Intervention de Jean-Paul Delevoye

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 5 novembre 2014 : 1ère réunion
Transition énergétique pour la croissance verte — Audition de M. Jean-Paul deleVoye président du conseil économique social et environnemental de M. Jean Jouzel et Mme Laurence Hézard rapporteurs d'un avis du cese

Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental :

Merci à l'ensemble des parlementaires. Je vous rappelle, messieurs les présidents, que vous avez la faculté depuis la dernière révision constitutionnelle de demander à votre Président de saisir le CESE afin de vous aider à la décision politique.

Pardonnez mon impertinence, mais permettez-moi de vous dire à quel point, dans l'état actuel de la société, il faut être extrêmement attentif à ne pas avoir un discours plein d'illusions et de rêves. L'objectif, c'est bien ; l'atteindre, c'est mieux. Aujourd'hui, tout sur la table est politique. La noblesse du politique a été restaurée, mais tout est détruit par les attitudes politiciennes. Il est tout à fait fondamental que vous arriviez à faire en sorte que la cause de l'énergie transcende les intérêts énergétiques.

Vous pourriez entendre le secrétaire général des affaires européennes afin qu'il vous expose les clivages compliqués dans les négociations européennes. Un accord a pu être obtenu sur le changement climatique parce que l'Espagne et le Portugal avaient demandé la connexion avec la France. Le problème polonais est un peu plus compliqué.

Il faudrait essayer de cerner quels sont les freins à la transition. À l'évidence, comme le disait Laurence Hézard, les capitaux s'investissent beaucoup sur les outils de production parce qu'il y a une rotation rapide, beaucoup moins dans les infrastructures de transport car il y a une rotation lente. Or, le problème de demain sera non seulement la production, mais aussi la capacité, par l'intelligence numérique, de réguler les zones de production, qui peuvent varier selon les climats. L'expérience allemande montre à quel point il peut y avoir des interrogations, et à quel point la vision européenne et la solidarité interétatique européenne sont des éléments essentiels.

Nous avons clairement indiqué qu'il y a une réflexion à mener en matière de recherche et développement à propos de l'augmentation du prix du carbone sur le marché carbone. Une partie de ces flux financiers pourraient être captée pour alimenter la recherche et le développement. La moitié des chercheurs dans le monde sont américains et chinois. La France est très bonne en recherche fondamentale, très peu en recherche appliquée. Nous sommes en train, dans une économie de l'innovation, de perdre la bataille de la recherche si nous n'y prenons pas garde. Or, l'énergie est un facteur de mobilisation industrielle et de mobilisation citoyenne. Au lieu de voir comme une punition la hausse de 2° C de température, essayons au contraire de transformer cette contrainte en objectif mobilisateur pour renforcer notre recherche. Les Chinois s'engagent dans une politique environnementale parce qu'il y a derrière cela un business avec un retour d'investissement.

L'ensemble des acteurs du CESE a estimé que la problématique de la rénovation thermique n'était pas uniquement un problème budgétaire. C'est aussi un problème de faiblesse des moyens d'ingénierie auprès des artisans, qui ne sont pas suffisamment formés. Il ne s'agit pas d'ouvrir un marché, le marché existe. Un certain nombre d'enquêtes ont montré le besoin d'une mobilisation forte du monde artisanal sur ce marché-là, par une formation des artisans aux nouvelles techniques, et sur les conseils à apporter sur les meilleurs choix en matière de rénovation thermique.

Le CESE a demandé que les collectivités territoriales puissent être des tiers payants, balayant l'argument qui nous était opposé par les banques sur le sujet de la concurrence. Nous avons démontré que cet argument n'était pas fondé juridiquement. Les élus locaux vont être obligés de construire des espérances territoriales, pour offrir une place à chacun, un droit d'accès à l'énergie et pour mettre en place des mécanismes de retour d'investissement sur les travaux énergétiques qui échapperont à la capacité contributive de certains propriétaires.

L'un d'autre vous a parlé de croissance faible et de problème de moyens. Il faut inverser les choses : la croissance est faible. On ne pourra plus financer la retraite et la santé sur le travail : formidable opportunité pour réfléchir à un nouveau contrat social. Quand il n'y a pas de moyens, il faut trouver d'autres ressources. L'État a 2 000 milliards d'euros de dette pour 12 000 milliards de patrimoine. Le patrimoine naturel est désormais pris en compte dans la biodiversité. Demain, on ne gèrera plus les ressources de nos sols et de nos sous-sols, on gèrera les flux qui traversent les territoires. La question se pose de leur captation. J'ai été extrêmement malheureux de voir retirer l'écotaxe. Je ne dis pas que cette mesure était bonne ou mauvaise. Vous allez toutefois devoir réfléchir à une fiscalité sur les flux, qui posent un problème de territorialisation et de rendement, pour compenser la problématique de faible croissance. Comment financer demain des politiques de solidarité qui peuvent être remises en cause par des conflits générationnels si l'on n'y prend pas garde ?

L'opportunité politique est majeure. Le débat politique a porté dans les trente dernières années sur les potentiels apportés par la technologie et par la science. Le débat politique actuel porte sur les limites : quelles sont les limites à ne pas franchir ? C'est le sujet, entre autres, du réchauffement climatique, ou encore du droit à mourir. Ces débats sont extrêmement intéressants. Quelles limites ne pas franchir pour ne pas perdre de compétitivité agricole ?

La transformation - je n'aime pas le mot réforme qui est anxiogène - représente un coût. On ne peut pas demander aux chauffeurs de taxi d'adopter une offre à bas coût si on ne rachète pas les plaques. Si un objectif apparaît prioritaire, il faut se demander comment l'atteindre, et faire en sorte d'aider les perdants.

Sur l'éolien, soyez attentifs à toujours précéder le juge. Il est préoccupant pour moi de voir que c'est le juge qui détermine aujourd'hui le permis ou l'absence de permis. Ce n'est pas le politique. En outre, ce sont des intérêts privés qui guident l'implantation des éoliennes alors que c'est une politique d'intérêt public. Vous avez, dans le cadre de la simplification, supprimé les zones de développement de l'éolien. Cela a permis la chienlit, parce que c'est celui qui paye le plus cher, ou qui achète les infrastructures des communes qui n'en ont pas, qui obtient le permis. Si vous pouviez déterminer des objectifs de production à atteindre par région ou par département, avec un schéma territorial qui permette de concilier paysage et production, en mobilisant des sociétés d'économie mixte dans lesquelles les collectivités territoriales et les citoyens pourront trouver le juste profit. Je ne crois pas au capitalisme d'État, c'est de l'utopie communiste ; je crois à l'État capitaliste. Vous ne valorisez pas les patrimoines. Pourquoi ne pas avoir, demain, des partenariats nouveaux entre le privé et le public où les collectivités locales ne toucheront plus beaucoup d'argent sur la fiscalité foncière mais pourront avoir une rentabilité forte sur la production d'énergies renouvelables ? Il est très enthousiasmant de chercher des réponses à travers des schémas nouveaux. La plus-value politique, c'est de rendre possible ce qui paraît impossible.

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