Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 5 novembre 2014 à 14h30
Adaptation de la procédure pénale au droit de l'union européenne — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter vise à transposer des décisions-cadres et des directives de l’Union européenne.

Je le rappelle, les premières pierres de l’espace de liberté de sécurité et de justice que nous construisons au sein de l’Union européenne ont été posées lors du Conseil européen de Tampere en 1999, qui a d’ailleurs donné lieu à la création d’Eurojust en 2002. Ensuite, le programme quinquennal de La Haye, entre 2004 et 2009, tendait à préciser et à consolider les droits fondamentaux, ainsi qu’à poser les bases de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.

Le programme quinquennal suivant, celui de Stockholm, a été encore plus consistant. Il a permis de préciser les droits et les libertés, mais également de favoriser l’accès au droit et à la justice et de lancer l’application informatique e-Justice.

De telles avancées seront consolidées par le programme post-Stockholm, qui a été adopté au mois de juin 2014. Il s’agit de renforcer Europol et Eurojust, mais également de créer le parquet européen, au plus tard – nous l’espérons – au premier semestre de 2015, et de mettre en place la protection des données personnelles, civiles et commerciales. Vous le savez, nous avons demandé l’introduction du secteur public, avec les précautions nécessaires, notamment pour les informations de souveraineté.

Je le répète, l’essentiel de ce programme a été posé à Tampere en 1999, qu’il s’agisse du constat de la nécessité d’un instrument judiciaire direct comme le mandat d’arrêt européen ou du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice.

Or les trois décisions-cadres que le projet de loi transpose concernent précisément la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, donc leur application effective dans les différents pays européens.

À en juger par les travaux de votre commission des lois, ce texte ne soulève manifestement pas de difficulté. Les décisions-cadres, qui datent de 2008 et 2009, auraient d’ailleurs dû être transposées en 2011 et 2012.

La première concerne la reconnaissance mutuelle des décisions de probation, afin de les rendre exécutoires et applicables dans n’importe quel pays européen, indépendamment de l’État qui les a prononcées.

Le deuxième a trait aux mesures de contrôle judiciaire comme alternative à la détention provisoire. Là aussi, il s’agit de faire appliquer le principe de reconnaissance mutuelle.

La troisième porte sur la prévention et le règlement des conflits lorsqu’un État menant une procédure pénale a des raisons de penser que la même procédure peut être ouverte dans un autre État.

L’État ayant ouvert la procédure doit en informer l’autre État susceptible d’être concerné en raison de la nationalité, soit de l’auteur de l’infraction, soit de la victime, ou de tout autre élément raisonnable. Il s’agit d’éviter la violation du principe non bis in idem, aux termes duquel nul ne peut être condamné deux fois pour les mêmes actes.

Les États sont appelés à une action volontariste. Certes, il n’y a pas de mesure contraignante, les discussions n’ayant pas permis d’établir des critères permettant de définir quel État conduit la procédure. Toutefois, les États sont fortement incités à s’entendre pour éviter la conduite de procédures parallèles.

Il y a évidemment des exceptions ; il est possible de ne pas fournir de renseignement dès lors qu’il s’agit de préserver les intérêts nationaux ou de garantir la sécurité d’une personne. Mais, dans les autres cas, les États sont invités à entreprendre les démarches que j’évoquais et à solliciter Eurojust pour les matières relevant de sa compétence, comme la criminalité transfrontalière ou la criminalité organisée.

Il y a donc une incitation au consensus. S’il n’y a pas de contrainte menant impérieusement au dessaisissement d’un État, la procédure qui aboutira la première en condamnation définitive sera évidemment prise en compte par l’État ayant ouvert une procédure parallèle.

La reconnaissance mutuelle suppose évidemment d’éviter l’impunité ; il ne faut pas que des auteurs d’infractions profitent des différences entre les systèmes judiciaires pour échapper à la justice. Néanmoins, elle implique également la nécessité de protéger les victimes de manière équivalente sur l’ensemble de l’espace européen. Sur ces bases s’effectueront les efforts d’échanges.

Le projet de loi prolonge ce qui a déjà été entrepris en matière de lutte contre le terrorisme – je l’ai déjà souligné –, mais également pour la confiscation des biens ou pour les échanges d’informations, y compris sur le casier judiciaire.

Nous introduisons en outre des mesures modifiant le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou CESEDA. Il s’agit en l’occurrence d’une directive communautaire qui aurait dû être transposée au mois de décembre 2013.

Vous le savez, le CESEDA relève du ministère de l’intérieur. Toutefois, il se trouve que la Commission européenne a engagé une procédure de recours en manquement. Il y a donc urgence : la France subit des préjudices pécuniaires du fait d’un tel retard. J’ai donc présenté les mesures de transposition au début de l’année, et elles ont été inscrites à l’ordre du jour du Parlement.

Par ailleurs, la commission des lois a accepté, et je l’en remercie, d’introduire dans le texte des dispositions figurant dans deux autres directives européennes pour lesquelles nous disposons encore d’un délai.

La première concerne la protection des victimes, afin de veiller à la reconnaissance mutuelle et à l’application des mesures prononcées. Nous avons jusqu’au mois de janvier 2015 pour procéder à cette transposition, mais, vous l’imaginez bien, il serait déraisonnable de prendre le risque d’attendre… Compte tenu du calendrier parlementaire, il est probable qu’elle n’ait pas lieu avant le mois de janvier 2015. Nous préférons donc anticiper quelque peu.

J’ai également souhaité introduire, et la commission en a été d'accord, des dispositions relatives aux droits, au soutien et à la protection des victimes. Il s’agit là de la directive d’octobre 2012, que nous pouvons transposer jusqu’à la fin de l’année 2015.

Cette directive contient un certain nombre de normes minimales particulièrement intéressantes pour la protection des victimes. J’ai décidé de lancer une expérimentation dans huit tribunaux de grande instance dès le mois de janvier 2014, c'est-à-dire avant même la transposition. Elle concerne le suivi individualisé des victimes et permet de mettre ces normes en application.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous procédons à la transposition avec presque une année d’avance. Bien entendu, nous procéderons à une évaluation de l’expérimentation d’ici à la fin de l’année. Le décret fixant les modalités pratiques d’application du dispositif, en plus des mesures figurant dans le projet de loi, sera publié sur cette base.

Par ailleurs, je présenterai notamment deux amendements, dont je détaillerai l’objet tout à l'heure lors de la discussion des articles.

Le premier vise la contrainte pénale. Il s’agit d’une disposition permettant l’exécution par provision d’une décision d’incarcération en cas de non-respect des obligations et des interdictions.

Le second amendement a pour objet la prise en compte d’une décision du Conseil constitutionnel, dont nous avons débattu ici, interdisant le recours à la garde à vue de quatre-vingt-seize heures en cas d’escroquerie organisée. Cette disposition avait été introduite par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Voilà donc l’essentiel des dispositions contenues dans ce texte. Évidemment, il s’agit toujours de dispositions extrêmement techniques, pointilleuses sur le plan juridique, mais qui font sens en termes de construction d’un espace européen de sécurité, de liberté et de justice. Il s’agit non seulement de faire évoluer les droits, mais aussi de rechercher plus d’efficacité judiciaire, afin que la liberté de circulation des personnes ne se traduise pas, d’une part, par l’impunité pour les auteurs d’infractions, et, d’autre part, par une protection inégale pour les victimes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’accueil que vous avez réservé à ce texte.

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