d’interdire la sortie du territoire.

L’interdiction de sortie du territoire est donc une mesure de police administrative destinée à prévenir un départ dont les conséquences pourraient s’avérer funestes pour celui qui veut partir et pour ceux qui pourraient être atteints à terme par les actes de celui qui serait parti. Elle s’effectue sous la protection du juge administratif dans le cadre d’une procédure contradictoire garantissant absolument les droits de celui qui se sera trouvé empêché de quitter le territoire.

Cette première mesure est complémentaire d’autres dispositions que nous avons prises, qui ne figurent pas dans le présent projet de loi et qui sont des mesures préventives mobilisant les services de l’État, à l’instar de la plateforme dont je viens de parler.

La deuxième mesure qui pourrait résulter de nos échanges, du projet de loi modifié à la faveur de ce débat au Sénat, est l’impossibilité pour ceux qui sont à l’étranger et qui sont convaincus d’avoir commis des actes terroristes de revenir en France dès lors qu’ils n’ont pas la nationalité française.

L’introduction de cette mesure, que ne comportait pas le texte initial, a été souhaitée sur de nombreux bancs lors des discussions qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale. À cette occasion, j’avais indiqué que l’ajout de cette disposition ne me paraissait pas incohérent avec l’esprit et la lettre du projet de loi si nous voulions resserrer les mailles du filet et être plus efficaces encore. J’ai repris cette idée des députés à mon compte en proposant que le débat au Sénat soit l’occasion de la mettre en œuvre. Je forme donc le vœu que le débat souhaité sur ce sujet par de nombreux parlementaires soit possible, afin que nous puissions compléter le projet de loi.

La troisième mesure du présent texte concerne la régulation que nous souhaitons mettre en place sur internet.

La semaine dernière, plusieurs de mes collègues ministres de l’intérieur de l’Union européenne et moi-même avons rencontré à Luxembourg les responsables des grandes plateformes internet que sont Google, Twitter, Facebook et Microsoft. Nous avons débattu avec eux du rôle que jouent ces hébergeurs, ces éditeurs, bien malgré eux, dans la diffusion de vidéos, d’images, de blogs, de sites qui font l’apologie du terrorisme, voire le provoquent, et qui sont des outils puissants de persuasion en vue de faire basculer nos ressortissants.

À ce propos, ce matin même, une vidéo était diffusée sur Youtube : c’était un véritable appel à commettre des crimes sur notre territoire, émis à partir de la Syrie par un combattant étranger.

Doit-on considérer que ces appels aux crimes, aux meurtres, que cette incitation à la barbarie relèvent de ce que l’on peut dire, de ce que l’on a le droit de dire ou, au contraire, d’un délit qui, en tant que tel, doit être sanctionné ? Si ces appels se produisaient sur un autre espace public, un autre espace de liberté, et non sur la Toile, l’espace numérique, je suis convaincu que tous ceux qui siègent dans cet hémicycle me demanderaient les raisons pour lesquelles je ne fais pas cesser le trouble à l’ordre public, et ils auraient toute légitimité à le faire. Mais dès lors qu’il s’agirait d’internet, il ne serait plus possible de procéder ainsi parce que la prévention du risque et la mesure de police en vue de rétablir ou d’assurer l’ordre public seraient liberticides !

Les opérateurs internet nous ont indiqué qu’eux-mêmes procédaient à cette régulation, au retrait d’un certain nombre de vidéos, de sites, de blogs, et qu’ils n’étaient pas choqués que l’État propose d’alerter sur ces sites afin qu’ils puissent encore aller plus loin dans ce travail, même s’ils reconnaissaient que cela pouvait justifier la montée en puissance d’un certain nombre de moyens humains ou de modalités technologiques.

Le dispositif qui vous est proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, est précis. Il conduit, sous le contrôle d’une personnalité qualifiée désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, à appeler l’attention des éditeurs et des hébergeurs sur le risque qui s’attache à la diffusion d’un certain nombre de messages, à leur demander de bien vouloir les retirer, à leur laisser vingt-quatre heures pour le faire d’eux-mêmes – ce qui n’est pas choquant, puisqu’ils le font déjà –, et si, au bout de vingt-quatre heures, rien n’est fait, à procéder au blocage du site.

Ce blocage peut requérir des modalités techniques et technologiques différentes, plus ou moins intrusives. J’ai précisé à l’Assemblée nationale quelles étaient les modalités possibles et indiqué que le Gouvernement ferait le choix des dispositifs les moins intrusifs. En effet, au travers de ces dispositions, nous souhaitons appeler l’attention des éditeurs et des hébergeurs, et non mettre en place des dispositifs attentatoires aux libertés publiques.

C'est la raison pour laquelle nous avons, une fois de plus, pris des précautions, d’abord le contrôle par la personnalité qualifiée dont je viens de parler, mais également la possibilité pour le juge d’être saisi en référé de cette décision de blocage et de se prononcer dans des délais rapides sur son opportunité.

Un certain nombre d’entre vous ont souhaité, lors des travaux qui ont eu lieu en commission des lois, allonger la durée que nous donnons aux éditeurs et hébergeurs pour procéder au retrait en la passant de vingt-quatre à quarante-huit heures.

Je comprends parfaitement l’esprit de cette proposition, puisqu’il s’agit de ne mettre en œuvre le blocage que s’il est vraiment nécessaire, après avoir laissé le temps aux éditeurs et aux hébergeurs de se retourner. Mais j’y vois une difficulté technique : quarante-huit heures est un délai suffisant pour dupliquer des sites et pour en assurer le transfert. Je ne voudrais pas que nous entrions dans une chaîne infinie de création de sites miroirs qui justifierait de notre part une litanie de mesures de blocage dans une sorte de cercle vicieux sans fin. Je propose donc que notre débat soit l’occasion d’aller au fond de la réflexion engagée par le Sénat dans un dialogue ouvert avec le Gouvernement, afin de s’assurer que la mesure que nous arrêterons sera bien la bonne.

La quatrième mesure que nous prenons est la création d’une infraction d’entreprise individuelle terroriste.

Cette mesure se justifie pour une raison : l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, qui existe depuis 1986, ne couvre pas à elle seule – les juges antiterroristes nous l’ont dit à plusieurs reprises à l’occasion de nos rencontres – la totalité des cas de figure impliquant des personnes en situation de commettre des actes criminels.

En effet, nombre de ces personnes s’auto-radicalisent. Comme je l’ai souligné tout à l’heure, certains de nos concitoyens particulièrement vulnérables basculent dans la fréquentation exclusive d’internet et s’y livrent seuls. C’est pourquoi les juges ont souhaité pouvoir disposer d’une nouvelle incrimination au plan pénal, et c’est celle de l’entreprise individuelle terroriste.

Bien entendu, cette incrimination pénale doit être très précisément définie dans la loi. Là aussi, contrairement à ce que j’ai entendu, il ne suffit pas de fréquenter des sites internet djihadistes pour se voir incriminer de participation à une entreprise individuelle terroriste ou même être soupçonné de vouloir participer à une telle entreprise. Il faut aussi détenir des armes ou avoir fabriqué des explosifs en vue de commettre un attentat. Sous l’effet cumulatif et articulé de ces éléments objectifs, l’on peut alors relever de cette incrimination.

Je tiens à apporter ces précisions, car certains, en présentant de façon biaisée les mesures que contient ce texte, voudraient faire accroire qu’il remet en cause un certain nombre de libertés. Ainsi, il m’est arrivé d’entendre que l’entreprise individuelle terroriste reposait sur un seul critère qui, dès lors qu’il était constaté, justifiait l’incrimination. C’est faux ! Des critères cumulatifs devront être réunis pour que l’incrimination pénale soit possible.

Cinquième mesure prévue dans ce texte, des techniques nouvelles sont mises à disposition des services pour leur permettre d’être plus efficaces encore au cours des enquêtes qu’ils conduisent.

Nous leur donnons ainsi la possibilité de perquisitionner des « clouds » ou d’intervenir sur les forums sous pseudonyme. C'est la raison pour laquelle nous demandons une augmentation de la durée de conservation des interceptions de sécurité de dix à trente jours. En effet, un certain nombre d’interceptions visent des personnes parlant des langues étrangères rares et nécessitent donc un processus de traduction qui peut prendre du temps.

Comme nous n’avons pas voulu que cette possibilité nouvelle donnée aux services ne soit assortie d’aucun contrôle, nous avons proposé que la CNCIS, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, puisse, en contrepartie de cet allongement, disposer de pouvoirs de contrôle accrus. L’idée est toujours la même : de même que, lorsque des mesures de police sont prises, elles doivent se faire sous le contrôle du juge, de même, les nouveaux moyens donnés aux services justifient un renforcement des pouvoirs de contrôle de la CNCIS.

Nous tenons à ce que cet équilibre soit scrupuleusement respecté. En effet, il est dans l’esprit de la loi et dans la volonté du Gouvernement d’apporter la démonstration que rien de ce que nous engageons contre le terrorisme ne se fera au détriment des libertés individuelles et collectives. Car, si tel était le cas, nous consacrerions alors l’une des premières victoires du terrorisme sur la démocratie, lequel entend partout faire reculer les libertés pour que partout s’installe la terreur. Nous souhaitons, pour notre part, que les libertés jamais ne reculent, que nulle part la terreur ne s’installe. Nous entendons donc combattre les terroristes sur notre propre terrain, celui des valeurs de la démocratie, celui des règles et principes généraux du droit qui fondent notre architecture constitutionnelle.

Voilà ce que je voulais dire dès à présent sur le texte du projet de loi. Je n’ai pas tout évoqué, mais j’ai parlé de l’essentiel, et le reste sera abordé au cours de nos débats.

Je voudrais conclure en évoquant d’abord l’organisation de nos services, ensuite nos actions au plan européen.

Sur l’organisation de nos services, j’étais ce matin devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale et la semaine dernière devant la commission des affaires étrangères, lesquelles s’interrogeaient sur la capacité de nos services à faire face à la situation, et par « capacité », il fallait entendre les effectifs, les moyens, les organisations.

La Direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, qui ici est en première ligne, a connu une évolution dans son organisation.

Je rappelle que la DGSI, quand elle était encore la DCRI, a perdu 150 effectifs sur la période 2007-2012, que ses budgets ont été étals et que le Président de la République et le Premier ministre, conscients de la situation, ont souhaité qu’elle soit dotée des moyens dont elle a besoin pour faire face à la réalité de la situation nouvelle que nous rencontrons.

Cela se traduit concrètement par la création de 436 emplois au sein de la DGSI – 127 ont déjà été recrutés depuis le début de l’année 2014 – et par une augmentation de 12 millions d’euros par an jusqu’à la fin de la période triennale, c'est-à-dire jusqu’en 2017, des crédits dits « hors titre 2 », c’est-à-dire les crédits de fonctionnement dont disposent ces services pour remplir leur mission dans un contexte difficile.

Cette augmentation annuelle du budget de 12 millions d’euros permettra de faire le bond technologique nécessaire pour rendre les services plus performants. Quant aux emplois supplémentaires, ils permettront d’aider ces services à accomplir leur mission, dans un contexte où 50 % des effectifs sont concentrés aujourd’hui sur la lutte antiterroriste.

Néanmoins, cela ne suffit pas. Certaines affaires de terrorisme intervenues depuis les années 2010 ont montré que le fonctionnement de nos services, « en tuyaux d’orgue », c'est-à-dire vertical, sans qu’il y ait nécessairement de communication entre eux, n’était pas la meilleure manière d’échanger de l’information et d’assurer l’efficacité de l’intervention commune pour prévenir et lutter contre le terrorisme.

Les réunions qui se tiennent autour des préfets, avec les clauses de confidentialité qui s’y attachent, les réunions hebdomadaires de tous les services qui dépendent du ministère de l’intérieur autour de l’UCLAT, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, les échanges d’informations entre ces services autour du ministre de l’intérieur à l’occasion des réunions d’état-major hebdomadaires, tout cela permet d’assurer la circulation de l’information.

Le pilotage très fin de l’action de nos services face à une réalité nouvelle et mouvante garantit, par-delà la loi, par-delà la prévention et les moyens budgétaires alloués, une bonne coordination du fonctionnement de l’administration sur ces sujets.

En matière de terrorisme, mesdames, messieurs les sénateurs, si zéro précaution, c’est 100 % de risque, 100 % de précaution ne signifie pas un risque zéro ! C’est la raison pour laquelle il faut, sans rien cacher à nos compatriotes, leur dire la vérité sur la réalité.

La menace est réelle et sérieuse, et nous nous organisons pour y faire face. Nous le faisons en préservant toujours l’équilibre entre la nécessaire protection des Français et la non moins nécessaire protection des libertés publiques. Mais tout ce que nous faisons en France pour atteindre cet objectif serait inefficace si nous ne faisions pas coopérer nos services avec ceux d’autres pays et si nous ne renforcions pas la dimension européenne de nos actions. Ce qui m’amène à mon second point.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sur la question de la lutte contre le terrorisme, l’Europe n’est pas le problème, elle est la solution. Qu’adviendrait-il si la France ne disposait pas du Système d’information Schengen, qui est un fichier partagé par l’ensemble des pays de l’Union européenne en raison de la circulation de leurs ressortissants sur tout l’espace européen ? Je rappelle que les combattants étrangers en provenance de Syrie traversent l’Union européenne et ses frontières en tous points…

Nous avons vu au travers d’exemples souvent médiatisés que certains mineurs ou certaines familles qui quittent la France pour aller s’engager dans des opérations terroristes ne partent pas des aéroports français, mais plutôt d’aéroports européens, en vue d’échapper à la vigilance des forces de sécurité françaises.

Si nous n’avons pas un dispositif partagé par les pays de l’Union européenne qui permette à tout aéroport européen d’avoir un signalement « combattant étranger » dans le fichier SIS ou le fichier des personnes recherchées inclus dans le SIS, alors, la France est aveugle !

C’est la raison pour laquelle, au mois de juin dernier, j’ai demandé, avec mon homologue belge, à l’Union européenne que l’on insère un signalement spécifique « combattant étranger » dans le Système d’information Schengen. C'est la raison pour laquelle aussi nous avons souhaité que soit mis en place à l’échelle européenne un passenger name record, un PNR européen, c'est-à-dire un système d’enregistrement des passagers permettant de connaître précisément les personnes dangereuses impliquées dans des opérations terroristes qui transitent par des aéroports européens. L’échange d’informations doit permettre à tous les services de l’Union européenne de neutraliser ces personnes de façon efficace et ainsi de prémunir les peuples d’Europe contre ce risque terroriste.

Le Conseil Justice et affaires intérieures qui s’est tenu jeudi dernier à Luxembourg a fait de ces propositions belges et françaises ses conclusions. C’est donc un projet significatif. Nous avons décidé, avec tous les ministres de l’intérieur mobilisés sur ce sujet – et nous réunirons le G6 à Paris le 6 novembre prochain –, d’avoir une démarche conjointe devant la commission Libertés du Parlement européen, afin de sensibiliser celle-ci à la nécessité de mettre en place ce PNR. Cette démarche pourrait d’ailleurs être assortie de progrès sur la directive « protection des données », car, là aussi, un équilibre doit être trouvé.

Je suis absolument convaincu que nous pouvons également, dans le cadre du code Schengen actuel, mettre en place dans nos aéroports, y compris à destination de ceux de nos ressortissants qui sont en partance pour un certain nombre de pays, des mesures particulières de contrôle qui renforceraient la sécurité. Nous réfléchissons, notamment avec nos homologues allemands, à une démarche qui pourrait permettre de progresser rapidement en ces matières.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà le sujet qui se présente à nous. Il a sa part de complexité, et sa part d’émotions, aussi. Il nous engage collectivement pour assurer la protection des Français et préserver les libertés auxquelles tous ici nous tenons viscéralement.

Comme devant l’Assemblée nationale, je forme ici le vœu, compte tenu de la gravité de ce risque et de la réalité de la menace, que la représentation nationale puisse témoigner de son unité autour des objectifs de cette loi. L’unité est un vecteur de force dans les démocraties, lorsque celles-ci sont attaquées au cœur de leurs valeurs par des groupes dont la barbarie témoigne de la volonté de remettre en cause tout ce à quoi nous tenons.

Face à cette barbarie terrible, abjecte, immonde, dont on voit à quel point elle diffuse partout où elle agit des souffrances et des tragédies funestes, nous devons faire montre d’unité et trouver notre force dans cette unité. Nous devons faire en sorte qu’à la faveur de ces débats nous matérialisions cette unité, ce qui suppose, au-delà de l’écoute mutuelle, responsabilité et volonté. Mais la responsabilité, la volonté et l’unité ne sont-elles pas souvent les attributs du Sénat ?

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est jamais dans l’indifférence que l’on aborde un sujet tel que celui qui nous réunit aujourd’hui. Je me réjouis d’autant plus que le Sénat débatte et conclue sur ce projet de loi dans un climat de tranquillité et de responsabilité. Le débat qui s’est déroulé en commission a témoigné de ce sentiment partagé.

La France dispose d’un dispositif juridique déjà complet et adapté pour lutter contre le terrorisme, un dispositif construit par étapes, au fur et à mesure des différentes crises que nous-mêmes ou nos voisins et alliés avons affrontées. M. le ministre l’évoquait à l’instant, ce dispositif s’est enrichi et perfectionné grâce à la coopération internationale et à l’échange entre démocraties sur les méthodes d’action légales qui étaient les plus fructueuses et les plus efficaces.

Arrêtons-nous un instant sur les résultats appréciables que ce dispositif nous a permis d’obtenir. Bien évidemment, cela ne se lisait pas dans la presse, et c’est préférable, mais nous sommes nombreux ici à savoir que nos services ont pu, et à de multiples reprises, démanteler des entreprises terroristes de plus ou moins grande portée et de plus ou moins grande efficacité.

Bien entendu, comme M. le ministre le disait dans son propos liminaire, pas plus que la perfection, l’assurance tous risques face à ces menées n’existe. Néanmoins, il serait fâcheux, lors d’un débat comme celui que nous avons aujourd'hui, de ne pas rendre hommage à la conscience professionnelle, au courage et à la persévérance des hommes et des femmes qui travaillent au sein de services dont la mission est d’enquêter et de lutter contre les menées terroristes, oui, il serait fâcheux de ne pas saluer leur action et de ne pas apprécier tout ce qu’ils nous ont permis d’éviter.

Notre dispositif légal a donc évolué, il a été perfectionné à plusieurs reprises. Aujourd'hui, nous sommes devant une nouvelle étape de cette évolution, et ce pour une raison qui, je crois, est partagée par tous ici : il s’agit de faire face à des formes, elles-mêmes évolutives, d’entrée dans l’action terroriste d’individus ou de petits groupes.

Nous l’évoquerons de nouveau lors de la discussion des articles, nous voyons bien que la question centrale à laquelle cherche à répondre ce projet de loi en ses diverses dispositions, c’est ce mécanisme d’endoctrinement puis d’enrôlement de personnalités vulnérables, souvent isolées socialement, qui entrent par persuasion dans un refus de notre société et de ses valeurs, dans une fascination pour une violence prétendument rédemptrice venant donner un sens à un besoin d’engagement qu’elles n’ont pu satisfaire.

Cette forme d’accès au terrorisme, bien plus dispersée et bien plus souterraine, qui ne se manifeste pas par des réseaux dont on sache observer les mouvements et les échanges, méritait qu’un pas supplémentaire soit franchi dans le perfectionnement de notre dispositif de prévention et de répression pénale.

On entendra peut-être l’un ou l’autre de nos collègues évoquer, à l’occasion de ce débat, un « texte de circonstance ». Pour ma part, il m’apparaît qu’il n’est pas possible, dans une démocratie, même quand les services font leur travail méthodiquement et consciencieusement, de parvenir en une seule fois à un dispositif achevé et répondant à tous les risques – cela est vrai chez tous nos voisins, dans toutes les démocraties avec lesquelles nous coopérons. Nous sommes donc contraints d’évoluer avec la menace.

Plutôt donc que de parler de « texte de circonstance », mes chers collègues, rappelons- nous que l’appel au meurtre ou au combat sur internet n’a rien d’un phénomène nouveau que nous découvririons depuis quelques mois ! Ces faits étaient déjà connus, et des actions ayant malheureusement atteint leur but – je pense notamment aux événements du début du printemps 2012 à Toulouse – avaient, d'ailleurs, conduit la majorité politique précédente à déposer, dès avant la fin du dernier quinquennat, un projet de loi ayant, pour partie, les mêmes objectifs que le présent texte.

La démarche dans laquelle nous nous inscrivons – celle d’une démocratie qui perfectionne son système de droit de façon graduelle et réfléchie – me paraît donc logique et cohérente.

En réalité, le projet de loi dont nous allons débattre aura des effets limités, mais concrets. Pour aller à l’essentiel, il définit un nouveau délit, celui de l’entreprise individuelle de terrorisme, que Jean-Jacques Hyest décrira mieux que je ne saurais le faire. Il fait naître deux procédures préventives : la procédure d’interdiction de sortie du territoire et celle de suspension ou de suppression des contenus de provocation au terrorisme sur internet. Enfin – j’évoquerai plus brièvement ces points précis –, il apporte plusieurs perfectionnements à des procédures pénales destinées à la lutte contre le terrorisme, de manière à améliorer leur efficacité.

Je reviens sur les deux procédures administratives ici créées.

Pour ce qui concerne, première mesure administrative nouvelle, l’interdiction de sortie du territoire, je serai très bref. Il s’agit d’une mesure temporaire, motivée et contrôlée par le juge.

La mesure est temporaire, car elle n’est prise que pour une durée de six mois et, si elle peut être renouvelée, elle ne peut, au total, excéder une certaine durée. Elle est motivée, car le dossier sur la base duquel elle est prise doit suffisamment établir la dangerosité du comportement de la personne concernée, donc sa connexion avec des groupements ou des mouvances terroristes, de manière que le juge puisse, en cas de recours, confirmer que la mesure était bien justifiée.

Au regard des réflexions qui se sont justement fait jour sur l’équilibre de ce dispositif, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’ici même, en commission, je veux souligner que nous avons encadré la possibilité d’intervention du juge dans un délai réduit. En outre, en cas d’urgence, si la personne concernée projette un déplacement prochain, on entre dans le cadre du référé-liberté, et c’est alors au juge du référé de prendre, en quelques heures, une décision.

Le Gouvernement nous a confirmé quel était l’usage en matière d’expulsion, où cette procédure existe déjà : l’ensemble du dossier et les renseignements recueillis par les services pour motiver la décision sont soumis au juge et, par conséquent, au défenseur de la personne.

Certes, l’interdiction de sortie du territoire n’est pas un outil parfait. D’ailleurs, à la fin des travaux de la commission, le Gouvernement nous a présenté des dispositifs permettant d’éviter que la mesure ne soit tournée. Néanmoins, celle-ci présentera une utilité indiscutable pour contrer le phénomène des « nouveaux enrôlés », qui se développe rapidement, non seulement en France, mais aussi chez beaucoup de nos voisins et amis européens – le ministre a évoqué ce point avec précision tout à l'heure. Au reste, cette mesure utile sera complétée par la coopération internationale.

Dans le même esprit, l’interdiction de sortie pourra être complétée par une interdiction de transport adressée aux transporteurs ainsi que par une interdiction administrative d’entrer en contact avec d’autres personnes prises à l’encontre de personnes assignées à résidence sur une base terroriste, de manière à couper le circuit de l’embrigadement.

Pour ce qui concerne la seconde mesure administrative nouvelle, la suppression des messages terroristes sur internet, autrement dit de toute expression d’encouragement ou de soutien à l’embrigadement des internautes, je veux souligner qu’elle est graduée. C'est ce qui fonde le débat sur le délai opportun – vingt-quatre ou quarante-huit heures –, dont M. le ministre vient d’expliquer très clairement les termes.

En effet, le dispositif prévu fait d'abord appel à l’esprit de responsabilité des hébergeurs, des professionnels du net. Les grands gestionnaires de réseaux savent très bien qu’il est à la fois de leur mission citoyenne et de leur intérêt économique de ne pas laisser « proliférer » ces messages de soutien au terrorisme ; le témoignage qu’évoquait le ministre à l’instant et les contacts que nous avons eus nous-mêmes le montrent bien.

Nous sommes donc convaincus que, dans bien des cas, la mise en demeure de l’hébergeur – plus que de l’éditeur – aura pour conséquence le retrait spontané du contenu.

À cet égard, il nous semble que la durée de quarante-huit heures permettra d’aboutir plus souvent à des retraits effectifs, notamment en cas de désaccord entre l’hébergeur favorable au retrait et l’éditeur, qui, évidemment, cherchera à s’y opposer. Le Sénat tranchera.

Mais en outre, si l’on veut que le retrait décidé à l’amiable et de manière responsable soit effectif, il faut probablement qu’une procédure de contrainte soit également prévue pour que, à défaut, le message puisse faire l’objet d’une suppression administrative.

Ce blocage est entouré de précautions toutes particulières puisque, à la suite d’une avancée importante votée par l’Assemblée nationale, on fait intervenir, dans la procédure administrative, une personnalité qualifiée issue de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. À la réflexion, nous nous sommes convaincus que la CNIL est bien l’instance la plus légitime, la mieux préparée à mener cette action. Là encore, la décision sera sanctionnée par le juge.

Bien sûr, d’aucuns nous feront observer, non sans ironie, qu’un tel blocage administratif n’est pas efficace. Que la mesure ne soit pas efficace à 100 %, nous l’envisageons tous ! Mais si, en matière de sécurité, nous devions attendre le dispositif efficace à 100 % pour agir, nous resterions largement inoccupés…

Il est bien évident que les réseaux ou les propagateurs de messages les plus organisés et les plus déterminés arriveront à contourner le blocage. Le vieux principe de Pareto des 80-20 trouvera ici aussi à s’appliquer. Cela étant, si, avec cette mesure, nous parvenons à éliminer une partie importante des messages répétitifs sur internet, le risque que des jeunes perdus et des personnalités un peu ébranlées ne soient attirés dans le circuit de la persuasion, puis de l’embrigadement sera réduit très substantiellement.

Gardons-nous donc de caricaturer le débat ou de le réduire à un tout ou rien qui nous condamnerait à l’inaction. J’y insiste, la procédure introduite aura une efficacité et permettra de limiter l’embrigadement.

Outre les deux procédures administratives créées, plusieurs procédures pénales spécialisées seront améliorées ou durcies.

Ainsi, on étend la compétence des juridictions spécialisées siégeant à Paris. On applique les procédures propres au terrorisme à la diffusion de messages de provocation au terrorisme, de manière à pouvoir « remonter » les réseaux. On accroît le droit des juges, ou des policiers travaillant sous leurs ordres, d’accéder aux données et aux communications électroniques.

Enfin, sur le cas particulier de la conservation des écoutes pendant une durée allongée, mesure que le Gouvernement défend, nous proposons une solution de compromis.

Pour terminer, et en encourageant le Sénat à approuver l’ensemble de ce projet de loi avec les quelques modifications que nous proposons, généralement en convergence avec l’Assemblée nationale, dans un souci de perfectionnement, je veux dire que tout a été fait pour que les mesures tendant à accroître l’efficacité de la lutte antiterroriste soient entièrement assorties de garanties pour les droits individuels, auxquels nous tenons tous.

Le Gouvernement a deux premières réussites à son actif. Premièrement, il a convaincu une large majorité, d’abord à l’Assemblée nationale, puis parmi les membres de notre commission. Deuxièmement – je termine par où j’ai commencé –, il a réussi à faire en sorte qu’un nouveau pas en matière d’efficacité de la lutte contre le terrorisme par les moyens légaux soit franchi dans un climat serein et de compréhension.

Que l’on soit aujourd'hui capable de faire évoluer et d’améliorer, chemin faisant, le dispositif français de sécurité contre le terrorisme sans que cela soulève des débats passionnés est un signe de maturité et de solidité des fondamentaux de notre société et de notre vie collective. Je crois que nous pouvons tous nous en féliciter !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme cela a été rappelé à l’instant par M. le ministre, puis par Alain Richard, ce projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme fait suite à plusieurs autres textes, d'ailleurs toujours votés sur la base d’un consensus général au Parlement. Il est vrai que la lutte contre le terrorisme est toujours à recommencer…

Bien entendu, nous devons améliorer les dispositifs, mais tout en étant extrêmement soucieux du respect des libertés publiques. Je rappelle que certains pays, confrontés à des actes de terrorisme horribles, ne se sont pas trop embarrassés du respect de ces libertés, et l’on sait tous les abus qui ont pu être commis au nom de la lutte contre le terrorisme. Si la société doit se doter des dispositifs nécessaires à sa sécurité, elle doit donc aussi veiller à ce que chacun puisse se défendre et se prémunir contre d’éventuels abus.

Alain Richard a exposé la partie préventive du texte. Au cours de nos lointaines études de droit, nous avons appris la distinction entre la police administrative et la police judiciaire. Je rappelle que les mesures préventives relèvent de l’administration et qu’il existe, pour les contrôler, des juridictions, non moins soucieuses des libertés publiques que leurs homologues de l’ordre judiciaire : les tribunaux administratifs, les cours administratives d'appel et le Conseil d’État.

Certains ont tendance à l’oublier et voudraient que la justice judiciaire s’occupe de tout. Mais le rôle de la justice judiciaire, c’est de réprimer ! Et, si l’on commence à tout mélanger, à faire intervenir le juge judiciaire dans les affaires de police administrative, on détruira en partie un édifice auquel beaucoup d’entre nous sont attachés.

Voyez que je fais l’éloge des juridictions administratives, comme cela m’arrive de temps en temps.

Exclamations amusées.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

M. Michel Mercier. Il attend le prochain texte !

Rires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

La formule existe dans d’autres pays, mais ce n’est pas celle que la France a retenue.

Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, le terrorisme a évolué. Il y a dix ans, nous n’envisagions pas véritablement le terrorisme individuel, tel qu’il s’est manifesté récemment encore en France ou au Royaume-Uni.

Si les outils juridiques dont disposent les enquêteurs et la justice, notamment l’incrimination d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste, étaient encore suffisants il y a peu, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les magistrats antiterroristes que nous avons entendus – ils sont remarquables – n’ont pas à leur disposition les bons outils pour réprimer les terroristes autoradicalisés, le droit actuel les exposant, en outre, à des risques en matière de procédure. Il en va de même pour l’utilisation d’internet à des fins d’apologie et de provocation au terrorisme : le changement de technologie conduit à un véritable changement dans la nature même et la portée de ces infractions.

Le projet de loi tente d’adapter le droit à cette nouvelle donne. Je vous présenterai plus particulièrement les mesures de droit pénal et de procédure pénale qui visent à adapter la répression aux formes actuelles de terrorisme, en particulier à l’utilisation d’internet et à l’autoradicalisation.

L’article 3, que nous vous proposons d’adopter, ne pose pas de problème particulier, puisqu’il s’agit d’inclure les infractions relatives aux produits explosifs dans la liste des infractions pouvant recevoir la qualification de « terroristes ».

L’article 4 est important dans la mesure où il transfère les délits de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie du terrorisme de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal.

En effet, selon le Gouvernement – marquant, en cela, une belle continuité avec les précédents gouvernements, monsieur Mercier !

M. Henri de Raincourt approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Cette disposition permettrait de poursuivre l’apologie et la provocation au terrorisme en dehors du régime procédural contraignant, car protecteur de la liberté d’expression, de la loi du 29 juillet 1881.

Dès lors que ces délits seraient transférés dans le code pénal, les techniques spéciales d’enquête applicables à la criminalité organisée, comme l’infiltration, la sonorisation, la captation de données informatiques, notamment, pourraient être mises en œuvre. Sans compter, bien entendu, la garde à vue de quatre-vingt-seize heures…

Toutefois, le texte proposé par le Gouvernement présente plusieurs inconvénients.

D’abord, il va créer un précédent de sorte que la loi de 1881 risque d’être progressivement vidée de son contenu. Je vous rappelle que l’apologie de crime contre l’humanité et la provocation à la discrimination raciste, notamment, figurent dans la loi de 1881. Mais cela n’empêche pas que ce soient des délits, ne mélangeons pas les choses ; il s’agit plus d’une question de procédure que d’une question de fond.

Ensuite, tous les faits d’apologie et de provocation seraient concernés, y compris un simple message par lequel l’auteur exprimerait son accord avec le djihad, ce qui paraît tout de même disproportionné. Sans parler de l’inévitable encombrement des juridictions spécialisées, qui ont déjà fort à faire.

Enfin, monsieur le ministre, votre projet de loi a été complexifié par l’Assemblée nationale. Les modifications apportées par nos collègues députés rendent le dispositif particulièrement complexe, avec une procédure à géométrie variable en fonction de la nature de l’infraction, apologie ou provocation. Or ces notions sont proches. Cela ne me paraît pas de bonne méthode en matière de droit pénal et de procédure pénale.

Dès lors, la commission a décidé de ne transférer dans le code pénal que les faits commis par la voie d’internet. Les autres faits d’apologie et de provocation au terrorisme resteraient traités dans le cadre de la loi de 1881.

Il s’agit surtout d’appréhender des animateurs de sites internet djihadistes. Comme les juges d’instruction nous l’ont fort bien expliqué, ce sont en effet des réseaux extrêmement organisés et financés par des spécialistes.

De plus, internet a des spécificités qui justifient ce traitement particulier : interactivité, persistance des messages, possibilité d’organisation, etc.

Nous pouvons également nous référer au rapport récent et très approfondi du procureur général Marc Robert, souvent cité, intitulé Protéger les internautes, rapport sur la cybercriminalité, qui a inspiré plusieurs dispositions du projet de loi. Son auteur nous a indiqué que la loi sur la presse n’était plus adaptée à internet, et a préconisé de manière générale de faire sortir internet de la loi de 1881 pour le faire entrer dans le code pénal. C’est une question intéressante à laquelle nous devrons réfléchir.

La création d’une infraction relative à l’entreprise individuelle de préparation d’un acte terroriste à l’article 5 est l’un des apports majeurs du projet de loi.

L’association de malfaiteurs ne permet pas toujours d’appréhender l’autoradicalisation. Nous pourrions citer plusieurs exemples qui ne font pas apparaître d’association de malfaiteurs. D’où cette nouvelle incrimination d’actes préparatoires effectués de manière solitaire.

Telle que renforcée par les députés, la rédaction prévoit trois conditions : une volonté terroriste, le fait de rechercher ou de se procurer des substances dangereuses et un autre fait matériel tel que recueillir des renseignements sur une personne, s’entraîner au maniement des armes, consulter habituellement des sites djihadistes, etc.

Compte tenu de ces précisions, la commission a approuvé la création de ce nouveau délit. Toutefois, elle a ajouté les préparatifs logistiques, tels que la location d’un box ou de véhicules, à la liste des éléments alternatifs contribuant à la constitution de l’infraction.

Par ailleurs, monsieur le ministre, nous avons supprimé la mention de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, source de confusion. C’est bien une nouvelle infraction terroriste devant figurer au titre II du livre IV du code pénal consacré aux actes de terrorisme que nous nous efforçons ici de créer, et non une incrimination qui mêlerait des éléments de terrorisme et de crime contre l’humanité ou de crime de guerre. Tous les juges que nous avons entendus ont d'ailleurs souligné cette bizarrerie introduite dans le projet de loi.

Les articles 7 et 7 bis prévoient l’extension de la compétence concurrente de la juridiction de Paris en matière de terrorisme. Ce sont des dispositions extrêmement importantes pour l’efficacité de nombreuses procédures.

Ainsi, l’article 7 bis, ajouté par les députés, permettra à la Cour d’appel de Paris de se saisir de l’examen des demandes d’exécution d’un mandat d’arrêt européen ou d’une demande d’extradition lorsqu’elles concernent des auteurs d’actes de terrorisme.

Il s’agit de tirer profit de l’expertise particulière et reconnue de la juridiction parisienne dans le suivi judiciaire des auteurs d’actes de terrorisme. En l’état actuel, il lui est impossible de se saisir. Ainsi, une récente demande d’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis par la Belgique a été examinée par le parquet de Versailles, territorialement compétent mais non spécialisé, et non par le pôle antiterroriste. Il s’agit de lui offrir cette possibilité, dans le cadre de la compétence concurrente.

D’autres dispositions concernent des aspects plus ponctuels de notre législation. Vous avez défendu l’article 15, monsieur le ministre. Mon corapporteur n’a pas évoqué cet article, mais nous aurons l’occasion d’en reparler ultérieurement. Je ne résiste pas à la tentation de noter la belle continuité qui existe en la matière, de la part des gouvernements comme de la part des ministères…

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

M. Henri de Raincourt. Tant mieux : c’est rassurant !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait ! J’ajoute que la continuité de l’État en la matière se traduit également au Parlement. Eh oui, le Parlement fait également partie des continuités nécessaires !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous présentez est un texte important, que nous avons tous été soucieux d’améliorer, en vérifiant qu’il ne posait de problème ni d’ordre constitutionnel ni en matière de libertés publiques. Comme l’a dit Alain Richard, nous souhaitons surtout soutenir les services - services de renseignement, services de police judiciaire, notamment – qui, confrontés à des conditions de travail extrêmement difficiles, verront leurs efforts se poursuivre certainement au-delà de un ou deux ans.

Par le passé, il nous est déjà arrivé de prendre des mesures provisoires pour lutter contre le terrorisme mais qui ont dû être pérennisées. Le terrorisme, rappelons-le, vise tout de même à détruire nos démocraties !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

M. le président. Mes chers collègues, je suis très heureux de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation de l’Assemblée de la République portugaise conduite par M. Carlos Alberto Gonçalves, député et président du groupe parlementaire d’amitié Portugal-France.

Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre de l’intérieur, se lèvent.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La délégation est accompagnée par notre collègue du groupe sénatorial d’amitié France-Portugal Alain Néri.

Cette délégation s’intéresse particulièrement aux relations économiques et culturelles entre nos deux pays. Elle se rendra demain et après-demain à Clermont-Ferrand et dans le Puy-de-Dôme, où elle rencontrera la nombreuse et vivante communauté portugaise.

On s’en réjouit sur certaines travées du groupe soci aliste .

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La France et le Portugal entretiennent en effet, et depuis des siècles, des relations politiques, économiques, humaines, culturelles, très étroites et très denses.

L’appartenance commune à l’Union européenne et une vision partagée des défis du monde d’aujourd’hui ont encore renforcé cette proximité. Formons le vœu que votre visite contribue à rendre nos liens encore plus intenses et résolument tournés vers l’avenir.

Nous vous souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Mes chers collègues, je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées, et je proclame Mmes Éliane Assassi, Esther Benbassa, MM. Michel Boutant, Pierre Charon, François Noël Buffet, Philippe Esnol, Michel Forissier, Jean-Paul Fournier, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Nathalie Goulet, M. Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Philippe Kaltenbach, Mme Bariza Khiari, MM. Jean-Yves Leconte, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, François Pillet, Claude Raynal, André Reichardt et Jean-Pierre Sueur, membres de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Nous reprenons l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il me semble que nul ici ne peut contester la nécessité absolue de lutter contre les actes ou les menaces terroristes qui mettent en péril la sécurité de tous, provoquent la peur et le rejet de l’autre et, en ce sens, sapent les fondements de notre République et de notre démocratie. Permettez-moi, en cet instant, d’avoir une pensée particulière pour la famille et pour les proches d’Hervé Gourdel.

Chaque élu du groupe communiste républicain et citoyen condamne avec la plus grande fermeté, croyez-le, toute atteinte à la République et tout crime commis au nom de je ne sais quelle idéologie, qui sont effectivement autant d’actes barbares et cruels. Face à cela, c’est toute la société qui doit faire bloc.

Toutefois, je déplore que l’examen de ce projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme soit, lui aussi, marqué du sceau de l’urgence. En effet, comme toutes les lois antiterroristes votées en France depuis de très nombreuses années, ce projet de loi est soumis au Parlement en procédure accélérée, toujours au mépris du débat démocratique.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Par ailleurs, ce texte intervient dix-huit mois seulement après le précédent en la matière. La majorité gouvernementale a, en décembre 2012, présenté un projet de loi visant à durcir l’arsenal répressif pénal et administratif.

Faut-il recommencer à légiférer, et dans l’urgence, au motif que la menace terroriste aurait à nouveau muté…

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

ou faut-il prendre le temps de la réflexion afin de déterminer quel type d’actions il est nécessaire d’engager ?

Pour notre part, nous pensons que la réflexion doit être de mise.

Si nous regrettons le recours à la procédure accélérée sur un sujet aussi complexe et, vous l’avez dit, monsieur le ministre, aussi sensible, c’est parce qu’il s’agit d’adopter des mesures par définition attentatoires aux libertés individuelles et souvent dérogatoires au droit commun.

N’oublions pas que l’appréhension étatique de la question terroriste met toujours en danger les fondements mêmes de notre démocratie.

À ce titre, l’auteure Colombe Camus, que je citais déjà en 2012, résume parfaitement toute la problématique qui se pose à nous aujourd’hui et qui, par le passé, a rassemblé la gauche et divisé la droite : « Le terrorisme interpelle les capacités de résistance politique et sociétale des démocraties, c’est-à-dire la capacité d’une société dans son ensemble à dépasser les conséquences d’une agression et les effets psychologiques induits par un incident majeur, sans trahir sa liberté et ses droits et sans répercuter politiquement sa détresse. » Elle ajoute : « Le respect des droits humains et des libertés fondamentales n’est pas un luxe réservé aux époques de prospérité ».

Les débats relatifs à la lutte contre le terrorisme ont toujours été l’occasion de soulever la question de l’amplitude des atteintes aux libertés fondamentales acceptables dans une démocratie au nom de la préservation de celle-ci contre la menace terroriste. Déjà en 1978, la Cour européenne des droits de l’homme précisait que « consciente du danger, inhérent à pareille loi de surveillance, de saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre, les États ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée appropriée ».

Non, la démocratie n’est pas un acquis : elle se cultive ! La faire vivre demande une vigilance permanente et un travail constant. Les libertés aussi fondamentales que la liberté d’aller et venir ou le respect de la vie privée sont des principes durement acquis et doivent être défendus en toutes circonstances, quelle que soit la conjoncture politique.

La démocratie est un ensemble de libertés et de droits que l’on ne peut démanteler, même dans les moments difficiles, car cet ensemble est le fondement d’une sécurité humaine durable et non un obstacle à celle-ci.

Je ne verse pas dans l’angélisme. Au contraire, c’est bien parce que je ne sous-estime pas les enjeux de ce sujet que je me refuse à céder au « tout sécuritaire ».

Si nous admettons que des circonstances exceptionnelles appellent des mesures exceptionnelles, il faut également admettre que le développement de procédures dérogatoires et d’exception appelle à une vigilance toute particulière.

Les moyens mis en place pour lutter efficacement et avec détermination contre le terrorisme doivent toujours préserver l’équilibre entre les mesures prises et le respect des libertés fondamentales et de l’État de droit.

De manière générale, toute la législation antiterroriste a-t-elle permis de réduire le phénomène ?

La législation antiterroriste a connu un renforcement graduel depuis vingt-cinq ans, et nombre d’experts et de hauts magistrats considèrent aujourd’hui qu’elle est suffisante, ce qui est clairement ressorti, en octobre 2012, des travaux de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. Michel Mercier le conteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Je vous l’accorde, la question est complexe. Toutefois, je le répète, ce n’est pas en accroissant notre arsenal législatif en réaction à des actes plus horribles les uns que les autres que nous identifierons les causes réelles du terrorisme.

Le terrorisme et les actes qui l’accompagnent doivent être combattus avec force : je l’ai dit, je le redis et je ne cesserai de le répéter. La question qui se pose est donc celle des moyens à déployer pour l’éradiquer.

À ce titre, permettez-moi de relever que le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui présente certaines lacunes.

Les réseaux terroristes utilisent les rouages de la mondialisation des marchés financiers et sont au fait des technologies de l’information et de la communication. S’attaquer à ces réseaux, c’est se rendre capable de les détecter, de connaître leurs ramifications et leur fonctionnement afin de pouvoir mieux prévenir le risque terroriste.

Il est regrettable que rien, dans ce texte, ne permette de démanteler les réseaux de financement du terrorisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Rien n’est envisagé en matière politique quant à la prise de mesures de rétorsion contre les États identifiés comme source de financement de ces réseaux.

Réprimer est une chose, prévenir en est une autre. La lutte contre le terrorisme ne sera aboutie que lorsque l’on sera en mesure, autant que faire se peut, d’empêcher le passage à l’acte. La prévention doit donc s’opérer certes sur un plan sécuritaire, mais également sur les plans social, économique et humain.

Par ailleurs, je souligne que l’invocation de la menace terroriste – menace d’autant plus insidieuse qu’elle est insaisissable – fonctionne comme un argument d’autorité suprême forçant en douceur le consentement de la société civile, et des parlementaires !

Comme le rappelle à juste titre le Syndicat de la magistrature, et de la même façon que lors des précédents débats dans ce domaine, « l’élargissement des pouvoirs coercitifs de l’État se fait ici dans le consensus politique le plus – ou presque – absolu. Et quand il ne l’est pas dans l’immédiat, il le devient par l’effet érosif du temps : hostiles à de nombreuses dispositions sous la précédente législature - blocage de sites internet, création d’une incrimination d’entreprise individuelle... -, le Gouvernement porte aujourd’hui ces dispositifs » diamétralement opposés aux engagements d’hier et oubliant, par exemple, la saisine du Conseil constitutionnel sur la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI, s’agissant du blocage de sites, ou le rejet des infractions relevant d’une logique de pénalisation préventive.

On assiste donc à une surenchère sécuritaire, à une aggravation permanente de notre législation, tant en matière de peine qu’en matière procédurale, par une conception extensive en France des actes de terrorisme, légitimées par l’argument d’autorité que constitue la lutte contre la menace terroriste.

L’article 1er du projet de loi crée un dispositif d’interdiction administrative de sortie du territoire pour certains ressortissants français.

Allant au-delà des pouvoirs traditionnels de l’administration qui lui permettaient, en dehors même des cas d’interdiction du territoire français juridiquement ordonnés, d’expulser un étranger en raison d’un comportement « lié à des activités à caractère terroriste », le projet de loi vient aujourd’hui restreindre la liberté d’aller et de venir, dans une formulation à la fois vague et extensive.

Comment sera-t-il possible de démontrer, avant son départ, qu’une personne souhaite porter atteinte, à son retour, à la sécurité publique ? Présumera-t-on la culpabilité d’une personne avant même son départ à l’étranger ?

Par ailleurs, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Mme Christine Lazerges, s’inquiète du fait qu’« aucune garantie judiciaire n’est prévue avant que l’interdiction administrative ne soit prononcée. Il n’y a aucune intervention du magistrat du siège, alors qu’il est le garant des libertés fondamentales ».

La loi ne peut ôter à l’autorité judiciaire ses prérogatives en matière de préservation des libertés et attribuer parallèlement de nouvelles prérogatives à l’autorité administrative lui permettant un contrôle toujours plus étroit sur les citoyens.

Le Syndicat de la magistrature – encore lui – craint pour sa part que cet article ne soit source de dérives discriminatoires. L’Union syndicale des magistrats souligne, quant à elle, le caractère disproportionné de mesures d’interdiction dont la mise en œuvre sera à la charge des entreprises de transport, faisant ainsi peser sur une personne morale de droit privé des obligations incombant à la puissance publique.

Pour toutes ces raisons, le groupe CRC proposera, par voie d’amendement, la suppression de cet article.

Concernant maintenant le blocage administratif des sites internet en cas d’apologie ou de provocation au terrorisme, et même si la commission des lois du Sénat a amélioré la rédaction du dispositif de contrôle en introduisant une personnalité qualifiée désignée par la CNIL et porté à quarante-huit heures le délai laissé aux hébergeurs ou aux éditeurs pour retirer les contenus litigieux avant le déclenchement du blocage administratif, le dispositif reste fortement critiquable, et ce pour plusieurs raisons.

Critiquable, le dispositif l’est d’abord du fait même de la possibilité du blocage administratif des sites concernés.

Ensuite, parce que ce dispositif étend le champ d’application des obligations des fournisseurs d’accès et des hébergeurs en matière de signalement de contenus illicites aux faits de provocation au terrorisme et d’apologie des actes de terrorisme.

Enfin, l’intervention d’une personnalité nommée par la CNIL et dotée d’un pouvoir de recommandation vis-à-vis de l’autorité administrative ne suffit pas à rendre légitime une procédure qui confie à l’autorité administrative le pouvoir de distinguer ce qui relève, dans un discours, de l’apologie ou de la provocation au terrorisme de ce qui reste une contestation de l’ordre social, politique ou économique.

Je me réfère en cela à l’avis rendu public du Conseil national du numérique, saisi le 25 juin dernier par le ministère de l’intérieur, et adopté à l’unanimité après un travail d’auditions. Le Conseil considère que le dispositif de blocage proposé est techniquement inefficace, qu’il est inadapté aux enjeux de la lutte contre le recrutement terroriste et qu’en minimisant le rôle de l’autorité judiciaire il n’offre pas de garanties suffisantes en matière de libertés.

Concernant les délits d’apologie et de provocation au terrorisme, le texte prévoit de nouvelles restrictions à la liberté d’expression en excluant ces délits du champ d’application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse afin d’en faire des délits terroristes.

Cette modification permettra de soumettre ces délits au régime dérogatoire des infractions terroristes, à l’exception des trois règles les plus dérogatoires au droit commun dont l’article 6 écarte l’application.

Afin de ne pas extraire de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse l’ensemble de ces délits, la commission des lois du Sénat a adopté un amendement visant à n’incriminer ces faits, au sein du code pénal, que lorsqu’ils sont commis par la voie d’internet, estimant que ce moyen de communication présentait des caractéristiques objectives nécessitant l’usage de moyens d’enquête plus performants, alors que le régime spécial de la loi de 1881 devait continuer à s’appliquer à la commission des mêmes infractions sur les supports de presse traditionnels.

Reste que cela soulève de légitimes interrogations : l’évaluation de la notion d’apologie du terrorisme ne crée-t-elle pas un risque d’atteinte à la liberté d’expression ? Pourra-t-on considérer tous les écrits revendicatifs de contestation sociale radicale – vous voyez où je veux en venir – comme des apologies du terrorisme ?

L’emploi du terme « apologie » implique une condamnation des opinions et non des actes, alors que le régime protecteur de la loi de 1881 vise expressément à éviter la pénalisation du délit d’opinion.

C’est pourquoi le groupe CRC reste fermement opposé, de manière générale, à l’intégration dans le code pénal de ces infractions, même si elle se limite aux faits commis par voie d’internet. Le rattachement de telles infractions au droit de la presse constitue une garantie fondamentale en la matière.

J’en viens à la création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle – aux côtés de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste –, qui permettra d’incriminer les actes préparatoires d’une personne isolée.

Ce délit, de par son emplacement dans le code pénal, constituera un délit terroriste soumis au régime procédural dérogatoire prévu en la matière.

Après examen en commission des lois du Sénat, l’élément matériel de l’infraction se caractérise par le fait – en vue de commettre un acte de terrorisme – de rechercher, de se procurer, de détenir ou de fabriquer des objets ou des substances dangereuses pour autrui.

L’infraction doit être caractérisée par un second élément matériel pouvant consister soit en des repérages, soit en une formation au maniement des armes, soit dans la consultation habituelle de sites internet provoquant au terrorisme ou par le fait d’effectuer des préparatifs logistiques permettant de mettre en œuvre les moyens de destruction mentionnés dans l’article. Il a été prévu que les renseignements recueillis sur des personnes ou des lieux devraient avoir une dimension opérationnelle.

Même si les éléments matériels sont bien détaillés, cela ne suffit pas à convaincre de l’efficacité du dispositif face à des individus qui, par essence, sont difficilement indentifiables.

J’aurais encore beaucoup de choses à dire sur cet article. J’y reviendrai dans le cadre de la défense de mes amendements.

Il existe de multiples raisons pour lesquelles mon groupe ne peut que témoigner son opposition à la création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle, notamment.

En outre, ce texte contient d’autres mesures n’ayant pas grand-chose à voir avec le terrorisme, mais qui concernent plutôt la délinquance en général. J’y reviendrai également, car le temps me manque à cette heure.

En conclusion, ce projet de loi comporte des restrictions non justifiées aux libertés, ainsi que des mesures plus en relation avec la délinquance en général ou la gestion des migrations. D’autres dispositions pourraient encore concerner, selon une interprétation large, des mouvements sociaux contestataires.

Je le répète, nous ne minimisons aucunement le risque terroriste. Je l’avais dit en 2012 et je le répète aujourd’hui : il faut prévenir et agir le plus tôt possible.

Pour mettre en place une réelle prévention, il faut commencer par reprendre les grilles psychologiques et sociales. Seul ce travail nous permettra de trouver le bon remède pour empêcher la naissance du terrorisme.

Nous serons attentifs tout au long du débat et tiendrons compte des amendements retenus ou rejetés pour déterminer, in fine, le sens de notre vote sur ce projet de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le terrorisme a toujours été présent dans l’histoire : il ne s’agit pas d’un fait nouveau. Ce qui change, ce sont les modalités de préparation et d’exécution, ainsi que l’utilisation des médias.

Peut-être pourra-t-on aussi s’interroger sur la politique des Occidentaux au Moyen-Orient – en Irak, en Syrie et en Libye. Était-il intelligent d’exécuter le seul parti laïque existant dans ces pays ? Mais c’est un autre débat…

Les lois en matière de terrorisme se sont succédé depuis plusieurs années, face à un phénomène de plus en plus évolutif, de plus en plus rapidement évolutif, et donc très difficile à appréhender.

La dernière d’entre elles, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur au Sénat en décembre 2012, comblait certaines lacunes de notre arsenal législatif. Je pense en particulier aux actes terroristes de nature délictuelle commis à l’étranger par un ressortissant français. À l’époque, certains ici ne voulaient pas aller au-delà. Je vois que le seuil a été franchi et je mesure le chemin parcouru en quelques mois seulement.

Nous regrettons cependant, à la suite de Mme Assassi, que la procédure accélérée ait été encore une fois engagée sur le présent projet de loi, comme sur de nombreux autres textes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Cela ne permet pas au Parlement de bien travailler ni de réfléchir à une réforme en profondeur de nos moyens d’investigation ou encore de l’organisation des services de police et de renseignement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Nous le savons tous, notre droit en la matière souffre, au point d’agoniser parfois, de la naissance de l’ère numérique. Qu’attendons-nous pour mettre les pendules à l’heure ?

La loi de 1881 sur la liberté de la presse et les problèmes nouveaux liés à internet : voilà un vrai chantier, qu’il convient de faire avancer d’urgence ! On ne peut pas, en effet, rester durablement dans la présente situation : face à une loi aujourd’hui bloquée, on ne sait si on doit être tenté – ou non – d’en extraire certains domaines pour mieux traiter les problèmes relatifs à internet et aux nouvelles techniques de communication. Vient un moment où il est nécessaire de trancher. Mais il faut le faire à l’issue d’un véritable débat prospectif.

Nous, législateur, avons aujourd’hui affaire à un véritable dilemme pragmatique. Face à la cybercriminalité, le récent rapport du procureur général Marc Robert souligne l’hésitation constante entre la réponse administrative et la réponse judiciaire, ainsi que, s’agissant du principe de proportionnalité, la difficulté de trouver un point d’équilibre entre les libertés individuelles et les ingérences justifiées par les nécessités de la répression.

Quel est le bon moment de l’intervention pour la justice dans le phénomène du terrorisme ? Un individu potentiellement dangereux, de ceux que l’on appelle des « loups solitaires », n’a encore commis aucune infraction. L’intervention, lorsqu’elle se situe trop en amont de l’iter criminis, est alors dommageable, non seulement en matière de libertés individuelles, mais aussi parfois en matière de sécurité publique.

L’individu appréhendé pour de simples actes préparatoires n’encourant que des peines faibles, la société prend alors le risque qu’il soit rapidement relâché, faute de preuves et d’éléments matériels. Le temps de l’intervention est donc toujours très difficile à déterminer.

A contrario, l’intervention en aval, comme l’exige la justice d’aujourd’hui, qui doit attendre la commission d’une infraction, est parfois trop risquée pour nos concitoyens.

Là réside le rôle délicat, de plus en plus préventif, de la justice antiterroriste ; là réside en réalité le véritable nœud gordien d’une lutte efficace contre le terrorisme.

Nous savons que les critères habituels de détection des individus dangereux ne sont plus opérationnels dans le cas du terrorisme actuel.

Le développement d’internet a rendu nos schémas d’appréhension de la criminalité désuets. Internet a brouillé les pistes, engendrant ces « loups solitaires » dont je parlais, ces individus autoradicalisés par la force persuasive d’internet, touchés par des vidéos de propagande conçues à des milliers de kilomètres de distance.

Pour prendre un exemple tiré de ma propre expérience, il y a trois ans, j’ai eu à intervenir car, dans la médiathèque de ma communauté d’agglomération, des ressortissants tchétchènes consultaient des sites terroristes. À l’époque, cette intervention n’avait pas été aisée. Et des faits de ce genre se produisent partout, monsieur le ministre, dans tous les départements, et posent une véritable difficulté.

Près de 900 Français ou résidents sont aujourd’hui concernés par les filières syriennes. Un hebdomadaire, il y a peu, décrivait comment une adolescente de quinze ans, sans difficultés, bonne élève, grandissant au sein d’une famille française soudée, aisée et athée, en était venue petit à petit au djihadisme, au contact de vidéos de propagande.

Une chaîne de télévision a récemment montré le périple d’un jeune couple de Français, accompagné de leur enfant en bas âge, de la Turquie vers la Syrie.

Les critères de définition traditionnels de la criminalité – origine, sexe, éducation – ne sont plus pertinents, non plus que, bien souvent, les méthodes d’investigation et les moyens alloués à nos services.

Nous pensons que ce volet de la lutte contre le terrorisme est nécessaire. Mais, vous le savez, il doit être pensé en complémentarité avec le renforcement des moyens d’investigation – à ce titre, le groupe du RDSE a déposé des amendements reprenant des propositions émises par le procureur général Marc Robert, tendant à adapter les moyens d’investigation de nos services de police aux nouvelles technologies –, ainsi qu’avec la prévention.

La prévention, trop absente du présent projet de loi, monsieur le ministre, a pourtant fait ses preuves. Le terrorisme contemporain est aussi endogène, comme le cas Merah l’a malheureusement illustré dans le sud-ouest de la France. L’objectif est donc d’empêcher ces individus de se tourner vers le terrorisme, en s’attaquant aux facteurs qui favorisent la radicalisation et le basculement dans la violence.

Nous devons pour cela mieux comprendre ce phénomène, pour empêcher l’apparition d’une nouvelle génération des terroristes.

La prévention de la radicalisation est un facteur clé de cette lutte. Je pense à l’éducation des élèves à l’école de la République, qu’il faut sensibiliser aux nouveaux dangers, notamment celui que représente internet. Je pense aussi à l’illettrisme, à la déscolarisation, au chômage des jeunes.

Des mesures préventives ont également été prévues par le plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes, vous l’avez évoqué il y a un instant, monsieur le ministre, comprenant notamment la création d’un numéro vert et d’une plateforme d’assistance. Cela va dans la bonne direction.

Le présent texte crée une interdiction de sortie du territoire. Au regard des libertés publiques, cette mesure n’est pas neutre. Interdire à une personne de sortir du territoire est une mesure forte, qui peut être dangereuse selon l’application qui en est faite ; il faut en être conscient. Cette mesure, en effet, parce qu’elle est attentatoire à la liberté d’aller et venir, doit être motivée et prise sur la base de faits circonstanciés. Je pense qu’elle doit exister par défaut.

Nous devons arrêter les individus dangereux avant leur départ vers la Syrie ou l’Irak, mais cette mesure coercitive ne peut pas devenir l’arbre qui cache la forêt.

Monsieur le ministre, vous n’ignorez pas que l’espace Schengen autorise la libre circulation des personnes et des biens, que le retrait de la carte d’identité nationale n’arrêtera pas. La coordination entre services répressifs et judiciaires au sein de l’Union européenne et la coopération internationale sont la clé pour assurer l’efficacité de la lutte contre ce phénomène transnational.

Je sais que vous avez demandé une adaptation du code frontières Schengen, car il interdit actuellement les contrôles systématiques aux frontières.

L’Europe des libertés, notre Europe, est devenue exportatrice du terrorisme. La base européenne PNR, système d’enregistrement des passagers, permettra, lorsqu’elle sera mise en œuvre, des contrôles plus efficaces des passagers dans les aéroports. Ce système repérera les mouvements suspects tels qu’un aller simple pour une destination « sensible », un vol réservé à la dernière minute ou un parcours à escales multiples, pour brouiller les pistes.

C’est cette dimension transnationale du phénomène du djihad médiatique qui rend également difficile, voire illusoire le blocage des sites administratifs. La loi sur l’économie numérique a instauré des obligations à l’encontre des hébergeurs, mais la domiciliation de beaucoup d’entre eux à l’étranger complique toute action, qu’elle émane de l’administration ou de la justice.

La mesure, prévue à l’article 9 du texte, pose donc des questions juridiques difficiles et semble même, par certains aspects, contreproductive.

Le texte propose une solution évidente, simple, peut-être simpliste, qui laisse à penser qu’enterrer les signes visibles du terrorisme revient à éradiquer le phénomène. Faire l’économie du juge résonne comme un signe d’impuissance de l’État de droit. C’est la raison pour laquelle nous proposons de réintroduire son magistère.

L’article 4 prévoit de transférer l’incrimination des délits de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie du terrorisme par la voie d’internet de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal, afin d’en faire des délits terroristes. C’est un vrai débat. La commission des lois du Sénat a estimé que le régime spécial de la loi de 1881 devait continuer à s’appliquer à la commission des mêmes infractions sur les supports de presse traditionnels. Il faudra acter différemment – j’en reviens ainsi à mon propos liminaire – les nombreuses métamorphoses substantielles qu’internet a apportées dans l’appréhension de l’information.

Les liens entre le terrorisme et les technologies numériques sont de plus en plus étroits et exigent que ces modes opératoires soient à la fois bien connus des services d’enquête, ainsi que des magistrats, et bien réprimés. Ce facteur n’a pas encore été suffisamment pris en compte dans l’appréhension du droit.

Le régime spécial instauré par la loi sur la liberté de la presse de 1881 ne permet pas, en réalité, de répondre à ces nouvelles problématiques. Michel Mercier, je le sais, a beaucoup travaillé sur ce point, et les observations qu’il a formulées dans ce sens méritent une véritable discussion.

Combattre le terrorisme est aussi et surtout une question de moyens : moyens alloués à la formation d’enquêteurs spécialisés dans la cybercriminalité ; moyens alloués à l’éducation des jeunes esprits et au désenclavement de certains quartiers, qui sont autant de matrices de la radicalisation ; moyens alloués, enfin, aux mesures de prévention.

Nous ne devons pas, monsieur le ministre, perdre un combat où nous, sociétés occidentales, aurions pu être David, mais où nous sommes de plus en plus Goliath, faute d’être en mesure de repenser les termes de la lutte. Nos sociétés sont généralement trop réactives, au lieu d’être prospectives. La stratégie, c’est avoir toujours un coup d’avance. En la matière, je crois ce précepte particulièrement utile.

Plutôt que de voter une nouvelle loi à chaque poussée terroriste, prendre un peu plus de temps pour la prospection ferait, je n’en doute pas, avancer de manière plus efficace la protection de la liberté de chacun de nos concitoyens, à laquelle nous sommes tous, dans cet hémicycle comme dans le pays tout entier, très attachés.

C’est sous cette réserve « prospective », monsieur le ministre, que le groupe du RDSE apportera son soutien unanime à ce texte.

Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UDI-UC . – Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et du groupe UMP applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Monsieur le ministre, je pourrais dire que le présent texte a pour principal mérite d’exister, et d’être soumis à notre examen aujourd’hui !

En effet, monsieur le président, mes chers collègues, réagir contre le terrorisme est indispensable. Ce projet de loi marque, à cet égard, une évolution des esprits profonde et nécessaire. Il suffit de comparer l’accueil réservé il y a un peu plus de deux ans par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois à un texte précédent sur le même sujet à la réception dont jouit le présent texte dans cette assemblée pour s’en convaincre.

Permettez-moi de vous dire que je m’en réjouis, car la lutte contre le terrorisme requiert l’action conjointe de tous les républicains réunis. Oui, tous ceux qui veulent défendre la République doivent agir ensemble, par-delà les limites partisanes, contre le terrorisme.

Le fait que ce soit le ministre de l’intérieur qui défende un texte créant de nouvelles incriminations pénales souligne aussi une autre évolution importante, même pour le Sénat…

Ce texte doit aussi nous inciter à redoubler d’attention : les terroristes, malheureusement, sont souvent plus forts que nous ; mais ils ne doivent en aucun cas l’emporter au final. Ce sont les amis de la liberté et de la République qui doivent gagner !

Bien sûr, ce projet de loi intervient après que des actes terroristes ont été commis, et je ne vous reproche pas, monsieur le ministre, d’intervenir en réaction ; il est bon que vous réagissiez.

Le terrorisme évolue. Il est intelligent ; il sait utiliser les dernières technologies. Nous ne pouvons pas tout prévoir, mais, lorsqu’on sait, on doit agir. C’est exactement ce que vous faites avec ce texte, monsieur le ministre.

Les évolutions du terrorisme sont de plus en plus rapides. Le législateur doit donc adapter les outils juridiques, afin que, amis de la liberté et partisans de la sécurité, justice et forces de sécurité, tous puissent voir protégés l’ensemble de nos concitoyens.

Comme cela a été rappelé, on observe ces derniers mois une progression constante des départs de djihadistes vers la Syrie et l’Irak. Les effectifs combattants sont ainsi passés, depuis le 1er janvier, de 224 à 350 personnes. Même si les chiffres peuvent faire l’objet de contestations, ils illustrent cependant l’importance de la progression, avec, notamment, une augmentation de 74 % du nombre d’individus plus généralement impliqués dans les filières djihadistes ou ayant manifesté des velléités de départ.

Le retour potentiel des individus partant s’exercer au terrorisme dans ces pays fait peser sur la France des menaces bien réelles, qui nous imposent aujourd’hui, et pour la seconde fois sous cette législature, d’adapter notre droit aux nouvelles réalités.

Le terrorisme d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier. Multiplication des comportements de transition entre l’intégrisme et le terrorisme actif, développement d’internet, embrigadement d’individus souvent jeunes, voire très jeunes, qui décident de passer à l’acte : ses causes et ses caractéristiques évoluent en permanence et de manière de plus en plus menaçante.

Pour autant, nous ne pouvons pas, face à cette menace, faire l’économie d’une question essentielle, au reste posée par tous les intervenants : les principales mesures du texte que nous examinons aujourd’hui respectent-elles l’équilibre fondamental entre liberté et protection des citoyens ?

Il est normal et nécessaire que nous nous interrogions sur ce point, mes chers collègues, et, pour ma part, c’est sans hésitation que je réponds par l’affirmative !

L’interdiction de sortie du territoire, prévue à l’article 1er du projet de loi, permettra aux autorités de s’opposer au départ hors de France de nos ressortissants, dès lors qu’il existera des raisons sérieuses de croire que leur déplacement a une finalité terroriste ou que leur retour porterait atteinte à la sécurité publique.

Il s’agit là d’une mesure importante, qui vient combler une lacune de notre dispositif de lutte contre le terrorisme, puisque cette capacité d’empêcher le départ d’un individu majeur n’existait jusqu’à présent que dans le cadre d’une procédure judiciaire. Notons que des dispositions de ce type sont déjà en vigueur au Royaume-Uni et en Allemagne.

Le blocage administratif des sites internet, prévu à l’article 9, a suscité de longs débats à l’Assemblée nationale. Cela a été rappelé, le dispositif donnera la possibilité à l’autorité administrative de demander aux éditeurs et hébergeurs, lorsqu’ils sont identifiés, de procéder au retrait des contenus provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et, à défaut, aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès aux sites, à l’instar de ce que le législateur a déjà prévu pour les sites pédopornographiques.

Comme vous nous l’avez précisé, monsieur le ministre, ce blocage est ciblé et limité au strict nécessaire. Il s’effectuera sous le contrôle d’une personnalité qualifiée, désignée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Très naturellement, le tout sera soumis au contrôle du juge administratif.

Il suffit de considérer une législation comme le droit des étrangers et l’action du juge administratif dans ce domaine pour savoir combien celui-ci est un véritable juge protecteur des libertés individuelles, même si, traditionnellement, la Constitution réserve ce rôle aux juges judiciaires.

Certains prétendent que cette possibilité de blocage administratif des sites constituerait une atteinte à la liberté d’expression. C’est faux, parce que cette mesure ne crée pas un délit d’opinion. Elle vise, de façon limitative, les contenus diffusés par des individus ou des groupes terroristes faisant, par le biais d’internet, la publicité de leurs exactions ou fournissant des conseils techniques pour commettre des attentats. La puissance publique doit avoir les moyens de faire cesser de tels comportements le plus rapidement possible.

Autre point qui nous paraît important, la création d’un délit d’entreprise individuelle terroriste. Notre arsenal juridique en la matière est, il est vrai, essentiellement construit autour de la notion de délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Or de plus en plus de personnes isolées – on parle alors, comme M. Mézard l’a rappelé, de « loups solitaires » – préparent et commettent de tels actes. La mesure sera donc utile afin de pouvoir les appréhender avant tout passage à l’acte.

Nous saluons également la transformation de la provocation à la commission d’actes terroristes et de l’apologie d’actes terroristes en délits terroristes. C’est un point essentiel. En effet, on ne peut plus tolérer que, sur le sol français, des messages appelant au djihad ou le glorifiant soient diffusés en toute impunité. Ces messages participent très clairement du conditionnement idéologique et sont de nature à entraîner la commission d’actes terroristes.

Je rappelle qu’en 2012, lors de l’examen du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, j’avais déjà proposé de déplacer l’incrimination de ces délits de la loi de 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal. À l’époque, cette modification avait été refusée et j’avais indiqué à votre prédécesseur, monsieur le ministre, qu’il faudrait y revenir. Nous y voilà !

Je voudrais m’arrêter un instant sur ce point. Tout comme chacune et chacun d’entre vous, mes chers collègues, je suis très attaché à la loi de 1881, qui appartient à ces grandes lois libérales qui, adoptées au tout début de la IIIe République, fondent notre droit public et notre vivre ensemble. Je suis donc tout à fait d’accord pour affirmer qu’il convient de la conserver. Est-ce pour autant l’alpha et l’oméga ?

Ce qui compte dans une loi protégeant la liberté, c’est la liberté ! Dès lors, la seule question qui vaille, et que nous devons nous poser, est bien celle de savoir si la presse est libre là où le terrorisme a triomphé… Peut-on publier ce que l’on veut dans l’État islamique ? Sûrement pas !

Certes, les démocraties ne disposent pas forcément des mêmes armes que les États totalitaires et, depuis Saint-Just, ce sujet est source d’interrogations. Mais gardons-nous de tout angélisme qui nous conduirait à ignorer la réalité : la loi de 1881 ne peut pas nous aider dans la lutte contre le terrorisme !

Si la loi de 1881 doit être conservée, il faut probablement la modifier sur ce point, même s’il pourrait sembler préférable de conserver en l’état une législation qui a constitué un jalon dans l’histoire de l’établissement de la République. Quoi qu’il en soit, la répression de délits en lien avec le terrorisme doit être extraite de la loi de 1881. Son maintien dans le texte conduirait tout droit à la suppression de la liberté de la presse, qui constitue le véritable fondement de la loi de 1881.

Cette mesure, monsieur le ministre, était inscrite dans votre projet de loi. La commission des lois du Sénat n’a pas souhaité aller aussi loin, mais c’est un sujet dont nous débattrons dans la discussion des articles. Quoi qu’il en soit, ce point devra être traité, si ce n’est cette fois, la fois prochaine !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

Le sujet que je souhaiterais maintenant évoquer apparaîtra peut-être plus secondaire, mais il est extrêmement important par les « temps financiers » que nous vivons.

L’une des modifications votées en séance à l’Assemblée nationale concerne l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’AGRASC.

Cette agence réalise un excellent travail et saisit de nombreux biens acquis de manière frauduleuse. Avec l’introduction de l’article 15 ter, le projet de loi complète l’article 706-161 du code de procédure pénale relatif aux missions de l’AGRASC, afin de lui permettre d’accroître ses possibilités de contribution financière en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité, actuellement limitées aux seuls trafics de stupéfiants.

Il s’agit de permettre, en particulier, le financement de la procédure relative à la protection des collaborateurs de justice, couramment appelés « repentis ». En effet, faute notamment de financement, ce dispositif mis en place par la loi du 9 mars 2004 portant sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « loi Perben II », n’a toujours pas pu être mis en œuvre.

Plus généralement, je tiens à saluer le travail réalisé par l’AGRASC, non sans attirer l’attention du Gouvernement sur l’affectation des moyens dégagés par l’Agence.

Je comprends bien, monsieur le ministre, qu’il faut équiper les services du ministère de l’intérieur et que l’AGRASC peut y contribuer, mais il serait souhaitable de ne pas oublier ceux du ministère de la justice !

La justice est déjà peu présente dans cette affaire, alors qu’elle devrait intervenir s’agissant tout de même de modifications du code pénal. Si, en plus, vous ne lui laissez pas, pour équiper ses services, quelques sous des fonds en provenance de l’AGRASC, il ne lui restera plus rien du tout !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

C’est prévu !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Mercier

J’ai bien saisi ce qui se profile, monsieur le ministre. Mais, enfin, il y a encore deux ministères…

Pour finir, je tiens à féliciter les policiers, les magistrats, plus particulièrement ceux qui travaillent au sein du parquet de Paris et de sa section antiterroriste, ainsi que ceux qui appartiennent au parquet général de Paris, qui, aux termes e la loi, sera désormais compétent pour la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen.

Pour la lutte qu’ils mènent sans relâche contre le fléau du terrorisme, il faut leur dire un grand merci et les féliciter, car leur tâche n’est pas facile.

Vous l’avez précisé, monsieur le ministre, nous ne lutterons efficacement contre le terrorisme qu’en promouvant une politique concertée au niveau européen et international. Une telle dimension constitue l’un des grands défis de ce siècle, au même titre que la lutte contre la cybercriminalité.

Quant à nous, parlementaires, je crois que notre rôle est assez simple : faire en sorte qu’il ne manque aucun outil législatif à toutes celles et tous ceux qui sont chargés de la lutte antiterroriste.

L’excellent travail réalisé par nos deux rapporteurs, Jean-Jacques Hyest et Alain Richard, a permis d’améliorer encore un texte qui renforcera notre arsenal législatif. Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC votera en faveur de ce projet de loi.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme avait été présenté au Parlement, en 2012, dans le contexte de l’effroyable affaire Merah et des arrestations des membres d’une cellule terroriste, arrestations effectuées dans le sillage de l’enquête sur une attaque à la grenade contre une épicerie juive de Sarcelles.

Le contexte actuel est plus lourd encore, avec l’émergence de l’État islamique – que je dirais plutôt « islamiste » – et les progrès irrésistibles de son implantation sur le terrain, dans une région à feu et à sang depuis des années.

Nos concitoyens ont peur, et avec raison.

L’insupportable assassinat de notre compatriote Hervé Gourdel en Algérie et les différentes décapitations d’Occidentaux sont dans tous les esprits. Nous avons tous été touchés, et au plus profond de nous, par ces actes inqualifiables. Nous le sommes d’autant plus quand nous voyons croître le nombre de jeunes, voire de familles quittant le territoire national pour rejoindre les djihadistes au Moyen-Orient.

Tout cela nous impose certes d’agir, d’agir vite – très vite même – et efficacement. Mais, quand nos libertés fondamentales sont en jeu, il convient précisément de se garder d’agir trop vite et sous le seul coup de l’émotion et de la peur. La volonté de rendre plus efficace notre légitime lutte contre le terrorisme ne justifie assurément pas que l’on brade ces libertés !

Les dispositions en vigueur, déjà très lourdes, ne nous ont pas permis d’échapper aux attentats meurtriers qui sont dans toutes les mémoires. En outre, si le nombre inquiétant de nos jeunes partant à l’étranger se former ou combattre dans des conflits armés au sein de groupes terroristes doit nous mobiliser, notre objectif devrait être autant de prévenir que de s’en tenir à la seule répression.

Il ne suffit pas de légiférer. Encore faut-il se donner les moyens d’appliquer les textes votés, de dégager les fonds nécessaires, de s’assurer la collaboration de personnels en nombre suffisant et qualifiés en matière de lutte contre le terrorisme.

Il n’importe pas seulement de réagir, il faut aussi travailler en amont, pour tenter de comprendre pourquoi ces jeunes, y compris nombre de récents convertis à l’islam, se découvrent soudain une vocation de djihadiste.

Beaucoup, dont les parents et les grands-parents ont été humiliés pendant des décennies, ne se voient pas d’avenir chez nous. L’école a échoué dans sa mission d’inclusion, préférant s’intéresser à ceux qui réussissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Veuillez me laisser parler, s'il vous plaît ! Permettez que je ne partage pas vos idées !

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Les valeurs de la République peinent à se faire entendre, parce qu’elles ne s’adressent plus à tous les Français. Cet échec est celui de la France, il est aussi celui de l’Europe, incapables d’offrir une vie décente à leurs immigrés, puis à leurs descendants.

Hélas, le fanatisme religieux s’est érigé pour certains en noble cause, même si la mort aveugle en est l’unique horizon. Hier, on partait en Espagne soutenir les républicains, en Amérique latine faire la révolution. Aujourd’hui, quelle perspective s’offre donc aux énergies bridées d’une jeunesse sans repères ? Celle du djihad, malheureusement ! Le désespoir de ceux qui partent doit être bien grand, quoi qu’ils en disent et quoi que nous en pensions.

Cela étant, que les choses soient bien claires ! Le groupe écologiste a toujours été et reste convaincu que la lutte contre toute forme de violence doit être menée sans relâche. Cette conviction, j’ai ici pour mission de la rappeler, de même que notre rejet de toute forme de terrorisme, de même que notre attachement inconditionnel aux valeurs humanistes, que certains tentent précisément de ruiner.

Il n’en est que plus indispensable de se donner les moyens d’inventer des solutions pratiques, et non de pur principe, à l’école, en prison, dans la vie de tous les jours, pour que la laïcité ouverte qui nous rassemble prenne à nouveau tout son sens.

Il est tout aussi impératif, monsieur le ministre, de remédier sans délai, par une action concertée, énergique et efficace, aux effets délétères du grippage de notre ascenseur social et à l’abandon de nos quartiers populaires.

J’ai la certitude que, sans une prise de conscience de ces problèmes, notre combat contre le terrorisme pourrait être perdu d’avance, quel que soit le nombre de projets de loi dont nous pourrions encore être amenés à débattre.

Par ailleurs, dans son avis du 14 septembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme affirme avec force que les États « ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée, dès lors que cela aboutirait à saper, voire détruire la démocratie au motif de la défendre ».

Mes chers collègues, je souscris totalement à ces propos. La question qui se pose est de savoir si le texte proposé atteint le juste équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et protection des libertés individuelles qui fondent notre démocratie. Pour y répondre, revenons donc au texte, qui n’a pas vocation à réformer notre arsenal juridique en matière de lutte contre le terrorisme, déjà très important, mais qui entend lutter contre deux phénomènes.

Le premier est le départ de personnes isolées ou en bandes organisées pour les camps d’entraînement au djihad, situés le plus souvent aujourd’hui en Syrie ou en Irak. Monsieur le ministre, vos services font état d’environ 800 Français et résidents français se trouvant en Syrie, en étant revenus ou souhaitant s’y rendre ; 300 participeraient aux combats.

Le second phénomène est la radicalisation de ressortissants français par le biais de sites internet incitant au terrorisme ou en faisant l’apologie.

La lutte contre ces deux phénomènes est organisée dans le projet de loi autour de quatre mesures phares.

D’abord, l’article 1er crée un dispositif d’interdiction de sortie du territoire.

À première vue, il peut sembler urgent d’empêcher nos concitoyens de rejoindre des groupes terroristes à l’étranger. Il y va de leur protection comme de la nôtre.

La décision d’interdiction de sortie du territoire, telle qu’elle est prévue dans le texte, serait prise par le ministre de l’intérieur pour une durée de six mois renouvelable. Elle impliquerait le retrait immédiat du passeport et de la carte d’identité de la personne concernée, contre remise d’un récépissé.

Une telle mesure constitue une atteinte à la liberté d’aller et venir, à la liberté de circulation dans l’espace Schengen, et ne prévoit ni débat contradictoire en amont ni contrôle du juge judiciaire…

L’article 5 crée une infraction d’entreprise terroriste individuelle. Cette disposition, qui vise à répondre au phénomène des « loups solitaires », selon l’expression consacrée, permettra de condamner à des peines allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement des individus projetant de commettre seuls des actes terroristes.

Toute la difficulté réside ici dans l’imprécision qui entoure cette disposition. Peut-on vraiment parler de « loups solitaires » ? Part-on un beau matin au djihad sans s’y être préparé, sans avoir noué des liens, sans avoir intégré un réseau, quel qu’il soit ?

En outre, cette mesure pourrait bien aboutir à une pénalisation de l’intention. Or le principe, en droit français, n’est-il pas celui de l’absence de répression des actes préparatoires et de l’exigence d’un commencement d’exécution ?

Par ailleurs, l’article 4 détache les délits de provocation directe à des actes de terrorisme non suivie d’effet et l’apologie de ces actes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, pour les intégrer au code pénal. Ainsi, les dispositions relatives à la liberté de la presse ne s’appliqueront plus à des écrits vantant les exploits du PKK en Irak publiés sur internet mais le demeureront si ces mêmes écrits paraissent sur support papier. Pourquoi une telle différence de traitement ? La loi de 1881, et plus particulièrement son régime procédural, a sûrement besoin d’être réformée, mais cela mérite certainement réflexion, concertation, et impose surtout d’agir avec beaucoup de précaution.

L’article 9, enfin, prévoit la possibilité de blocage administratif des sites faisant l’apologie du terrorisme. Le moins que l’on puisse dire est que cette disposition a fait l’unanimité… contre elle !

Si l’on considère que le blocage de sites internet relève d’une importante restriction à la liberté d’information, une telle mesure doit être envisagée avec prudence, être proportionnée et efficace. Or il est difficile de considérer que le dispositif de cet article, qui ne prévoit pas l’intervention du juge judiciaire, …

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

… qui ne répond pas à l’objectif d’efficacité – le contournement du blocage est aisé pour quiconque ayant des connaissances moyennes en informatique – et qui n’offre aucune garantie de proportionnalité, les risques de surblocage étant massifs, peut être conservé en l’état.

Les dispositions que je viens d’évoquer, ainsi que d’autres de ce texte, sont indéniablement lourdes de menaces. Appliquées sans jugement ou à mauvais escient, elles sont évidemment susceptibles de porter atteinte aux libertés et aux droits fondamentaux des individus, que notre système juridique a pourtant pour mission impérative de protéger.

Je dois le dire, je ne suis pas plus convaincue aujourd’hui que je ne l’étais il y a deux ans que ce qui est soumis à notre vote permettra de nous protéger contre les Mohammed Merah et Mehdi Nemmouche de demain.

En l’état, les écologistes considèrent donc que le présent projet de loi n’atteint pas le juste équilibre entre les exceptions au droit commun qu’il prévoit et la protection des libertés fondamentales.

D’ailleurs, monsieur le ministre, vous partagiez cette opinion voilà quatre ans à peine, comme en témoignent les débats sur la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2, contre laquelle vous aviez voté, avec l’ensemble du groupe socialiste. Ce texte, soutenu par MM. Sarkozy et Hortefeux, contenait également une mesure de blocage administratif des sites internet, mesure contre laquelle vous vous étiez élevé, la qualifiant de « liberticide » et d’« inefficace ».

Pour sa part, le groupe écologiste continue de penser que la mesure que vous défendez aujourd’hui est pour le moins liberticide et probablement pas très efficace. Par cohérence avec les idées que nous défendons depuis longtemps, nous ne pourrons donc pas voter ce texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les cas récents, que nous avons tous en tête, d’actes de terrorisme dramatiques perpétrés sur notre territoire national, ou même de Français partis rejoindre des groupes djihadistes, en vue de combattre notre État de droit et la liberté dans le monde.

Oui, la lutte contre le terrorisme est un impératif permanent pour les pouvoirs publics, et le contexte international, à savoir la guerre engagée par la coalition internationale contre l’État islamique en Irak, nous presse aujourd’hui de répondre aux nouvelles menaces qui pèsent sur la France.

La réponse que nous devons donner à cette occasion ne peut pas seulement se traduire par un durcissement de notre arsenal pénal. Elle doit également passer par l’adaptation de notre législation aux « nouveaux risques » à anticiper.

Ayant été rapporteur de la commission des lois pour plusieurs textes de lutte contre le terrorisme, je sais combien ce phénomène a évolué.

Voilà encore dix ans, nous devions faire face à des éléments terroristes formés, organisés en réseaux et aux moyens d’action relativement sophistiqués.

Mais l’« affaire Merah » a tragiquement inauguré l’ère nouvelle des « loups solitaires », ces individus marginaux, aux revendications confuses, à l’action spontanée, aux liens variables avec les nébuleuses terroristes étrangères, entretenus dans leur radicalisation par les moyens modernes de communication.

Ces individus, difficilement prévisibles, doivent donc être empêchés de sévir sur notre territoire, notamment après avoir rejoint, pour certains, des camps d’entraînement djihadistes à l’étranger.

À ce sujet, nous ne pouvons donc qu’approuver l’esprit général du texte, qui vise essentiellement à appréhender ce phénomène des « loups solitaires » et à interdire à ces individus de quitter le territoire pour rejoindre des groupes terroristes.

Nous approuvons également – les rapporteurs l’ont rappelé – le renforcement des mesures pénales, qu’il s’agisse du renforcement du dispositif de lutte contre la détention et l’usage de systèmes de traitement automatisés de données ou de l’aggravation des sanctions réprimant les infractions lorsqu’elles sont commises en bandes organisées.

Un autre point qui me paraît très important est le renforcement des moyens de police judiciaire, avec la possibilité ouverte aux officiers de police judiciaire de réquisitionner les techniciens compétents en matière de cryptographie, avec l’autorisation de la « cyber-infiltration » et avec l’élargissement du champ des données susceptibles d’être collectées sans l’autorisation de leur propriétaire.

Vous l’avez souligné, mes chers collègues, la rationalisation des moyens de la justice va permettre une action plus efficiente, en étendant les compétences du pôle antiterroriste en matière de poursuites, d’instruction et de jugement des infractions des actes terroristes lorsqu’ils font l’objet d’un mandat d’arrêt européen ou d’une demande d’extradition – à ce propos, il convient de féliciter les magistrats du pôle antiterroriste – et en centralisant les compétences à la cour d’appel de Paris pour l’examen des demandes de mandat d’arrêt européen ou les demandes d’extradition.

Nous approuvons et saluons l’excellent travail accompli par nos rapporteurs, Jean-Jacques Hyest et Alain Richard, notamment sur la question des infractions de provocation ou d’apologie des actes terroristes et sur les interceptions. En effet, sur leur proposition, la commission des lois a judicieusement modifié le texte.

Afin de ne pas extraire l’ensemble de ces délits de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la commission a prévu de n’incriminer ces faits au sein du code pénal que lorsqu’ils sont commis par le biais d’internet. Nous avons estimé que ce moyen de communication présentait des caractéristiques objectives exigeant l’usage de moyens d’enquête plus performants, alors que le régime spécial de la loi de 1881 doit continuer à s’appliquer pour la commission des mêmes infractions sur les supports de presse traditionnels.

Par ailleurs, nous avons limité les cas dans lesquels le délai de conservation des interceptions de sécurité pourra être porté de dix à trente jours, afin de permettre à l’administration de surmonter des difficultés techniques sans porter une atteinte excessive au secret des correspondances.

Mais que de temps perdu du fait que, après l’élection présidentielle de 2012, la nouvelle majorité a accepté de travailler seulement a minima, et en le dénaturant, sur le projet de loi que le gouvernement de Nicolas Sarkozy devait présenter à la suite de l’affaire Merah !

Nous voulons aujourd’hui accomplir un travail législatif constructif, mais nous avons également besoin de réponses, monsieur le ministre : des réponses auxquelles les Français ont droit, surtout quand leur sécurité est en jeu.

Les services secrets français pourront-ils encore compter longtemps sur la chance ? En effet, il y a deux semaines, la DGSI s’est retrouvée dans une situation très inconfortable : trois djihadistes présumés, de retour de Syrie via la Turquie, sont entrés sur notre territoire en passant la frontière à l’aéroport de Marseille alors que les services français les attendaient à l’aéroport d’Orly, à la suite d’un changement intervenu lors de l’embarquement en Turquie, détail qu’aurait omis de transmettre la police de l’air et des frontières turque.

Vous avez expliqué aux Français qu’il n’y avait pas eu de dysfonctionnement des services français. Soit ! Je tiens d’ailleurs à exprimer à nouveau toute notre confiance envers ces hommes et ces femmes qui veillent en permanence sur la sécurité nationale et nos intérêts. Mais comment expliquer, malgré tout, que ces djihadistes présumés aient pu passer l’étape des contrôles à l’aéroport de Marseille ?

La réponse réside tout de même dans un problème franco-français : une défaillance, au moment des faits, du système informatique CHEOPS, qui permet le fonctionnement des principaux fichiers de police. Les syndicats de police dénoncent, depuis de nombreuses années maintenant, les carences de ce système. Alors ma question, monsieur le ministre, est simple : nous allons légiférer aujourd’hui pour mettre en place un nouvel arsenal – même si je goûte peu ce terme – de lutte contre le terrorisme, mais qu’en est-il de ce dispositif informatique, fondamental pour la sûreté de notre pays ?

Oui, jusqu’à présent, le dispositif antiterroriste s’est révélé plutôt efficace. Aucun attentat islamiste n’a été perpétré sur le territoire hexagonal entre 1996 et 2012. Nous pouvons tous nous en féliciter, mais la menace se rapproche depuis l’éclatement de la guerre civile en Syrie et l’intervention française en Irak.

Ce théâtre d’opérations attire, on le constate tous les jours, des jeunes. Vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, que près de 1 000 personnes résidant en France sont concernées : plus de 350 combattraient sur place, plus de 180 seraient rentrées en France et plus de 230 auraient l’intention de partir. La « masse critique » serait atteinte.

Ces chiffres m’amènent à m’interroger sur les contrôles à nos frontières et à celles de l’espace Schengen.

Le rôle des services de l’État est aujourd’hui d’estimer la dangerosité de Français, ou de binationaux, partis combattre à l’étranger, dont tout le monde ignore les projets au retour. La législation européenne, le code frontière Schengen, interdit les contrôles systématiques des ressortissants de l’Union européenne ; c’est-à-dire que les vérifications effectuées à l’arrivée sur notre territoire sont aléatoires et à vocation migratoire. Le cœur du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui se situe là : la vocation migratoire, et non pas policière, du contrôle.

Un outil pourrait être fort intéressant pour les services de police : le PNR, ou passenger name record. Il s’agit des données de réservation du transport aérien. Cette possibilité d’échange de données entre États, ainsi que l’utilisation de celles-ci, pose pour la CNIL et son homologue européen, le G29, un certain nombre de problèmes quant au respect de la vie privée.

Nous devons, comme la commission des lois l’a fait durant ses travaux, penser la lutte contre le terrorisme et la sûreté de notre territoire dans le cadre de nos libertés publiques, auxquelles nous sommes tous profondément attachés. Nous ne devons cependant pas exclure de réfléchir intelligemment et collectivement à cette piste européenne. Nous devons rompre avec la culture du cloisonnement et du secret, nuisible à la bonne conduite des enquêtes.

Sur ce sujet des enquêtes, je souhaiterais vous interroger, monsieur le ministre, sans pour autant empiéter sur les débats budgétaires que nous aurons prochainement, sur le Centre national des écoutes. Il a en effet pour mission de capter toutes les télécommunications susceptibles de constituer une menace potentielle pour la sécurité de l’État, avec pour première cible les mouvements terroristes pouvant agir sur le sol national. Étant donné l’amplification du problème, démontrée par les chiffres que vous annoncez, qu’envisagez-vous d’un point de vue budgétaire pour optimiser son opérabilité ?

Enfin, monsieur le ministre, vous avez mis en place un dispositif d’assistance aux familles et de prévention de la radicalisation violente par l’ouverture d’un « numéro vert », ce dont on ne peut que vous féliciter. L’objectif est de rompre la solitude de familles confrontées à des circonstances très difficiles et de mobiliser les moyens de l’État pour les aider à surmonter ces douloureux problèmes. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous faire un premier bilan de cette action positive pour nos concitoyens ?

À la suite de l’affaire Merah, l’UMP avait souhaité engager un débat de fond sur la lutte contre le terrorisme, qui n’avait pas pu prendre l’ampleur et la force souhaitées, notamment à cause d’un changement de politique au lendemain de l’élection présidentielle. Fort heureusement, il n’y a pas eu en France de répétition d’actes semblables depuis lors, mais la survenue d’un tel événement aurait sanctionné une grave erreur de votre majorité.

Désormais, nous n’avons plus de temps à perdre, mais une action urgente dans ce domaine ne doit pas être pour autant une action précipitée.

Les débats qui s’ouvrent ici ont vocation à faire en sorte que le dispositif que nous adopterons soit le mieux adapté aux réalités nouvelles, mais aussi le plus efficace possible pour les services opérationnels, car nous pourrions prévoir les sanctions les plus dures, les plus strictes, elles n’auraient aucune portée si elles n’étaient pas effectivement applicables.

Sous réserve de ces observations, le groupe UMP votera ce texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, tout a déjà été dit sur la barbarie, l’horreur, les massacres de masse, les viols systématiques, la négation de l’humanité qui constituent le terrorisme.

Un millier de ressortissants français sont aujourd’hui impliqués dans des filières djihadistes en Syrie et en Irak. Il faut aussi évoquer la communication, la manipulation des jeunes, la désinhibition, la multiplication des attentats-suicides, l’instrumentalisation des religions. Il est important, à cet égard, que les autorités de l’islam en France aient dit avec force que le terrorisme est contraire aux valeurs de cette religion.

Il est vrai que la plus grande victoire du terrorisme serait de nous conduire à renoncer à nos libertés. Cela étant dit, il faut ajouter aussitôt, mes chers collègues, que ne pas réagir, ne rien faire, laisser faire, c’est porter atteinte à la liberté de vivre, d’échapper aux décapitations et aux crucifixions qui, hélas, sont bien une réalité : elles sont filmées, diffusées, et ces images sont autant d’instruments d’une propagande horrible et cynique, niant tout ce qu’il y a d’humanité en chacune et en chacun d’entre nous.

Nous avons donc pour mission d’écrire un texte qui soit équilibré, efficace pour lutter contre le terrorisme, tout en marquant notre profond attachement aux libertés.

Au cours des trois dernières années, j’ai été membre de la délégation parlementaire au renseignement, qui fonctionne sous le régime du secret défense. Cette expérience m’a marqué. En cette qualité, j’ai eu l’occasion de rencontrer des responsables de l’ensemble des services de renseignement. Au fil des mois, j’ai conçu une grande admiration et un profond respect, que je tiens à exprimer à cette tribune, à l’égard des femmes et des hommes qui font partie de ces services de renseignement, ainsi que des forces de la gendarmerie et de la police. En effet, ils accomplissent avec une grande abnégation des missions extrêmement difficiles pour lutter contre le terrorisme et déjouer un certain nombre d’attentats. Je tiens à saluer ici l’action de l’ensemble de ces personnels.

Lors des discussions qui ont eu lieu, tant à l’Assemblée nationale qu’au sein de la commission des lois du Sénat, des propositions ont été faites – j’espère qu’elles seront adoptées au terme de ce débat – en vue de bien ajuster l’équilibre du texte et de prendre les précautions nécessaires quant à la défense des libertés publiques. Plutôt que d’en parler de manière générale, j’en donnerai des exemples.

Tout d’abord, il me paraît important que nos collègues députés aient contribué, lors de la première lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale, à mieux définir la notion d’entreprise terroriste individuelle, en prévoyant que « plusieurs » éléments – non pas un seul, mais au moins deux – seront nécessaires pour caractériser le délit d’entreprise terroriste individuelle, éléments qui devront donner lieu à des preuves. Cela devrait permettre d’éviter des erreurs préjudiciables.

Ensuite, s’agissant de l’interdiction de sortie du territoire, nous avons présenté, avec mes collègues du groupe socialiste, plusieurs amendements, dont l’un tend à préciser qu’une telle décision devra être fondée sur des faits précis et circonstanciés. Nous en reparlerons ultérieurement.

Des dispositions relatives au récépissé ont été adoptées en commission sur l’initiative de nos deux rapporteurs, dont je tiens à saluer le travail, de manière que ce document soit strictement défini par la loi et qu’il ne produise pas d’autre conséquence que celles tenant à sa nature de récépissé.

Nos rapporteurs ont également préconisé que les délais dans lesquels devra statuer le tribunal administratif dès lors qu’il aura été saisi – faut-il rappeler une fois encore que le juge administratif est, dans notre pays, l’un des juges des libertés ? – soient précisés dans la loi. Je tiens à saluer cette excellente initiative.

En outre, notre groupe a déposé un amendement tendant à prévoir qu’en cas de prolongation de la mesure, il conviendra de donner place au principe du contradictoire, c’est-à-dire que la personne concernée devra obligatoirement présenter ses observations devant l’État, sans préjudice bien entendu des recours possibles devant le tribunal administratif.

Les rapporteurs m’ont fait observer ce matin que cet amendement était inutile, car déjà satisfait par les textes en vigueur. Nous allons le vérifier ; si tel est bien le cas, nous retirerons cet amendement.

Pour ce qui concerne la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, la CNCIS, sujet que connaît bien M. Hyest, alors que votre texte prévoit, monsieur le ministre, la possibilité d’ordre général de porter le délai de conservation des données à trente jours, nos rapporteurs proposent sagement d’en rester à dix jours, quitte à ce que la CNCIS décide elle-même, sur avis motivé, de prolonger ce délai. En tout état de cause, une telle prolongation ne saurait être systématique. Je crois qu’il s’agit d’une mesure positive, qui témoigne, une fois encore, de notre attention au respect des libertés et au bon exercice du droit.

La loi de 1881 sur la liberté de la presse est l’une des grandes lois de la République ; nous y sommes tous très attachés et nous l’évoquons très régulièrement ici au Sénat. L’idée de n’extraire du champ de cette loi, pour le transférer dans le code pénal, que ce qui relève de l’apologie et de la provocation au terrorisme par le biais d’internet me paraît judicieuse, et je soutiens totalement la position de nos rapporteurs, qui justifient cette mesure dans l’exposé des motifs de l’amendement n° 18 de la commission des lois, en précisant que l’utilisation du réseau internet présente des « caractéristiques objectives qui rendent légitimes des moyens d’enquête plus intrusifs – accessibilité et possibilité d’ajouter des contenus universels, possibilité de messages plus complets et complexes […], possibilité d’une prise de contact interactive avec des personnes, etc. »

Les députés ont eu l’idée de donner un pouvoir à une personne compétente désignée par la CNIL. Nous proposerons, par le biais d’un amendement, de préciser qu’il est nécessaire que cette personne soit membre de cette autorité. En effet, monsieur le ministre, il nous paraît vraiment indéfendable qu’une autorité administrative indépendante puisse désigner elle-même une personnalité qualifiée qui lui serait extérieure. À cet égard, je signale qu’il existe une proposition de loi relative aux autorités administratives indépendantes, déposée sur l’initiative de M. Patrice Gélard et que j’ai cosignée afin que nous puissions l’examiner. J’espère que nous aurons l’occasion de nous pencher sur ce texte précieux.

Par ailleurs, je pense utile qu’une commission d’enquête parlementaire, dont la création a été demandée par nos collègues du groupe UDI-UC, soit bientôt mise en place : sa composition a été annoncée très récemment. Elle nous permettra de continuer à travailler, en lien notamment avec le ministère de l’intérieur, sur ce sujet important.

Je terminerai en revenant sur la question de l’interdiction administrative de sites internet. Le texte prévoit que toute décision de cette nature pourra être contestée devant la justice administrative. En outre, le blocage est subsidiaire par rapport au retrait, qui constitue la priorité : cela n’est pas neutre. Monsieur le ministre, une question a souvent été posée et je la soulève de nouveau aujourd’hui à cette tribune : pour ne pas compromettre la crédibilité du présent texte, il serait bon que le décret soit publié en même temps que celui sur l’interdiction des sites pédopornographiques, qui n’est pas encore paru.

Par ailleurs, j’ai bien entendu les arguments de certains de nos collègues, selon lesquels l’interdiction administrative de sites internet sera sans effet en pratique ou inapplicable, car un site supprimé réapparaîtra de toute façon sous une autre forme. Pour ma part, je n’accepte pas cette résignation. Je sais que les choses sont difficiles ; pour autant, je pense que c’est désespérer de l’intelligence humaine, et de l’intelligence du législateur en particulier, que de considérer qu’il y aurait en quelque sorte une sphère – internet – où le droit ne s’appliquerait pas, qu’il s’agisse du droit d’auteur, de la propriété intellectuelle ou de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, l’apologie du terrorisme. S’il en est vraiment ainsi, laissons faire et démissionnons, mes chers collègues ! En ce qui me concerne, je crois que l’on doit inlassablement se battre pour qu’internet soit régi par le droit.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste sans porter atteinte de manière disproportionnée aux libertés publiques, telle est la délicate équation à laquelle sont confrontées les démocraties, en particulier celles qui sont engagées dans la coalition contre Daech. Si l’actualité des dernières semaines accentue l’urgence en la matière, il s’agit bien évidemment d’un défi très largement antérieur à l’escalade constatée au Moyen-Orient. Cela fait d’ailleurs plusieurs mois que l’Assemblée parlementaire de l’OTAN m’a chargée d’un rapport sur ce sujet complexe du terrorisme, les membres de l’Alliance atlantique s’interrogeant sur l’adaptation de leurs dispositifs aux nouveaux visages du terrorisme. Nous combattons non pas des organisations structurées, mais de multiples mouvements protéiformes aux liens complexes, promouvant le passage à l’acte de « loups solitaires ».

Au mois de juin 2013, voilà plus d’un an, le rapport de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, mise en place par l’Assemblée nationale, concluait à une insuffisance de moyens humains, matériels et juridiques. Ce projet de loi est donc, monsieur le ministre, le bienvenu pour répondre aux lacunes du cadre législatif.

Toutefois, je tiens à souligner d’emblée la nécessité que les dispositions de ce texte s’accompagnent du déblocage de moyens adéquats, et donc importants, en matière de politique de prévention, de surveillance des candidats au djihad sur notre sol et d’efforts de déradicalisation. Nous en reparlerons lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, mais je tenais à mettre ce point en exergue dès à présent.

De manière générale, ce projet de loi met l’accent sur la répression de faits – voyages dans des zones de djihad, apologie du terrorisme – intervenant en amont des actes terroristes eux-mêmes. L’intérêt de cette pénalisation me semble résider davantage dans les possibilités d’investigation qu’elle ouvre aux enquêteurs que dans la perspective d’entraver la commission des faits ou de punir de potentiels djihadistes avant tout passage à l’acte.

C’est pourquoi je salue les dispositions de l’article 4 faisant entrer dans le code pénal les délits de provocation et d’apologie du terrorisme, aujourd’hui assimilés à des délits de presse, moins en raison de la dangerosité même de cette infraction que par souci d’efficacité, puisque cela permettra aux enquêteurs de disposer de moyens d’enquête renforcés : surveillance, infiltrations, écoutes téléphoniques, captation de données informatiques…

A contrario, je suis à titre personnel un peu sceptique quant à l’utilité du blocage administratif de sites internet incitant au terrorisme et à la création d’un délit de consultation habituelle des sites terroristes. D’un point de vue pragmatique, plutôt que de clore ces sites, il me semblerait plus utile de mieux en surveiller les visiteurs pour détecter de potentiels candidats au djihad. C’est d’ailleurs ce que certains États ont bien compris, qui créent parfois de faux sites internet permettant de repérer certaines velléités terroristes individuelles.

Par ailleurs, ces deux mesures me semblent constituer, tout comme peut-être le recours abusif à des écoutes, une atteinte disproportionnée à la liberté d’information et d’expression. Créer une exception autorisant certaines professions à consulter ces sites ne répondrait nullement au problème, comme le souligne l’association La Quadrature du net, qui s’est beaucoup engagée, inspirant même certains amendements sur le sujet.

Un contrôle démocratique est indispensable, mais nous ne pouvons renier nos valeurs fondamentales, incarnées dans l’État de droit, car ce serait là – vous l’avez d’ailleurs vous-même signalé, monsieur le ministre – une véritable victoire pour les terroristes.

De surcroît, la consultation de tels sites internet ne crée pas de danger immédiat. Dans le cadre de la préparation de mon rapport sur le terrorisme pour le compte de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, j’ai interrogé de nombreux experts : tous s’accordent sur la faiblesse de la fiabilité des modes opératoires fournis en ligne pour produire des bombes ou autres dispositifs terroristes. Internet constitue pour eux davantage une « chambre de résonance » pour individus déjà radicalisés qu’une porte d’entrée dans le djihad.

Dans ce contexte, et étant donné les possibilités de contourner les fermetures de sites en se tournant par exemple vers les réseaux sociaux, le blocage des sites pourrait n’avoir pour effet que d’alimenter la victimisation et la radicalisation des personnes censurées. L’exemple chinois illustre la difficulté, même pour un État consacrant de très importantes ressources au contrôle de l’internet, de maîtriser la diffusion de contenus sur les réseaux sociaux.

La création d’un délit d’entreprise terroriste individuelle me semble très utile, dans la mesure où elle offre de nouveaux moyens juridiques aux enquêteurs, mais potentiellement dangereuse quand il s’agit d’arrêter des individus en amont de tout passage à l’acte. La présomption d’innocence est un fondement de notre État de droit. À nouveau, j’y insiste : renforcer la surveillance est plus efficace qu’arrêter préventivement, notamment dans la perspective du démantèlement de réseaux. Mettre en place une véritable politique de prévention, notamment au sein des prisons et après la fin de la détention, me paraît essentiel, ainsi que développer une communication adaptée, comme cela se fait par exemple au Royaume-Uni avec la promotion d’imams modérés et des appels à une vigilance renforcée.

En tant que sénatrice des Français de l’étranger, je suis interpellée par la création d’une interdiction de sortie du territoire en cas de soupçon de départ vers une zone de djihad. Le départ de centaines de personnes résidant en France vers le Moyen-Orient pour prendre part aux combats ou se former à des techniques violentes est un fait que le législateur ne peut ignorer. Pour autant, la formulation actuelle de l’article 1er ne traite que partiellement le problème, en ne visant que les ressortissants français, et non l’ensemble des résidents en situation régulière sur notre territoire. Le retrait des pièces d’identité françaises pourra aisément être contourné par les binationaux, qui feront valoir leur autre passeport.

Je m’interroge également sur la nécessité de retirer physiquement les pièces d’identité, dans la mesure où elles peuvent faire l’objet d’une invalidation aux fins de signalement au système d’information Schengen, ce qui les rend inutilisables pour sortir de l’espace Schengen.

Surtout, j’appelle à la retenue dans l’application de cette mesure attentatoire à la liberté de déplacement. Les pays pouvant être concernés par l’expression « théâtre d’opérations de groupements terroristes » sont plus nombreux que l’on pourrait le croire au premier abord. Il faut donc veiller à ne pas freiner les échanges avec ces zones où, souvent, les Français ne sont pas assez présents, à ne pas trop dissuader nos compatriotes de s’y intéresser pour des raisons professionnelles ou personnelles et à ne pas fragiliser les économies de certains de ces pays, largement dépendantes du tourisme.

En matière de prévention du terrorisme sur notre sol, l’enjeu est d’ailleurs moins d’empêcher les départs au Moyen-Orient que de mieux surveiller les retours. Un article paru hier dans un grand quotidien évoquait les incertitudes juridiques entourant ces « expulsions sécurisées ». Le projet de loi n’apporte pas de véritable réponse à ces interrogations. En droit international, il est impossible d’empêcher un Français de rentrer en France. La déchéance de nationalité envisagée par certains autres pays n’est bien sûr pas à l’ordre du jour chez nous. Il est donc essentiel de renforcer la surveillance des djihadistes de retour sur notre territoire. L’enjeu est alors dans une large mesure d’ordre opérationnel, comme l’a tristement illustré la récente non-interception des proches de Merah à leur retour de Turquie.

De ce point de vue, je soutiens la position de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui préconise que les mineurs de retour en France après avoir été engagés à l’étranger dans des entreprises terroristes « fassent l’objet d’un accompagnement particulier par la justice, au titre de l’enfance en danger ou de l’enfance délinquante ».

Qu’il s’agisse de mineurs ou de majeurs, le travail de déradicalisation et de contre-propagande est essentiel, et ce tant sur internet que dans la vie civile ou en prison. Dans ce domaine, la France a encore beaucoup à apprendre de ses partenaires internationaux, en particulier des États-Unis ou du Royaume-Uni. Il est donc essentiel d’intensifier les échanges de bonnes pratiques et le partage d’analyses et d’informations à l’échelle internationale.

À l’échelon européen, cet impératif a été rappelé lors du Conseil des 5 et 6 juin derniers consacré au terrorisme et à la sécurité des frontières. Frontex joue depuis dix ans un rôle croissant dans la sécurisation des frontières européennes. Cette agence facilite la coopération intra-européenne, ainsi que les partenariats hors Union européenne, notamment avec les États-Unis, dans le domaine de la sécurité aérienne et maritime.

S’il est de la responsabilité de chaque État de renforcer son arsenal législatif, aucun pays ne peut plus lutter isolément contre le terrorisme. Une stratégie concertée de lutte contre les agents de terrorisme est indispensable, notamment en matière de régulation d’internet, de repérage des sources de financement du terrorisme international, criminalité, trafic de stupéfiants et terrorisme étant intimement liés, nous le savons.

Chacun de nos grands États démocratiques a ses traditions de travail et de secret en ce domaine, mais un tel cloisonnement n’est plus de mise, car il entraîne pertes d’énergie et d’efficacité, morcellement et fragmentation des informations. Beaucoup d’organismes s’intéressant à ces questions sont aujourd'hui sinon superflus, du moins redondants, y compris à l’échelon international. Je pense par exemple à certaines agences des Nations unies.

C’est pourquoi j’appelle de mes vœux, monsieur le ministre, le regroupement de services nationaux et le développement de procédures intergouvernementales, par exemple dans le cadre d’un observatoire pérenne ou d’une mission internationale sur le terrorisme chargé de la coordination, de la surveillance, de l’échange d’informations, ainsi que d’une assistance technique, juridique et policière aux États fragilisés par le terrorisme. Une telle coordination me semble indispensable au succès des mesures qui seront prises sur notre territoire.

Tel n’est bien évidemment pas l’objet précis du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis, mais il me semblait être de mon devoir d’attirer votre attention sur cette proposition, monsieur le ministre. §

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Je sollicite une brève suspension de séance, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le ministre.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La séance est reprise.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Yves Leconte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque fois qu’un texte de ce type, touchant aux libertés individuelles, nous est soumis, qui plus est selon la procédure accélérée et dans un climat de forte émotion, il est toujours délicat d’aborder son examen avec toute la sérénité nécessaire. Il faut pourtant se garder de brader les libertés les plus essentielles pour se procurer un sentiment temporaire de sécurité.

De ce point de vue, le travail de l’Assemblée nationale, mais surtout celui des rapporteurs du Sénat, qui ont scruté l’ensemble du texte pour essayer de tenir compte le plus possible de l’exigence de respect des libertés publiques, méritent d’être salués.

À titre liminaire, avant d’aborder le texte lui-même, j’observerai que le fait que de nombreux jeunes quittent la France ou d’autres États européens et du sud du bassin méditerranéen pour perpétrer des actions terroristes et violentes en Syrie ou en Irak nous oblige à nous interroger sur notre société, qui engendre de l’exclusion, de la violence, et dont les valeurs sont parfois en complet décalage avec la réalité de la parole publique.

C’est pourquoi nous devons aborder ce débat en ayant conscience que si les dispositions du présent projet de loi sont absolument nécessaires à court terme – il s’agit en quelque sorte de dispositions curatives, permettant de parer au plus pressé –, nous devons aussi nous poser des questions plus fondamentales sur notre contrat social et les raisons du départ de tant de jeunes vers les zones de combat : à défaut, nous ne parviendrons pas à traiter les problèmes de manière préventive.

Nous devons aussi avoir pleinement conscience qu’il ne s’agit pas là de questions franco-françaises, ni même européennes. Il convient de les aborder sans jamais nourrir la thèse de la guerre ou du choc des civilisations promue par certains. En effet, les pays du sud de la Méditerranée, en particulier le Maroc, la Tunisie, l’Égypte et l’Algérie, rencontrent des difficultés similaires aux nôtres ; nous ne pourrons les résoudre que dans un esprit de coopération.

Internet est un média de plus en plus utilisé pour faire vivre le droit à l’information et à la liberté d’expression. Avec cet outil, chacun peut rester dans sa bulle, sans se faire remarquer. Cela est vrai en matière de terrorisme, mais aussi de culture, de modes de vie, de langues, de centres d’intérêt, de musique, etc., de telle sorte que, finalement, la capacité des États à être le cadre de la vie sociale de leurs habitants s’atténue… Il s’agit là d’une constatation globale.

Cela nous oblige à adopter une attitude doublement prospective : d’une part, il convient de favoriser le développement d’une citoyenneté numérique, en faisant en sorte que la norme législative n’apparaisse pas décalée par rapport aux évolutions d’internet ; d’autre part, il importe de mobiliser l’ensemble des acteurs et des contributeurs du net selon une démarche positive, et non pas répressive.

Cette capacité d’internet à s’affranchir des frontières constitue la limite des dispositions nationales antiterroristes. Nous devons le constater, non le déplorer, et traiter cette nouvelle réalité dans un cadre de coopération internationale. Une action nationale ne peut constituer une réponse adaptée ; nous devons en être absolument convaincus.

Il nous faut mobiliser l’ensemble des composantes de nos civilisations aujourd’hui menacées par certaines dérives : les familles, les associations, les acteurs d’internet, les entreprises, les syndicats, les partis, les clubs, les religions…

Enfin, nous devons avoir conscience que le Conseil constitutionnel a été saisi de tous les textes relatifs à la lutte contre le terrorisme ayant précédé celui-ci. Ce ne sera peut-être pas le cas cette fois, mais nous ne sommes pas à l’abri, ultérieurement, d’une question prioritaire de constitutionnalité, si certaines dispositions apparaissaient comme trop attentatoires aux libertés.

À cet égard, l’article 1er touche à la liberté fondamentale de quitter son territoire, protégée par le protocole n° 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la CEDH, et par l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont la France est signataire et qui stipule que « toute personne a le droit de quitter n’importe quel pays, y compris le sien ».

La mesure d’interdiction de sortie du territoire prévue porte à l’évidence atteinte à la liberté d’aller et venir et ne peut pas être prise sans précautions particulières. Il s’agit toutefois d’une mesure préventive qui doit pouvoir être adoptée rapidement. Elle permettra, dans certains cas spécifiques, de protéger des familles, des vies, et s’inscrit tout à fait dans le cadre de la résolution 2178 des Nations unies du 24 septembre dernier, laquelle invite l’ensemble des États membres de l’Organisation des Nations unies à se mobiliser pour éviter que des combattants terroristes potentiels ne partent pour la Syrie ou l’Irak.

Je m’interroge aussi, à l’instar de ma collègue Joëlle Garriaud-Maylam, sur le choix de viser les ressortissants français plutôt que les personnes résidant en France. Nous reviendrons sur cette question lors de l’examen des amendements, ainsi que sur celle de la politique européenne. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, l’Europe n’est pas le problème, elle est la solution. Il faut réaffirmer le principe de la liberté de circulation au sein de l’espace Schengen tout en modifiant le fonctionnement de celui-ci. Le système d’information Schengen – le SIS – et le système d’information sur les visas – le VIS – constituent un début, mais il faut probablement aller beaucoup plus loin.

D’autres orateurs avant moi ont évoqué la loi sur la liberté de la presse. À l’évidence, il est indispensable de créer une nouvelle infraction qui permette de tenir compte du rôle structurant d’internet pour les organisations terroristes, mais il n’est probablement pas nécessaire de transférer l’ensemble des délits de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie du terrorisme de la loi de 1881 sur la liberté de la presse vers le code pénal.

S’il est possible, sur un plan purement philosophique, de distinguer le terrorisme, qui fait de la violence une fin en soi, de la résistance, qui peut, à un moment donné, considérer que la violence est nécessaire à la défense d’une cause sans jamais en faire un objectif, il est difficile de traduire cette distinction sur le plan juridique. Cela pose un réel problème au regard de la liberté d’expression et de la répression de ses abus. Il me semble, à cet égard, qu’il aurait été préférable de laisser intact le champ de la loi sur la liberté de la presse. Nos rapporteurs ont voulu préserver au maximum celui-ci en en extrayant les délits commis sur internet. Pour ma part, j’estime qu’il vaudrait mieux définir plus précisément le délit qui constitue véritablement une menace, et laisser le reste dans la loi sur la liberté de la presse. C’est l’objet d’un des amendements que j’ai déposés.

S’agissant de l’article 5 – qui est peut-être l’article central du projet de loi –, créant l’infraction d’entreprise terroriste individuelle, le travail de l’Assemblée nationale et des rapporteurs du Sénat a sensiblement réduit dans la définition de cette infraction la place de l’arbitraire, qui pouvait inquiéter à l’origine. Aujourd’hui, contrairement à ce que certains disent, on peut considérer que l’on n’a pas introduit le principe de précaution dans le code pénal ; nous pouvons, me semble-t-il, nous en satisfaire. À cet égard, il faut bien distinguer l’article 1er, dont le dispositif est précisément d’ordre préventif, et l’article 5, qui définit ce nouveau délit, absolument nécessaire dans un certain nombre de cas.

Concernant l’article 9, monsieur Sueur, on ne peut pas légiférer à l’encontre de la réalité… Internet pose à l’évidence un défi à la souveraineté des États. Nous devons y faire face, mais le blocage administratif des sites me paraît inopérant, pour les raisons que j’aurai l’occasion de développer en présentant un amendement. Ce n’est pas parce que les États crieront plus fort qu’internet se conformera à leurs souhaits. Internet présente en effet un danger particulier en matière de terrorisme, cependant nous devons faire en sorte de ne pas heurter ceux qui peuvent nous aider. De ce point de vue, la proposition des rapporteurs de porter de vingt-quatre à quarante-huit heures la durée de la phase de négociation, celle qui laisse la place à l’intelligence, est utile : il faut en effet pouvoir expliquer à l’hébergeur pourquoi on lui demande de fermer tel ou tel site. Je reviendrai lors de la discussion des amendements sur les dispositions techniques, mais il est très difficile, voire impossible, de supprimer des sites.

Enfin, je souhaite à mon tour rendre hommage à nos ambassades et consulats de la région, en particulier à ceux d’Istanbul, d’Ankara, d’Amman, d’Erbil, de Bagdad, de Beyrouth, qui doivent faire face à des situations particulières tout en continuant à traiter les affaires courantes au service de nos compatriotes, à assurer leur sécurité, ainsi qu’à recevoir les demandes d’asile des habitants de ces régions confrontées à des tragédies humanitaires. Nous devons saluer leur travail.

Opposer liberté et sécurité est un classique de la philosophie politique. Mais les choses ne sont pas aussi simples, car cette vision binaire repose sur l’idée de la mise en place d’un pouvoir absolu ayant le devoir d’assurer la sécurité de sujets renonçant pour ce motif à une partie de leur liberté.

Toutefois, dans une démocratie, où les personnes ne sont pas des sujets, mais des citoyens, les libertés publiques sont à la base de la légitimité de l’État. Cette remarque oblige à ne pas trouver naturelle toute évolution des contraintes imposées aux citoyens. Elle est encore plus d’actualité dans un monde où l’encadrement de la liberté d’information et de communication n’est plus, de facto, une prérogative de l’État et où il ne peut plus y avoir de contrat social sans responsabilité citoyenne. C’est pourquoi nous devons considérer internet pour ce qu’il est et réfléchir au défi qu’il représente pour la souveraineté des États.

Le terrorisme, c’est le gouvernement de la peur, par la peur et pour la peur. Nous ne pouvons lui céder, ni entrer dans son jeu, qui est d’abord un jeu de communication, qui crée des ambiances et prépare progressivement les esprits à l’avènement d’un absolutisme. C’est la raison pour laquelle chaque évolution du droit doit être soigneusement pesée et mesurée, afin que nous ne tombions pas dans le piège que nous tend le terrorisme.

Monsieur le ministre, des évolutions du droit, il en faut. L’objectif de ce projet de loi qui, à entendre les interventions des orateurs depuis le début de cette discussion générale, sera largement soutenu, est d’en introduire. Cela étant, il ne règle pas tout : la coopération internationale s’impose, renforcer la politique européenne sur ce sujet est de plus en plus urgent, et il faut d’abord s’appuyer sur la responsabilité des citoyens. C’est là un enjeu majeur. Les citoyens doivent pouvoir s’approprier cette loi, car sans mobilisation citoyenne, il ne pourra y avoir de lutte efficace contre le terrorisme. §

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant qu’élu du Tarn-et-Garonne, où se trouve la ville de Montauban, dans laquelle Mohamed Merah a perpétré l’un de ses sinistres forfaits, je mesure combien la création du délit d’entreprise terroriste individuelle, qui permet d’élargir la définition de l’acte terroriste et de sanctionner les actes préparatoires à caractère terroriste de personnes agissant seules, et non plus seulement les actes commis en bande organisée, va dans le bon sens.

Mohamed Merah avait été inscrit au fichier des personnes recherchées après ses séjours en Afghanistan et au Pakistan. Il avait fait l’objet d’une surveillance dès janvier 2011, et avait même été convoqué par la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI. Pourtant, cela ne l’a pas empêché d’agir. Ce cas de figure pose la question des moyens humains et matériels dont disposent nos services pour mener les investigations, ainsi que celle de la nécessaire coopération entre police et justice.

Il y a lieu aussi de s’interroger sur le dispositif prévu à l’article 1er, qui instaure une procédure permettant, par la confiscation du passeport et de la carte d’identité, d’interdire la sortie du territoire des ressortissants français susceptibles de se rendre à l’étranger pour rallier des théâtres d’opérations de groupements terroristes ou participer directement à des activités terroristes. Qu’en est-il pour les étrangers ou les binationaux ? Une telle mesure n’appelle-t-elle pas une coopération entre les pays membres de l’espace Schengen ?

Certaines dispositions du projet de loi visent à lutter contre le terrorisme à l’âge d’internet. Il faut bien évidemment éviter la diffusion des incitations à partir vers des zones de combat, et plus généralement renforcer la lutte contre la propagande à caractère terroriste. L’amendement n° 18, adopté en commission sur l’initiative des rapporteurs, permet de préserver la portée des dispositions contenues dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et de concilier les deux impératifs que sont la sécurité et le respect des libertés publiques.

À l’évidence, les pays démocratiques comptent de plus en plus sur les méthodes de filtrage, de blocage de sites et de censure pour contrer l’extrémisme, mais il faut bien voir que ces modes opératoires ont, par nature, leurs propres limites. En effet, ils peuvent se révéler potentiellement contreproductifs, dans la mesure où la plupart des arrestations pour actes de terrorisme en France s’appuient sur des informations trouvées sur internet, permettant de mener les enquêtes et de fournir des preuves en cas de mise en examen.

Dès lors, le fait de bloquer l’accès aux sites ou de censurer les contenus « non désirés » risque de faire disparaître des informations utiles sans que la source soit supprimée.

D’aucuns expliquent qu’il est assez facile de créer un autre site, de republier l’information ou d’utiliser le dark web, cet internet parallèle dont les sites ne sont pas répertoriés par les moteurs de recherche traditionnels, si bien qu’il est difficile d’en réguler l’accès et d’y contrôler le contenu des informations.

Toujours est-il que je suis de ceux qui se réjouissent du chemin parcouru par de nombreux membres de notre assemblée. En effet, du côté gauche de l’hémicycle, certains n’avaient pas approuvé la loi relative à l’antiterrorisme ni les dispositions antiterroristes de la loi de 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. J’en retiens que tout le monde a le droit de s’amender !

Comme beaucoup d’autres orateurs, je voudrais saluer le caractère équilibré de ce projet de loi, qui répond au double souci d’adapter les moyens de lutte contre le terrorisme et de préserver nos libertés fondamentales. Alors, bien sûr, comme chaque fois en pareil cas, les « ligues de vertu » n’ont pas manqué de crier aux « mesures liberticides », faisant même une comparaison avec les dérives de la NSA américaine, qui ont abouti à l’espionnage de toute la population mondiale. Derrière les dispositions qui nous sont soumises aujourd’hui, il y aurait l’« obsession sécuritaire » de l’État, dont nous serions naturellement les complices consentants. Je crois qu’il y a surtout des obsédés de l’obsession sécuritaire… Certains ont même convoqué le philosophe Michel Foucault à l’appui de leurs préjugés. Il vaut mieux laisser les philosophes dans leur domaine d’excellence !

Je passe donc rapidement sur cette antienne. En définitive, depuis trente ans, chaque nouvelle avancée ou adaptation de l’antiterrorisme pour faire face à une recrudescence du terrorisme ou à une modification de ses formes suscite les mêmes réactions. On a l’impression que, pour certains, le risque n’est jamais suffisamment avéré, ou du moins jamais assez important, pour que l’on puisse envisager d’adapter notre arsenal.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Pourtant, les autorités les plus mesurées et les plus avisées n’ont plus de doute quant à la réalité de ce risque. Toutes considèrent que notre pays sera frappé, seul le moment reste inconnu.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Ce risque repose sur des éléments tangibles que l’on ne peut ignorer. Oui, le risque est élevé ; oui, les candidats au djihad en Syrie ou en Irak n’ont jamais été aussi nombreux.

La grande majorité des articles du projet de loi donnent au juge judiciaire et aux services de police placés sous son autorité les leviers d’investigation nécessaires. Le droit pénal ne sera donc pas contaminé. De toute façon, l’exigence de proportionnalité entre l’atteinte portée à la liberté individuelle et le but poursuivi par le législateur a été maintes fois réaffirmée. Les libertés publiques ne sont pas en danger. Il faut aussi rappeler que les magistrats du pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris attendent de pouvoir disposer d’un tel arsenal législatif, alors même qu’ils n’en voulaient pas il y a quelques années.

Mes chers collègues, ce projet de loi doit nous conduire à faire preuve de détermination, sans irénisme ni rodomontades, et à accepter la simple et vitale nécessité de regarder froidement le terrorisme, y compris dans ses formes nouvelles, et d’y faire face. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Bigot

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité, le quinzième jour de ma présence dans cette assemblée, m’exprimer dans la discussion générale de ce projet de loi, car je n’ai pas oublié que, il y a encore quelques mois, je présidais la communauté urbaine de Strasbourg, où nous avons vécu un drame terrible : sept jeunes d’un quartier de Strasbourg ont été interpellés parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir rejoint un groupe terroriste ; ils sont d'ailleurs toujours en détention aujourd'hui. Le risque était que des familles se sentent elles-mêmes accusées, que des divisions apparaissent au sein du quartier en question et que la communauté musulmane soit l’objet d’attaques. Nous mesurons donc à quel point il est important de pouvoir agir et prévenir. C’est le sens de l’article 1er du projet de loi.

Cependant, les « ligues de vertu », comme les a appelées le précédent orateur, ont tout à fait raison de nous interpeller chaque fois que nous examinons un texte comme celui-ci. Peut-on, au nom de la lutte contre le terrorisme, porter atteinte à des libertés essentielles qui fondent notre démocratie ? Je crois que, de ce point de vue, le présent projet de loi est parfaitement équilibré.

L’article 1er prévoit d’autoriser le ministre de l’intérieur à prononcer des interdictions de sortie du territoire. C’est là une mesure exceptionnelle, et d’une exceptionnelle gravité, mais je peux vous dire qu’elle est attendue par certaines familles dont les enfants, adolescents ou majeurs, ont été approchés par des djihadistes et pensent trouver dans le djihad un repère ou un sens à leur vie, même si ce choix peut les conduire prématurément à la mort.

L’interdiction de sortie du territoire doit être assortie de dispositions protectrices. Elle constitue incontestablement une mesure administrative et non une mesure judiciaire : les mesures judiciaires sont des mesures de sanction, or il s’agit en l’espèce d’une mesure de police, qui doit pouvoir donner lieu aussi rapidement que possible à un débat contradictoire ; l’excellent travail de notre commission des lois a permis d’améliorer le texte sur ce point.

La durée maximale de l’interdiction de sortie du territoire est de six mois. Elle pourra être prolongée, mais il faut espérer que le travail fait avec le jeune pendant ces six mois permettra de le ramener à de meilleures intentions. L’interdiction de sortie du territoire est une mesure de protection de notre territoire et de nos citoyens, bien entendu, mais aussi des familles victimes.

Nous devons être très vigilants, car l’objectif des terroristes est de susciter la peur et la division dans nos sociétés. Monsieur le ministre, je pense que les mesures de votre projet de loi, telles qu’amendées par notre commission des lois, sont satisfaisantes.

Il faut parvenir à endiguer l’embrigadement de notre jeunesse. De ce point de vue, nous savons que, si la mondialisation rend tout beaucoup plus complexe, elle rend aussi tout beaucoup plus facile pour les terroristes. Nos frontières sont ouvertes ; leur contrôle devient plus compliqué, notamment au sein de l’Union européenne. En outre, internet permet des connexions extrêmement simples. Nous ne sommes pas sûrs – le rapporteur l’a souligné tout à l'heure – que le dispositif de lutte contre l’apologie du terrorisme sur internet soit pleinement satisfaisant, mais ce n’est pas une raison pour renoncer. En tout état de cause, cela met en exergue la nécessité de mener une vraie réflexion sur les changements induits par internet dans notre société, y compris en matière de liberté de la presse.

Un certain nombre d’organisations syndicales de magistrats ou d’avocats souhaitent que, dans le dispositif de l’article 1er, le juge administratif ne soit pas préféré au juge judiciaire. Le juge judiciaire a un rôle répressif ; le juge administratif a un rôle de contrôle des décisions de l’administration. Même si certains juges judiciaires sont appelés juges des libertés, ces juges décident en fait de placer ou non en détention : c’est le juge administratif qui est le premier garant des libertés publiques. Un bon équilibre a été trouvé dans le projet de loi.

Par ailleurs, la proposition, formulée par la commission des lois du Sénat, de n’extraire du champ de la loi sur la liberté de la presse les faits de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme que lorsqu’ils sont commis sur internet est importante. Cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux conséquences à tirer du passage de Gutenberg à la télévision puis de la télévision à des systèmes de communication omnipotents.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis cet après-midi devrait nous inciter à dépasser largement les clivages et les polémiques partisanes pour nous concentrer sur le seul sujet qui vaille : la sécurité des Français face au terrorisme.

Pour lutter contre le terrorisme, nous ne pouvons rester cantonnés à une approche franco-française – l’un de nos collègues l’a souligné tout à l'heure – ni nous perdre dans des débats dilatoires sur la défense des libertés publiques.

Tant à Paris qu’à l’étranger, la France doit faire face au même ennemi, au même fanatisme et au même extrémisme de la part de groupes criminels organisés, dont les ressources financières ridiculisent nos budgets nationaux. N’ayons pas peur des mots : ce qu’on appelle la République islamique dispose a minima de 420 millions de dollars provenant de banques irakiennes, et jouit des revenus du pétrole, puisqu’elle en vend 120 000 barils chaque jour. L’État islamique en Irak et au Levant dispose d’un trésor de guerre estimé à 1 milliard de dollars, qui lui permet de recruter aisément des mercenaires venus d’Afrique et d’Orient.

Alors, que faire lorsque des milliers de Français s’engagent dans un combat mené par des prophètes autoproclamés, au nom d’une religion détournée, dévoyée et bafouée ?

Que faire quand certains de nos concitoyens trahissent les principes fondateurs de notre République, au point qu’ils se rendent en Algérie, en Syrie, en Irak, en Belgique pour assassiner des innocents ?

Que faire, enfin, quand ces Français rentrent tranquillement – c’est peu dire –, après avoir fait leurs classes dans des camps d’entraînement au Yémen, en Afghanistan ou au Pakistan ? De retour en France, ces élèves aguerris guettent le moment propice pour appliquer les enseignements reçus, d’une barbarie inouïe et d’une technicité de combat digne d’une armée professionnelle… Il ne s’agit plus seulement de réseaux dormants, mais bien de bombes à retardement.

Mes chers collègues, avons-nous compris que nous sommes dans une situation de guerre et que, confrontés à un conflit total, nous avons, hélas, encore une guerre de retard ?

Cette situation, nous devons l’appréhender selon un double niveau de lecture.

Tout d’abord, il importe de prendre en compte les bouleversements survenus dans le monde arabe, au-delà du seul Moyen-Orient. Aujourd’hui, il n’est plus question de la lutte éternelle entre les sunnites et les chiites. Nous n’assistons plus seulement au développement, ici et là, de tensions régionales, mais à un phénomène d’agrégation par lequel le terrorisme se propage dans différents pays, récupérant astucieusement des conflits locaux. À sa manière, il s’apparente à une guerre mondiale, où tous les fronts sont liés, connectés, quand bien même ils seraient éloignés.

L’Afrique est gagnée par ce phénomène, tout comme l’Asie : depuis 2003, les Pakistanais sont victimes d’attentats et l’Irak subit le terrorisme ; l’Indonésie éprouve la violence de milices islamistes. Ce phénomène s’accentue avec la déliquescence des États et la porosité des frontières.

Aujourd’hui, au Nigéria, Boko Haram commet les mêmes exactions que les tribus islamiques au Sinaï ou que celles qui sévissent en Mésopotamie : instauration de zones de non-droit, trafics d’êtres humains et de drogue, camps de torture.

Ayant compris les enjeux de la médiatisation, forts d’une communication bien rodée, ces fous séduisent les esprits faibles.

Comment ces groupuscules ont-ils réussi à attirer de jeunes hommes, de jeunes femmes et même, récemment, des familles ? Comment, au pays des Lumières, sommes-nous passés à un tel degré d’obscurantisme ?

On savait que certaines mosquées étaient sous influence salafiste, mais, aujourd’hui, ce ne sont pas elles qui sont à l’origine de cette radicalisation. Elles sont même dépassées et sont plutôt les victimes de cet individualisme que le terrorisme sait justement utiliser.

En réalité, cette radicalisation de masse se fait par internet, comme beaucoup l’ont rappelé cet après-midi. Les réseaux ont profité de nos échecs en matière d’intégration, constituant même un accélérateur de désintégration. Ils ont supplanté ce vaste réseau affectif réel qu’est la nation. À l’imaginaire national, internet a substitué des imaginaires qui respirent la haine et la destruction.

Ce texte présente des avancées, avec le blocage de sites internet ou la création d’une nouvelle incrimination d’entreprise terroriste individuelle. Pour autant, monsieur Cazeneuve, vous êtes le ministre de l’intérieur. Or cet intérieur français est aujourd’hui malade d’un manque de cohésion nationale. Les réponses dépassant largement le périmètre de votre ministère, je vous souhaite d’être soutenu dans votre tâche par vos collègues de la justice et de l’éducation nationale. Par ailleurs, je nous souhaite à tous d’être lucides, pour protéger les Français et, surtout, pour nous doter de moyens à la hauteur de cette guerre contre le terrorisme. §

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, mon intervention ne portera que sur l’article 9 du projet de loi. Je ne me livrerai pas à une description aussi catastrophiste que celle que je viens d’entendre, même si, naturellement, je sais que nous devons être attentifs. Néanmoins, l’intelligence doit primer, me semble-t-il, sur la peur.

Il n’aura échappé à personne que le blocage des sites est une mesure qui sera techniquement inefficace. Nous savons les uns et les autres que contourner un tel blocage est aujourd’hui presque un jeu d’enfant. Lors du débat sur les jeux en ligne, nous avions déjà observé combien il serait difficile de combattre les sites illégaux, clandestins. Les mêmes dispositifs de contournement trouvent à s’appliquer pour les sites internet qui nous occupent aujourd’hui : un simple abonnement d’un coût de 5 euros par mois à un virtual private network permet, en utilisant ses tunnels de réseaux chiffrés, d’échapper au blocage.

Pour autant, j’admets l’argument selon lequel le blocage, même si son efficacité sera limitée, doit néanmoins être pratiqué, pour que ceux qui se livrent à la propagande ou au recrutement de candidats au djihad ne bénéficient pas d’une totale impunité, et plus encore d’une impunité symbolique. Dont acte !

Une fois ce constat fait, la question est de savoir selon quelles modalités ce contrôle doit être exercé.

Nous sommes tous d’accord pour considérer qu’internet ne doit pas être une zone de non-droit, mais ce sujet est sensible, car il met en jeu la liberté de communication et la liberté d’expression. Il est donc nécessaire de prendre un certain nombre de précautions, qui nous ont été rappelées par le Conseil constitutionnel. Celui-ci, à plusieurs reprises, notamment à propos de la loi HADOPI, a ainsi indiqué qu’il était impossible d’interdire l’accès à internet à un particulier, sauf sur intervention du juge judiciaire, puisqu’il s’agit d’une liberté fondamentale.

La loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique a doté les hébergeurs et les éditeurs d’un statut plutôt libéral, à la fois en faisant référence à la loi sur la liberté de la presse et en soumettant les hébergeurs à une responsabilité pénale et civile atténuée. Par ailleurs, cette loi a précisé, dans le prolongement de la directive de 2000 qu’elle transposait, qu’il ne saurait être question d’imposer aux hébergeurs une obligation de surveillance générale, donc de les rendre responsables de manière systématique des contenus qu’ils pourraient être amenés à héberger et à diffuser.

Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé à de nombreuses reprises que les ingérences dans le fonctionnement d’internet doivent être justifiées par des motifs légitimes, en rapport avec les objectifs de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – c’est bien le cas de la lutte contre le terrorisme –, pratiquées selon des procédures nécessaires, c’est-à-dire indispensables pour atteindre l’objectif souhaité – en l’espèce, avec ce texte, nous nous trouvons un peu à la limite – et en tout cas maîtrisées, c’est-à-dire de nature à ne produire que des effets secondaires limités, notamment en matière de surblocage.

On le voit, il s’agit là d’un domaine relativement délicat. Au regard des arguments que je viens d’évoquer, il pourrait sembler assez naturel de s’en remettre, pour la prise d’une décision de blocage, au juge judiciaire plutôt qu’à l’autorité administrative. Nous y sommes d’ailleurs invités par un certain nombre de dispositions qui ont été votées ces dernières années, le législateur ayant donné le sentiment qu’il souhaitait plutôt privilégier cette orientation. Je sais bien que la loi relative à la lutte contre la pédopornographie a introduit une exception, que nous avions d’ailleurs combattue à l’époque, mais, s’agissant des dispositions qui ont pu être adoptées dans d’autres domaines – l’article 18 de la loi de 2004 déjà évoquée ou la loi de 2007 relative à la prévention de la délinquance –, le recours au juge judiciaire a été à chaque fois privilégié.

D’une certaine façon, on a pu avoir le sentiment qu’une sorte de consensus était en train de s’établir sur cette orientation, que l’on retrouve dans le rapport de la mission parlementaire sur la neutralité de l’internet et des réseaux menée en 2011 par une députée socialiste et une députée du groupe UMP : il y était estimé souhaitable que ce soit le juge judiciaire qui tranche ces questions. Le groupe de travail interministériel sur la lutte contre la cybercriminalité n’est pas arrivé à des conclusions différentes.

Par ailleurs, les lois qui ont prévu un recours à l’autorité administrative, comme celle sur la lutte contre pédopornographie, n’ont pas vu leurs décrets d’application être publiés, et les dispositions de l’article 18 de la loi de 2004 ont été abrogées très récemment.

Par conséquent, nous abstraire, en matière de lutte contre le terrorisme, d’une logique qui est en train de s’imposer, privilégiant l’intervention du juge judiciaire, poserait un vrai problème de cohérence.

Quels sont, au fond, les arguments que l’on peut opposer à l’intervention du juge judiciaire et qui justifieraient un changement de doctrine ?

On peut évidemment se tourner vers le Conseil constitutionnel, qui, dans la décision qu’il a rendue sur la loi relative à la lutte contre la pédopornographie, a admis que l’autorité administrative puisse intervenir. Néanmoins, il a précisé que la question de savoir si l’intervention de l’autorité administrative, dès lorsqu’elle était encadrée et contrôlée par le juge administratif, était préférable à celle du juge judiciaire n’entrait pas dans le champ du contrôle qu’il devait exercer. Sur cette question, il a estimé devoir laisser au législateur le soin de prendre ses responsabilités, en exerçant un contrôle minimum.

L’argument invoqué à l’époque était que la saisine du juge judiciaire entraînerait des retards et soulèverait des difficultés, s’agissant de situations spécifiques. Pour autant, je ne crois pas que le juge des référés puisse être accusé de ralentir l’action des pouvoirs publics. En effet, il peut intervenir extrêmement rapidement ; nous en avons eu la démonstration en de multiples circonstances.

La problématique des « sites miroirs », qui est souvent évoquée, pourrait, à l’évidence, être traitée par le juge lui-même. Celui-ci pourrait ainsi prévoir que sa décision s’appliquera aux différents « sites miroirs » susceptibles d’être mis en place.

J’ai donc du mal à comprendre pourquoi nous ne restons pas fidèles, dans un souci de cohérence, à une orientation qui commençait à s’affirmer. Sur l’ensemble de ces questions, je pense qu’il serait souhaitable que nous donnions à l’opinion publique et à l’ensemble des acteurs d’internet une solution claire : puisqu’un régime plutôt libéral a toujours prévalu dans ces domaines – ce qui ne veut pas dire que tout est permis –, il revient au juge judiciaire de décider le blocage d’un site. Je crois que ce serait plus simple, plus net.

Je le répète, je n’ai toujours pas compris pourquoi on a choisi de changer de démarche à cet égard, d’autant que les problèmes posés par la lutte contre le terrorisme sont très différents de ceux de la lutte contre la pédopornographie, seul domaine aujourd’hui où l’intervention du juge judiciaire n’est pas privilégiée.

En effet, le délit de pédopornographie est constitué immédiatement : il suffit de prendre connaissance des images. En revanche, les choses sont beaucoup plus compliquées en matière de terrorisme : s’il est possible de qualifier sans hésitation de provocation à commettre des actes terroristes ou d’apologie du terrorisme la diffusion d’images monstrueuses tournées en Syrie, que dire d’images montrant des personnes engagées à Gaza aux côtés de soldats du Hamas ou encourageant des ressortissants français à se rendre en Ukraine pour y combattre avec les milices pro-russes ? En effet, monsieur Charon, ce dernier cas de figure existe aussi.

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

S’agit-il là aussi de terrorisme ? Le retour en France de ces personnes doit-il être considéré comme une menace ? On voit bien que, de ce point de vue, l’intervention du juge judiciaire présenterait davantage de garanties. En effet, monsieur le ministre, si, pour vous connaître, je n’ai aucun doute sur vos intentions, il n’en demeure pas moins que la loi que nous voterons sera appliquée par tous les gouvernements à venir. Or, qui dit que tous seront animés par le même état d’esprit et les mêmes préoccupations ?

J’évoquerai une dernière question, celle du rôle dévolu à la CNIL. La disposition qui a été introduite par l’Assemblée nationale témoigne tout de même d’un certain embarras des promoteurs du texte au regard de ce que je viens d’évoquer. Car enfin, s’il s’agit d’aller vite en faisant appel à l’autorité administrative pour prendre la décision de blocage, pourquoi ajouter une intervention de la CNIL, qui prendra forcément un certain temps ?

Par ailleurs, la CNIL n’a pas de compétence particulière en ces domaines. Certes, on m’objectera qu’il appartient au législateur de fixer les compétences de cette instance, et qu’il lui est donc toujours loisible de les étendre, mais, jusqu’à présent, la CNIL n’a jamais eu à juger des contenus. En donnant une telle compétence à la CNIL, nous changerions donc assez largement son domaine d’intervention, d’autant que cette extension concernerait tous les domaines dans lesquels liberté et internet sont en cause, et pas seulement celui de la lutte contre le terrorisme. Il s’agirait par conséquent d’une évolution majeure, qu’il me paraîtrait assez maladroit d’improviser au détour de la discussion du présent texte.

Telles sont les observations que je voulais formuler à l’occasion de cette discussion générale. Je salue la volonté du Gouvernement de mener une action résolue contre le terrorisme, mais l’article 9 de ce projet de loi, qui introduit une exception à une logique que nous croyions, les uns et les autres, bien calée, ne me paraît tout à fait convaincant. J’y reviendrai lors de l’examen des articles, mais mes réserves ne concernent pas l’ensemble du texte, que je soutiens. §

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Au terme de cette discussion générale, je voudrais tout d’abord remercier chaleureusement les rapporteurs de ce texte, ainsi que M. le président de la commission des lois, d'avoir su créer les conditions d’un débat de grande qualité au sein de la commission. Cela a permis, sur chaque article du projet de loi, d’aller au fond des choses. Alain Richard et Jean-Jacques Hyest ont réalisé un travail extrêmement rigoureux et utile pour améliorer le texte, dans un souci d’équilibre, en établissant une relation de travail de qualité avec les membres de mon cabinet.

Je voudrais également remercier les orateurs de tous les groupes de leur contribution au débat.

Quelles que soient les divergences qui peuvent exister entre nous à propos de ce projet de loi, nous sommes tous soucieux de lutter contre le terrorisme, dans le respect rigoureux des libertés publiques auquel nous tenons. Il n’y a donc pas d’un côté ceux qui lutteraient contre le terrorisme en remettant en cause des libertés publiques, parce qu’animés d’un état d’esprit liberticide et sécuritaire, et de l’autre ceux qui se proposeraient de lutter contre ce fléau en prévoyant des mesures garantissant le complet respect des libertés, d’autant que le texte que je soumets à la représentation nationale ne remet nullement en cause les libertés publiques.

Je voudrais donc, avant toute chose, répondre à un certain nombre d’orateurs qui se sont exprimés sur ce thème.

J’ai écouté avec intérêt les interventions de Mmes Assassi et Benbassa.

Je comprends, au travers de leur discours, qu’elles sont aussi déterminées que le Gouvernement à lutter contre le terrorisme, mais qu’aucune des mesures de ce projet de loi, à quelques exceptions près, ne leur agrée.

Je comprends qu’elles considèrent comme attentatoire à la liberté d’aller et venir l’interdiction administrative de sortie du territoire, destinée à empêcher certains de nos ressortissants d’aller se faire tuer sur des théâtres d’opérations ou de commettre des crimes sur notre sol à leur retour.

Je comprends que l’article 9, qui prévoit le blocage des sites internet, non pas a priori, mais après que les hébergeurs et éditeurs ont été alertés sur les risques que présente la diffusion d’un certain nombre de vidéos ou d’images, ne leur convient pas non plus et qu’il leur semble attentatoire à la liberté d’expression.

Je comprends qu’extraire les incriminations d’apologie du terrorisme et de provocation au terrorisme sur internet du champ de la loi de 1881 sur la liberté de la presse pour les intégrer dans le code pénal ne leur agrée pas non plus, car c’est à leurs yeux une atteinte à la liberté de la presse et, par conséquent, à la liberté d’expression.

Je comprends enfin que l’entreprise terroriste individuelle est, à leur avis, une incrimination pénale qui, en dépit de ce qui nous a été indiqué par les juges antiterroristes, ne présente ni intérêt ni utilité et que, par conséquent, elle devrait disparaître du projet de loi.

Dès lors, j’aimerais que vous m’indiquiez, mesdames les sénatrices, ce qui subsisterait du texte si nous vous suivions. Étant donné qu’il n’en resterait rien, je voudrais que vous m’indiquiez, puisque vous êtes aussi déterminées que le Gouvernement à lutter contre le terrorisme, quelles mesures il faudrait lui substituer. Cela m’intéresse au plus haut point, je suis à l’écoute ! Si tout le monde est d’accord pour lutter contre le terrorisme et si les mesures que je propose ne conviennent pas, j’attends que l’on m’indique celles qui doivent leur être substituées. N’étant aucunement psychorigide, je les reprendrai volontiers à mon compte…

Tout cela pose un problème de fond, d’ordre politique, presque philosophique. Mme la sénatrice Benbassa a affirmé que si des gens s’engagent dans des opérations terroristes, c’est parce que la République les a relégués et que l’école s’est montrée incapable de les garder en son sein. C’est d’ailleurs là une curieuse manière de remercier l’école de la République et les enseignants, qui consacrent une grande partie de leur temps à transmettre des connaissances, à promouvoir les valeurs de la République et à lutter contre l’obscurantisme. Pour le travail qu’ils accomplissent, nous leur devons considération et respect.

Au-delà de cet aspect, qui n’est pas négligeable et a suscité certaines réactions de la part de M. Alain Richard, auxquelles je m’associe, une telle approche pose un problème politique de fond. En effet, elle repose sur l’idée que des formes de relégation concerneraient spécifiquement certaines communautés, ce qui pourrait justifier qu’un certain nombre de leurs membres s’engagent dans des opérations terroristes. Si l’on voulait stigmatiser ces communautés, on ne tiendrait pas un autre discours !

Mme Esther Benbassa proteste.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Me trouvant à Carpentras il y a quelques jours, pour la fête de l’Aïd, j’ai pu constater à cette occasion que les musulmans de France ne demandent qu’une chose : que l’on ne développe pas ce genre de discours, que nous affirmions fortement avec eux que les actions de ces groupes terroristes, dont ils entendent être absolument dissociés, n’ont rien à voir avec les principes, la lettre et l’esprit de leur religion. Ils ne souhaitent pas que nous tenions sur ce sujet des discours à caractère social qui pourraient en quelque sorte justifier des actes dont ils ne sauraient en aucun cas être tenus pour comptables, eux qui, dans la pratique de leur religion et au sein de la République, se réfèrent en permanence à des valeurs totalement contraires à cette barbarie.

Par conséquent, si l’on refuse, comme moi, la stigmatisation des musulmans de France, parce que l’on a la conviction qu’ils sont attachés à la République et à ses valeurs et qu’ils pratiquent un islam apaisé, il ne faut pas tenir de tels propos, madame la sénatrice : je le dis comme je le pense !

Je m’y oppose absolument, pour cette raison simple que la barbarie des terroristes, les actes qu’ils commettent, les discours qu’ils véhiculent doivent avant toute chose être condamnés, d’une façon ferme, résolue. Toutes les explications du monde ne pourront en aucun cas justifier ces actes, parce qu’ils sont, intrinsèquement et absolument, inacceptables !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l’UDI -UC et de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Cela n’exclut en rien, madame la sénatrice, que l’on mette en place des dispositifs préventifs, que l’on accompagne des familles…

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

D’ailleurs, nous le faisons ! Affirmer à la tribune que ce projet de loi ne comporte pas de mesures préventives, sans rappeler toutes celles que nous avons mises en place mais qui ne figurent pas dans le texte parce qu’elles ne relèvent pas du domaine législatif, ne me paraît pas très convenable.

Chacun d’entre nous a bien entendu le droit de dire ce qu’il pense, mais il faut le faire avec une exigence de rigueur, de sincérité et de précision, afin que nous puissions au moins être d’accord sur la réalité du sujet qui nous occupe.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Je veux maintenant répondre à Mme Assassi, à Mme Benbassa, à M. Gorce sur une question nullement dérisoire, qui mérite d’être posée : celle de l’arbitrage constant entre le respect des libertés publiques et la nécessité de protéger les citoyens.

Concernant l’interdiction administrative de sortie du territoire, qu’ils me permettent de dire que leur raisonnement me paraît erroné en droit. Selon eux, il y aurait un « bon » juge, absolument protecteur des libertés publiques en toutes circonstances, le juge judiciaire, et un « mauvais » juge, bras armé du Gouvernement qu’il aiderait dans toutes les basses manœuvres que celui-ci voudrait accomplir, le juge administratif.

Or cela ne correspond pas du tout à l’état du droit en France. En effet, le juge administratif est l’un des juges qui, dans l’histoire de notre droit, lorsque des gouvernements ont pu être suspectés de vouloir attenter aux libertés publiques, s’est dressé face à eux pour défendre ces libertés. Sans entrer dans le détail de la riche jurisprudence du Conseil d’État, je citerai quelques arrêts parmi ceux qui ont été les plus cités, comme l’arrêt Canal de 1962 ou l’arrêt Benjamin de 1933. Tous ces arrêts de la jurisprudence administrative figurent parmi les décisions de justice les plus protectrices des libertés publiques.

À l’inverse, des décisions prises par le juge judiciaire ont pu paraître attentatoires à un certain nombre de libertés et furent contestées, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à la capacité du juge judiciaire de défendre en toutes circonstances les libertés publiques.

Alors, pourquoi opposer ainsi les deux ordres de juridictions, pourquoi instaurer une telle frontière ? Pourquoi invoquer une dichotomie qui ne correspond en rien à la réalité ?

Par ailleurs, M. Gorce a estimé que les mesures que nous proposons d’instaurer concernant internet ne sont pas convenables.

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

J’ai plutôt dit qu’elles ne sont pas cohérentes !

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Un peu de bonne foi, monsieur le ministre, tout de même !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Vous avez avancé plusieurs arguments, monsieur le sénateur, qui ont une certaine force.

Le premier de vos arguments est technique. Vous dites que le dispositif de blocage des sites n’est pas imparable et peut être contourné. C’est la vérité : je l’ai dit moi-même devant l’Assemblée nationale et je le confirme ici.

En revanche, dire que c’est un jeu d’enfant de le contourner n’est pas tout à fait exact. J’en ai parlé avec des hébergeurs et des opérateurs, ainsi qu’avec certains responsables de la CNIL : ils pensent que de 20 % à 30 % des personnes confrontées à un blocage ne pourraient pas le contourner. Un tel pourcentage est, à mes yeux, déjà considérable au regard du difficile combat que je mène !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Je pense donc que, en dépit de ses limites, le blocage est tout de même une mesure qui a son utilité.

Le deuxième argument que vous avez évoqué a trait aux modalités techniques du blocage. Il existe plusieurs possibilités, d’efficacité variable, et je dois reconnaître que plus le dispositif est intrusif, plus il est efficace.

Il s’avère que j’ai pris l’engagement devant l’Assemblée nationale, en précisant quelles étaient les modalités du blocage, de ne pas mettre en place un dispositif intrusif, parce que je ne souhaite pas que la mesure soit attentatoire aux libertés publiques. Lors de l’examen de l’article 9, je préciserai de manière extrêmement fine ce que seront les modalités techniques, pour vous apporter toutes garanties à cet égard. J’expliquerai d’ailleurs comment nous créerons les conditions de droit pour tenir l’engagement que j’évoquais et que je renouvelle devant vous.

Les opérateurs nous ont, là aussi, apporté des éléments extrêmement intéressants. Ils nous ont notamment indiqué qu’ils bloquaient des contenus de leur propre initiative. Ainsi, au début de la discussion générale, j’ai parlé d’une vidéo que la presse évoquait ce matin et dont le verbatim est assez monstrueux : or on m’indique à l’instant qu’elle a été retirée par les opérateurs eux-mêmes.

Quand les opérateurs retirent de leur propre chef une vidéo parce qu’ils estiment qu’ils ne doivent pas la diffuser en raison des risques qu’elle présente en matière d’incitation à la haine, d’apologie du terrorisme ou de provocation à commettre des actes terroristes, il ne s’agit pas d’un acte de censure, mais c’en serait un lorsque je propose d’intervenir en ce sens pour des raisons tenant à l’ordre public ?

Je rappelle en outre que la mesure qui figure à l’article 9 ne vise pas au blocage des sites : c’est un appel à la responsabilité des opérateurs, lesquels ne manqueront pas de se montrer responsables puisque, comme je viens de vous l’indiquer, ils bloquent déjà d’eux-mêmes des images, par exemple YouTube. S’ils ne le font pas, alors, nous proposerons le blocage, avec la part d’incertitude que cela comporte, et nous le ferons sous le contrôle du juge administratif, qui est garant des libertés publiques.

Vous me demandez pourquoi nous ne prévoyons pas que ce soit sous l’autorité du juge judiciaire. C’est une très bonne question : j’aurais pu, en effet, m’inscrire dans la continuité de ce qui avait déjà été acté ou envisagé auparavant. Si je ne le fais pas, c’est parce que cela me pose un problème extrêmement concret que je veux vous décrire et sur lequel je vous demande de me donner, si vous en avez, des solutions autres que celles que j’ai envisagées.

Car je ne peux pas, pour ma part, compte tenu des règles à respecter dans la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire - et auxquelles vous êtes tous attachés puisqu’elles relèvent de la séparation des pouvoirs –, donner d’instructions à un procureur de la République quand je constate qu’une telle vidéo est diffusée.

Si le juge judiciaire n’enclenche pas lui-même la procédure, je ne peux le saisir que dans un cas, qui a été précisé par le tribunal de grande instance de Paris à l’occasion d’une ordonnance rendue en juillet 2012 à propos de l’affaire Copwatch. Le tribunal a indiqué que mon ministère, qui a la charge de prévenir, ne peut intervenir que pour autant que le sujet le concerne directement, c'est-à-dire concerne son administration, son fonctionnement, ses propres services, ce qui n’est pas le cas dans la matière dont nous traitons.

Ainsi, pour faire en sorte que le juge judiciaire agisse en cette matière, faute d’avoir la capacité de le saisir moi-même, je n’ai pas de solution !

À partir du moment où je n’en ai pas en droit, je propose d’appeler l’attention des hébergeurs et des éditeurs, de le faire sous le contrôle du juge administratif, sans préjudice de la capacité du juge judiciaire de se saisir ultérieurement. Car la sensibilisation des éditeurs et hébergeurs est aussi une forme de sensibilisation du juge judiciaire qui, du fait de cette mesure, peut être appelé à se saisir beaucoup plus facilement de tels cas, alors que, compte tenu de l’état du droit et des principes fondamentaux de notre droit, je suis empêché de le saisir moi-même.

Voilà la raison pour laquelle c’est le contrôle du juge administratif qui a été retenu. De ma part, ce n’est pas une lubie, une tocade, une foucade, ce n’est pas une volonté de remettre en cause les prérogatives du juge judiciaire dans un domaine où il a légitimité à intervenir : c’est une impossibilité technique de le saisir !

Si d’autres solutions existent – et le débat parlementaire est aussi là pour en proposer –, nous sommes prêts, bien entendu, à les examiner et à les faire prospérer, mais je puis vous assurer que, avant de rédiger ce texte, ces sujets ont été examinés de près : la question a été pressée comme un citron !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Voilà ce que je voulais dire pour montrer qu’il n’y a pas, d’un côté, des parlementaires qui se préoccupent des libertés publiques en voulant lutter contre le terrorisme et, de l’autre côté, un Gouvernement désagréable qui, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, s’emploie d’abord à mettre en cause les libertés publiques. Il n’en est rien !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Ce Gouvernement dit pourtant le contraire de ce qu’il disait il y a deux ans !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Ce qui est dit sur le juge administratif, sur le juge judiciaire, sur l’équilibre de ce texte ne correspond pas à la réalité de ce qu’est l’état du droit, non plus qu’à celle du contenu de ce texte.

De même, j’appelle chacun ici à me dire concrètement comment l’on fait lorsqu’un individu s’est autoradicalisé, qu’il s’est engagé seul dans une entreprise terroriste et qu’il ne relève pas de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Comment faire pour procéder à son incrimination alors même que les juges antiterroristes nous disent qu’ils ont de plus en plus de mal à le faire ? Sauf à considérer que nous renonçons à l’incrimination pénale qui permet la judiciarisation du cas de ces individus isolés, ce qui ne semble pas être efficace pour lutter contre le terrorisme, je ne vois pas d’autre solution que celle que j’ai proposée ! Mais s’il en existe d’autres, là aussi, croyez-le bien, je suis preneur !

Voilà ce que je voulais dire, par souci de précision, de clarté du débat, pour bien matérialiser ce qu’est la position du Gouvernement sur ces questions.

Je tiens maintenant à répondre à un certain nombre d’orateurs de l’opposition, que je remercie pour leur contribution au débat, sur le fonctionnement et l’organisation des services du ministère de l’intérieur.

Auparavant, je reviendrai sur l’affaire du retour des djihadistes qu’a évoquée M. Courtois. Selon vous, monsieur le sénateur, au-delà de la question franco-turque qui a fait l’objet de mon déplacement en Turquie et de la définition d’un protocole de discussion porteur d’avancées, il y a des sujets qui sont « franco-français » et concernent notamment les conditions d’arrivée à Marseille des trois ressortissants français après leur expulsion de Turquie.

D’abord, s’ils sont arrivés à Marseille et non à Paris, où les attendaient des fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité intérieure, c’est parce qu’ils ont été mis dans un avion à destination de Paris, mais que le pilote de la compagnie turque Pegasus n’a pas voulu les laisser embarquer, s’agissant de trois ressortissants français qui sortaient de centres de rétention administrative en Turquie, où ils étaient détenus pour infraction au droit au séjour dans ce pays. Ils ont alors été embarqués dans un avion à destination de Marseille sans que les autorités françaises en aient été prévenues.

Vous me demandez comment il se fait qu’ils n’aient pas été arrêtés à Marseille par la police de l’air et des frontières. Il y a deux raisons à cela.

Premièrement, au moment où ils sont arrivés en France, aucune incrimination pénale, aucun mandat international ne pesait sur eux. Par conséquent, la police de l’air et des frontières ne pouvait pas les arrêter puisque le seul service qui disposait d’une commission rogatoire pour le faire, c’est la Direction générale de la sécurité intérieure.

En l’absence d’incrimination pénale et de mandat d’arrêt et en l’absence d’une commission rogatoire délivrée à la police de l’air et des frontières, ce service ne pouvait en aucun cas procéder à leur arrestation et ne pouvait même pas procéder à leur rétention avant que la Direction générale de la sécurité intérieure soit en mesure de se charger d’eux.

La deuxième raison de la non-arrestation est liée à CHEOPS, qui est d’après vous « le » sujet. Si problème CHEOPS il y a, il faut le rechercher dans l’obsolescence d’un dispositif informatique qui date du début des années quatre-vingt-dix, qui a vieilli et sur lequel on a greffé énormément de fichiers.

Je dois à la vérité de vous le dire, ce système informatique n’a fait, au cours des quinze dernières années, l’objet d’aucun investissement. Aucun ! On s’est contenté de laisser l’obsolescence de ce système se poursuivre ! Je souhaite corriger cela. Je souhaite qu’il y ait des investissements et qu’on modifie la gouvernance du dispositif de telle manière qu’il fonctionne.

Je ne suis en l’occurrence nullement animé par un esprit de polémique, mais je trouve un peu fort que l’opposition me reproche, à moi, le dysfonctionnement d’un système informatique pour lequel aucun investissement n’a été consenti pendant les dix années où elle était aux responsabilités, alors même que ce dispositif informatique faisait l’objet d’une agrégation de fichiers de plus en plus nombreux qui rendaient son obsolescence encore plus manifeste !

Cela étant, même si CHEOPS avait fonctionné, compte tenu de l’absence de commission rogatoire délivrée à la police de l’air et des frontières, le problème n’aurait pas pour autant été réglé.

Je tenais d’autant plus à mettre les choses au point devant vous que certains se sont empressés de mettre en cause les services du ministère de l’intérieur, allant jusqu’à parler d’incompétence. Or ces services ont fait leur travail avec beaucoup de vigilance dans le contexte de droit que je viens d’évoquer.

MM. Alain Richard, Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Sueur, Pierre Charon et d’autres l’ont dit : les services du ministère de l’intérieur font, comme d’autres services de notre pays, un travail absolument remarquable pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Ils le font en prenant des risques, en s’exposant, en donnant le meilleur d’eux-mêmes face à un défi qu’ils n’ont jamais eu à connaître et auquel ils s’adaptent en continu, avec une exigence vis-à-vis d’eux-mêmes qui témoigne avec force de la conception qu’ils se font du service public.

Je veux conclure cette intervention en rendant hommage aux policiers, aux gendarmes, aux fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité intérieure, et en les remerciant du travail qu’ils accomplissent.

Je veux aussi rendre hommage à nos juges de l’ordre judiciaire, à nos juges antiterroristes qui, eux aussi, s’exposent et font un travail remarquable. Je veux saluer ces magistrats mobilisés dans une relation en tous points excellente avec les services du ministère de l’intérieur, ainsi que les autres services de l’État qui accomplissent à l’extérieur des missions difficiles pour faire en sorte que nous soyons davantage armés dans la lutte contre le terrorisme. §

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Chapitre Ier

Création d’un dispositif d’interdiction de sortie du territoire

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

L'amendement n° 55, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 1

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois après la promulgation de la présente loi, un rapport d'évaluation complet du droit en vigueur en matière de terrorisme.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le ministre, j’ai bien écouté vos propos et je crois que vous ne comprenez que ce que vous avez envie de comprendre.

Souffrez quand même que l’on ne soit pas d’accord avec vous ! Souffrez que nous ayons des interrogations ! Souffrez aussi que nous fassions quelques propositions qui ne vous conviennent pas. N’est-ce pas l’objet du débat parlementaire ? En tout cas, c’est le débat démocratique qui, à un moment donné, tranchera !

Je dois vous dire que je n’ai pas du tout apprécié le ton sur lequel vous nous avez répondu. Je constate que vous êtes aujourd’hui beaucoup plus élégant dans vos réponses quand vous vous adressez aux travées de droite que quand vous vous adressez à celles de gauche !

Ah ! sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Avec cet amendement, nous entendons simplement faire un constat sur lequel tout le monde peut, me semble-t-il, s’accorder. Je veux parler de la prolifération de textes législatifs en matière de terrorisme qui rend le droit un peu imprécis, voire indéchiffrable, quand il n’est pas contradictoire.

Je ne reviens pas sur l’avis de la CNCDH où il est indiqué que l’empilement des réformes dans les domaines sécuritaire et pénal révèle l’extrême segmentation des sujets traités, ce qui ne permet pas une véritable réflexion d’ensemble.

Lors du débat à l’Assemblée nationale, beaucoup de choses ont été dites sur l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi et qui est relativement lacunaire.

C’est la raison pour laquelle nous demandons que soit inséré cet article additionnel aux termes duquel un rapport sera réalisé qui permettra de mesurer la pertinence et l’efficacité des mesures existantes en matière de terrorisme.

Je sais toutefois que la mise en place d’une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes pourra, elle aussi, nous apporter des éléments de compréhension et, je l’espère, un éclairage nouveau sur le sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

La commission n’a pas approuvé cet amendement pour des raisons que chacun peut entendre : de multiples rapports sont déjà en circulation sur des sujets voisins et, s’agissant de s’assurer de la cohérence et de l’efficience d’une législation, le Parlement, s’il le souhaite, est au moins aussi bien armé que le Gouvernement pour le faire.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

Avis défavorable.

L'amendement n'est pas adopté.

I. – Le livre II du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° Le titre II est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« Chapitre IV

« Interdiction de sortie du territoire

« Art. L. 224 -1 . – Tout ressortissant français peut faire l’objet d’une interdiction de sortie du territoire lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’il projette :

« 1° Des déplacements à l’étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes ;

« 2° Ou des déplacements à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français.

« L’interdiction de sortie du territoire est prononcée par le ministre de l’intérieur pour une durée maximale de six mois à compter de sa notification. La décision est écrite et motivée. Le ministre de l’intérieur ou son représentant met la personne concernée en mesure de lui présenter ses observations dans un délai maximal de 8 jours après la notification de la décision. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix.

« Lorsque les conditions en sont réunies, l’interdiction de sortie du territoire peut être renouvelée par décision expresse et motivée. Elle est levée aussitôt que ces conditions ne sont plus satisfaites. Les renouvellements consécutifs d’une interdiction initiale ne peuvent porter la durée globale d’interdiction au-delà de deux années.

« La personne qui fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire peut, dans le délai de deux mois suivant sa notification et suivant la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l’annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine.

« L’interdiction de sortie du territoire emporte retrait immédiat du passeport et de la carte nationale d’identité de la personne concernée ou, le cas échéant, fait obstacle à la délivrance d’un tel document.

« Un récépissé valant justification de son identité est remis à la personne concernée en échange de la restitution de son passeport et de sa carte nationale d’identité ou, à sa demande, en lieu et place de la délivrance d’un tel document. Ce récépissé suffit à justifier de l’identité de la personne concernée sur le territoire national dans les conditions prévues à l’article premier de la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité.

« Le fait de quitter ou de tenter de quitter le territoire français en violation d’une interdiction de sortie du territoire prise en application du présent article est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. » ;

« Le fait, pour toute personne s’étant vu notifier une décision d’interdiction de sortie du territoire, de s’être soustraite à l’obligation de restitution de son passeport et de sa carte nationale d’identité, est puni de deux ans d’emprisonnement et 4 500 € d’amende.

« Un décret en Conseil d’État précise les modalités de mise en œuvre du présent article, s’agissant notamment des modalités d’établissement du récépissé mentionné au septième alinéa ainsi que des modalités relatives à l’interdiction de transport prévue au quatorzième alinéa.

2° Le chapitre II du titre III est complété par un article L. 232-8 ainsi rédigé :

« Art. L. 232 -8. – Lorsque l’autorité administrative constate que les données transmises en application du présent chapitre permettent d’identifier une personne faisant l’objet d’une interdiction de sortie du territoire mentionnée à l’article L. 224-1, elle notifie à l’entreprise de transport concernée, par un moyen approprié tenant compte de l’urgence, une décision d’interdiction de transport de cette personne.

« En cas de méconnaissance de l’interdiction de transport par une entreprise de transport, l’amende prévue à l’article L. 232-5 est applicable, dans les conditions prévues au même article. »

II. –

Supprimé

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Après une discussion générale intense, je voulais simplement vous rejoindre, monsieur le ministre, et dire à mon tour qu’il n’y a pas d’opposition manichéenne entre d’ardents défenseurs des libertés et de farouches partisans de la lutte contre le terrorisme.

Ce qui va se passer maintenant dans cet hémicycle est important, car il s’agit de ce que le président Larcher appelait voilà déjà quelque temps notre « droit consubstantiel », c'est-à-dire notre droit d’amendement, notre droit d’essayer d’améliorer les textes.

À cet égard, c’est vrai, la procédure accélérée nous pose quelques difficultés, et la discussion des articles qui commence n’en revêt que plus d’importance.

Par ailleurs, s’il est évident qu’internet est un vecteur essentiel de transmission et de diffusion des messages terroristes, il est non moins évident que nous n’avons pas, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, de solution miracle. Nous allons en débattre, notamment lorsque nous aborderons les articles 4, 5 et 9.

Je souhaite à présent insister sur deux points.

Premièrement, je dirai un mot de l’éclipse totale des dispositions financières. Les lois relatives au blanchiment comportent également des dispositions sur le rapport entre blanchiment et terrorisme. Cela montre bien que la lutte antiterroriste implique aussi des mesures financières. Même si les montants ne sont pas forcément importants, tous les experts s’accordent à reconnaître qu’en la matière les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Deuxièmement, j’évoquerai le volet international du dispositif. On a bien compris que tel n’était pas l’enjeu de ce texte d’urgence, réactif et nécessaire. Vous avez parlé tout à l’heure, monsieur le ministre, de la Turquie. Or il existe une convention d’assistance en matière de sécurité avec ce pays, mais elle encore qu’en gestation, car le projet de loi de ratification se trouve bloqué quelque part entre les deux chambres. Il serait extrêmement intéressant de réexaminer ce texte sous un jour nouveau.

Je le dis d’autant plus volontiers que je suis le rapporteur du projet de loi en question pour la commission des affaires étrangères et que, telle Anne – « Anne, ma sœur Anne… » –, je ne vois rien venir ! Vos services devraient coopérer très activement avec ceux du Quai d’Orsay pour faire le point sur les conventions internationales en attente de ratification, afin de pouvoir les améliorer éventuellement.

Enfin, madame Assassi, j’ai effectivement demandé dès le mois de mai la création d’une commission d’enquête sur les réseaux djihadistes. Celle-ci se mettra en place à partir de la semaine prochaine. Il me semble qu’elle pourra apporter des réponses au sujet des législations en cours et sur les décrets qui ne sont pas encore parus alors qu’ils sont nécessaires. Ainsi, des décrets d’application de la LOPPSI, qui date tout de même de quelques années, sont encore attendus ! Nous ferons aussi, probablement, des propositions à cet égard.

En tout état de cause, nous avons compris qu’il s’agissait d’un texte d’urgence, répondant à un besoin pressant et apportant des solutions à des problèmes que vous avez extrêmement bien formulés, monsieur le ministre. Nous avons bien conscience que ce projet de loi ne réglera pas tout, mais il s’agit d’une première étape pour répondre à un danger absolument nouveau, sans doute d’une ampleur que certains sous-estiment.

Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre, je ne crois absolument pas que quiconque dans cet hémicycle ait envie de nuire à votre action. Tout au contraire, avec nos petits moyens, nous efforcerons de vous soutenir de la meilleure façon dans cette lutte contre le terrorisme à laquelle nous nous associons avec détermination.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, et l’actualité se charge de nous le rappeler depuis quelques temps de la manière la plus abominable qui soit, prendre le terrorisme à la légère relèverait de l’inconscience.

Il est donc de notre devoir de réagir de la manière la plus ferme possible au développement du terrorisme. C’est l’objet du texte que vous nous présentez, et en particulier de son article 1er.

Parce que l’embrigadement de jeunes n’est plus un fantasme – c’est une réalité et un danger –, parce que certains n’hésitent pas à se rendre sur le théâtre d’opérations de groupements terroristes, il nous incombe de prendre toutes les mesures susceptibles d’enrayer ce phénomène.

Après une longue réflexion et des hésitations, je le reconnais, l’interdiction de sortie du territoire mise en place de manière rigoureuse et encadrée par cet article me semble être une mesure adaptée à l’urgence de la situation.

Certes, il est toujours délicat d’entraver la liberté d’aller et de venir d’un citoyen. Certains ont, à ce titre, parlé de mesure liberticide. Mais comment accepter que des jeunes gens vivant sur notre sol, parce qu’ils n’ont plus de repères, éprouvent le besoin de partir dans certains pays afin de rallier des groupes extrémistes ? Comment accepter que ces jeunes partent pour apprendre à tuer ?

Faut-il rappeler que ces groupes se sont donné pour but de détruire notre société et nos valeurs, en menaçant la population, en exécutant nos ressortissants, afin d’imposer un régime de terreur inégalitaire et barbare ?

Je note que cette interdiction de sortie du territoire sera bien entendu motivée et surtout limitée dans le temps puisque sa durée maximale ne pourra excéder six mois, sauf à être renouvelée, si les conditions sont réunies, jusqu’à un maximum de deux ans.

Mes chers collègues, le terrorisme n’est plus le fait de quelques individus isolés et fanatisés ; il est désormais le fait d’entreprises organisées, ayant des relais tout autour de la planète et disposant de moyens numériques et financiers considérables, qui n’ont de cesse de recruter parmi les plus faibles.

La vérité, c’est que ces organisations créent des assassins et promeuvent la barbarie pour asseoir le pouvoir d’une poignée d’hommes qui se cachent derrière des préceptes religieux qu’ils ont pervertis.

Force est de le constater, environ un millier de nos concitoyens seraient impliqués de près ou de loin dans des activités terroristes en Irak et en Syrie, un nombre qui a connu une augmentation de 50 % en quelques mois.

Alors, oui, après réflexion, je considère que cette interdiction de sortie du territoire se justifie, parce que nous avons le devoir de protéger nos concitoyens, mais aussi de protéger ces hommes d’eux-mêmes. Cette mesure n’éradiquera pas le terrorisme, j’en suis conscient, mais, si elle met un frein à son développement, un grand pas sera déjà accompli.

J’insiste sur ce point, mes chers collègues : j’ai tenu à vérifier que l’interdiction de sortie du territoire serait bien encadrée. Ainsi, la personne concernée, qui pourra être assistée d’un avocat ou d’un conseil, sera également entendue par le ministre de l’intérieur ou par l’un de ses représentants. Elle pourra contester la décision par référé-liberté en cas d’urgence et si l’atteinte à la liberté d’aller et venir est grave, et manifestement illégale. Je rappelle que cette mesure prise avant que tout acte terroriste soit commis existe dans des pays voisins tels que la Grande-Bretagne ou la Belgique, dont les gouvernements ne peuvent être taxés de liberticides.

Je terminerai par une question soulevée lors de l’étude du texte par la commission des lois, à laquelle, hélas ! je n’appartiens pas. Cette dernière s’est interrogée sur la capacité de sortie du territoire d’un ressortissant français possédant une autre nationalité, et donc d’autres papiers d’identité valables. Il conviendra de réfléchir aussi à cette difficulté, à moins que ce ne soit déjà fait. §

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le ministre, je suis étonnée que vous ayez prononcé un discours aussi manichéen et réducteur. Vous avez même parlé de stigmatisation au sujet de mon intervention parce que j’évoquais les causes poussant au djihadisme.

Bien sûr que nous sommes favorables à la lutte contre le terrorisme ! Les choses ne sont pas binaires ! Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui se battent contre le terrorisme et, de l’autre, ceux qui défendent les libertés. Il est toujours possible de concilier ces deux aspirations !

Il serait peut-être important de réfléchir en amont aux raisons pour lesquelles ces jeunes deviennent djihadistes. À vous écouter, tout va bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

J’aimerais vous croire, mais mes étudiants en licence ou en master ne partent pas faire le djihad ! Pourquoi ? Il doit bien y avoir des raisons à ces départs ! C’est une erreur de voir dans les jeunes qui vivent en Occident et qui décident de partir faire le djihad en Syrie ou en Irak une sorte de phénomène sui generis. Je m’étonne d’ailleurs que vous ignoriez cette réalité, monsieur le ministre.

Selon vous, tout irait bien pour tout le monde et l’on deviendrait djihadiste un beau matin, en se levant ! N’y aurait-il à cela aucune raison sociétale ou économique ? Que faites-vous du désespoir ? Pourquoi ces gens partent-ils ? Il doit bien avoir des causes spécifiques, car tout le monde ne part pas faire le djihad !

Monsieur le ministre, votre discours est réducteur. Vous nous rangez du côté des méchants parce que les bons, eux, luttent contre le terrorisme. N’avez-vous pas utilisé les mêmes arguments que moi contre la loi LOPPSI 2 ? Ainsi, ce qui valait hier ne vaudrait plus aujourd'hui ! Avouez tout de même qu’il s’agit d’une loi d’affichage. Je serai curieuse d’en connaître les résultats ! Au demeurant, j’espère qu’ils seront positifs.

Quoi qu’il en soit, nous avons également des solutions à apporter au problème. Nous vous les présenterons en défendant nos amendements. À vous de les accepter et d’aller vers une loi qui ne soit pas liberticide.

Pour lutter contre le terrorisme, il faut prendre en considération ce qui ne va pas en amont. Or, et vous n’êtes pas les premiers à le faire, vous fermez les yeux sur ce qui ne va pas ! Là est la source de toutes les difficultés que nous connaissons.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Madame Benbassa, je n’ai jamais dit que tout allait bien. Si je le pensais, je ne mettrais pas en place, avec le concours des préfets, des procureurs, de toutes les administrations de l’État, les puissantes mesures préventives que j’ai présentées dans mon intervention liminaire.

Vous m’accusez de mauvaise foi, mais en me prêtant des paroles que je n’ai pas prononcées. Il y a là un biais qui n’est pas convenable. À la tribune, j’ai parlé des politiques préventives, du travail réalisé par les préfets, j’ai indiqué tout ce qui était mis en œuvre par les administrations de l’État. J’ai précisé que nous accompagnions des familles précisément parce qu’il existe des situations difficiles.

Pour être exact, ce que j’ai dit, c’est que rien de ce qui relève du contexte social ne peut excuser le terrorisme, car il faut commencer par affirmer cela avant d’évoquer tout le reste. Je n’ai rien dit d’autre !

À aucun moment dans ce débat je n’ai affirmé qu’il y avait d’un côté les bons, qui se préoccupaient de lutter contre le terrorisme, et de l’autre les méchants, qui défendaient les libertés. Je l’ai d’autant moins dit que le texte que je présente, comme je l’ai longuement exposé, défend les libertés en même temps qu’il lutte contre le terrorisme. Ce que j’ai dit, c’est qu’il était injuste de reprocher à ce texte de ne pas être protecteur des libertés, car c’est tout le contraire.

Mme Éliane Assassi s’exclame.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Madame Assassi, on ne peut pas à la fois vouloir le débat et reprocher à un ministre de répondre aux sollicitations qui lui sont adressées !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Vous insistez pour nous prouver que vous avez raison et que nous avons tort !

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

J’essaie simplement de défendre ce texte et les équilibres qu’il vise à promouvoir parce que j’estime que c’est mon rôle devant le Parlement. On ne peut pas à la fois souhaiter le débat et préconiser que le ministre ne réponde jamais aux questions qui lui sont posées. Je le fais d’ailleurs avec beaucoup de mesure, de pondération et sans agressivité aucune, car c’est ainsi que je conçois le débat. Sur un débat de ce type, on peut tout à fait avancer sans être énervé. Pour ma part, croyez-le bien, je ne le suis pas.

Madame Assassi, vous me disiez tout à l’heure : souffrez ! souffrez ! souffrez ! Eh bien, je suis prêt à souffrir des heures durant pour que la discussion ait lieu. C’est mon tempérament, c’est ma conception du débat parlementaire. Je vais d’ailleurs vous rassurer : je ne souffre en aucune manière. Je prends même à ces explications quelque plaisir ! §Ces échanges m’intéressent, j’y mets de la passion, de la sincérité.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je suis donc convaincu qu’après le dîner nous pourrons poursuivre, avec beaucoup de respect mutuel, cette discussion utile.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître le nom de deux sénateurs désignés pour siéger au sein du conseil d’administration du Centre national d’art et culture « Georges Pompidou ».

Conformément à l’article 9 du règlement du Sénat, la commission des finances et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ont été saisies de ces désignations.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l’avenant n° 4 à la convention du 23 septembre 2010 entre l’État et l’Agence nationale de la recherche relative au programme d’investissements d’avenir, action « Initiatives d’excellence ».

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le sixième rapport d’évaluation de l’application de la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle, conformément à l’article 34 de cette même loi.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.