La communication publique est trop peu orientée vers la population. Pourtant, la diffusion de connaissances sur les risques liés à l’amiante et sur les précautions à prendre pour un particulier faisant chez lui des travaux pourraient encourager des comportements plus prudents.
À cet égard, il faut réfléchir au meilleur moyen de permettre la collecte de ces déchets, leur acheminement vers les sites autorisés, sans oublier le coût de ces opérations. En effet, le stockage des déchets d’amiante est onéreux, ce qui aboutit à la création de décharges sauvages en milieu rural, d’une dangerosité considérable.
C’est pourquoi la création d’un portail internet dédié aux précautions à prendre par le grand public, qui fait l’objet de notre proposition n° 8, est tout à fait judicieuse. D’autres sites fournissant des informations sur les précautions à prendre et la réglementation applicable existent déjà sur des sujets analogues. Ils sont largement consultés, y compris par les salariés des entreprises et des collectivités qui craignent d’être en contact avec tel ou tel produit ou organisme toxique.
Nous sommes fermement convaincus que c’est grâce à la prise de conscience et à la diffusion la plus large de l’information et grâce aussi à la pression qui en résultera sur les entreprises et sur les pouvoirs publics que les choses pourront évoluer favorablement.
S’agissant des entreprises, si l’information par les organisations professionnelles est primordiale, elle ne peut être exclusive d’un renforcement du rôle des CHSCT, les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dans ce domaine comme dans d’autres. Il est clair qu’une occasion s’offre aux partenaires sociaux dans le cadre de la négociation en cours sur les institutions représentatives du personnel. Des CHSCT élus directement dans toutes les entreprises de plus de vingt salariés constitueraient un progrès réel pour garantir une meilleure prise en compte de la santé des travailleurs sur les sites.
Considérons, par exemple, le cas des enrobés routiers. Nous savons déjà que les vapeurs de goudron inhalées par les travailleurs des entreprises de travaux publics sont d’une grande toxicité ; a fortiori lorsqu’il s’agit d’enrobés fabriqués à partir d’agrégats bitumeux parfois amiantés, dont le rapport évalue la production, madame la présidente, à 70 000 tonnes par an.
Nous sommes là devant une situation certes illégale, mais à laquelle sont pourtant soumis des milliers de travailleurs, qui n’ont pas connaissance des dangers auxquels on les expose.
L’information et la formation tant des chefs d’entreprise que des personnels sont donc des exigences fondamentales.
L’arrêté « formation » du 23 février 2012 définissant les modalités de la formation des travailleurs à la prévention des risques liés à l’amiante a constitué une avancée décisive. Ces avancées doivent maintenant être renforcées en direction des maîtres d’œuvre et aussi des artisans.
Le rôle de l’inspection du travail doit aussi être renforcé. La réforme de l’inspection du travail est en cours et c’est peu dire qu’elle ne fait pas consensus. Nous attendons maintenant la proposition de loi de notre collègue député Denys Robiliard en discussion à l’Assemblée nationale. Je rappelle que cette proposition de loi prévoit l’extension de l’arrêt de chantier aux travaux susceptibles d’émettre des fibres d’amiante.
Je vais à présent vous soumettre quelques réflexions sur l’amiante.
Nous souscrivons pleinement à la recommandation formulée à la page 66 du rapport. On y lit en effet : « Les agents de l’inspection du travail, malgré des effectifs restreints et une charge de travail très importante, se retrouvent en première ligne en matière de prévention des risques liés à l’amiante. Beaucoup de personnes auditionnées indiquent que les agents de prévention de la Cnam et de l’OPPBTP […] ne sont pas suffisamment nombreux et présents sur les chantiers. Selon le ministère du travail, on compte aujourd’hui 790 sections d’inspection, animées par 743 inspecteurs, 1 493 contrôleurs […] et 796 agents administratifs. Un agent de contrôle suivait en 2011 en moyenne 8 130 salariés. C’est pourquoi votre comité de suivi souhaite un renforcement des effectifs de l’inspection du travail. »
La clarté des chiffres est aveuglante sur la situation du contrôle du respect de la législation du travail, singulièrement en matière de risques professionnels et d’exposition à des produits toxiques.
Au-delà des chiffres, qui appellent une augmentation des effectifs que nous demandons avec persévérance, il est nécessaire de mettre en place une coordination entre les différents organismes de prévention, de contrôle et prestataires afin de disposer d’une doctrine homogène sur l’ensemble du territoire.
Sur le délicat sujet des diagnostics, le rapport de notre mission est tout à fait complet et les propositions très précises. Je n’y reviendrai donc pas plus longuement. Il est surtout important que le Gouvernement s’attache rapidement à la refonte de l’arrêté « compétence amiante » pour de meilleures formations et des garanties de compétences plus exigeantes. Mais il faut aussi compter avec les pressions subies par les diagnostiqueurs pour minimiser la présence d’amiante.
La question des coûts ne peut être esquivée. Dans ma région, le CHU de Caen fait figure d’exemple, mais avec des coûts très élevés. Depuis 1997, 25 millions d’euros ont été dépensés pour retirer 5 % de l’amiante total, il est vrai le plus dangereux. Le reste devrait être retiré d’ici au mois d’août 2016.
Pour comparaison, le coût de démolition s’élève à 100 millions d’euros et celui de construction du nouveau CHU est de 500 à 600 millions d’euros. Je pense que les chiffres du chantier de Jussieu doivent être à peu près identiques, voire plus élevés.
Comme vous l’avez dit, l’Union sociale pour l’habitat, ou USH, estime que 3 millions d’appartements de son parc comportent de l’amiante. Le désamiantage multiplie par deux les budgets de réhabilitation et un projet sur quatre est abandonné pour cette raison.
L’USH estime le coût annuel de désamiantage à 2, 3 milliards d’euros par an. Elle demande la création d’un fonds spécifique, via le grand emprunt ou les fonds structurels européens. Je pense qu’il faut persévérer dans cette voie.
Les coûts évoqués par le rapport comme par l’ensemble des partenaires sont considérables. Je n’ai cité ici comme exemples que deux organismes susceptibles de faire appel à des fonds publics ou à des partenariats. Qu’en est-il des particuliers et des collectivités locales ? Les devis de désamiantage de bâtiments sont impressionnants, en hausse de 50 % depuis 2012, comme presque tous les élus en ont fait l’expérience.
En réalité, nous sommes en présence d’un choc entre les exigences de protection des personnes et de l’environnement et les capacités financières à les assumer.
Résumons, en quelques mots : les maîtres d’ouvrage doivent faire établir un diagnostic amiante par des bureaux de contrôle, puis ils doivent s’assurer que l’entreprise de désamiantage à laquelle ils ont recours est couverte par une assurance responsabilité civile d’atteinte à l’environnement et intervient avec du personnel formé et des matériels conformes, notamment sas de décontamination et combinaisons intégrales dotées de bonbonnes d’oxygène. Tout cela sans oublier la zone de confinement autour du chantier, avec bâches étanches, échafaudages, etc.
Une entreprise auditionnée indiquait, comme le précise « notre » rapport – j’étais en effet membre de la mission d’information –, que le seul diagnostic pour une grange de 80 mètres carrées revient à 2 300 euros. Le chef d’entreprise ajoutait : « Dans un tiers des cas, on s’arrête à cette étape, les collectivités locales n’ayant pas les moyens d’aller plus loin. »
La tentation est alors grande de faire appel à un moins-disant, qui ne prendra sans doute pas toutes les mesures de précaution indispensables pour les salariés, la population et l’environnement.
Pour les particuliers, le recours au travail au noir ou au bricolage persiste malheureusement.
Certes, il faut une amélioration de la réglementation et il faut que celle-ci soit claire, lisible, compréhensible par tous, largement diffusée et qu’elle demeure applicable.
À partir de là, l’ensemble des personnes concernées à un moment donné, à un titre ou à autre, peuvent s’informer, prendre conscience du danger réel et agir en conséquence. S’agissant de tels risques, les contrôles par la puissance publique doivent être suffisants pour garantir la protection des travailleurs, de la population et de l’environnement.
Nous devons néanmoins être conscients que la question des moyens que nous sommes disposés à mettre en œuvre pour éradiquer l’amiante dans des conditions sanitaires correctes, et sur la durée, est la base de tout. L’amiante est non seulement une catastrophe sanitaire, mes chers collègues, mais aussi une calamité financière de longue portée pour la collectivité. Elle est le symptôme des drames que peut provoquer l’utilisation sans scrupules, en toute connaissance de cause, de produits dangereux pour la santé.
Il serait bon que notre débat d’aujourd’hui contribue à cette réflexion et à d’éventuels progrès dans ces domaines. §