Je souhaite profiter du débat portant sur ces amendements de suppression pour rappeler la position du Gouvernement sur le sujet, sensible et important, qui nous occupe au travers de l’examen de cet article et sur lequel il convient d’apporter tous les éclaircissements.
Il est incontestable que l’article 4 du projet de loi procède à un basculement. Il s’agit de « sortir » de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse le délit d’apologie publique du terrorisme et de provocation directe au terrorisme et de l’intégrer au code pénal. Ce choix a fait l’objet au sein du Gouvernement, avant que le texte ne soit présenté, d’une réflexion préalable très approfondie.
La mutation du phénomène terroriste est non pas le fait du hasard, mais le fruit d’une stratégie délibérée des groupes fondamentalistes. La communication est à la fois l’arme et la composante première du terrorisme, lequel se différencie des autres formes de criminalité en ce qu’il recherche la publicité pour se légitimer et pour s’autoalimenter. Ce phénomène vise non pas une victoire militaire hors d’atteinte, mais bien une victoire politique par l’écœurement, la lassitude et l’effroi d’une opinion publique terrorisée.
La communication est donc un nouveau front, sur lequel le combat ne se joue pas à armes égales. Nos services se trouvent parfois démunis face à un adversaire qui sait tirer parti des protections que confère la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : délais de prescription écourtés, formalisme particulier des poursuites, impossibilité de recourir à des moyens spéciaux d’enquête qui sont ceux de l’antiterrorisme.
L’alternative qui se présentait à nous était dès lors la suivante.
La première option était de permettre l’application des techniques spéciales d’enquête dans le cadre de la loi de 1881. Cette solution était peu favorable : elle présentait un risque d’extension progressive à l’ensemble des délits de presse et pouvait remettre en cause l’esprit de la loi. Nous l’avons donc écartée, pour répondre aux préoccupations formulées par un certain nombre d’entre vous sur la liberté de la presse, préoccupations que le Gouvernement partage totalement.
La seconde option était de laisser l’apologie du terrorisme dans la loi de 1881 et de transférer la provocation dans le cadre du code pénal. Ces deux délits étant très difficiles à distinguer, nous craignions de nous heurter à la difficulté d’une double incrimination, avec des régimes procéduraux différents, de sorte que cette solution s’est rapidement révélée impraticable pour les enquêteurs et magistrats, avec le risque de voir des procédures annulées pour irrégularité.
Par conséquent, la seule solution cohérente, efficace et garantissant la sécurité juridique des procédures était de faire basculer l’apologie et la provocation au terrorisme dans le code pénal. Je précise d'ailleurs que ce choix rejoint les conclusions qu’avait rendues, dans son avis du 20 décembre 2012, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, à laquelle il a été fait beaucoup référence depuis le début de ces débats, à propos du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.
Messieurs les rapporteurs, vous proposez de distinguer l’apologie et la provocation par internet, qui relèveraient du code pénal, des autres formes d’apologie et de provocation, qui relèveraient, elles, de la loi de 1881. Selon vous, en effet, l’apologie et la provocation sans l’usage d’internet ne revêtent pas une complexité justifiant le recours aux techniques spéciales d’enquête, dont l’usage serait alors disproportionné.
Nous ne partageons pas votre point de vue et, d’ailleurs, ce n’est pas ce que dit la jurisprudence du Conseil constitutionnel.