Il est identique à celui de la commission, pour des raisons que je vais tâcher d’expliquer en réponse à Mmes Assassi et Goulet, ainsi qu’à Gaëtan Gorce qui a présenté un exposé extrêmement complet et très bien argumenté.
Le Gouvernement propose cet article parce qu’il est aujourd’hui évident qu’internet est devenu un vecteur d’endoctrinement et d’embrigadement très puissant, qui fait basculer dans le terrorisme certains de nos ressortissants les plus vulnérables. Il n’est, pour s’en convaincre, qu’à écouter les témoignages des familles qui nous alertent par le biais de la plateforme de signalement que nous avons mise en place depuis la fin du mois d’avril. De fait, parmi ces familles qui s’inquiètent du risque de départ d’un enfant ou d’un autre de leurs membres, un très grand nombre mettent en cause le rôle particulier joué par Internet. C’est aussi ce que fait Dounia Bouzar, que nous avons chargée de travailler auprès des familles sous l’égide de la MIVILUDES.
Nous sommes donc en face d’une réalité très différente de celles que nous avons eu à connaître jusqu’à présent. J’y insiste, parce que, dans le débat, on fait régulièrement valoir que la famille politique à laquelle j’appartiens a eu, en d’autres temps, une autre position sur la question d’internet que celle que je défends aujourd’hui. Cela est vrai, mais la raison en est que, à l’époque où l’on débattait de certains autres textes, le phénomène dont nous parlons n’avait pas pris l’ampleur ni atteint le niveau de gravité que nous lui connaissons aujourd’hui ; en vérité, internet ne jouait pas le rôle qu’il joue aujourd’hui dans l’endoctrinement et l’embrigadement de nos ressortissants et dans leur basculement dans le terrorisme.
En ce qui concerne le dispositif lui-même et les rôles respectifs du juge administratif, du ministère de l’intérieur et du juge judiciaire, je tiens à vous communiquer des informations très précises, qui résultent notamment des discussions que nous avons eues avec les opérateurs.
Je répète que les hébergeurs et éditeurs procèdent eux-mêmes au retrait d’un certain nombre d’images, de vidéos, de blogs et de sites dont ils considèrent qu’ils constituent un véritable danger. Ils l’ont fait pas plus tard qu’hier, avec le retrait d’une vidéo dont les médias ont fait état, dans laquelle un combattant français membre de groupes terroristes appelait à des meurtres en France.
J’ai été très frappé, notamment lors des contacts que les ministres de l’intérieur européens ont eus à Luxembourg avec les acteurs de l’internet, de constater que ceux-ci sont parfaitement conscients du risque qui s’attache à la diffusion de ces sites, de ces blogs et de ces images, ainsi que de la responsabilité qui en résulte pour eux. Ils sont tout à fait désireux de l’exercer et j’observe qu’ils l’exercent de plus en plus.
L’article 9 du projet de loi ne doit pas être regardé de façon idéologique, mais pragmatique. Il vise à accompagner les éditeurs et les hébergeurs dans le travail qu’ils commencent à accomplir eux-mêmes, en se dotant des ressources humaines et des moyens technologiques nécessaires à une action efficace.
Le dispositif que nous proposons prévoit le lancement d’une alerte par les autorités, après quoi les hébergeurs et les éditeurs auront vingt-quatre heures pour retirer les contenus visés. Il s’agit d’amener les hébergeurs et les éditeurs à accélérer les mesures qu’ils prennent déjà ou à agir à l’égard de contenus qu’ils n’ont pas nécessairement identifiés. Si, au bout de vingt-quatre heures, ils n’ont pas retiré les contenus, nous préconiserons le blocage, sous le contrôle du juge administratif qui est aussi juge des libertés, comme nous l’avons rappelé à propos de l’interdiction administrative de sortie du territoire.
Le sénateur Gorce a soulevé la question, que nous avons commencé à aborder hier, de la compétence du juge administratif et de celle du jugejudiciaire, étant entendu que ce dernier peut faire le travail. J’ai plusieurs éléments de réponse à apporter sur ce sujet.
Sans doute, le juge judiciaire peut agir ; mais, compte tenu de son indépendance, à laquelle nous tenons tous, il ne peut agir que de lui-même. Or il n’agit pas de lui-même autant que nous pouvons le souhaiter, en raison de la masse des sujets qu’il lui faut traiter et parce qu’il n’a pas connaissance des contenus diffusés. Remarquez que ce n’est nullement adresser des reproches au juge judiciaire que de faire le constat de la difficulté matérielle dans laquelle il se trouve pour agir. Quant à le saisir, nous ne pouvons le faire que dans des conditions extrêmement précises et restrictives rappelées dans une ordonnance de juillet 2012 du tribunal de grande instance de Paris, hors lesquelles notre marge de manœuvre est quasi nulle.
Si l’opérateur n’a pas agi au bout de vingt-quatre heures, nous proposons donc de mettre en place le blocage. Cela revient à faire, sous le contrôle du juge, ce que l’opérateur fait de lui-même à l’heure actuelle – on l’a vérifié hier.
Il se pose ensuite une autre question, soulevée par de nombreux acteurs : celle de la modalité et de l’efficacité du blocage, et des risques de surblocage, point, lui aussi, fort bien évoqué par le sénateur Gaëtan Gorce.
Il existe trois modalités de blocage. La première se fait par l’adresse IP : il s'agit de bloquer non pas un site, mais un serveur identifié par son adresse IP, qui est une véritable plaque d’immatriculation pour chaque terminal physique. Cette méthode a pour inconvénient de présenter un risque important de surblocage, car un même serveur héberge fréquemment plusieurs dizaines ou centaines de sites internet ne présentant pas forcément de lien avec le terrorisme. Il ne serait donc pas honnête, compte tenu de ce qu’est la réalité technique, de nier un problème qui a été évoqué, à juste titre, par Gaëtan Gorce.
Le deuxième dispositif de blocage repose sur celui de l’adresse universelle, dite « adresse URL ». Ce niveau de blocage implique de procéder à un filtrage préalable par des méthodes très intrusives pour le contenu des communications. C'est ce que l’on appelle le « deep packet inspection ».
Le troisième blocage, dit « blocage DNS », s'effectue par nom d’hôte ou de domaine. Tout en demeurant efficace, c'est le moins risqué en termes de surblocage et d’atteinte aux libertés publiques. Nos discussions récentes avec les fournisseurs d’accès laissent espérer, concernant cette méthode, de rapides progrès technologiques à des coûts acceptables.
Je prends l’engagement devant le Sénat d’utiliser, dans les textes d’application, cette dernière méthode de blocage pour parvenir à une bonne synthèse entre liberté et efficacité.
Enfin, je voudrais revenir sur la question du juge judiciaire. Le dispositif proposé à l’article 9 est sans préjudice pour le juge judiciaire, qui peut se saisir du sujet à tout moment. Je dirais même que l’enclenchement de ce dispositif permet au juge judiciaire d'être alerté de ce qui n’est pas nécessairement porté à sa connaissance aujourd'hui, et de judiciariser éventuellement des procédures – ce à quoi le Gouvernement est bien entendu extrêmement favorable.
N’opposons donc pas ici le juge administratif au juge judiciaire, dès lors que ce que fera le juge administratif peut être un facteur de déclenchement de la judiciarisation, sans préjudice pour le déroulement de la procédure judiciaire.
Voilà toutes les explications que je voulais donner pour indiquer, de façon précise et équilibrée afin que nos débats soient sans ambiguïté, l’esprit de cette disposition. C'est parce que nous sommes dans cette démarche d’équilibre que je ne peux pas être favorable aux amendements qui ont été présentés.