Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voterons très majoritairement les conclusions de la commission mixte paritaire.
La lutte contre le terrorisme a toujours été un exercice difficile, la recherche d’un équilibre entre pragmatisme et défense des libertés individuelles se révélant toujours délicate.
Le texte que nous nous apprêtons à voter n’empêchera pas totalement la diffusion de la propagande terroriste sur internet ni sur les réseaux sociaux, qui constituent aujourd’hui l’outil majeur de sa propagation. Vous avez d’ailleurs rappelé, madame la secrétaire d’État, que le plan contre la radicalisation violente et les filières terroristes prévoit une série d’actions préventives, lesquelles sont absolument indispensables.
Ce texte ne révolutionnera pas non plus les moyens mis à la disposition des services de police et de renseignement. Le groupe du RDSE a eu l’occasion de le rappeler en première lecture, nous considérons qu’il serait souhaitable que le Parlement réfléchisse à une réforme en profondeur de nos moyens d’investigation ou encore de l’organisation des services de police et de renseignement. Le rapport du procureur Robert, qui a esquissé des pistes de réflexion intéressantes, a permis des avancées en la matière, comme en a témoigné l’adoption de l’article 10 bis issu d’un amendement proposé par notre groupe.
Il faut néanmoins reconnaître que ce texte constitue un début de réponse à ce nouveau terrorisme qui évolue en fonction des mutations techniques et sociologiques, à ce terrorisme qui essaime ses idées dans nos quartiers, sur les esprits les plus vulnérables. Ses différentes dispositions permettront de faire avancer positivement la situation – ce sera déjà un progrès.
Il en est ainsi de l’interdiction de sortie du territoire. Cette mesure permettra d’entraver le départ d’individus radicalisés par le retrait de la carte d’identité et du passeport, mais, comme nous l’avons indiqué en première lecture, elle est attentatoire à la liberté d’aller et venir. Elle devra donc être motivée et prise sur la base de faits circonstanciés. Notre groupe regrette cependant que le principe général du droit des droits de la défense n’ait pas trouvé sa place dans cette procédure de sanction administrative ; une dérogation à la norme du principe du contradictoire aurait pu être introduite en cas d’urgence. Ce n’est pas le choix du Gouvernement. Dont acte !
Les attentats perpétrés il y a deux semaines au Canada renforcent encore la pertinence d’une analyse qui met en évidence l’émergence d’un nouveau phénomène terroriste touchant l’ensemble des pays occidentaux. Ces actes ont été commis par de jeunes citoyens canadiens, qui sont nés et ont grandi au Canada, nouvellement radicalisés. L’un des présumés coupables, considéré comme un « voyageur à haut risque », s’était vu retirer son passeport. Le retrait du passeport n’a donc pas constitué une réponse suffisante.
L’interdiction administrative du territoire à destination de ressortissants étrangers potentiellement dangereux qui se verront interdire l’entrée et la circulation sur le territoire français permettra, dans un premier temps, de combler un manque bien connu du système Schengen. Nous espérons que les négociations autour d’une adaptation du code frontières Schengen aboutiront rapidement. Ce défi majeur du contrôle des frontières extérieures, terrestres et maritimes, de l’espace Schengen est aujourd’hui devenu une question fondamentale pour l’Union européenne et nos concitoyens.
Concernant le blocage des sites faisant l’apologie du djihad, un point doit être souligné, outre la question de son efficacité, qui peut être contestée au regard des renseignements comme des délais de blocage et du caractère transnational de ces problématiques : les outils numériques ne constituent que la partie émergée de l’iceberg terroriste. Sa partie immergée est celle du financement du terrorisme lui-même, des flux financiers et monétaires qui transitent. Le groupe djihadiste Daech est désormais l’organisation terroriste la plus riche de la planète avec une fortune estimée à plus de 2, 3 milliards de dollars.
Nous ne pouvons occulter le fait que lutter contre le terrorisme, c’est aussi lutter contre son financement par le biais du blanchiment d’argent. Un rapport récent de TRACFIN – traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins – a mis en évidence la difficulté qu’il y a à repérer les manœuvres de blanchiment, s’agissant d’opérations répétées, fractionnées, de faible montant et parfois de compensations informelles à distance. Comme l’a souligné une note du ministère de l’économie sur le sujet, « bien que le secteur financier soit régulé depuis longtemps et soumis à la surveillance constante des autorités de contrôle, prenant la forme de contrôles permanents sur pièces et sur place, il demeure exposé à des risques spécifiques en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme ».
Il faudrait s’interroger sur le rôle joué par certains pays du Golfe dans le financement du terrorisme. Le Trésor américain a apporté la première preuve que l’argent du Qatar avait bien permis à des individus, candidats au djihad, de rejoindre la Syrie. Daech en Irak et au Levant a bénéficié de la manne destinée aux différents groupes d’insurgés syriens luttant contre le régime de Bachar El-Assad, une enveloppe financée en grande partie par des acteurs étatiques, l’Arabie Saoudite et le Qatar, relayés par de riches donateurs de ces mêmes pays. Nous ne pouvons durablement tolérer que des investissements massifs dans nos pays occidentaux financent des crimes tout aussi massifs au Moyen-Orient.
D’autres pistes de réflexion devront donc être esquissées dans l’avenir.
Après ces propos prospectifs, qui me paraissent indispensables, je répète que nous voterons très majoritairement ce texte.