Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le statut pénal du Président de la République a été profondément bouleversé par la révision constitutionnelle du 23 février 2007, qui a réécrit les articles 67 et 68 de notre Constitution afin de clarifier le régime de responsabilité des actes accomplis par le chef de l’État.
L’article 67, d’applicabilité directe, traite notamment de l’irresponsabilité et de l’inviolabilité provisoires du chef de l’État pour les actes étrangers à la fonction présidentielle. L’article 68, qui crée la Haute Cour et la procédure exceptionnelle de destitution, doit, pour être applicable, faire l’objet d’une loi organique. Plus de sept ans après la réforme constitutionnelle, cette loi organique n’a toujours pas été adoptée par le Parlement. Le déséquilibre entre la protection dont bénéficie le Président de la République et sa responsabilité est donc patent. Le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui a pour objet d’y mettre un terme.
Avant d’entrer dans le détail du texte, je voudrais revenir rapidement sur l’article 67 de notre Constitution. Selon cet article, le Président de la République « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite ». Le Président de la République est donc « injusticiable », quoi qu’il ait fait avant d’être élu et quoi qu’il fasse pendant son mandat, sans exception aucune.
Les écologistes sont loin d’adhérer à ce principe d’irresponsabilité provisoire du chef de l’État. Certains de nos collègues députés ont d’ailleurs déposé, en octobre 2011, une proposition de loi constitutionnelle visant à préciser le statut pénal du chef de l’État. Nous ne souhaitons pas que le Président de la République puisse être mis en cause pour n’importe quel fait et par n’importe qui, mais nous avons la conviction que l’inviolabilité judiciaire ne protège en rien la dignité de la fonction ; elle risque simplement d’aggraver les soupçons contre son titulaire et de conduire à des dénis de justice.
Revenons maintenant au texte qui nous réunit aujourd’hui. Celui-ci détaille la procédure exceptionnelle de destitution du chef de l’État. Cette procédure, au terme de laquelle le Président de la République ne peut être destitué « qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », est confiée au Parlement.
Il s’agit bien d’une responsabilité politique du Président, qui doit être clairement dissociée d’une responsabilité pénale ou civile, afin d’échapper aux perversions de la judiciarisation du politique, dont on a pu mesurer, depuis une dizaine d’années, les effets délétères. Cependant, si cette dissociation apparaît nécessaire, son effectivité semble pour le moins douteuse, faute de considération de la dimension éventuellement judiciaire des griefs portés contre le Président, et l’on peut craindre que ce qu’on appelle pudiquement « les affaires » soit opportunément utilisé pour détourner la procédure de destitution et régler des conflits d’ordre exclusivement politique.
Je veux rappeler à mon tour que, au XXe siècle, la procédure américaine d’impeachment présidentiel a toujours été précédée d’une procédure judiciaire. La procédure lancée contre Nixon avait pour origine un procès pénal conclu par un arrêt de la Cour suprême – United States v. Nixon, 24 juillet 1974 –, tandis que la procédure visant Bill Clinton avait pour origine un procès civil conclu lui aussi par un arrêt de la Cour suprême – Clinton v. Jones, 27 mai 1997 – et l’enquête du procureur indépendant Kenneth Starr. À cette occasion, la Cour suprême avait d’ailleurs très clairement démontré l’inanité d’une injusticiabilité présidentielle pour les actes détachables de ses fonctions, l’absence d’atteinte à la séparation des pouvoirs lorsque la justice se saisit des agissements « privés » du Président et la capacité du pouvoir judiciaire à défendre mieux que quiconque la dignité de la fonction présidentielle.
Une fois constatée cette injusticiabilité présidentielle, la question est de savoir si la procédure de destitution mise en place est entourée des garanties suffisantes. Le groupe écologiste croit pouvoir répondre par l’affirmative, car, comme le rappelle notre rapporteur, la mise en cause doit être votée par les deux tiers des membres de chaque assemblée, puis par les deux tiers des membres du Parlement constitué en Haute Cour, ce qui signifie qu’elle ne peut être manipulée par l’opposition, ni même par la majorité : elle nécessite un quasi-consensus entre les forces politiques.
Si nous avons émis quelques réserves, nous n’en considérons pas moins que le projet de loi organique contribue à rétablir un certain équilibre et constitue une avancée notable. Nous lui apporterons donc notre soutien.