Ce qui est dit sur le juge administratif, sur le juge judiciaire, sur l’équilibre de ce texte ne correspond pas à la réalité de ce qu’est l’état du droit, non plus qu’à celle du contenu de ce texte.
De même, j’appelle chacun ici à me dire concrètement comment l’on fait lorsqu’un individu s’est autoradicalisé, qu’il s’est engagé seul dans une entreprise terroriste et qu’il ne relève pas de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Comment faire pour procéder à son incrimination alors même que les juges antiterroristes nous disent qu’ils ont de plus en plus de mal à le faire ? Sauf à considérer que nous renonçons à l’incrimination pénale qui permet la judiciarisation du cas de ces individus isolés, ce qui ne semble pas être efficace pour lutter contre le terrorisme, je ne vois pas d’autre solution que celle que j’ai proposée ! Mais s’il en existe d’autres, là aussi, croyez-le bien, je suis preneur !
Voilà ce que je voulais dire, par souci de précision, de clarté du débat, pour bien matérialiser ce qu’est la position du Gouvernement sur ces questions.
Je tiens maintenant à répondre à un certain nombre d’orateurs de l’opposition, que je remercie pour leur contribution au débat, sur le fonctionnement et l’organisation des services du ministère de l’intérieur.
Auparavant, je reviendrai sur l’affaire du retour des djihadistes qu’a évoquée M. Courtois. Selon vous, monsieur le sénateur, au-delà de la question franco-turque qui a fait l’objet de mon déplacement en Turquie et de la définition d’un protocole de discussion porteur d’avancées, il y a des sujets qui sont « franco-français » et concernent notamment les conditions d’arrivée à Marseille des trois ressortissants français après leur expulsion de Turquie.
D’abord, s’ils sont arrivés à Marseille et non à Paris, où les attendaient des fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité intérieure, c’est parce qu’ils ont été mis dans un avion à destination de Paris, mais que le pilote de la compagnie turque Pegasus n’a pas voulu les laisser embarquer, s’agissant de trois ressortissants français qui sortaient de centres de rétention administrative en Turquie, où ils étaient détenus pour infraction au droit au séjour dans ce pays. Ils ont alors été embarqués dans un avion à destination de Marseille sans que les autorités françaises en aient été prévenues.
Vous me demandez comment il se fait qu’ils n’aient pas été arrêtés à Marseille par la police de l’air et des frontières. Il y a deux raisons à cela.
Premièrement, au moment où ils sont arrivés en France, aucune incrimination pénale, aucun mandat international ne pesait sur eux. Par conséquent, la police de l’air et des frontières ne pouvait pas les arrêter puisque le seul service qui disposait d’une commission rogatoire pour le faire, c’est la Direction générale de la sécurité intérieure.
En l’absence d’incrimination pénale et de mandat d’arrêt et en l’absence d’une commission rogatoire délivrée à la police de l’air et des frontières, ce service ne pouvait en aucun cas procéder à leur arrestation et ne pouvait même pas procéder à leur rétention avant que la Direction générale de la sécurité intérieure soit en mesure de se charger d’eux.
La deuxième raison de la non-arrestation est liée à CHEOPS, qui est d’après vous « le » sujet. Si problème CHEOPS il y a, il faut le rechercher dans l’obsolescence d’un dispositif informatique qui date du début des années quatre-vingt-dix, qui a vieilli et sur lequel on a greffé énormément de fichiers.
Je dois à la vérité de vous le dire, ce système informatique n’a fait, au cours des quinze dernières années, l’objet d’aucun investissement. Aucun ! On s’est contenté de laisser l’obsolescence de ce système se poursuivre ! Je souhaite corriger cela. Je souhaite qu’il y ait des investissements et qu’on modifie la gouvernance du dispositif de telle manière qu’il fonctionne.
Je ne suis en l’occurrence nullement animé par un esprit de polémique, mais je trouve un peu fort que l’opposition me reproche, à moi, le dysfonctionnement d’un système informatique pour lequel aucun investissement n’a été consenti pendant les dix années où elle était aux responsabilités, alors même que ce dispositif informatique faisait l’objet d’une agrégation de fichiers de plus en plus nombreux qui rendaient son obsolescence encore plus manifeste !
Cela étant, même si CHEOPS avait fonctionné, compte tenu de l’absence de commission rogatoire délivrée à la police de l’air et des frontières, le problème n’aurait pas pour autant été réglé.
Je tenais d’autant plus à mettre les choses au point devant vous que certains se sont empressés de mettre en cause les services du ministère de l’intérieur, allant jusqu’à parler d’incompétence. Or ces services ont fait leur travail avec beaucoup de vigilance dans le contexte de droit que je viens d’évoquer.
MM. Alain Richard, Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Sueur, Pierre Charon et d’autres l’ont dit : les services du ministère de l’intérieur font, comme d’autres services de notre pays, un travail absolument remarquable pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Ils le font en prenant des risques, en s’exposant, en donnant le meilleur d’eux-mêmes face à un défi qu’ils n’ont jamais eu à connaître et auquel ils s’adaptent en continu, avec une exigence vis-à-vis d’eux-mêmes qui témoigne avec force de la conception qu’ils se font du service public.
Je veux conclure cette intervention en rendant hommage aux policiers, aux gendarmes, aux fonctionnaires de la Direction générale de la sécurité intérieure, et en les remerciant du travail qu’ils accomplissent.
Je veux aussi rendre hommage à nos juges de l’ordre judiciaire, à nos juges antiterroristes qui, eux aussi, s’exposent et font un travail remarquable. Je veux saluer ces magistrats mobilisés dans une relation en tous points excellente avec les services du ministère de l’intérieur, ainsi que les autres services de l’État qui accomplissent à l’extérieur des missions difficiles pour faire en sorte que nous soyons davantage armés dans la lutte contre le terrorisme. §