Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 21 octobre 2014 à 21h30
Application de l'article 68 de la constitution — Adoption définitive d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

Je n’ai pas entendu le mot « politique », monsieur le rapporteur. Quoi qu’il en soit, dans les cas visés par l’article 68 de la Constitution, le Président de la République est toujours en état politique d’exercer son mandat, mais il a manqué à ses devoirs au point de ne plus pouvoir exercer ses fonctions. Ce n’est pas tout à fait pareil !

On peut toujours reparler de la notion de « haute trahison », qui figurait auparavant dans le texte constitutionnel et permettait des gloses infinies. Certains orateurs précédents ont rappelé ce que pouvait recouvrir la haute trahison, mais cette notion était devenue incompréhensible pour la grande majorité de nos concitoyens et n’a jamais été appliquée. Cette non-application était d’ailleurs peut-être due non à l’absence de définition de la notion, mais au fait que la procédure était impossible à mettre en œuvre.

Monsieur le rapporteur, vous avez excellemment rappelé la controverse entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. C’est assez extraordinaire : la commission Avril et le constituant ont fini par donner raison à cette dernière, puisque c’est une procédure largement prétorienne qui a été retenue. Bien entendu, la Cour de cassation, dans son arrêt du 10 octobre 2001, en refusant de reconnaître l’existence d’un éventuel privilège de juridiction du chef de l’État, a porté un coup fatal à la Haute Cour de justice.

Il a donc fallu trouver une solution. L’article 68 de la Constitution est extrêmement précis. Peu de choses doivent y être ajoutées, même si l’adoption d’une loi organique est nécessaire pour permettre sa mise en œuvre, en précisant notamment le déroulement des travaux précédant le vote tendant à la destitution du chef de l’État.

L’examen, au mois de janvier 2010, de la proposition de loi de notre collègue François Patriat nous avait permis d’anticiper largement les débats d’aujourd’hui, le Gouvernement n’ayant à l’époque pris aucune initiative sur ce sujet. Je me permets de rappeler que, si nous avions, à ce moment, décidé de renvoyer ce texte à la commission, c’est parce qu’un projet de loi venait d’être déposé. On peut toujours faire se croiser des projets de loi et des propositions de loi, ils ne se rencontrent jamais ! C’était donc la seule raison motivant cette demande de renvoi à la commission. Nous avons ensuite de nouveau examiné cette proposition de loi en séance publique et je crois que nos travaux ont permis d’éclairer la réflexion des députés.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui vise à préserver la dignité de la fonction présidentielle. Ses dispositions s’inspirent très largement des préconisations formulées au mois de décembre 2002 par la commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, présidée par le professeur Avril, qui ont servi de base à la révision constitutionnelle de 2007.

Concernant le nombre de signataires et, plus généralement, les conditions requises pour le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour, le choix de la signature de ce texte par le dixième des membres de l’assemblée concernée, quantum évoqué par la commission Avril, et reprenant les anciennes dispositions des règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale me paraît cohérent. Cette commission suggérait aussi qu’un membre du Parlement ne puisse être signataire que d’une seule proposition de réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel. La question reste posée dans le cas où la procédure de destitution n’aurait pas abouti.

Faut-il prévoir d’autres mécanismes, telle la possibilité qu’une assemblée ne soit pas appelée à délibérer d’une motion si le bureau s’y oppose à l’unanimité ? Cette question, je l’avais déjà soulevée lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Patriat.

Je tiens, par ailleurs, à saluer la position de l’Assemblée nationale, qui a rejeté la version initiale du projet de loi organique confiant à la commission des lois de la première assemblée saisie le soin de vérifier que la proposition de résolution n’était pas dénuée de tout caractère sérieux et, le cas échéant, de s’opposer à sa mise en discussion. C’était aller trop loin !

Ce rôle de filtrage ne paraît pas compatible avec l’institution d’un droit de veto donné à une formation restreinte de l’une des deux chambres statuant à une majorité simple.

En revanche, le remplacement de cette version par une procédure en quatre temps me semble plus cohérent : contrôle de recevabilité, envoi de la proposition de résolution pour examen à la commission des lois – disposition à mon sens indispensable, l’expertise de la commission des lois s’imposant, même si ce n’est pas un texte législatif –, inscription de la proposition de résolution à l’ordre du jour et vote de cette dernière.

Pour ce qui concerne la composition du bureau et le rôle de la Haute Cour, l’option retenue par l’Assemblée nationale de fixer le nombre des membres du bureau à vingt-deux – onze sénateurs et onze députés – évitera la constitution d’une assemblée pléthorique.

De plus, il est précisé que la constitution du bureau de la Haute Cour s’efforcera « de reproduire la configuration politique de chaque assemblée », précision qui s’accorde tout à fait à l’attention que notre assemblée attache traditionnellement au pluralisme sénatorial. Elle donne, comme l’indique l’excellent rapport de notre collègue Hugues Portelli, pour la première fois un fondement organique à un principe qui, jusqu’à présent, ne trouve sa source directe que dans les règlements des assemblées.

Le dernier point de mon intervention portera sur l’organisation des débats de la Haute Cour et sur la possibilité pour le Président de la République de se faire représenter.

L’ancienne Cour de justice de la République, comme le prévoyait l’article 31 de l’ordonnance du 2 janvier 1959, pouvait exceptionnellement siéger à huis clos. Cette possibilité n’est pas offerte à la Haute Cour, bien que ce caractère exceptionnel n’aurait pas eu pour effet, selon moi, de nuire à cette instance. Il pourrait arriver des cas où il n’est pas forcément nécessaire d’exposer sur la place publique les turpitudes d’un Président de la République !

De plus, je souhaite rappeler, car c’est important, que, bien que la procédure ne revête aucun caractère juridictionnel – c’est bien ce qui la différencie de l’ancienne procédure –, on respecte parfaitement le principe du contradictoire.

J’en viens aux modalités des débats et de décision. Je note que le projet de loi organique reprend dans leur intégralité les préconisations formulées par la commission Avril fixant la durée des débats, déterminant les membres autorisés à participer – les ministres sont exclus, mais la possibilité offerte au Premier ministre de prendre part au débat est préservée et la faculté est ouverte au Président de la République de se faire représenter –, cette procédure – selon l’explication de la commission précitée – ne suspendant pas de fait les fonctions de chef de l’État du Président de la République.

Je me réjouis que mon groupe ait inscrit l’examen du présent projet de loi organique dans la niche parlementaire qui lui est réservée, lui donnant la préférence sur quantité de propositions de loi pourtant extrêmement intéressantes. Au début de cette nouvelle session, il nous a semblé qu’il appartenait au Sénat de conforter la réforme qui avait été votée dès 2007.

Au regard de toutes ces remarques, les membres du groupe UMP voteront bien entendu en faveur du projet de loi organique, tel que l’a transmis l’Assemblée nationale au Sénat, donc sans modification. §

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