Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 4 novembre 2014 à 14h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion des conclusions d'une commission mixte paritaire

Myriam El Khomri :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, pour commencer, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, M. Bernard Cazeneuve.

Nous assistons, avec la guerre civile en Syrie, puis en Irak, à une mutation rapide du terrorisme. Encore récemment, le terrorisme était « réservé » à une poignée d’individus faisant le choix de la clandestinité, au sein de groupes structurés, difficiles d’accès. Il est désormais en « libre accès ». Tout un chacun peut, sans quitter son domicile, consulter des sites faisant l’apologie du meurtre de masse, du martyre et de l’attentat suicide, s’autoradicaliser, puis se décider pour un aller simple vers les terres du djihad, le cas échéant en famille. Tout un chacun peut, avec une facilité déconcertante, acquérir un savoir-faire minimal pour commettre un attentat terroriste de « proximité ».

La mutation consiste, pour ces organisations criminelles, à tirer parti des nouvelles technologies de l’information, pour inoculer massivement le virus du terrorisme dans les esprits et pour tromper certains de nos concitoyens, le plus souvent les plus jeunes et les plus faibles, à qui on laisse croire qu’ils sont devenus les ennemis de leur propre pays.

Le nombre des jeunes Français radicalisés combattant sur le théâtre d’opérations syrien n’a cessé de croître. Une réponse ferme et adaptée était donc nécessaire pour éviter à de jeunes Français de succomber à la tentation du martyre et à la fascination du meurtre.

Notre devoir collectif est de tout faire pour contenir la menace potentielle que représente le retour en France de combattants formés en Syrie au maniement des armes et des explosifs, ayant souvent commis les pires atrocités criminelles, endoctrinés par des discours de haine envers l’Occident et souvent déshumanisés par l’expérience quotidienne de la violence. Certains, nous le constatons déjà, fuient de leur propre initiative la Syrie, cherchant sans doute à oublier cette terrible épreuve. Mais nous ne pouvons courir le risque d’en laisser d’autres tenter de reproduire sur le sol français, au nom du djihad, la violence barbare qu’ils auront connue en Syrie ou en Irak.

Comme vous le savez, face à de telles menaces et afin de garantir la sécurité de nos concitoyens, le Gouvernement a réagi sans tarder, avec fermeté et vigilance.

Depuis avril dernier, le Gouvernement a créé le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation, qui est chargé de la prise en compte et de l’orientation des signalements des candidats au départ, auxquels une prise en charge est proposée. Ces signalements lui parviennent soit directement par la plate-forme téléphonique et internet dédiée, soit par le réseau des états-majors de sécurité, animés localement par les préfets et les procureurs de la République. Entre fin avril et fin octobre, près de 600 personnes ont fait l’objet d’un signalement, dont 25 % de mineurs.

S’agissant en particulier des mineurs, la garde des sceaux et le ministre de l’intérieur ont, dès le 5 mai 2014, donné des instructions aux préfets et aux procureurs, afin d’organiser dès leur détection leur suivi, incluant notamment une mesure d’opposition à sortie du territoire.

Parallèlement à ces mesures, un département de lutte contre la radicalisation a été créé au sein de l’UCLAT, l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, afin d’améliorer la transmission et l’exploitation du renseignement entre les administrations concernées. Le bureau du renseignement de la direction de l’administration pénitentiaire, notamment, est désormais représenté au sein de l’UCLAT.

Dans la continuité du plan adopté dès avril dernier, le Gouvernement a jugé indispensable de renforcer notre législation pour entraver l’action et la propagande des filières djihadistes et contrarier les projets de ceux qui sont tentés de les rejoindre.

Un débat riche et digne, qui s’est tenu dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale le 15 juillet dernier et dans celui du Sénat le 15 octobre, nous a permis d’aboutir au texte efficace qui vous est aujourd’hui soumis, mesdames, messieurs les sénateurs. Je tiens donc, au nom du ministre de l’intérieur, à remercier vivement les rapporteurs du texte, Jean-Jacques Hyest et Alain Richard, comme l’ensemble des parlementaires qui ont contribué à l’améliorer.

Quand il s’agit de la protection de la France et des Français, le consensus républicain est une nécessité ; le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme transcende les clivages partisans, ce dont nous nous réjouissons tous. Ce consensus donne encore davantage de force à ce projet de loi.

L’objectif du Gouvernement était de retenir la version la plus ambitieuse possible du texte, incluant plusieurs mesures votées à l’Assemblée nationale et un certain nombre de dispositions intégrées par le Sénat. C’est ce à quoi nous sommes parvenus, avec l’adoption du projet de loi par la commission mixte paritaire, qui permet de garantir, dans le respect de nos échanges au sein du Parlement, l’effectivité des mesures et la sécurité juridique des dispositifs.

Je rappelle que la loi repose sur quatre innovations majeures, qui toutes respectent l’État de droit et demeurent soumises à un contrôle étroit du juge.

Première innovation : l’interdiction de sortie du territoire, prévue à l’article 1er du projet de loi, permettra tout d’abord aux autorités de s’opposer au départ de nos ressortissants hors de France dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de croire que leur déplacement a une finalité terroriste ou que leur retour porterait atteinte à la sécurité publique.

Rigoureusement encadrée dans ses motifs et dans sa durée, dont le maximum est fixé à deux ans, pouvant faire l’objet d’un recours devant le juge administratif, qui pourra agir en référé, cette mesure sera rendue pleinement effective, sans même attendre la mise en œuvre du PNR – passenger name record –, grâce au retrait de la carte nationale d’identité et à l’invalidation immédiate des documents d’identité, contre récépissé. Des précautions supplémentaires ont été prises pour éviter que ce dernier ne présente un caractère stigmatisant pour l’individu concerné. Je veux remercier sur cette question le Parlement de sa contribution précieuse.

Pour compléter ce dispositif nouveau, l’interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire national pour les étrangers ne résidant pas en France, à l’article 1er bis, a été adoptée à la suite d’échanges denses à l’Assemblée nationale et sur la base d’un amendement déposé par le Gouvernement au Sénat.

Deuxième innovation : la création, prévue à l’article 5, du délit d’entreprise individuelle terroriste permettra d’adapter notre législation aux spécificités du terrorisme contemporain sans pour autant mettre en cause le principe de légalité des délits et des peines. Ce délit nouveau est en effet nécessaire pour pouvoir appréhender, avant le passage à l’acte, un individu isolé résolu à commettre une opération terroriste, dès sa détection. En revanche, l’élément matériel relatif à l’acquisition de moyens logistiques de la définition de l’entreprise individuelle terroriste a été supprimé, tandis que la possibilité pour les enquêteurs et magistrats de saisir directement le centre technique d’assistance à des fins de décryptage a été finalement maintenue.

Troisième innovation : pour entraver la diffusion de messages de haine et de propagande terroriste sur internet, l’article 9 rendra possible le blocage administratif des sites, complétant ainsi les dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. L’autorité administrative pourra désormais demander aux éditeurs et aux hébergeurs de site, lorsqu’ils sont identifiés, de procéder au retrait des contenus qui appellent au terrorisme ou en font l’apologie, ou bien, à défaut, aux fournisseurs d’accès de bloquer l’accès aux sites, à l’instar de ce que le législateur a déjà prévu pour les sites pédopornographiques.

En vertu du principe de subsidiarité introduit par les députés, ce blocage, ciblé et limité au strict nécessaire, s’effectuera, comme l’a indiqué Alain Richard, sous le contrôle d’une personnalité qualifiée désignée par la CNIL et sera soumis à la juridiction administrative. La personnalité qualifiée aura en effet une faculté de contester le blocage a posteriori devant le juge administratif.

Par ailleurs, la possibilité pour l’administration, votée par le Sénat, de demander aux moteurs de recherche le déréférencement des sites illicites complétera utilement la palette d’outils de lutte contre l’apologie des crimes terroristes sur internet. Le dispositif n’en sera que plus efficace.

Sur cette question, le Gouvernement a tout mis en œuvre pour parer le risque de surblocage et garantir un maximum d’effectivité de la mesure. Ce dispositif a été largement revu dès l’examen du projet de loi en commission des lois à l’Assemblée nationale, ce qui a permis le développement d’un débat fécond sur cette question.

Enfin, quatrième innovation : l’apologie et la provocation au terrorisme, comme l’a indiqué Jean-Jacques Hyest, relèveront non plus du délit d’opinion et donc de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais du droit commun. Certaines des techniques spéciales d’enquête applicables au terrorisme leur seront également applicables, sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Le champ des incriminations d’apologie et de provocation au terrorisme n’est en revanche pas modifié.

Outre ces innovations majeures, d’autres éléments doivent être soulignés.

D’abord, à l’article 15 ter, c’est la possibilité donnée à l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels de concourir au financement de la lutte contre la criminalité, qui permettra dans l’immédiat de financer le dispositif des repentis et, à terme, d’intéresser les forces de sécurité aux saisies opérées. C’était un dispositif auquel beaucoup d’entre vous étaient attachés de longue date ; il figure maintenant dans ce texte.

Ensuite, les mesures exceptionnelles de sûreté aéroportuaire pourront être adoptées le cas échéant. Ce dispositif poussé par le secrétariat général de la défense nationale permettra de mettre en place un dispositif « Vigipirate en milieu aérien ».

En outre, les ordonnances relatives à la partie législative du code de la sécurité intérieure ont été ratifiées ; un code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie nationales a été créé.

Enfin, les dispositions permettant aux services d’avoir accès aux fichiers dans le cadre de la lutte antiterroriste et de réaliser des contrôles dans les trains transnationaux, prorogées sans discontinuité depuis 2006 et une ultime fois dans le cadre de l’article 1er de la loi antiterroriste de décembre 2012, ont été pérennisées par voie d’amendement gouvernemental au Sénat.

En revanche, comme l’ont indiqué les rapporteurs, l’article 15 allongeant la durée de conservation des enregistrements des interceptions de sécurité a finalement été supprimé.

Je le répète, cette loi est aujourd’hui nécessaire à la sécurité de notre pays. Certes, il n’existe pas de risque zéro en matière de lutte contre le terrorisme, mais ce n’est pas une raison pour rester inactif. Grâce aux dispositifs nouveaux créés par la loi, l’entreprise criminelle des terroristes ou de ceux qui veulent les rejoindre aura été entravée. Des internautes, souvent jeunes, auront échappé à leur action de propagande. La justice et, sous son contrôle, les services de police auront à leur disposition des moyens d’action et d’investigation plus efficaces et plus protecteurs de nos concitoyens.

J’ajoute que les dispositions que l’on retrouve dans cette version issue de la commission mixte paritaire s’inspirent très largement des travaux accomplis par la Haute Assemblée.

Je crois que la calme résolution qui habite ce texte, fruit d’un consensus dont nous pouvons être fiers, est à la fois sa grande force et l’honneur même de notre République.

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