Intervention de Pierre Charon

Réunion du 15 octobre 2014 à 14h30
Lutte contre le terrorisme — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Pierre CharonPierre Charon :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis cet après-midi devrait nous inciter à dépasser largement les clivages et les polémiques partisanes pour nous concentrer sur le seul sujet qui vaille : la sécurité des Français face au terrorisme.

Pour lutter contre le terrorisme, nous ne pouvons rester cantonnés à une approche franco-française – l’un de nos collègues l’a souligné tout à l'heure – ni nous perdre dans des débats dilatoires sur la défense des libertés publiques.

Tant à Paris qu’à l’étranger, la France doit faire face au même ennemi, au même fanatisme et au même extrémisme de la part de groupes criminels organisés, dont les ressources financières ridiculisent nos budgets nationaux. N’ayons pas peur des mots : ce qu’on appelle la République islamique dispose a minima de 420 millions de dollars provenant de banques irakiennes, et jouit des revenus du pétrole, puisqu’elle en vend 120 000 barils chaque jour. L’État islamique en Irak et au Levant dispose d’un trésor de guerre estimé à 1 milliard de dollars, qui lui permet de recruter aisément des mercenaires venus d’Afrique et d’Orient.

Alors, que faire lorsque des milliers de Français s’engagent dans un combat mené par des prophètes autoproclamés, au nom d’une religion détournée, dévoyée et bafouée ?

Que faire quand certains de nos concitoyens trahissent les principes fondateurs de notre République, au point qu’ils se rendent en Algérie, en Syrie, en Irak, en Belgique pour assassiner des innocents ?

Que faire, enfin, quand ces Français rentrent tranquillement – c’est peu dire –, après avoir fait leurs classes dans des camps d’entraînement au Yémen, en Afghanistan ou au Pakistan ? De retour en France, ces élèves aguerris guettent le moment propice pour appliquer les enseignements reçus, d’une barbarie inouïe et d’une technicité de combat digne d’une armée professionnelle… Il ne s’agit plus seulement de réseaux dormants, mais bien de bombes à retardement.

Mes chers collègues, avons-nous compris que nous sommes dans une situation de guerre et que, confrontés à un conflit total, nous avons, hélas, encore une guerre de retard ?

Cette situation, nous devons l’appréhender selon un double niveau de lecture.

Tout d’abord, il importe de prendre en compte les bouleversements survenus dans le monde arabe, au-delà du seul Moyen-Orient. Aujourd’hui, il n’est plus question de la lutte éternelle entre les sunnites et les chiites. Nous n’assistons plus seulement au développement, ici et là, de tensions régionales, mais à un phénomène d’agrégation par lequel le terrorisme se propage dans différents pays, récupérant astucieusement des conflits locaux. À sa manière, il s’apparente à une guerre mondiale, où tous les fronts sont liés, connectés, quand bien même ils seraient éloignés.

L’Afrique est gagnée par ce phénomène, tout comme l’Asie : depuis 2003, les Pakistanais sont victimes d’attentats et l’Irak subit le terrorisme ; l’Indonésie éprouve la violence de milices islamistes. Ce phénomène s’accentue avec la déliquescence des États et la porosité des frontières.

Aujourd’hui, au Nigéria, Boko Haram commet les mêmes exactions que les tribus islamiques au Sinaï ou que celles qui sévissent en Mésopotamie : instauration de zones de non-droit, trafics d’êtres humains et de drogue, camps de torture.

Ayant compris les enjeux de la médiatisation, forts d’une communication bien rodée, ces fous séduisent les esprits faibles.

Comment ces groupuscules ont-ils réussi à attirer de jeunes hommes, de jeunes femmes et même, récemment, des familles ? Comment, au pays des Lumières, sommes-nous passés à un tel degré d’obscurantisme ?

On savait que certaines mosquées étaient sous influence salafiste, mais, aujourd’hui, ce ne sont pas elles qui sont à l’origine de cette radicalisation. Elles sont même dépassées et sont plutôt les victimes de cet individualisme que le terrorisme sait justement utiliser.

En réalité, cette radicalisation de masse se fait par internet, comme beaucoup l’ont rappelé cet après-midi. Les réseaux ont profité de nos échecs en matière d’intégration, constituant même un accélérateur de désintégration. Ils ont supplanté ce vaste réseau affectif réel qu’est la nation. À l’imaginaire national, internet a substitué des imaginaires qui respirent la haine et la destruction.

Ce texte présente des avancées, avec le blocage de sites internet ou la création d’une nouvelle incrimination d’entreprise terroriste individuelle. Pour autant, monsieur Cazeneuve, vous êtes le ministre de l’intérieur. Or cet intérieur français est aujourd’hui malade d’un manque de cohésion nationale. Les réponses dépassant largement le périmètre de votre ministère, je vous souhaite d’être soutenu dans votre tâche par vos collègues de la justice et de l’éducation nationale. Par ailleurs, je nous souhaite à tous d’être lucides, pour protéger les Français et, surtout, pour nous doter de moyens à la hauteur de cette guerre contre le terrorisme. §

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