Intervention de Jacques Bigot

Réunion du 5 novembre 2014 à 14h30
Adaptation de la procédure pénale au droit de l'union européenne — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacques BigotJacques Bigot :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme notre collègue Michel Mercier, j’essaierai de ne pas ajouter encore à ce qui a déjà été dit. Permettez-moi simplement de formuler quelques observations.

Pour rebondir sur les propos de M. Mercier sur la construction de l’Europe et la procédure pénale, je pense que nous devons sans doute d’abord l’unité juridique qu’il a évoquée aux travaux du Conseil de l’Europe. Nous la devons aussi à la vigilance de la Cour européenne des droits de l’homme, qui nous a apporté beaucoup, au travers de ses exigences.

La transposition des trois décisions-cadres qui fait l’objet du projet de loi entre tout à fait dans les préoccupations que les pénalistes ont toujours exprimées, en matière aussi bien de droit pénal que de procédure pénale.

Je pense, tout d’abord, au respect de la présomption d’innocence : pour éviter au maximum les détentions provisoires, il est effectivement utile que le juge des libertés et de la détention n’ait pas le sentiment que la personne mise en examen à la demande du procureur et du juge d’instruction peut lui échapper si elle ne réside pas dans le pays dans lequel elle doit être jugée. De ce point de vue, la garantie offerte aux magistrats qui prononceront une mesure de contrôle judiciaire que cette dernière sera exécutée dans un autre pays européen est fondamentale en Europe, un continent dont les frontières sont désormais largement ouvertes.

Il en va de même en ce qui concerne l’après-condamnation. Si l’on veut éviter la « surincarcération » – je sais que vous y êtes sensible, madame la garde des sceaux – et, au contraire, favoriser la réinsertion, il est logique de pouvoir accorder des libertés conditionnelles ou même, simplement, de prononcer des condamnations assorties de mesures de probation. En effet, le sursis avec mise à l’épreuve nécessite une mesure de probation, qui doit pouvoir s’appliquer dans l’ensemble de l’Europe, sur la base d’un contrôle effectif, ce qui n’est pas simple.

Bien évidemment, nous ne pouvons également que nous féliciter de la décision-cadre relative au respect du principe non bis in idem. Toutefois, en l’occurrence, il s’agira plutôt de faciliter le travail des magistrats, souvent surchargés, de manière que ces derniers puissent disposer de suffisamment d’informations en temps utile pour ne pas engager ou poursuivre des investigations, alors qu’un autre État est en train de mettre quelqu’un en examen pour le même délit.

En revanche, pour ce qui concerne l’efficacité des mesures, je crains qu’elles ne conduisent peu à peu à une charge de travail supplémentaire pour les agents de l’administration de la justice et pour les magistrats, qui sont déjà fort occupés et pour lesquels les moyens ne sont pas toujours au rendez-vous.

Je note, d’ailleurs, que dans le projet de loi de finances pour 2015 la justice n’est pas la moins bien servie, au contraire : vous avez su, madame la garde des sceaux, obtenir des moyens. Néanmoins, la mise en œuvre de la transposition de ces décisions-cadres entraînera nécessairement des dépenses nouvelles.

L’étude d’impact, de ce point de vue, n’est pas tout à fait réaliste : elle déduit de la réciprocité qu’il n’y aura pas d’incidence financière. Pourtant, cette dernière est évidente ! Il suffit de penser aux frais de traduction. Aujourd’hui, les traducteurs qui travaillent dans les juridictions rencontrent des difficultés pour se faire payer. Or, si on ne les rémunère pas, les experts finissent par ne plus répondre à la demande ! On enregistrera bien, en matière de traduction, un coût supplémentaire, le seul, du reste, à être compensé – par le fait que ce service sera, en contrepartie, rendu par d’autres.

Nous verrons bien, d’ailleurs, si la transposition assurée par le présent projet de loi aura des incidences réelles. À cet égard, en ma qualité de sénateur du Bas-Rhin, je mesure à quel point la coopération policière et judiciaire est aujourd'hui indispensable : l’exemple de l’agglomération de Strasbourg, qui est un point de passage naturel, le prouve. Et c’est vrai aussi pour d’autres zones frontalières de notre pays.

Enfin, madame la garde des sceaux, nous devrions pouvoir être tenus au courant des conséquences du texte : si l’étude d’impact d’un projet de loi est une chose, l’étude d’impact d’un projet de loi portant transposition de directives en est une autre !

J’en profite pour déplorer que le Sénat renonce à sa commission pour le contrôle de l’application des lois, pour laquelle, en tant que nouveau sénateur, j’avais quelque intérêt. Cependant, mes chers collègues, nous pourrons, dans quelques années, demander au ministère de la justice de nous rendre compte de l’efficacité des mesures du texte. En effet, si nous croyons à l’Europe, nous devons aussi veiller à ce qu’elle puisse fonctionner au mieux !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion