Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité, le quinzième jour de ma présence dans cette assemblée, m’exprimer dans la discussion générale de ce projet de loi, car je n’ai pas oublié que, il y a encore quelques mois, je présidais la communauté urbaine de Strasbourg, où nous avons vécu un drame terrible : sept jeunes d’un quartier de Strasbourg ont été interpellés parce qu’ils étaient soupçonnés d’avoir rejoint un groupe terroriste ; ils sont d'ailleurs toujours en détention aujourd'hui. Le risque était que des familles se sentent elles-mêmes accusées, que des divisions apparaissent au sein du quartier en question et que la communauté musulmane soit l’objet d’attaques. Nous mesurons donc à quel point il est important de pouvoir agir et prévenir. C’est le sens de l’article 1er du projet de loi.
Cependant, les « ligues de vertu », comme les a appelées le précédent orateur, ont tout à fait raison de nous interpeller chaque fois que nous examinons un texte comme celui-ci. Peut-on, au nom de la lutte contre le terrorisme, porter atteinte à des libertés essentielles qui fondent notre démocratie ? Je crois que, de ce point de vue, le présent projet de loi est parfaitement équilibré.
L’article 1er prévoit d’autoriser le ministre de l’intérieur à prononcer des interdictions de sortie du territoire. C’est là une mesure exceptionnelle, et d’une exceptionnelle gravité, mais je peux vous dire qu’elle est attendue par certaines familles dont les enfants, adolescents ou majeurs, ont été approchés par des djihadistes et pensent trouver dans le djihad un repère ou un sens à leur vie, même si ce choix peut les conduire prématurément à la mort.
L’interdiction de sortie du territoire doit être assortie de dispositions protectrices. Elle constitue incontestablement une mesure administrative et non une mesure judiciaire : les mesures judiciaires sont des mesures de sanction, or il s’agit en l’espèce d’une mesure de police, qui doit pouvoir donner lieu aussi rapidement que possible à un débat contradictoire ; l’excellent travail de notre commission des lois a permis d’améliorer le texte sur ce point.
La durée maximale de l’interdiction de sortie du territoire est de six mois. Elle pourra être prolongée, mais il faut espérer que le travail fait avec le jeune pendant ces six mois permettra de le ramener à de meilleures intentions. L’interdiction de sortie du territoire est une mesure de protection de notre territoire et de nos citoyens, bien entendu, mais aussi des familles victimes.
Nous devons être très vigilants, car l’objectif des terroristes est de susciter la peur et la division dans nos sociétés. Monsieur le ministre, je pense que les mesures de votre projet de loi, telles qu’amendées par notre commission des lois, sont satisfaisantes.
Il faut parvenir à endiguer l’embrigadement de notre jeunesse. De ce point de vue, nous savons que, si la mondialisation rend tout beaucoup plus complexe, elle rend aussi tout beaucoup plus facile pour les terroristes. Nos frontières sont ouvertes ; leur contrôle devient plus compliqué, notamment au sein de l’Union européenne. En outre, internet permet des connexions extrêmement simples. Nous ne sommes pas sûrs – le rapporteur l’a souligné tout à l'heure – que le dispositif de lutte contre l’apologie du terrorisme sur internet soit pleinement satisfaisant, mais ce n’est pas une raison pour renoncer. En tout état de cause, cela met en exergue la nécessité de mener une vraie réflexion sur les changements induits par internet dans notre société, y compris en matière de liberté de la presse.
Un certain nombre d’organisations syndicales de magistrats ou d’avocats souhaitent que, dans le dispositif de l’article 1er, le juge administratif ne soit pas préféré au juge judiciaire. Le juge judiciaire a un rôle répressif ; le juge administratif a un rôle de contrôle des décisions de l’administration. Même si certains juges judiciaires sont appelés juges des libertés, ces juges décident en fait de placer ou non en détention : c’est le juge administratif qui est le premier garant des libertés publiques. Un bon équilibre a été trouvé dans le projet de loi.
Par ailleurs, la proposition, formulée par la commission des lois du Sénat, de n’extraire du champ de la loi sur la liberté de la presse les faits de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme que lorsqu’ils sont commis sur internet est importante. Cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux conséquences à tirer du passage de Gutenberg à la télévision puis de la télévision à des systèmes de communication omnipotents.