Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la coopération judiciaire en matière pénale entre États souverains n’a jamais été évidente à mettre en place, en raison de la diversité à la fois procédurale et substantielle des droits pénaux nationaux, des garanties plus ou moins grandes offertes aux justiciables, ainsi que de l’indépendance plus ou moins réelle du pouvoir judiciaire. De récents exemples médiatiques nous ont montré combien il est difficile d’assurer à ses ressortissants un procès équitable partout dans le monde. Nombre de nos concitoyens en ont fait l’expérience, en faisant parfois les frais de ces divergences.
Dans le cadre de la coopération classique, les demandes sont traitées par le canal diplomatique ou par le biais des autorités centrales. Sont ainsi largement mobilisés le battage médiatique et les relations interpersonnelles au niveau de l’État, afin d’exercer des pressions sur les opinions nationales. Du reste, à cette coopération classique sont opposées des restrictions bien légitimes, du fait des exceptions fondées sur la nature politique, fiscale ou militaire de l’infraction.
Ces obstacles bien connus, qui entravent une coopération apaisée, constituent la raison pour laquelle l’Union européenne se doit d’avancer sur la route de la création d’un véritable espace pénal européen, en permettant la reconnaissance mutuelle et l’exécution des décisions judiciaires.
Le principe est extrêmement ambitieux, car il tente de rénover les paradigmes du droit pénal matériel et procédural, à tous les stades de la procédure – présentenciel, sentenciel et postsentenciel. Les États sont légitimement très attachés à ce que le droit pénal reste un pouvoir régalien ; ce rapprochement constitue le point de cristallisation des tensions quant à la conception du rôle de l’Union européenne dans le domaine pénal.
L’idée de la coopération judiciaire a émergé dans les années soixante-dix. Celle-ci a été mise en œuvre par certaines dispositions de la convention d’application de l’accord de Schengen en 1990. Aujourd’hui, le rapprochement des garanties en matière de libertés publiques et de droits individuels est patent entre les pays qui ont adhéré à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, mais il se situe encore à un niveau purement matériel.
Le présent projet de loi, qui transpose les trois directives-cadres du 27 novembre 2008, du 23 octobre 2009 et du 30 novembre 2009, va plus loin, en renforçant le droit pénal européen procédural.
La reconnaissance mutuelle des décisions de justice contribuera à la mise en œuvre des engagements pris par l’Europe de respecter et protéger ces droits, en améliorant les garanties procédurales des individus touchés par le procès pénal. Elle donne également forme à la liberté de circulation des personnes, en permettant à nos concitoyens d’être rassurés sur la justice mise en œuvre dans toute l’Europe, un domaine qui a souvent posé de réelles difficultés. Enfin, cette coopération judiciaire est utile dans la lutte contre la criminalité, qui est un objectif naturel et normal de tout État.
La transposition de ces directives-cadres, dont le délai arrive à échéance le 1er décembre prochain, résulte d’une nécessaire logique inhérente au principe de reconnaissance mutuelle : il ne peut fonctionner si les États membres concernés n’ont pas correctement mis en œuvre les instruments dédiés.
Le principe non bis in idem, bien connu de tous les juristes et qui fait l’objet de la directive du 30 novembre 2009, est une règle cardinale de notre droit : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits. » Un tel principe semble évident et logique ; pour autant, il n’est pas toujours facile à appliquer. Il tend à prévenir la tenue de procédures pénales parallèles en ce qui concerne les mêmes faits et les mêmes personnes.
En 2001 déjà, dans une affaire Gozotoky Brügge, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie à titre préjudiciel, avait été amenée à se prononcer sur une procédure d’extinction de l’action publique. La cour avait estimé que la décision du ministère public de mettre fin aux poursuites pénales à l’encontre d’un prévenu après que celui-ci avait satisfait à certaines obligations était assimilable à une décision définitive. L’action publique était ainsi définitivement éteinte, empêchant un second jugement dans un second État membre.
L’application de ce principe majeur de notre droit pénal, également consacré dans plusieurs instruments internationaux, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, continue de poser des difficultés au niveau supra-étatique. Il était donc urgent de le consolider comme un acquis irréfragable.
Les directives du 27 novembre 2008 et du 23 octobre 2009 se situent dans le droit fil de la réforme pénale que nous avons votée très majoritairement dans cet hémicycle. Elles concernent la reconnaissance respectivement des décisions relatives à la probation et aux peines de substitution et des décisions relatives à des mesures de contrôle judiciaire.
Les juges hésitent souvent – c'est une réalité que nous avons constatée – à prononcer des peines de suivi judiciaire à l’encontre de ressortissants étrangers, car ils craignent que ces mesures ne soient jamais exécutées, ce qui paraît tout à fait logique. Cette crainte légitime nuit à l’individualisation des peines.
Comme l’a fait remarquer la Commission européenne, la transposition de ces mesures contribuera à diminuer la population carcérale – on peut, en tout cas, le souhaiter, et cela paraît logique ! –, dans la mesure où les décisions-cadres entraîneront une diminution des peines de détention prononcées par les juges à l’encontre de non-résidents. On peut espérer qu’elles permettront d’aboutir à une certaine « fluidité » des condamnations. Depuis quarante ans, l’espace européen de justice s’est construit difficilement, par étapes successives – traités, accords bilatéraux, décisions-cadres –, dans le sens, auquel nous sommes tout à fait favorables, d’une intégration toujours croissante des droits matériels.
L’adoption du présent projet de loi, que les membres de mon groupe voteront unanimement, contribuera à combler le manque procédural, au bénéfice de tous nos concitoyens.