Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 16 octobre 2014 à 9h30
Lutte contre le terrorisme — Article 5

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite profiter de l’examen de cet amendement pour apporter quelques précisions sur la volonté du Gouvernement de mettre en place une nouvelle incrimination pénale.

Nous avons souhaité, avec la création du délit d’entreprise individuelle terroriste, adapter le droit à l’évolution du phénomène terroriste, qui s’est considérablement atomisé au cours des dernières années. En effet, il repose à présent sur des cellules, parfois réduites à leur plus simple expression, puisqu’il peut s’agir d’un individu seul. Ce dernier peut avoir suivi un entraînement sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes et être ensuite renvoyé sur notre sol avec pour mission de passer à l’acte, sans entretenir de relation continue avec ses commanditaires. Il peut également suivre des mots d’ordre généraux, des appels au meurtre, relayés sur les sites internet radicaux, et agir de lui-même.

Ces individus représentent un danger incontestable. Au niveau opérationnel, leur isolement les rend difficilement détectables. Au niveau juridique, le projet criminel ne peut résulter d’un échange matérialisant une association.

Il existe par conséquent des cas qui n’entrent pas dans la catégorie de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

Il nous faut donc – et les juges antiterroristes eux-mêmes ont souligné cette nécessité – définir l’entreprise individuelle terroriste de manière suffisamment précise pour éviter de pénaliser un comportement quelconque, et suffisamment souple pour lui permettre d’embrasser un champ suffisamment large.

Il est reproché au délit d’entreprise individuelle terroriste – c’est d’ailleurs un peu l’esprit de votre amendement, madame la sénatrice – de laisser au juge la possibilité de condamner une simple intention, de confier aux magistrats une « mission de neutralisation préventive », pour reprendre l’expression imagée du Syndicat de la magistrature.

Le délit d’association de malfaiteurs, je le rappelle, existe en droit commun depuis 1810. Le législateur a donc compris depuis longtemps l’intérêt qu’il y a d’intervenir en amont pour ne pas laisser se perpétrer les faits les plus graves.

En matière de terrorisme, l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste constitue la pierre angulaire de notre dispositif. Ce délit est utilisé quotidiennement par les magistrats et enquêteurs spécialisés. C’est cette incrimination qui permet les condamnations des terroristes avant le passage à l’acte et rend possible, nous l’assumons, une neutralisation préventive de leurs projets criminels.

L’infraction obstacle d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, si elle n’a pas été validée en tant que telle par le Conseil constitutionnel, a été indirectement examinée et reconnue à au moins trois reprises par cette juridiction, en 1996, en 2004 et en 2010.

La pénalisation des actes préparatoires n’est donc pas par principe contraire à la Constitution, et la définition de l’entreprise terroriste individuelle est conforme au principe de légalité des délits et des peines, dès lors que le champ de l’incrimination est précisément déterminé et que les éléments matériels sont précisément définis.

L’entreprise individuelle terroriste visera à pénaliser non pas une simple intention, contrairement à ce que j’ai pu souvent entendre ou lire, mais bien un projet terroriste, une ferme résolution, objectivée par des faits matériels, dont la possession de moyens dangereux – j’insiste sur ce point – associée à d’autres comportements.

Dans le cas du jeune militaire d’extrême droite sur le point de commettre un attentat contre une mosquée, la possession légale de moyens dangereux et le suivi d’entraînements étaient caractérisés, de même que la détermination, matérialisée par un courrier adressé à un camarade, dans lequel il faisait part de son projet funeste. Dès lors, fallait-il laisser faire ?

Le délit d’entreprise individuelle terroriste repose sur deux éléments : d’une part, un élément moral, puisqu’il est nécessaire de démontrer l’existence chez la personne poursuivie d’un projet criminel, celui de commettre un ou des actes terroristes parmi les plus graves : atteinte à la vie, enlèvement, séquestration, détournement d’aéronef, destruction par explosif, empoisonnement ; d’autre part, un élément matériel, qui peut consister dans des repérages, des entraînements, un séjour sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, l’apprentissage du pilotage ou de la conduite de certains types de véhicules, la consultation habituelle de sites apologétiques ou provoquant à la commission d’actes de terrorisme, la recherche ou l’acquisition de moyens logistiques en vue de commettre un attentat. Le Gouvernement a d’ailleurs déposé, sur ce dernier sujet, un amendement permettant d’améliorer encore la rédaction de la commission.

À ces deux éléments doivent obligatoirement s’ajouter la recherche, l’acquisition, la fabrication ou la détention d’armes ou de substances dangereuses.

Madame la sénatrice, vous voyez bien que la réalisation d’une seule ou même de deux de ces conditions ne suffit pas à caractériser le délit. Prétendre le contraire, c’est dire une contrevérité. La consultation habituelle des sites les plus odieux n’est pas pénalisée en elle-même ; il s’agit d’un élément matériel parmi d’autres – dont l’acquisition ou la détention d’un moyen dangereux –, nécessaire pour caractériser le délit d’entreprise individuelle terroriste.

À l’inverse, si l’on devait exiger le cumul de la totalité de ces éléments pour ouvrir les poursuites pénales et diligenter une enquête, comme le propose Mme Assassi, l’action de la police et de la justice serait totalement paralysée. C’est bien la méthode du faisceau qui est retenue, laquelle permettra au juge judiciaire – on nous a expliqué hier qu’il était le garant de toutes les libertés – de se forger une conviction au vu des éléments de preuve qui lui seront soumis et de motiver sa décision. En effet, la mise en œuvre de l’action publique, l’instruction et le jugement de cette infraction seront l’œuvre de magistrats de l’ordre judiciaire du siège et du parquet, dans le cadre de la procédure pénale et avec les garanties du procès équitable.

Nous avons pris soin, mesdames, messieurs les sénateurs, d’aboutir à une rédaction précise, pour respecter le principe de légalité des délits et des peines, et suffisamment large pour garantir l’adaptation du texte aux nouvelles formes de terrorisme.

C’est la raison pour laquelle, après ces explications très détaillées que je viens de vous fournir et qui, très honnêtement, me paraissent assez imparables en droit

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