Je pense donc que, en dépit de ses limites, le blocage est tout de même une mesure qui a son utilité.
Le deuxième argument que vous avez évoqué a trait aux modalités techniques du blocage. Il existe plusieurs possibilités, d’efficacité variable, et je dois reconnaître que plus le dispositif est intrusif, plus il est efficace.
Il s’avère que j’ai pris l’engagement devant l’Assemblée nationale, en précisant quelles étaient les modalités du blocage, de ne pas mettre en place un dispositif intrusif, parce que je ne souhaite pas que la mesure soit attentatoire aux libertés publiques. Lors de l’examen de l’article 9, je préciserai de manière extrêmement fine ce que seront les modalités techniques, pour vous apporter toutes garanties à cet égard. J’expliquerai d’ailleurs comment nous créerons les conditions de droit pour tenir l’engagement que j’évoquais et que je renouvelle devant vous.
Les opérateurs nous ont, là aussi, apporté des éléments extrêmement intéressants. Ils nous ont notamment indiqué qu’ils bloquaient des contenus de leur propre initiative. Ainsi, au début de la discussion générale, j’ai parlé d’une vidéo que la presse évoquait ce matin et dont le verbatim est assez monstrueux : or on m’indique à l’instant qu’elle a été retirée par les opérateurs eux-mêmes.
Quand les opérateurs retirent de leur propre chef une vidéo parce qu’ils estiment qu’ils ne doivent pas la diffuser en raison des risques qu’elle présente en matière d’incitation à la haine, d’apologie du terrorisme ou de provocation à commettre des actes terroristes, il ne s’agit pas d’un acte de censure, mais c’en serait un lorsque je propose d’intervenir en ce sens pour des raisons tenant à l’ordre public ?
Je rappelle en outre que la mesure qui figure à l’article 9 ne vise pas au blocage des sites : c’est un appel à la responsabilité des opérateurs, lesquels ne manqueront pas de se montrer responsables puisque, comme je viens de vous l’indiquer, ils bloquent déjà d’eux-mêmes des images, par exemple YouTube. S’ils ne le font pas, alors, nous proposerons le blocage, avec la part d’incertitude que cela comporte, et nous le ferons sous le contrôle du juge administratif, qui est garant des libertés publiques.
Vous me demandez pourquoi nous ne prévoyons pas que ce soit sous l’autorité du juge judiciaire. C’est une très bonne question : j’aurais pu, en effet, m’inscrire dans la continuité de ce qui avait déjà été acté ou envisagé auparavant. Si je ne le fais pas, c’est parce que cela me pose un problème extrêmement concret que je veux vous décrire et sur lequel je vous demande de me donner, si vous en avez, des solutions autres que celles que j’ai envisagées.
Car je ne peux pas, pour ma part, compte tenu des règles à respecter dans la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire - et auxquelles vous êtes tous attachés puisqu’elles relèvent de la séparation des pouvoirs –, donner d’instructions à un procureur de la République quand je constate qu’une telle vidéo est diffusée.
Si le juge judiciaire n’enclenche pas lui-même la procédure, je ne peux le saisir que dans un cas, qui a été précisé par le tribunal de grande instance de Paris à l’occasion d’une ordonnance rendue en juillet 2012 à propos de l’affaire Copwatch. Le tribunal a indiqué que mon ministère, qui a la charge de prévenir, ne peut intervenir que pour autant que le sujet le concerne directement, c'est-à-dire concerne son administration, son fonctionnement, ses propres services, ce qui n’est pas le cas dans la matière dont nous traitons.
Ainsi, pour faire en sorte que le juge judiciaire agisse en cette matière, faute d’avoir la capacité de le saisir moi-même, je n’ai pas de solution !
À partir du moment où je n’en ai pas en droit, je propose d’appeler l’attention des hébergeurs et des éditeurs, de le faire sous le contrôle du juge administratif, sans préjudice de la capacité du juge judiciaire de se saisir ultérieurement. Car la sensibilisation des éditeurs et hébergeurs est aussi une forme de sensibilisation du juge judiciaire qui, du fait de cette mesure, peut être appelé à se saisir beaucoup plus facilement de tels cas, alors que, compte tenu de l’état du droit et des principes fondamentaux de notre droit, je suis empêché de le saisir moi-même.
Voilà la raison pour laquelle c’est le contrôle du juge administratif qui a été retenu. De ma part, ce n’est pas une lubie, une tocade, une foucade, ce n’est pas une volonté de remettre en cause les prérogatives du juge judiciaire dans un domaine où il a légitimité à intervenir : c’est une impossibilité technique de le saisir !
Si d’autres solutions existent – et le débat parlementaire est aussi là pour en proposer –, nous sommes prêts, bien entendu, à les examiner et à les faire prospérer, mais je puis vous assurer que, avant de rédiger ce texte, ces sujets ont été examinés de près : la question a été pressée comme un citron !