Cet amendement vise à supprimer l’intervention de la CNIL, qui est sollicitée dans des conditions discutables sur la forme mais aussi sur le fond.
J’observe d'ailleurs que le débat évolue. Un glissement est en train de s’opérer, qui n’est pas inintéressant. §Chacun reconnaît que le blocage des sites relève pour une large part du symbolique, même s’il peut être utile, voire nécessaire dans certaines circonstances. N’en déplaise à mon collègue et ami Jean-Pierre Sueur, je crains que, aussi généreuse soit-elle, l’ambition de faire d’internet une zone plus respectueuse des différents droits par le recours à ce type de méthode ne soit vouée à être fortement déçue.
Ce n’est pas de cette manière que l’on arrivera à réguler internet, pour les raisons techniques qui ont été évoquées. C’est évidemment en cherchant à multiplier les solutions, à créer une sorte de chaîne de solutions. Les propos de M. le ministre en témoignent : il a exprimé le souci d’associer au blocage des mesures préventives, tournées notamment vers les hébergeurs et les fournisseurs d’accès, afin de trouver des solutions adaptées. C’est ainsi qu’il faudra procéder.
Je rends d'ailleurs hommage à M. le ministre, qui nous a dit qu’il avait choisi, parmi les méthodes de blocage, la moins intrusive. Cela montre bien qu’il est prêt à sacrifier une partie de l’efficacité supposée du dispositif pour éviter qu’il n’ait des effets indirects trop lourds sur la liberté d’expression sur internet.
L’intervention de la CNIL procède manifestement du même esprit. Il s’agit d’entourer le dispositif de garanties, car on est conscient des conséquences qu’il peut avoir, malgré ses limites. Est-ce le rôle de la CNIL ? À l’évidence, non, au regard de la version en vigueur de la loi du 6 janvier 1978. Bien sûr, le législateur peut compléter la législation, et il pourrait donc confier à la CNIL cette mission supplémentaire.
Cependant, outre le fait que l’intervention de la CNIL vise à pallier l’absence d’intervention du juge judiciaire, c'est-à-dire à apporter une garantie supplémentaire en matière de respect des droits, le terrorisme est un domaine très spécifique, et la CNIL ne dispose pas de capacité d’appréciation particulière en la matière. On peut donc se demander si son intervention est justifiée.
Si ce qui motive la décision de faire intervenir la CNIL, c’est non pas le domaine en lui-même, mais le souci d’assurer un équilibre entre la liberté d’expression et la mise en place d’une protection nécessaire, il faudrait réfléchir plus généralement à la façon dont on souhaite réguler ce type d’intervention sur internet, c'est-à-dire aux mesures préalables au blocage des sites, pas seulement en matière de terrorisme, mais dans tous les autres cas. Considère-t-on que la CNIL doive jouer un rôle en matière de protection des contenus et de la liberté d’expression ? Très sincèrement, il s’agit d’une tâche difficile.
Il est légitime de se poser cette question, car on ne peut pas – vous l’avez souligné tout à l'heure, monsieur le ministre – s’en remettre totalement au comportement des hébergeurs et des fournisseurs d’accès. Ce serait leur donner un droit de regard sur le contenu. Or, si ce droit de regard peut être souhaitable lorsque l’infraction est évidente, il devient plus discutable lorsqu’il s’agit seulement d’opinions, d’autant qu’il existe des cultures juridiques et politiques différentes : ce qui est jugé scandaleux en France ne l’est pas forcément aux États-Unis. Par conséquent, le fait de laisser l’appréciation aux opérateurs pose problème.
Il faut donc réfléchir à un mécanisme de régulation. Est-ce la CNIL qui doit jouer ce rôle ? La présidente de la CNIL a eu l’occasion d’exprimer devant vous les extrêmes réserves de son institution. Si vous deviez retenir cette solution – ce que je ne souhaite pas, et ce que la CNIL ne souhaite pas –, la personnalité en charge de la régulation devrait évidemment être choisie au sein de la CNIL.
Il serait toutefois souhaitable – je crois que c’est là l’essentiel – que nous ayons une réflexion d’ensemble, et que nous posions la question de savoir comment on peut assurer en amont une forme de prévention qui tout en répondant aux exigences de sécurité et associant les autorités adéquates permette d’éviter que cela ne débouche sur des situations insatisfaisantes.
Il me semble qu’il y a eu un peu d’improvisation dans la conception du dispositif. Cette improvisation n’est pas le fait du ministre de l’intérieur, mais de l’Assemblée nationale. Il serait à mon sens dommageable que le Sénat se rallie au dispositif proposé. C'est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement de suppression.