Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, vous le savez, j’ai exprimé en première lecture des réserves sur un certain nombre d’articles du projet de loi.
La commission mixte paritaire nous a transmis un texte équilibré. Il ne s’agit certes pas de l’équilibre que j’aurais souhaité atteindre si je l’avais écrit moi-même. Je n’en salue pas moins le travail des rapporteurs, qui ont relayé, au Sénat et face à l’Assemblée nationale, l’ensemble des préoccupations émises en première lecture. Ainsi, même si le résultat atteint n’est probablement pas parfait, nous pouvons affirmer aujourd’hui que le débat a été utile : il a permis d’améliorer un texte qui, en tant que tel, était nécessaire.
Toutefois, j’exprimerai quelques regrets au sujet de l’article 1er bis, que Mmes Benbassa et Assassi ont évoqué. En effet, la nouvelle rédaction du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile va bien au-delà d’un parallélisme entre l’interdiction de sortie du territoire et l’interdiction d’entrée sur le territoire. Ces dispositions ne se limitent pas à la lutte contre le terrorisme, ce qui, somme toute, aurait été logique. Elles vont beaucoup plus loin : on évoque les menaces pesant sur les intérêts fondamentaux de la société, sur l’ordre public et sur les relations internationales de la France, lorsque les individus susceptibles de se voir interdire l’entrée sur le territoire ne sont pas ressortissants d’un pays membre de l’Union européenne.
À mon sens, l’extension du champ de ces mesures peut poser certaines difficultés. Voilà pourquoi je demanderai quelques précisions au Gouvernement. Il me semble absolument indispensable, d’une part, que le principe de la liberté de circulation dans l’espace Schengen soit préservé et, d’autre part, que le motif de « menaces pour les relations internationales de la France » ne porte en aucun cas atteinte au respect, par notre pays, de la convention de Genève relative au statut des réfugiés.
Mes chers collègues, si certaines dispositions législatives permettent de contester la présence d’une personne sur notre territoire pour des motifs relevant des relations internationales, un État étranger serait, tout à fait légitimement, en position de demander au gouvernement français de ne pas recevoir tel ou tel de ses ressortissants, afin de préserver de bonnes relations diplomatiques. Aussi, je m’inquiète des conséquences de cet article 1er bis, étant donné le rôle que nous devons jouer pour la préservation du droit d’asile.
J’ajoute que j’ai été choqué par un certain nombre d’opinions exprimées au cours des débats parlementaires. Je songe notamment à certains de nos collègues députés, MM. Philippe Goujon, Meyer Habib, Claude Goasguen ou Mme Marion Maréchal-Le Pen, proposant, pour des personnes susceptibles d’interdiction de sortie du territoire – mesure administrative –, une déchéance de nationalité.
Une telle proposition procède d’une double erreur.
La première erreur porte sur le sens de l’interdiction de sortie du territoire : il s’agit d’une mesure administrative préventive et en aucun cas d’une peine résultant d’une instruction ou d’une décision judiciaire, cas auquel renvoie l’article 5 du présent texte. Il n’y a aucune raison de considérer qu’une personne se voyant interdire, à titre préventif, la sortie du territoire, doit être, de ce fait, déchue de la nationalité française. Il ne faut pas confondre l’article 1er, qui est préventif, et l’article 5, qui est punitif. Cette incompréhension est regrettable : c’est avec de telles erreurs que l’on fait passer ce projet de loi pour attentatoire aux libertés, en particulier pour ce qui concerne son premier article.
La seconde erreur porte sur le sens de la déchéance de nationalité. La nationalité est une réalité binaire : ou bien on l’a, ou bien on ne l’a pas. On ne peut pas inventer des demi-nationalités, que l’on serait susceptible de perdre pour tel ou tel motif. Quel serait le sens de l’intégration, s’il existait des Français et des demi-Français ? Une fois que l’on est Français, on l’est pleinement, et la loi ne peut vous distinguer des autres citoyens.
À cet égard, certaines dispositions existent déjà. Je le répète, ne confondons pas l’article 1er et l’article 5 ! Dans certains cas, on peut s’apercevoir que l’on a commis une erreur en accordant la nationalité à telle ou telle personne. Mais le code de la nationalité française permet alors la déchéance, en particulier si cet individu est condamné pour acte terroriste. Voilà pourquoi certains de nos collègues députés ont fait la confusion, au titre de l’article 1er.
Pour conclure, je souligne que le projet de loi est un texte d’équilibre, répondant aux exigences et aux défis du moment. J’aurais préféré une rédaction quelque peu différente sur certains points. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un texte indispensable.
Pour l’avenir, certaines pistes ont été tracées, notamment celle de la coopération européenne, qui est impérative, et celle de la coopération internationale au sens large. Ne croyons pas que les problèmes dont il est ici question sont strictement franco-français ou européens ! Un grand nombre de pays, notamment le Maroc ou l’Égypte, sont confrontés à des difficultés similaires, qui ne pourront être résolues que par la coopération.
Je voterai donc ce projet de loi avec quelques bémols, …