Intervention de François Zocchetto

Réunion du 5 novembre 2014 à 14h30
Adaptation de la procédure pénale au droit de l'union européenne — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici de nouveau réunis pour aborder un texte visant à transposer des décisions européennes.

À peine un an s’est écoulé depuis le précédent projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union. Comme aujourd'hui, le Gouvernement avait engagé alors la procédure accélérée, car notre pays était un peu pris par le temps – Mme la garde des sceaux l’a souligné, nous sommes, une fois de plus, sous la menace d’actions en manquement engagées devant la Cour de justice de l’Union européenne par la Commission européenne. En effet, les trois premières décisions européennes visées par le texte doivent entrer en application le 1er décembre prochain – autant dire que ce ne sera pas possible, puisque le projet de loi devra ensuite être examiné par l’Assemblée nationale.

Je regrette cette façon de travailler, d’autant que le texte a été déposé sur le bureau du Sénat le 23 avril dernier. On comprend donc mal son inscription tardive à l’ordre du jour de nos travaux. En matière de transposition de procédure judiciaire, cessons de courir comme le lièvre de la fable et tâchons plutôt, comme la tortue, de partir à point ! On sait en effet que, dans d’autres domaines, le calendrier des transpositions est moins contraint.

Bien sûr, il n’y a pas lieu de discuter de l’opportunité du présent texte. Les dispositifs qu’il transpose visent à donner corps à l’espace judiciaire européen en améliorant la coordination entre les magistrats des différents États membres et en étendant le champ des décisions des procédures pénales susceptibles d’être exécutées dans un autre État que dans celui qui les a prononcées. Ces objectifs sont parfaitement louables.

L’examen parlementaire des textes de transposition est nécessairement plus contraint que celui d’un projet ou d’une proposition de loi ordinaire. Toutefois, ces textes européens laissent malgré tout aux législateurs nationaux une certaine marge d’appréciation.

À cet égard, la commission des lois du Sénat a inscrit ses travaux dans le droit fil des principes retenus pour les transpositions précédentes : il s’agit d’éviter de faire du zèle et de se garder de toute « surtransposition », d’adapter les termes juridiques européens au vocabulaire de notre droit, car une stricte traduction à l’aide d’un dictionnaire anglais-français réserve parfois quelques surprises, et de s’appuyer, autant qu’il est possible, sur les principes et les procédures en vigueur dans notre pays.

Mme la garde des sceaux ayant présenté les principales dispositions du texte, je n’entrerai pas dans le détail. Je dirai simplement à mes collègues qui s’inquiètent du rythme d’examen des projets de transposition – je me tourne vers Alain Richard, à qui avait été confiée il y a quelques mois la mission qui m’incombe aujourd'hui – que la liste des textes à transposer est loin d’être close : dix directives relatives au droit pénal ont été adoptées sous l’empire du traité de Lisbonne.

Selon les informations que nous avons recueillies auprès du Secrétariat général des affaires européennes, trois d’entre elles verront leur délai de transposition arriver à échéance en 2015, quatre en 2016 et la dernière en 2017. Par ailleurs, au moins huit propositions de textes pénaux sont en cours de discussion. Il est donc très vraisemblable que nous nous retrouverons encore d’ici à un an pour un même exercice de transposition.

L’article 1er vise à transposer une décision-cadre dont l’objectif est de limiter les situations dans lesquelles deux procédures pénales parallèles, portant sur les mêmes faits et mettant en cause les mêmes personnes, sont conduites indépendamment dans deux États différents. Les médias se sont fait l’écho de certaines affaires, que je ne citerai pas, prouvant qu’il pouvait y avoir des confusions lorsque deux juridictions dans deux pays s’intéressent au même dossier.

Le ressort de la procédure proposée est l’échange d’informations, dont on espère qu’il conduira l’un des magistrats enquêteurs à suspendre ses investigations dans l’attente des conclusions de son homologue européen, si ce dernier est plus avancé que lui.

Le Gouvernement avait fait le choix d’une transposition a minima. Nous nous sommes permis d’enrichir le texte de deux manières. Tout d’abord, nous avons cherché à mieux distinguer les deux phases de la procédure. Ensuite, nous avons prévu une obligation d’informer les parties de la décision de suspendre les investigations. Cette mesure paraît aller de soi, mais elle n’était pas prévue.

Les articles 2 et 3 visent à donner corps au principe selon lequel une décision pénale prononcée dans un État membre doit pouvoir être reconnue et exécutée dans un autre État. Les décisions-cadres transposées par ces articles appliquent le principe de reconnaissance mutuelle, d’une part, aux mesures de contrôle judiciaire, prononcées avant le jugement, et, d’autre part, aux décisions de probation consécutives à une condamnation. La commission des lois, là encore, a précisé le champ d’application de ces deux dispositions.

Mme la garde des sceaux a souligné que le texte comportait à l’article 6 des dispositions ne présentant aucun lien avec celles que je viens d’évoquer. En effet, cette disposition transpose une mesure spécifique de la directive « qualification » du paquet législatif relatif à l’asile. Visiblement, cet article emprunte le premier véhicule législatif disponible de peur d’arriver trop tard : je le remarque, car c’est l’occasion d’alerter le Sénat du retard pris par le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, pour lequel il y a plus que jamais urgence.

D’une manière générale, la commission des lois a jugé le texte à la fois nécessaire, au regard de nos engagements européens, et utile, puisqu’il renforce l’entraide judiciaire européenne.

Le Gouvernement a pris argument de la même nécessité européenne pour proposer à la commission, au-delà du texte déposé – il faut le dire, il y a quelques mois –, deux amendements procédant, aux articles 4 bis et 4 ter, à la transposition de deux autres directives dont le délai de transposition arrive à échéance en 2015.

La première directive définit la procédure de reconnaissance, au sein de l’Union européenne, de la décision de protection européenne dont peut bénéficier une victime. La seconde directive vise à établir des standards communs, dans le droit de chaque État membre, pour la protection des victimes d’infractions pénales. Ces deux directives visent donc à améliorer le droit des victimes.

La commission a adopté ces deux amendements du Gouvernement en les sous-amendant, afin, notamment, de garantir à la victime un recours contre le refus qui lui serait opposé, en France, de reconnaître la protection dont elle bénéficiait dans un autre État membre.

Le Gouvernement a enfin souhaité profiter du présent texte pour apporter quelques corrections à deux dispositions du code de procédure pénale rendues nécessaires, l’une par la jurisprudence du Conseil constitutionnel évoquée par Mme Taubira, rendant impossible le recours à la garde à vue de quatre-vingt-seize heures en matière d’escroquerie en bande organisée, et, l’autre, par le nouveau dispositif de la contrainte pénale.

La commission a estimé que ces deux amendements, intégrés aux articles 5 bis et 5 ter, pouvaient être adoptés afin de garantir une sécurité maximale aux procédures judiciaires en cours.

Le Gouvernement est allé encore un peu plus loin en proposant in extremis deux amendements sur lesquels l’avis de la commission a été plus réservé, non parce qu’ils seraient inutiles, mais parce qu’un temps de réflexion supplémentaire semble nécessaire afin de parvenir à une rédaction parfaite.

Le premier amendement vise à soumettre aux garanties de l’audition libre les auditions conduites par des fonctionnaires dotés de prérogatives d’officiers de police judiciaire. Sur le fond, nous sommes évidemment d’accord, mais nous estimons que le texte ne peut être accepté en l’état. D’ici à son examen à l’Assemblée nationale, vous aurez probablement le temps de trouver une autre rédaction.

Les dispositions du second amendement nous ennuient davantage : elles concernent le statut du juge des libertés et de la détention ; or il nous paraît inopportun de modifier un point sans évoquer le statut général des magistrats.

Je précise, s’il en était besoin, que la commission propose au Sénat d’adopter ce texte. Toutefois, à l’avenir, nous aimerions avoir un calendrier de travail un peu moins contraint par les risques de sanctions européennes !

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