Intervention de Gaëtan Gorce

Réunion du 16 octobre 2014 à 9h30
Lutte contre le terrorisme — Article 9, amendement 28

Photo de Gaëtan GorceGaëtan Gorce :

Nous avons eu ce débat hier lors de la discussion générale, il s’agit pour moi ici non pas de contester l’opportunité de mettre en place des mesures de blocage – je me suis rallié à l’idée que le blocage pouvait être utile pour ne pas laisser prospérer en toute impunité des informations ou des images particulièrement choquantes même s’il peut présenter des défaillances ou des faiblesses –, mais plutôt d’en examiner les modalités, en se demandant si le blocage doit être confié à l’autorité administrative, ce qui fait l’objet d’un débat, ou au juge judiciaire.

J’indique d’ores et déjà que mon intervention vaudra présentation de mon amendement n° 28, que j’ai déposé sur cette question.

De nombreux arguments plaident en faveur de l’autorité administrative. L’argument principal est que, s’agissant de bloquer des sites qui font l’apologie du terrorisme, qui favorisent le recrutement, il convient de protéger les internautes eux-mêmes. Cette action préventive, en amont, vise non pas à sanctionner directement, mais à empêcher éventuellement que des dommages puissent se produire à partir des images diffusées. Il faut prendre en compte cet argument, que défend le Gouvernement.

Pour ce qui concerne l’intervention du juge judiciaire, il s’agit évidemment de savoir si, oui ou non, on considère que les informations diffusées sur les sites internet sont protégées par la liberté d’expression, celle qui est garantie par la Constitution et le juge constitutionnel. Il est difficile de répondre par la négative. En effet, non seulement le Conseil constitutionnel s’est déjà exprimé en ce sens, mais il est clair que les informations, les opinions émises sur internet relèvent de la liberté d’expression.

D’ailleurs, je l’ai évoqué hier après-midi lors de mon intervention générale, le régime mis en place jusqu’à présent dans ce domaine est relativement libéral, parce que s’est installée l’idée non pas qu’internet doit être un espace d’impunité – je partage le sentiment qu’on ne saurait accepter l’idée qu’aucun contrôle ne doit être exercé – mais que les informations diffusées, les opinions émises, les prestations proposées relèvent d’une protection particulière eu égard à la liberté d’expression.

J’en suis d’accord, la liberté d’expression des terroristes n’est pas une liberté d’expression. D’ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme l’a souligné à plusieurs reprises. On ne peut pas se prévaloir, comme l’aurait dit Saint-Just, de la liberté d’expression pour la mettre en cause. Il ne s’agit pas naturellement de protéger cette expression-là. Il s’agit de protéger l’expression de ceux qui peuvent être éventuellement entraînés dans le blocage du site, puisque les sites sur lesquels ils peuvent s’exprimer pourraient être touchés par la mesure de blocage, ce que l’on appelle « le surblocage », qui est un problème réel.

Il s’agit aussi d’éviter une interprétation trop extensive de la notion de terrorisme, qui pourrait conduire, dans un débat moins serein que celui que nous avons aujourd'hui, à empêcher un certain nombre de nos concitoyens ou de citoyens étrangers d’exprimer des points de vue sur des situations ou des théâtres d’opération extérieurs, au motif que cette législation peut s’appliquer. De ce point de vue, le juge judiciaire pourrait proposer une protection plus satisfaisante.

J’observe que ce débat, qui nous agite depuis de nombreuses années, notamment depuis le vote de la loi du 12 juin 2009 dite « loi Hadopi », connaît depuis quelques mois une inflexion, sous l’effet de la volonté politique qui se fait sentir, en particulier au Parlement, de consacrer l’intervention du juge judiciaire.

C’est dans cette intention que les deux assemblées ont abrogé, dans la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, l’article 18 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui prévoyait un système de blocage administratif.

Dans le même esprit, lors de l’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, la disposition prévoyant un contrôle administratif a été supprimée sur l’initiative du Gouvernement, qui a fait valoir que la réflexion sur ces sujets n’était pas suffisamment avancée.

J’ajoute que l’ensemble de ceux qui ont travaillé de manière sereine sur ces questions, en particulier les députés qui ont participé à la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la neutralité de l’internet et des réseaux, mais aussi les membres du groupe de travail interministériel chargé d’élaborer une stratégie globale de lutte contre la cybercriminalité, sont parvenus à la conclusion, assez naturelle, que c’est au juge judiciaire qu’il était souhaitable d’avoir recours.

J’entends bien qu’il pourrait en résulter quelques difficultés et que les dispositifs qui, aujourd’hui déjà, permettraient de faire intervenir le juge judiciaire pour décider de tels blocages en référé – je pense à l’article 809 du code de procédure civile et à l’article 50–1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse – ne sont pas suffisamment adaptés.

Monsieur le ministre, vous avez dit, hier, ne pas avoir d’autre solution que l’action administrative. Pourquoi donc ne pas modifier les dispositions qui permettent la saisine du juge civil ? Du reste, le législateur pourrait aussi bien décider de faire appel au juge pénal, même si cette solution paraît moins logique. Pourquoi ne pas vous donner les moyens de saisir dans les conditions normales le juge civil, afin qu’il procède aux blocages ? Je pense que les conditions de délai seraient respectées et qu’il agirait très rapidement.

Pour conclure, je tiens à préciser, monsieur le ministre, que ma proposition n’est animée par aucun esprit polémique. Je pense que vous comprenez bien qu’il s’agit de soulever un problème de fond, dans l’espoir de faire prévaloir une solution cohérente.

En effet, pour participer à ces débats depuis des années, je trouve dommage que la représentation nationale, dans l’une comme l’autre des assemblées, change en permanence de point de vue au gré des circonstances. Il serait souhaitable, sur cette question importante pour l’évolution de notre droit de la communication, que le Gouvernement et la représentation nationale affirment leur volonté de considérer que la liberté d’expression doit être garantie sur internet de manière spécifique, ce qui passe, s’agissant des blocages, par l’intervention du juge judiciaire.

Une telle solution aurait le mérite de s’inscrire dans la continuité des réflexions qui ont été menées récemment et d’être cohérente avec les positions que nous avons prises par le passé. Elle permettrait aussi d’apaiser les débats : dans ces domaines, en effet, il ne s’agit pas d’empêcher la liberté d’expression, mais de rappeler que, sur internet comme ailleurs, des règles doivent être respectées, même si on les entoure de garanties particulières compte tenu des caractéristiques propres d’internet et du phénomène social que représente aujourd’hui son utilisation.

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